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Date : 20180131


Dossier : T-896-15

Référence : 2018 CF 70

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

GEORGETOWN RAIL EQUIPMENT COMPANY

demanderesse

défenderesse reconventionnelle

et

RAIL RADAR INC. ET TETRA TECH EBA INC.

défenderesses

(demanderesses reconventionnelles)

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(Jugement et motifs confidentiels publiés le 25 janvier 2018)


Table des matières

I. Glossaire 4

II. Aperçu 6

III. Résumé des faits 8

A. Parties 8

B. Actes de procédure et historique 9

IV. Le brevet 082 10

V. Le brevet 249 12

VI. Revendications en cause 13

VII. Questions en litige 19

A. La validité 19

B. Contrefaçon 19

VIII. Preuve 20

A. Témoins des faits et témoins experts 20

B. Observations concernant les éléments de preuve 21

IX. Interprétation des revendications 22

A. Principes juridiques et dates pertinentes 22

B. La personne moyennement versée dans l’art 23

C. Connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art 24

(1) Objection préliminaire de Georgetown 26

(2) Analyse 28

D. Termes des revendications nécessitant une interprétation 36

(1) « cadre » 36

(2) « analyser un cadre d’une série d’images » 37

(3) « région d’intérêt » 38

(4) « contour » 39

(5) « delta réel » 39

X. La validité 41

A. Principes juridiques 41

B. Développements menant au brevet 43

C. Personne versée dans l’art et connaissances générales courantes 44

D. Idée originale du brevet 45

E. Différences entre l’art antérieur et l’invention 49

F. Les différences étaient-elles évidentes ou nécessitaient-elles une invention? 52

XI. Contrefaçon 57

A. Principes juridiques 57

B. La contrefaçon par une intention commune 58

C. Les éléments essentiels 59

D. Analyse 60

(1) Analyse « un cadre », « au moins une image », ou « un cadre d’une série d’images » 60

(2) établit le contour de la traverse et de la selle de rail 62

(3) se sert d’une région d’intérêt 64

(4) compare l’orientation des contours de la traverse et de la selle de rail 66

(5) établit un delta réel entre le patin de rail et la traverse 67

XII. Conclusion 69


I. Glossaire

[1] Rail : les roues d’un train circulent sur deux rails en acier. Les sections du rail varient en longueur. Les extrémités des sections sont généralement contiguës. En raison de l’expansion et de la contraction pendant les différentes saisons, l’écart entre les rails peut se contracter et se dilater. Cet écart donne lieu au « cliquetis » des roues, une caractéristique des trains.

[2] Patin de rail : le patin de rail est la partie inférieure du rail.

[3] Champignon de rail : le champignon de rail est la partie supérieure du rail.

[4] Traverse : les rails sont soutenus par des croix connues sous le nom de traverses qui sont généralement perpendiculaires aux rails. Ces traverses sont habituellement fabriquées en bois ou en béton.

[5] Selle de rail : la selle de rail est une pièce rectangulaire d’acier sur laquelle s’appuie le patin de rail. Elle repose sur les traverses et y est attachée. La selle de rail peut ensuite distribuer la charge du patin de rail à la zone de la traverse qui se trouve sous la selle de rail.

[6] Semelle de rail : lorsque des traverses de béton sont utilisées, le patin de rail s’appuie sur une semelle de rail, qui elle-même repose sur la surface de la traverse de béton. La semelle de rail fournit une couche de protection entre le patin de rail et la surface de la traverse de béton. Elle est généralement faite d’un polymère.

[7] Appui de rail : dans le contexte de traverses en béton, l’appui de rail est la zone où se trouve la traverse sous le patin de rail.

[8] Attaches : la selle de rail est généralement fixée à la traverse à l’aide d’attaches, qui peuvent être des crampons, diverses vis et des agrafes.

[9] Ballast : les traverses reposent habituellement sur un lit de pierres de forme et de taille précises, appelé le ballast. Le ballast supporte les traverses, les selles/les semelles, les rails et les attaches. Il facilite le drainage des eaux de pluie, et fait office de barrière contre l’empiétement de végétation dans la zone de la voie ferrée.

[10] Selle de rail enfoncée : une selle de rail est enfoncée lorsque les traverses au-dessous d’elle ont été usées de sorte que sa surface inférieure se trouve sous la surface adjacente supérieure de la traverse. C’est ce qu’on appelle aussi la traverse à selle encastrée.

[11] Selle de rail mal alignée : une selle de rail est mal alignée lorsqu’un crampon n’est pas bien ajusté ou lorsqu’il en manque un, ce qui permet ainsi à la selle de rail de pivoter à l’extérieur de l’alignement de la voie.

[12] Abrasion de l’appui de rail : dans le contexte de traverses en béton, l’abrasion de l’appui de rail se produit lorsque la vibration des rails causée par les trains use la semelle de rail et, une fois que l’appui de rail est usé, la partie supérieure de la traverse.

II. Aperçu

[13] Le brevet canadien no 2 572 082 (le brevet 082), intitulé [traduction] « Système et procédé employés pour l’inspection de la voie ferrée », a été délivré à la demanderesse et défenderesse reconventionnelle, Georgetown Rail Equipment Company (Georgetown), le 25 janvier 2011. Le brevet a été rendu accessible au public aux fins de consultation le 12 janvier 2006. Le brevet 082 porte de façon générale sur un système et un procédé employés pour l’inspection de la voie ferrée. Ce système et cette méthode emploient des lasers, des appareils-photo et un processeur pour capter et analyser les images de la voie ferrée afin d’établir la distance entre les traverses, et détecter les selles de rail mal alignées ou enfoncées.

[14] Le brevet canadien no 2 766 249 (le brevet 249), intitulé [traduction] « Système et procédé de correction d’inclinaison pour abrasion d’appui de rail », a été délivré à Georgetown le 5 novembre 2013. Le brevet a été rendu accessible au public aux fins de consultation le 29 décembre 2010. Le brevet 249 porte de façon générale sur un système et un procédé employés pour déterminer l’abrasion de l’appui de rail de la voie ferrée. Ce système et cette méthode utilisent des lasers, des appareils-photo et un processeur pour déterminer s’il y a présence d’abrasion de l’appui de rail le long de la voie.

[15] Selon Georgetown, la présente cause se rapporte aux systèmes et aux procédés pour établir l’état de l’usure d’une traverse en bois sous une selle de rail (le brevet 082) et l’état de l’usure d’une semelle de rail ou d’une traverse en béton sous un rail (le brevet 249). Les deux phénomènes ne sont pas visibles lorsqu’ils sont regardés du dessus étant donné qu’ils se produisent sous des composantes qui sont visibles d’au-dessus. Les deux brevets résolvent ce problème en comparant la hauteur de la traverse avec la hauteur d’une autre composante de la voie : la selle de rail et le patin de rail, respectivement. Le brevet 249 comprend également un algorithme pour augmenter l’exactitude du calcul de l’abrasion de l’appui de rail en tenant compte de l’inclinaison.

[16] La défenderesse et demanderesse reconventionnelle, Tetra Tech EBA Inc (Tetra), a développé un système d’inspection des voies ferrées qu’elle appelle le « Three Dimensional Track Assessment System » (le système d’évaluation des voies ferrées à trois dimensions ou 3DTAS). Le 3DTAS est fixé sur un wagon qui se déplace le long d’une voie ferrée. Le système place deux lasers adjacents à la voie ferrée. Il a recours aux algorithmes pour analyser les caractéristiques de la voie ferrée, incluant les traverses, les rails, les patins de rail, les attaches, le ballast et les crampons. Ces caractéristiques sont affichées sur une carte altimétrique en trois dimensions (3D). Des données de l’emplacement géographique peuvent être établies au moyen d’un récepteur de système de positionnement global (GPS) ou d’un codeur. Tetra a conclu une entente afin de fournir le 3DTAS et les services de traitement à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN), mais elle a cessé de fournir tout service une fois que le présent litige a pris naissance.

[17] Tetra affirme que le 3DTAS ne viole ni le brevet 082 ni le brevet 249. Tetra a également contesté la validité des deux brevets pour cause d’évidence.

[18] Pour les motifs qui suivent, je conclus que les brevets 082 et 249 ne sont pas invalides pour cause d’évidence. Le recensement de ces problèmes particuliers, et l’utilisation de la vision industrielle et des calculs précis en tant que solutions possibles, reposaient sur l’inventivité et n’étaient pas évidents aux dates pertinentes.

[19] Les éléments essentiels des revendications pertinentes des brevets 082 et 249 se retrouvent également dans le 3DTAS. La vente du 3DTAS au CN, effectuée par Tetra, et son appui du système, contrefont les deux brevets.

III. Résumé des faits

A. Parties

[20] Georgetown est une société constituée sous le régime des lois de l’État du Texas des États-Unis. Georgetown fournit un service d’inspection des voies ferrées à de nombreux clients partout en Amérique du Nord, incluant la plupart des grandes compagnies de chemin de fer.

[21] La défenderesse Rail Radar Inc (Rail Radar) est une société constituée sous le régime des lois de la province de l’Alberta. Rail Radar n’a participé d’aucune façon à la présente instance, et son statut actuel est inconnu. Georgetown ne demande pas de réparation de la part de Rail Radar.

[22] Tetra est une société constituée sous le régime des lois de la province de l’Alberta. Tetra offre des services dans divers domaines de l’ingénierie des transports, incluant la gestion des infrastructures et la collecte de données des propriétaires et des exploitants de l’infrastructure de transport.

B. Actes de procédure et historique

[23] La déclaration initiale de Georgetown a été déposée le 29 mai 2015. Georgetown a allégué la contrefaçon d’environ cinquante-cinq revendications du brevet 082 et trois revendications du brevet 249, et a demandé une injonction, et des dommages-intérêts ou une restitution des bénéfices.

[24] Le 15 juillet 2015, Tetra a déposé sa défense initiale qui niait sa responsabilité. Georgetown a déposé sa réponse initiale le 27 juillet 2015.

[25] Le 26 mai 2016, Tetra a déposé sa défense modifiée et demande reconventionnelle, alléguant que les brevets 082 et 249 sont invalides pour cause d’évidence.

[26] Cette procédure a été scindée par ordonnance du protonotaire Kevin Aalto datée du 30 mai 2016. Les présents motifs du jugement ne concernent que l’étape de l’examen de la responsabilité de l’instance.

[27] Le 16 juin 2016, Georgetown a déposé sa réponse et défense reconventionnelle modifiée, soutenant que le brevet 082 et le brevet 249 sont valides et exécutoires.

[28] Le 20 juin 2017, Georgetown a déposé une déclaration modifiée, dans laquelle Georgetown a renoncé à alléguer la contrefaçon des revendications du brevet 082 qui se rapportent à la détection de la distance entre les traverses, ou les ruptures dans un rail.

[29] Tetra a déposé sa défense modifiée de nouveau le 20 juillet 2017.

[30] Georgetown a déposé sa nouvelle réponse et défense reconventionnelle modifiée le 18 août 2017.

IV. Le brevet 082

[31] Le domaine de l’invention du brevet 082 est le suivant :

[traduction]

La présente invention se rapporte de façon générale à un système et à une méthode d’inspection de la voie ferrée et, plus précisément à un système et à une méthode d’inspection des aspects de la voie ferrée au moyen d’un laser, d’un appareil-photo et d’un processeur.

[32] La rubrique [traduction] « Contexte de l’invention » indique que la majorité des traverses utilisées sont fabriquées en bois. Divers autres matériaux peuvent être utilisés, comme du béton, de l’acier et des matériaux composites ou recyclés, mais ces options forment un pourcentage relativement peu élevé de toutes les traverses. Au fil du temps, les facteurs environnementaux peuvent causer la détérioration des traverses tant qu’elles ne sont pas réparées. Plusieurs millions de traverses sont remplacées chaque année en Amérique du Nord.

[33] Le brevet 082 précise que les inspecteurs de voie ferrée tentent de classer régulièrement les conditions des traverses et des systèmes à attaches. Ce classement est le plus souvent réalisé au moyen d’une inspection visuelle pour détecter les traverses et les attaches qui sont pourries, brisées, fendues ou usées dans la mesure où elles sont au terme de leur durée de vie. Le processus d’inspection visuelle demande du temps. En pratique, l’inspection de la voie est exécutée par un inspecteur qui marche le long de la voie pour inspecter et constater l’état des traverses ou des attaches, qui sont espacées d’environ 20 pouces le long de la voie. Selon une compagnie des chemins de fer nord-américaine, une équipe de trois ou de quatre inspecteurs est en mesure d’évaluer seulement entre cinq et sept milles de la voie chaque jour. L’invention divulguée dans le brevet 082 cherche à éviter, ou du moins à réduire, ce défi logistique.

[34] La rubrique [traduction] « Résumé de la divulgation » du brevet 082 décrit un système et un procédé d’examen des composantes de la voie ferrée :

[traduction]

[...] Le système divulgué comprend des lasers, des appareils-photo et un processeur. Les lasers sont placés à côté de la voie. Le laser émet un faisceau lumineux à travers la voie ferrée, et l’appareil-photo capte des images de la voie ferrée exposée au faisceau lumineux. Le processeur transforme les images en un format qui fait qu’elles peuvent être analysées afin d’établir diverses mesures de la voie ferrée. Le système divulgué peut comprendre un récepteur GPS ou un dispositif à distance permettant d’établir l’endroit précis. Les mesures qui peuvent être établies à l’aide du système divulgué comprennent notamment la distance entre les traverses, l’angle des traverses par rapport au rail, les fissures et les défauts sur la surface des traverses, les selles de rail manquantes, les selles de rail mal alignées, les selles de rail enfoncées, les crampons manquants, les crampons endommagés, les crampons mal alignés, les isolateurs usés ou endommagés, l’usure du rail, l’écartement, la hauteur du ballast par rapport aux traverses, la taille des pierres du ballast et une rupture ou une séparation du rail. Le système comprend au moins un algorithme permettant d’établir ces mesures de la voie ferrée.

[35] Le brevet 082 fournit ensuite une explication des différents aspects de l’invention, suivis d’une description détaillée des spécimens précis et des dessins connexes. Les revendications du brevet 082, soit 80 en tout, sont énoncées ensuite.

V. Le brevet 249

[36] Le domaine de l’invention du brevet 249 est le suivant :

[traduction]

La présente invention se rapporte de façon générale à des systèmes et des procédés d’inspection des surfaces de voies ferrées et, plus précisément, à des systèmes et à des procédés permettant d’établir l’abrasion de l’appui de rail au moyen d’algorithmes de correction de l’inclinaison.

[37] La rubrique [traduction] « Contexte de l’invention » est initialement semblable à celle qui a été fournie dans le brevet 082. Toutefois, on explique que la construction des voies ferrées est légèrement différente en fonction du type de matériel utilisé pour les traverses. Si des traverses en bois sont utilisées, les selles de rail sont placées par-dessus les traverses, et les rails sont placés par-dessus les selles de rail. Si des traverses en béton sont utilisées, les rails sont placés par-dessus les traverses, et entre eux est placée une mince semelle en polymère pour empêcher les contacts directs entre l’acier et le béton.

[38] Le brevet 249 indique que la circulation ferroviaire habituelle cause un frottement entre les traverses et les rails, ainsi qu’entre les rails et les crampons, les boulons, les vis, ou les attaches, et la surface sous les traverses. Il est particulièrement important de noter le frottement au point où l’appui de rail repose sur la traverse. Une telle usure, également connue sous le nom d’abrasion de l’appui de rail, touche directement la durée de vie de la traverse, faisant en sorte qu’elle se désajuste des rails, malgré les semelles utilisées entre les rails et les traverses en béton.

[39] Selon le brevet 249, les compagnies de chemin de fer surveillent l’usure des traverses de béton, soit par un calcul manuel direct, soit par l’utilisation de dispositifs électroniques installés sous les traverses des voies ferrées. Toutefois, cela peut être peu fiable et dangereux, peut nécessiter beaucoup de main-d’œuvre, et peut s’avérer compliqué et perturbateur pour la circulation ferroviaire. L’invention divulguée dans le brevet 249 cherche à éviter, ou du moins à résoudre, ces problèmes.

[40] Le [traduction] « Résumé de la divulgation » du brevet 249 décrit un système et un procédé permettant d’établir l’abrasion de l’appui de rail, qui utilisent les lasers, les appareils-photo et les processeurs d’une manière semblable au système divulgué dans le brevet 082. Toutefois, le système est approprié pour établir s’il y a présence d’abrasion sur l’appui de rail le long de la voie ferrée. Le processeur emploie un algorithme mathématique qui corrige l’inclinaison rencontrée au fur et à mesure que le système d’inspection se déplace le long des voies ferrées.

[41] Le brevet 249 fournit ensuite une description détaillée des modes de réalisation précis et des dessins connexes. Les revendications du brevet 249, soit 18 en tout, sont énoncées ensuite.

VI. Revendications en cause

[42] Georgetown allègue la contrefaçon des revendications 16 et 67; 37, 68 et 70; et 58, 71 et 73 du brevet082. Ces revendications concernent un système et des procédés permettant d’établir les particularités des selles de rail et des traverses :

[43] De façon plus détaillée, la revendication 16 décrit ce qui suit :

[traduction]

Un système permettant l’inspection d’une voie ferrée pouvant être fixé à un véhicule en mouvement le long du chemin de fer, et comprenant :

au moins un générateur de lumière placé à côté de la voie ferrée afin de projeter un faisceau lumineux à travers la voie ferrée;

au moins un récepteur optique placé à côté de la voie ferrée afin de recevoir au moins une partie de la lumière réfléchie de la voie ferrée et de produire une série d’images représentatives d’au moins une partie de la voie ferrée;

au moins un processeur afin d’analyser la série d’images et d’établir au moins une caractéristique physique de ladite partie de la voie ferrée, les caractéristiques physiques comprenant au moins un lieu géographique de la série d’images le long de la voie ferrée, dans lesquelles le processeur comprend un algorithme pour détecter une selle de rail mal alignée ou enfoncée du lit de la voie ferrée, et l’algorithme comprenant les étapes suivantes :

a) analyser le cadre d’une série d’images, le cadre comprenant une région d’intérêt;

b) établir si la région d’intérêt comprend une selle de rail;

c) s’il y a présence d’une selle de rail, établir le contour de la traverse et de la selle de rail;

d) comparer l’orientation du contour de la traverse et l’orientation du contour de la selle de rail;

e) établir si la selle de rail est mal alignée ou enfoncée selon la comparaison.

[44] La revendication 37 décrit ce qui suit :

Un procédé d’inspection de la voie ferrée, la voie ferrée comprenant des traverses, des rails, le matériel qui y est lié et le ballast, le procédé comportant les étapes suivantes :

a) illuminer une partie rectiligne au travers du lit de la voie ferrée;

b) recevoir au moins une partie de la lumière réfléchie du lit de la voie ferrée;

c) générer une série d’images représentatives d’au moins une partie du lit de la voie ferrée;

d) analyser la série d’images et établir au moins une caractéristique de ladite partie du lit de la voie ferrée, les caractéristiques physiques comprenant au moins un lieu géographique de la série d’images le long du lit de la voie ferrée;

e) afficher les caractéristiques physiques établies de ladite partie du lit de la voie ferrée;

f) détecter une selle de rail mal alignée ou enfoncée du lit de la voie ferrée, l’étape de la détection comprenant les étapes suivantes :

a) analyser le cadre d’une série d’images, le cadre comprenant une région d’intérêt;

b) établir si la région d’intérêt comprend une selle de rail;

c) s’il y a présence d’une selle de rail, établir le contour de la traverse et de la selle de rail;

d) comparer l’orientation du contour de la traverse et l’orientation du contour de la selle de rail;

e) établir si la selle de rail est mal alignée ou enfoncée selon la comparaison.

[45] La revendication 58 décrit ce qui suit :

Un procédé d’inspection du lit de la voie ferrée comprenant des traverses, des rails, le matériel qui y est lié et un ballast, le procédé comportant les étapes suivantes :

a) se déplacer le long des rails;

b) projeter un faisceau lumineux concentré à travers la travée du lit de la voie ferrée;

c) capter une série d’images du faisceau lumineux concentré projeté à travers une partie du lit de la voie ferrée pendant le déplacement le long des rails;

d) établir au moins un aspect de la partie du lit de la voie ferrée par le traitement de la série d’images, les éléments comportant au moins un endroit géographique de la série d’images le long du lit de la voie ferrée;

e) afficher les aspects de la partie du lit de la voie ferrée qui ont été établis;

f) détecter une selle de rail mal alignée ou enfoncée du lit de la voie ferrée, l’étape de la détection comprenant les étapes suivantes :

a) analyser le cadre d’une série d’images, le cadre comprenant une région d’intérêt;

b) établir si la région d’intérêt comprend une selle de rail;

c) s’il y a présence d’une selle de rail, établir le contour de la traverse et de la selle de rail;

d) comparer l’orientation du contour de la traverse et l’orientation du contour de la selle de rail;

e) établir si la selle de rail est mal alignée ou enfoncée selon la comparaison.

[46] Les revendications 67, 68, 70, 71 et 73 sont également en litige, mais seulement dans la mesure où elles dépendent des revendications décrites ci-dessus.

[47] Georgetown allègue la contrefaçon des revendications 7, 11 et 18 du brevet 249, qui se rapportent à un système et à un procédé de détection de l’abrasion de l’appui de rail :

[48] De façon plus détaillée, la revendication 7 décrit ce qui suit :

Un procédé pour établir l’abrasion de l’appui de rail d’une voie ferrée, le procédé comportant les étapes suivantes :

a) établir la hauteur du patin de rail gauche, du patin de rail droit, de la traverse gauche et de la traverse droite, établir les hauteurs en pixels verticaux du patin de rail gauche, du patin de rail droit, de la traverse gauche et de la traverse droite, et normaliser les hauteurs en pixels verticaux en utilisant un indice de mesure;

b) enregistrer les hauteurs du patin de rail gauche, du patin de rail droit, de la traverse gauche et de la traverse droite;

c) établir le delta réel entre la hauteur du patin de rail gauche et la hauteur de la traverse gauche, et le delta réel entre la hauteur du patin de rail droits et la hauteur de la traverse droite;

d) établir une valeur d’abrasion de l’appui de rail pour les patins de rail droit et gauche.

[49] La revendication 18 décrit ce qui suit :

Un système pour établir l’abrasion de l’appui de rail d’une voie ferrée, le système comprenant les éléments suivants :

au moins un générateur de lumière placé à côté de la voie ferrée de sorte que le générateur de lumière projette un faisceau lumineux à travers la voie ferrée;

au moins un appareil-photo placé à côté de la voie ferrée pour recevoir au moins une partie de la lumière réfléchie de la voie ferrée et pour produire au moins une image du profil d’au moins une partie de la voie ferrée;

au moins un processeur apte à effectuer les étapes suivantes :

analyser au moins une image;

établir la hauteur du patin de rail gauche, du patin de rail droit, de la traverse gauche et de la traverse droite, établir les hauteurs en pixels verticaux du patin de rail gauche, du patin de rail droit, de la traverse gauche et de la traverse droite, et normaliser les hauteurs en pixels verticaux en utilisant un indice de mesure;

vérifier s’il y a présence d’abrasion de l’appui de rail le long de la voie ferrée.

[50] La revendication 11 est également en litige, mais seulement dans la mesure où elle dépend de la revendication 7.

VII. Questions en litige

[51] L’examen de la responsabilité de la procédure soulève deux questions : celle à savoir si les brevets 082 et 249 sont valides et, le cas échéant, si le 3DTAS contrefait les revendications invoquées de ces brevets.

A. La validité

[52] Tetra allègue que les brevets 082 et 249 sont invalides étant donné que l’objet de la demande aurait été évident aux dates de priorité pour une personne versée dans l’art, selon les connaissances générales courantes existantes avant les dates de priorité. Les parties conviennent que les dates de priorité, qui sont les mêmes que les dates de dépôt des demandes de brevet provisoire, sont le 30 juin 2004 pour le brevet 082, et le 23 juin 2009 pour le brevet 249. Georgetown soutient que les brevets 082 et 249 sont tous les deux valides.

B. Contrefaçon

[53] Georgetown allègue que Tetra a contrefait les revendications 16, 67, 37, 68, 70, 58, 71 et 73 du brevet 082, et les revendications 7, 11, et 18 du brevet 249. Tetra nie que le 3DTAS contrefait les revendications invoquées des brevets.

VIII. Preuve

A. Témoins des faits et témoins experts

[54] Georgetown a présenté le témoignage d’expert de M. Harley Myler. M. Myler est un professeur et président du département de génie électrique à la Lamar University à Beaumont, au Texas. Il a été reconnu comme expert en génie électrique et expert en traitement numérique du signal, plus précisément en traitement des images, et a une connaissance pratique des voies ferrées et des techniques d’inspection des chemins de fer.

[55] Georgetown a également appelé Gregory Thomas Grissom comme témoin des faits. M. Grissom est chef de l’exploitation de Georgetown depuis deux ans.

[56] Tetra a présenté le témoignage d’expert de Sébastien Parent. M. Parent est un ingénieur physicien qui compte plus de 20 ans d’expérience. Il a été reconnu comme ingénieur physicien et expert en intégration de la vision industrielle, et possède une expérience pratique dans le champ des techniques d’acquisition des images et des systèmes de vision industrielle automatisée.

[57] Tetra a également appelé Darel Edward Mesher comme témoin des faits. M. Mesher est un ingénieur et un employé de Tetra depuis 1992 approximativement. Il a contribué activement au développement du 3DTAS.

B. Observations concernant les éléments de preuve

[58] Georgetown demande à la Cour de ne pas tenir compte du témoignage de M. Mesher ou de l’écarter au motif qu’il n’est pas impartial (citant la décision du juge Collier dans Xerox of Canada Ltd c IBM Canada Ltd (1977), 33 CPR (2d) 24, aux paragraphes 38 à 40 (CF 1re inst.)). Tetra demande à la Cour de ne pas tenir compte du témoignage de M. Myler ou de l’écarter pour des motifs similaires.

[59] Je suis d’avis que ces deux témoins ont eu parfois tendance, plus précisément en contre-interrogatoire, à fournir des réponses qui visaient à renforcer la position de la partie qui leur avait demandé de témoigner, ou qui minaient la position de la partie adverse. Cette observation se répercute de manière plus négative sur M. Myler que sur M. Mesher. M. Myler a été appelé comme témoin expert, et, par conséquent, avait l’obligation envers la Cour d’un devoir professionnel d’impartialité. M. Mesher a été appelé comme témoin des faits, et a clairement reconnu son intérêt pour le succès du 3DTAS.

[60] Malgré ces réserves, je ne suis pas disposé à rejeter entièrement les témoignages de M. Mesher ou de M. Myler, ou de les écarter. Comme d’autres témoins appelés à témoigner à cette étape de la procédure, ils ont présenté des qualifications impressionnantes et ont fourni des renseignements utiles. Les motifs pour lesquels j’ai donné la préséance à certains témoignages se trouvent dans l’analyse qui suit.

IX. Interprétation des revendications

A. Principes juridiques et dates pertinentes

[61] La première étape d’une poursuite en matière de brevet consiste à interpréter les revendications afin d’en établir le sens et la portée (Whirlpool Corp. c Camco Inc., 2000 CSC 67, au paragraphe 43 [Whirlpool]). Les dates pertinentes d’interprétation des revendications sont les dates de dépôt des demandes de brevet : le 12 janvier 2006 pour le brevet 082 et le 29 décembre 2010 pour le brevet 249 (Whirlpool, aux paragraphes 54 et 55). La Cour doit examiner la description donnée dans le brevet pour déterminer les « éléments essentiels » et peut demander l’aide d’un expert pour connaître la signification d’un mot ou d’une expression en particulier (Whirlpool, aux paragraphes 43, 45 et 57).

[62] Les principes fondamentaux de l’interprétation des revendications sont énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Whirlpool, aux paragraphes 49 à 55, et Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, aux paragraphes 44 à 54 [Free World Trust]. Ces questions sont les suivantes :

  • a) la teneur d’une revendication doit être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet avec un esprit disposé à comprendre, comme la voit la personne versée dans l’art à la date de publication pour ce qui est des connaissances générales courantes;

  • b) le respect du libellé des revendications permet de les interpréter de la manière dont l’inventeur est présumé l’avoir voulu et d’une façon favorable à l’atteinte de l’objectif de l’inventeur, qui fait la promotion à la fois de l’équité et de la prévisibilité;

  • c) l’ensemble du mémoire descriptif devrait être pris en compte afin de s’assurer de la nature de l’invention, et l’interprétation des revendications ne doit pas être bienveillante ni sévère, mais elle devrait plutôt être raisonnable et équitable tant pour le titulaire du brevet que pour le public.

B. La personne moyennement versée dans l’art

[63] Pour interpréter les revendications en cause, la Cour doit définir ce qu’est une personne versée dans l’art. Il s’agit de « la personne à laquelle s’adresse censément le brevet, sous l’angle de laquelle la Cour doit interpréter le brevet et qui sert de critère en vue de déterminer l’évidence » (Amgen Canada Inc. c Apotex Inc., 2015 CF 1261, au paragraphe 42).

[64] Georgetown décrit la personne versée dans l’art des brevets 082 et 249 comme un ingénieur électrique ou informatique qui possède au moins trois années d’expérience de travail avec les systèmes de traitement de l’image, ou qui détient une maîtrise, et les connaissances pratiques des techniques d’inspection des voies ferrées.

[65] Tetra soutient que la personne versée dans l’art du brevet 082 possède un diplôme en génie ou en physique et détient de cinq à sept années d’expérience dans le domaine de la visionique. Pour le brevet 249, Tetra affirme que la personne versée dans l’art est encore une fois une personne qui possède un diplôme en génie ou en physique, mais avec moins d’expérience pratique étant donné l’application plus restrictive du brevet 249, et étant donné que le sujet de la visionique a été développé entre la date de publication du brevet 082 et celle du brevet 249.

[66] La différence essentielle entre les positions des parties est la mesure dans laquelle la personne versée dans l’art doit avoir une connaissance pratique des techniques d’inspection des voies ferrées.

[67] Je préfère la formulation de la personne versée dans l’art présentée au nom de Tetra. Toutes les revendications des brevets 082 et 249 sont fondées sur la visionique. Il s’ensuit que la personne versée dans l’art doit comprendre l’utilisation de la visionique pour inspecter les surfaces. Le brevet parle de [traduction] « boîtes à outils » et de « logiciels connus », tous deux pouvant potentiellement englober la visionique et le traitement d’images au-delà du contexte des chemins de fer. En fait, le brevet 082 reconnaît que les techniques peuvent s’appliquer à d’autres contextes. Une connaissance des chemins de fer est ainsi accessoire à une connaissance de la façon dont les techniques de visionique peuvent s’appliquer dans différents contextes.

C. Connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art

[68] Le brevet doit être interprété en tenant compte des « connaissances générales courantes » des personnes versées dans l’art (Free World Trust, au paragraphe 44; Whirlpool, au paragraphe 53). Il s’agit des connaissances que possède la personne versée dans l’art au moment opportun et cela comprend ce que l’on pourrait raisonnablement s’attendre que cette personne sache (Apotex Inc. c Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, au paragraphe 70 [Sanofi-Synthelabo]; Whirlpool, au paragraphe 74). Les connaissances générales courantes d’une personne versée dans l’art doivent être établies selon la prépondérance des probabilités et ne peuvent être supposées (Uponor AB c Heatlink Group Inc., 2016 CF 320, au paragraphe 47).

[69] L’évaluation des connaissances générales courantes est régie par les principes énoncés dans les décisions Eli Lilly and Company c Apotex Inc., 2009 CF 991, au paragraphe 97, et General Tire & Rubber Co v Firestone Tyre & Rubber Co, [1972] RPC 457 (UKHL), aux pages 482 et 483 :

  • a) [traduction] il faut soigneusement distinguer les connaissances générales courantes imputées à la personne versée dans l’art de ce que l’on considère en droit des brevets comme des connaissances publiques;

  • b) les connaissances générales courantes forment un concept différent dérivé d’une conception rationnelle de ce qui serait en fait connu par une personne adéquatement versée dans l’art – le genre de personne qui fait bien son travail et qui existerait réellement;

  • c) les mémoires descriptifs individuels de brevet et leur contenu ne font habituellement pas partie des connaissances générales courantes pertinentes, bien qu’il puisse y avoir des mémoires descriptifs si bien connus qu’ils font partie des connaissances générales courantes, particulièrement dans certains secteurs d’activités précis;

  • d) de façon générale, en ce qui concerne les documents scientifiques :

  1. pour établir les connaissances générales courantes, il ne suffit pas de démontrer qu’une divulgation particulière a été faite dans un article, dans une série d’articles ou dans une revue scientifique, quel que soit le tirage de cette revue, en l’absence d’une preuve selon laquelle la divulgation est généralement acceptée par les personnes versées dans l’art auquel elle se rapporte;

  2. une connaissance précise et divulguée dans un document scientifique ne devient pas une connaissance générale courante simplement parce que le document est lu par de nombreuses personnes, et encore moins parce qu’il a été largement diffusé;

  3. une telle connaissance fait partie des connaissances générales courantes uniquement lorsqu’elle est connue de manière générale et acceptée sans hésitation par ceux versés dans l’art particulier ou, en d’autres mots, lorsqu’elle fait partie du lot courant des connaissances se rapportant à l’art;

  4. il est difficile d’évaluer comment l’utilisation d’une chose qui, dans la réalité, n’a jamais été utilisée dans un art particulier peut être reconnue comme appartenant aux connaissances générales courantes de l’art.

1) Objection préliminaire de Georgetown

[70] Georgetown s’oppose à l’examen de la Cour de l’annexe SP-09 du rapport d’expert de M. Parent (Daniel L Magnus, « Non-contact technology for track speed rail measurement : ORIAN », monographie distribuée au Nondestructive Evaluation of Aging Railroads, le 30 juin 1995), 2458 SPIE 45 (annexe SP-09)) comme faisant partie de l’état de l’analyse de l’évidence des brevets 082 et 249, et à l’examen du brevet 082 comme faisant partie de l’état de l’analyse de l’évidence du brevet 249. Georgetown affirme que ces documents n’ont pas été plaidés précisément dans la demande reconventionnelle de Tetra.

[71] En guise de réponse, Tetra soutient que ces documents ont été inclus dans le rapport d’expert de M. Parent et ont reçu une réponse de la part de Georgetown. Ils font donc partie du dossier, et la Cour dispose d’un large pouvoir discrétionnaire d’évaluer la preuve au dossier. Subsidiairement, dans le cadre des observations finales, l’avocat de Tetra a proposé de modifier la procédure.

[72] Quand une partie plaide l’invalidité, comme l’a plaidé Tetra dans sa défense et demande reconventionnelle, d’autant plus que l’invention est complexe, il est généralement reconnu que la partie doit désigner dans ses plaidoiries l’acte antérieur qui appuie l’allégation d’évidence (Throttle Control Tech Inc c Precision Drilling Corp, 2010 CF 1085, au paragraphe 13). Il est possible de remédier à un vice dans un acte de procédure par une modification, et il peut constituer une erreur pour un juge de rejeter une demande de modification raisonnable (Janssen Inc c Abbvie Corp, 2014 CAF 242 [Janssen]).

[73] Il faut éviter une approche technique de la question. Comme l’a dit la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Janssen (au paragraphe 3, citant la décision Continental Bank Leasing Corp c R, [1993] ACI no 18) :

[J]e préfère tout de même examiner la question dans une perspective plus large : les intérêts de la justice seraient-ils mieux servis si la demande de modification ou de rétractation était approuvée ou rejetée? Les critères mentionnés dans les affaires entendues par d’autres tribunaux sont évidemment utiles, mais il convient de mettre l’accent sur d’autres facteurs également, y compris le moment auquel est présentée la requête visant la modification ou la rétractation, la mesure dans laquelle les modifications proposées retarderaient l’instruction expéditive de l’affaire, la mesure dans laquelle la thèse adoptée à l’origine par une partie a amené une autre partie à suivre dans le litige une ligne de conduite qu’il serait difficile, voire impossible, de modifier, et la mesure dans laquelle les modifications demandées faciliteront l’examen par la Cour du véritable fond du différend. Il n’existe aucun facteur qui soit prédominant, ou dont la présence ou l’absence soit nécessairement déterminante. On doit accorder à chacun des facteurs le poids qui lui revient dans le contexte de l’espèce. Il s’agit, en fin de compte, de tenir compte de la simple équité, du sens commun et de l’intérêt qu’ont les tribunaux à ce que justice soit faite. [Non souligné dans l’original.]

[74] En l’espèce, l’art antérieur invoqué par Tetra a été divulgué dans le rapport d’expert de M. Parent, qui a été remis à Georgetown approximativement quatre mois avant le début du procès. Georgetown n’était pas au courant de tous les documents de l’art antérieur sur lesquels Tetra comptait s’appuyer, incluant ce qui n’a pas été plaidé, et a décidé de répondre par le rapport d’expert de M. Myler. Georgetown n’a démontré aucun préjudice résultant de l’omission de la part de Tetra d’inclure ces documents dans sa demande reconventionnelle. De plus, comme nous le verrons plus loin, l’art antérieur contesté n’est pas essentiel à l’analyse de l’évidence de la Cour.

[75] J’exercerai donc le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré pour permettre à Tetra de s’appuyer sur tous les documents de l’art antérieur invoqué dans le rapport d’expert de M. Parent.

2) Analyse

[76] Selon M. Parent, il y a eu beaucoup de développement concernant le domaine de la visionique dans les années 1990. Cela inclut l’utilisation des détecteurs optiques en trois dimensions (3D) et la triangulation à laser en 3D. Utiliser la visionique pour établir l’apparence d’un objet en de circonstances normales, et détecter et mesurer par la suite toute anomalie ou élément d’intérêt était une technique communément utilisée. Les caractéristiques visuelles d’un objet ou d’une scène ont été reconnues comme étant essentielles à la conception d’un appareil d’enregistrement des images. Ces caractéristiques incluaient, mais non exclusivement, la couleur, le type de pouvoir réfléchissant (diffus ou spéculaire), la taille de la scène, le moindre point d’intérêt et la vitesse de déplacement. Cette méthode a été bien établie depuis le début des années 1990 (voir, par exemple, Kevin Harding, « The Art of Lighting Science » dans Vision Online (28 avril 2000) [annexe SP-06]).

[77] M. Parent a expliqué qu’à l’époque pertinente, il existait plusieurs techniques pour obtenir des renseignements en deux dimensions (2D) ou en 3D d’un objet ou d’une scène. Il a fait remarquer que la technique de triangulation en 3D était un bon choix et un choix naturel pour les tâches décrites dans les brevets 082 et 249. Le brevet 082 renvoie à l’utilisation des appareils-photo spécialisés de triangulation en 3D. M. Parent a décrit cette utilisation comme une technique de mesure tridimensionnelle bien connue au moment où les demandes de deux brevets ont été déposées.

[78] L’une des publications antérieures citées par M. Parent, Liviu Bursanescu & François Blais, « Automated Pavement Distress Data Collection and Analysis : a 3-D Approach » (1997) 41574 CNRC 311 [annexe SP-07], décrit un système qui utilise la triangulation à l’aide de lasers infrarouges et d’appareils-photo, utilise un faisceau de lumière laser d’une étendue angulaire, qui est fixé à un véhicule, adapte la configuration d’acquisition (géométrie) et un nombre de dispositifs au besoin (par exemple, le contrôle des chaussées), inclut un codeur optique et un GPS pour les coordonnées géographiques, inclut un inclinomètre pour la déclivité de la route et les pentes transversales (par exemple, le bombement de la route), corrige le profil pour le tangage et le roulis d’un véhicule, inclut un traitement en temps réel de la détection des caractéristiques, inclut un dispositif de rangement, inclut un dispositif de post-traitement extrayant et classant les caractéristiques, et est utilisé pour inspecter le revêtement et pour détecter les vices.

[79] M. Parent a reconnu que l’annexe SP-07 ne porte pas sur les voies ferrées. Il a néanmoins soutenu qu’il n’est pas nécessaire que les techniques de visionique soient liées à un champ d’application en particulier. En fait, le paragraphe 0024 du brevet 082 renvoie à l’application possible de l’invention divulguée aux inspections des rues, des lignes électriques, de la tuyauterie et d’autres réseautages.

[80] M. Parent a également cité Denis Gingras dans « Optics and Photonics Used in Road Transportation » (étude présentée dans Opto-Contact : Workshop on Technology Transfers, Start-Up Opportunities and Strategic Alliances, 24 septembre 1998), 3414 SPIE 264 [annexe SP-08]. L’article décrit le système d’inspection des rues qui emploie un système de triangulation avec laser installé sur un véhicule, et un odomètre et un GPS pour la localisation des scanographies. M. Parent a noté que le traitement inclut la correction de l’étalonnage en raison de l’inclinaison et du roulement du véhicule, et il le compare à la technique employée par le brevet 249.

[81] M. Parent a relevé un certain nombre d’articles et de brevets concernant le contexte des voies ferrées, incluant l’annexe SP-09, qui porte sur une technologie de mesure du profil du rail optique. Le système analyse l’usure des rails, est installé sous un véhicule d’inspection des voies, utilise une combinaison d’appareils-photo à dispositif à transfert de charge et de laser diodes pour obtenir des images vidéo, emploie une source de lumière structurée, effectue l’analyse du profil du rail gauche et droit, analyse les images au moyen d’un ordinateur, traduit chaque image des rails en coordonnées X-Y du monde réel, et utilise un codeur pour synchroniser chaque mesure des rails avec un emplacement connu.

[82] D’autres exemples de l’art antérieur présentés par M. Parent comprennent :

  • a) George Kantor et al., « Automatic Railway Classification using Surface and Subsurface Measurements » (étude présentée dans le cadre de la 3e Conférence internationale sur la robotique de terrain et de service (International Conference on Field and Service Robotics), en janvier 2001), Institut de robotique de la Carnegie Mellon University [annexe SP-10], qui décrit les procédés pour l’évaluation de l’état des chemins de fer par l’analyse de caractéristiques visibles depuis la surface de la voie ferrée, et par l’analyse des mesures pour évaluer l’état du ballast au moyen de radar servant au sondage du sol;

  • b) « Device for Identifying Track Structures », brevet japonais no H06-322707 (13 mai 1993) [annexe SP-11] décrivant un appareil qui recense les structures de la voie ferrée, incluant les traverses et le ballast. L’appareil est fixé au wagon et se sert d’une source lumineuse à fente pour illuminer la voie, et un appareil-photo pour capter la partie de la voie illuminée par la source lumineuse. L’image obtenue est enregistrée et traitée de façon à déterminer la position des traverses, du ballast ou du joint de rail.

  • c) « Device and Method for Detecting Slippage of Rail Clamping Device and Method for Detecting Position of Rail », brevet japonais no 11-172606 (9 décembre 1997) [annexe SP-12], décrivant un système pour détecter des dispositifs de serrage du « glissement » des rails, incluant les crampons et les boulons. Le système est apposé sous un véhicule qui roule sur des rails, et comprend des capteurs pour générer des signaux correspondant à la forme des dispositifs de fixation des rails;

  • d) G van der Merwe, « IM2000 Infrastructure Measuring Car : the application of recording results » (2001) 30-4 Rail Engineering International 14 [annexe SP-13], décrivant un système fixé à un wagon en mesure de mesurer, de traiter et de stocker des données concernant la condition de la géométrie de la voie, de la canétaire et des rails. Le système peut prendre des mesures à une vitesse pouvant atteindre 120 km/h. Un laser crée une lumière naturelle entourant les rails. Au moyen d’un appareil-photo à haute résolution, l’image du profil complet du rail est obtenue, et est par la suite convertie et analysée par un ordinateur afin de calculer l’étendue de l’usure des rails.

[83] Georgetown reconnaît que la personne versée dans l’art connaîtrait les techniques de visionique et les techniques générales utilisées pour balayer les surfaces au moyen d’appareils-photo et d’une source lumineuse, comme le décrivent les annexes SP-07 et SP-08. Toutefois, Georgetown ne souscrit pas à l’affirmation selon laquelle la personne versée dans l’art connaîtrait les applications précises de cette technologie, particulièrement en matière d’inspection de la chaussée, des rues et des chemins de fer, comme le décrivent les annexes SP-09 à SP-13.

[84] M. Myler n’a recensé aucune publication qui illustrerait les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art au moment de la publication des brevets 082 et 249. Ses propos sont restés plutôt vagues :

[traduction]

La technique ferroviaire s’est améliorée, et les trains sont devenus plus gros, plus rapides et capables de manœuvrer des charges plus lourdes. Bien qu’il s’agisse toujours d’une préoccupation, l’intégrité mécanique de la voie est devenue encore plus importante étant donné le risque de catastrophes sur les chemins de fer, notamment les déraillements. Un personnel d’inspection qui a été spécialement formé pour repérer les zones problématiques qui nécessitent une attention particulière a effectué l’inspection de la voie ferrée. À première vue, ces inspecteurs marcheraient le long de la voie, et, plus tard, ils utiliseraient des véhicules spécialisés pour effectuer leurs inspections […]

[85] Dans la partie intitulée [traduction] « Faits et connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art » de son rapport d’expert, M. Myler a seulement énuméré les caractéristiques physiques de la voie ferrée et de la plate-forme de la voie ferrée susceptibles d’intéresser les entités de transport ferroviaire, et les organisations commerciales et gouvernementales qui les entretiennent et s’en servent.

[86] Je n’ai aucune hésitation à adopter l’approche préconisée par Tetra. [...] Je ne vois aucune raison de restreindre l’appréciation des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art au cadre limité des voies ferrées. L’objet principal des brevets 082 et 249 est l’utilisation de la visionique pour répondre aux défis bien connus associés à l’inspection des voies ferrées. La personne versée dans l’art regarderait par conséquent l’application de la visionique à l’inspection des voies ferrées, ainsi que d’autres surfaces comparables telles que les rues et la chaussée.

[87] Tetra doit établir que l’art antérieur sur lequel elle s’appuie était publiquement disponible à la date pertinente au moyen de recherches raisonnablement diligentes (E Mishan & Sons Inc c Supertek Canada Inc, 2015 CAF 163, au paragraphe 20, citant la décision Apotex Inc c Sanofi-Aventis, 2011 CF 1486). Georgetown conteste que les documents de l’art antérieur cités par M. Parent auraient pu être trouvés au moyen de recherches raisonnablement diligentes.

[88] Je suis persuadé que l’art antérieur sur lequel se fonde Tetra aurait été trouvé grâce à une recherche raisonnablement diligente de la part de la personne versée dans l’art. Les annexes SP-08 et SP-09 ont été publiées par SPIE, une organisation bien connue dans le domaine de la visionique qui a précédemment publié les travaux de M. Myler. L’annexe SP-09 donne des précisions sur l’annexe SP-13. L’annexe SP-10 a été publiée par l’institut de robotique de la Carnegie Mellon University, que M. Myler a décrit comme une [traduction] « source profonde » de renseignements. La technologie décrite dans l’annexe SP-11 ne diffère pas sensiblement de celle trouvée dans l’autre document de l’art antérieur invoqué par Tetra.

[89] Le mémoire descriptif et le contenu des brevets individuels ne font habituellement pas partie des connaissances générales courantes pertinentes. Il est question, en l’espèce, de l’application particulière d’une technologie connue à une industrie en particulier, c’est-à-dire les chemins de fer. Néanmoins, je doute que le mémoire descriptif de brevet invoqué par M. Parent soit suffisamment connu pour faire partie des connaissances générales courantes au moment pertinent. Je note, néanmoins, que Tetra s’appuie moins sur les brevets invoqués par M. Parent, et davantage sur le principe général que les techniques de visionique peuvent être appliquées à l’inspection des voies ferrées. Cette application possible de la visionique ferait manifestement partie des connaissances générales courantes.

[90] Je conclus donc que ce qui suit doit au moins faire partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art aux dates pertinentes de l’interprétation des revendications :

  • a) Les détecteurs optiques en 3D et la triangulation laser optique en 3D peuvent être employés pour établir l’apparence d’un objet en circonstances normales, et par la suite pour détecter les mesures, les anomalies ou tout autre élément d’intérêt;

  • b) Les surfaces pourraient être inspectées et les défauts pourraient être décelés au moyen des caractéristiques suivantes

  1. Un système de triangulation avec lasers et appareils-photo infrarouges;

  2. Un faisceau lumineux avec une position angulaire;

  3. Le tout fixé à un véhicule;

  4. Ajustant la configuration d’acquisition (géométrie) et le nombre de dispositifs au besoin;

  5. Incluant un codeur optique et un GPS pour les coordonnées géographiques;

  6. Incluant un iconomètre pour la déclivité et le bombement;

  7. Corrigeant le profil pour le tangage et le roulis du véhicule;

  8. Incluant un traitement en temps réel pour la détection des caractéristiques;

  9. Incluant un dispositif de rangement;

  10. Incluant un dispositif de post-traitement pour extraire et classer les caractéristiques;

  • c) Un système de visionique avec ces caractéristiques peut être utilisé pour inspecter les voies ferrées et leurs composantes afin de cerner les défauts.

D. Termes des revendications nécessitant une interprétation

[91] L’interprétation des brevets est une question de droit qu’il appartient au juge de trancher. Un témoignage d’expert est nécessaire seulement si la signification d’un terme ne va pas de soi à la lecture du mémoire descriptif du brevet (décision Johnson & Johnson Inc. c Boston Scientifique Ltd., 2008 CF 552, au paragraphe 92). J’ai trouvé la preuve d’expert utile à l’interprétation de ces termes contestés :

1) « cadre »

[92] Georgetown affirme que le mot « cadre » [traduction] « découle d’un cadre de photo et est typiquement de forme rectangulaire. Un cadre est une image unique ou une partie d’une image unique. Dans le contexte de traitement des images, un cadre est une collection ou une structure de données de pixels ».

[93] Tetra soutient que le mot « cadre » tel qu’employé dans les brevets 082 et 249 renvoie expressément à l’image 2D.

[94] La distinction entre une image 2D et une image 3D est au cœur du litige concernant la contrefaçon entre les parties, mais elles semblent avoir une interprétation commune du sens du mot « cadre ». Un cadre est une image unique ou une partie d’une image unique. Pris isolément, un cadre est une collection ou une structure de données de pixels qui peut être affichée en tant qu’image 2D.

2) « analyser un cadre d’une série d’images »

[95] Georgetown soutient qu’« analyser un cadre d’une série d’images » englobe tout examen ou évaluation du cadre. Selon Georgetown, il s’agit d’une forme d’analyse de l’image, une sous-discipline du traitement des signaux, qui comporte l’extraction d’information significative des images. Dans ce contexte, analyser « un » cadre signifie analyser « plusieurs » cadres.

[96] Tetra affirme qu’« analyser un cadre d’une série d’images » constitue une analyse cadre par cadre des images 2D.

[97] À cette étape de l’analyse, je ne vois pas de différence importante dans les thèses adoptées par les parties. Je suis convaincu qu’« analyser un cadre d’une série d’images » comporte l’examen ou l’évaluation d’un ou de plusieurs « cadres ».

3) « région d’intérêt »

[98] Georgetown définit une « région d’intérêt » comme un ensemble limité de pixels qui définit une zone en traitement. Une région d’intérêt peut être le cadre d’une image entière ou tout ensemble délimité de pixels qui s’y trouve. Habituellement, les sections à vérifier sont employées pour limiter la mise au point d’une large zone à une plus petite zone, afin de réduire l’effort de traitement et d’améliorer l’efficacité ou la rapidité. Autrement dit, le traitement est restreint à une zone en particulier, parce que cette zone est susceptible de comprendre les renseignements recherchés.

[99] Tetra définit de façon similaire la région d’intérêt comme une zone pour laquelle la vue est restreinte, afin d’y trouver quelque chose d’intéressant et d’améliorer le traitement. Toutefois, Tetra prévoit qu’il n’y a aucun traitement effectué pour trouver cette région.

[100] Dans la mesure où il y aurait une différence importante dans les thèses adoptées par les parties, je préfère l’interprétation préconisée par Georgetown. Une région d’intérêt est un ensemble délimité de pixels qui définit une zone à être traitée. Un certain degré de traitement peut être requis afin de déceler la section en question.

4) « contour »

[101] Georgetown définit le « contour » comme une bordure, une ligne ou une surface qui représente le profil d’un objet.

[102] Tetra est d’accord avec cette définition, mais prévoit que le contour, tel que le terme est utilisé dans les brevets 082 et 249, peut seulement être établi sur une image en 2D.

[103] Georgetown affirme que les éléments 10 et 14 aux figures 7A et 7B du brevet 082 sont des exemples de contours de traverses et de contours des selles de rail, respectivement. Ils représentent le contour de la traverse et le bord de la selle de rail vus dans une section transversale. À mon avis, il s’agit d’une juste articulation de la façon dont le « contour » est utilisé dans les brevets 082 et 249.

5) « delta réel »

[104] Le terme « delta réel » figure uniquement dans le brevet 249. Georgetown définit le « delta réel » comme la distance ou la différence entre deux points. Georgetown affirme que le « delta réel » est calculé à partir des formules qui comprennent l’élément de correction de l’inclinaison (CI), tel que divulgué dans le brevet 249 :

CI = (HLrail – HRrail) (.12)

ΔleftRail = (HLrail – HLtie) – IC

ΔrightRail = (HRrail – HRtie) + IC

[105] Selon Georgetown, lorsque les rails sont au même niveau, la CI est égale à 0. Par conséquent, la CI n’est pas une composante nécessaire pour déterminer le « delta réel ».

[106] Tetra soutient que l’invention divulguée dans le brevet 249 porte fondamentalement sur la CI, et l’algorithme permettant de déterminer le delta réel suppose nécessairement l’examen de la CI.

[107] Selon le [traduction] « Résumé de l’invention » figurant dans le brevet 249, l’invention comporte [traduction] « un système d’inspection comprenant des lasers, des appareils-photo, et des processeurs adaptés pour déterminer s’il y a abrasion de l’appui de rail le long de la voie. Le processeur emploie un algorithme mathématique qui remplace l’inclinaison rencontrée au fur et à mesure que le système d’inspection se déplace le long de la voie ». Je conviens avec Georgetown qu’une simple lecture du brevet 249 ne prévoit pas qu’une indemnité pour l’inclinaison sera toujours nécessaire au fur et à mesure que le système se déplace le long de la voie. Au contraire, le système compense l’inclinaison seulement lorsque le phénomène « se produit ».

[108] Il s’ensuit que l’algorithme pour établir le delta réel n’exige pas nécessairement l’examen de la CI dans tous les cas où le système est utilisé. Je préfère donc l’interprétation du « delta réel » préconisée par Georgetown.

X. La validité

A. Principes juridiques

[109] Le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets prévoit que, en l’absence de preuve du contraire, un brevet est présumé valide. La partie qui en conteste la validité doit en faire la démonstration selon la prépondérance des probabilités. En l’espèce, cette obligation incombe à Tetra.

[110] Conformément à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, un brevet ne peut être délivré pour une invention qui, à la date de priorité, était évidente pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève le brevet. Les parties conviennent que le critère d’évidence doit être évalué à partir du 30 juin 2004 pour le brevet 082, et du 23 juin 2009 pour le brevet 249.

[111] Habituellement, on considère que l’évidence est une décision factuelle, ou une question de droit et de fait (Wenzel Downhole Tools Ltd. c National-Oilwell Canada Ltd., 2012 CAF 333, au paragraphe 44) [Wenzel]). De plus, l’évidence doit être établie pour chacune des revendications (Zero Spill Systems (Int’l) Inc. c Heide, 2015 CAF 115, au paragraphe 85).

[112] L’analyse de l’évidence ne doit jamais être rétrospective. Pour décider si une revendication est évidente, les tribunaux suivent généralement la démarche en quatre volets énoncée dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo, au paragraphe 67 :

  • identifier la « personne versée dans l’art » et déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

  • définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

  • recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

  • abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

[113] La quatrième étape de l’enquête peut nécessiter l’examen de la question de savoir si l’invention revendiquée « allait de soi » selon les facteurs non exhaustifs suivants (Sanofi-Synthelabo, au paragraphe 69) :

  • Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

  • Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

  • L’art antérieur fournit-il un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

[114] Le critère de l’« essai allant de soi » peut s’appliquer au domaine de la mécanique, mais son examen n’est pas toujours requis (Wenzel, au paragraphe 95). La question a tendance à se poser dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, et où de nombreuses variables interdépendantes peuvent influer sur le résultat, par exemple, le développement relevant du domaine pharmaceutique (Sanofi-Synthelabo, au paragraphe 68).

[115] Tetra n’a pas accordé une grande importance au critère de l’« essai allant de soi ». Dans ses observations finales, l’avocat de Tetra a reconnu que l’analyse n’est peut-être pas nécessaire en l’espèce. Je partage cet avis. La preuve n’établit pas que la visionique et l’inspection de la voie ferrée sont des domaines d’activité dans le cadre desquels les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, et où de nombreuses variables interdépendantes peuvent influer sur le résultat souhaité.

B. Développements menant au brevet

[116] Georgetown a été constituée en société en 1993. Son seul secteur d’activité est la fourniture de technologie, de produits, et de services liés aux chemins de fer. Georgetown a commencé à effectuer des travaux de recherche sur les technologies d’inspection des chemins de fer en 2003, et a créé une nouvelle succursale à cette fin. L’idée initiale était la technologie du profilage laser installée sur un véhicule. Le produit a été commercialisé presque immédiatement. L’objectif de Georgetown était de convertir l’industrie ferroviaire à l’inspection automatisée des traverses. À l’époque, les voies ferrées étaient habituellement inspectées par des gens qui marchaient le long de la voie. Les inspections à pieds étaient tellement enracinées dans l’industrie que l’idée de Georgetown d’une inspection automatisée a fait face à une importante résistance, qui s’est même poursuivie jusqu’en 2011.

[117] La demande de brevet 082 est entrée dans la phase nationale canadienne le 28 décembre 2006, selon la demande de brevet no PCT/US2005/023132, qui a été déposée le 30 juin 2005, et qui revendiquait la priorité sur la demande de brevet provisoire américain no 60/584,769 déposée le 30 juin 2004. Le public a été en mesure d’examiner la demande de brevet 082 le 12 janvier 2006. Selon Georgetown, le problème concernant l’abrasion de l’appui de rail est apparu autour de l’année 2006, après de nombreux déraillements sur la côte nord-ouest du Pacifique. Cela a donné lieu au développement de la technologie décrite dans le brevet 249. La demande de brevet 249 est entrée dans la phase nationale canadienne le 21 décembre 2011, selon la demande de brevet no PCT/US2010/025004, qui a été déposée le 23 février 2010, et qui revendiquait la priorité sur la demande de brevet provisoire américain no 12/489,570 déposée le 23 juin 2009. Le public a été autorisé en mesure d’examiner la demande de brevet 249 le 29 décembre 2010.

[118] Actuellement, Georgetown dispose d’un parc de 15 wagons munis de sa technologie brevetée. Georgetown offre des services d’inspection de la voie à travers l’Amérique du Nord pour de nombreuses compagnies de chemin de fer nationales, régionales, d’intérêt local et de banlieue. Elle n’a pas de concurrents aux États-Unis. Tetra est sa seule concurrente au Canada.

C. Personne versée dans l’art et connaissances générales courantes

[119] Les notions de « personne versée dans l’art » et de « connaissances générales courantes » sont expliquées à la rubrique Interprétation des revendications, ci-dessus.

D. Idée originale du brevet

[120] Dans un arrêt récent, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer qu’il y a peut-être des cas dans lesquels le « concept inventif » peut être facilement compris, mais qu’il s’agit en fait d’un concept qui n’a jamais été défini et autour duquel règne une grande confusion en ce qui a trait au critère de l’évidence. Cette confusion peut être réduite en évitant tout simplement l’idée originale et en interprétant plutôt la revendication. Cela empêche la distraction et empêche également de se livrer à un « débat accessoire » inutile (Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited c SNF Inc, 2017 CAF 225, au paragraphe 77).

[121] Selon Tetra, les revendications du brevet 082 peuvent être séparées en trois groupes, avec trois revendications indépendantes dans chaque groupe :

  • a) Groupe 1 – revendications 1, 22 et 43 : ces revendications concernent les procédés et le système pour établir la distance entre les traverses;

  • b) Groupe 2 – revendications 16, 37 et 58 : ces revendications concernent les procédés et le système pour détecter des selles de rails mal alignées ou enfoncées;

  • c) Groupe 3 – revendications 64, 65 et 66 : ces revendications concernent les procédés et le système pour détecter une rupture dans le rail.

[122] Georgetown s’est présentée au procès seulement à l’égard des revendications du groupe 2 : celles qui concernent les procédés et le système pour détecter les selles de rail mal alignées ou enfoncées. Toutefois, Tetra demande une déclaration d’invalidité de toutes les revendications du brevet 082, ainsi que des revendications 7, 11 et 18 du brevet 249. La Cour doit donc déterminer, ou, subsidiairement, interpréter, les concepts inventifs de toutes les revendications contestées par Tetra, et non seulement celles qui sont alléguées comme étant contrefaites par le 3DTAS.

[123] Selon Georgetown, les concepts inventifs du groupe 2 – les revendications 16, 37 et 58 du brevet 082 (selles de rail mal alignées ou enfoncées) – sont un système et des procédés qui utilisent un laser pour éclairer la voie ferroviaire et un appareil-photo pour capter des images du profil de la voie. Le système et les procédés incluent un processeur utilisant un algorithme afin d’analyser les images d’une manière particulière pour détecter une selle de rail mal alignée ou enfoncée. L’algorithme a) analyse le cadre de plusieurs images qui ont une région d’intérêt; b) établit la présence d’une selle de rail dans la région d’intérêt; c) établit le contour de la traverse et le contour de la selle de rail; d) compare l’orientation du contour de la traverse et l’orientation du contour de la selle de rail; et e) établit si la selle de rail est mal alignée ou enfoncée selon la comparaison.

[124] En ce qui concerne le groupe 1 – les revendications 1, 22 et 43 (distance entre les traverses) – le brevet 082 reconnaît que l’action de déterminer si un cadre a une traverse peut être exécutée par des techniques d’imagerie connues dans le domaine. Toutefois, Georgetown soutient qu’un système ou une méthode pour mesurer la distance entre les traverses en comptant le nombre de cadres et en employant la vitesse du véhicule pour calculer la distance est inventif.

[125] En ce qui concerne le groupe 3 – les revendications 64, 65 et 66 (rupture dans le rail) – Georgetown affirme qu’un système ou une méthode pour mesurer l’écart entre les rails contigus en comptant le nombre d’images prises entre l’extrémité des rails et en employant la vitesse du wagon pour calculer l’écart est inventif.

[126] Georgetown affirme que le concept inventif de la revendication 7 du brevet 249 est une méthode pour déterminer l’abrasion de l’appui de rail d’une voie ferrée en suivant les étapes suivantes : a) établir la hauteur du patin de rail droit et du patin de rail gauche, et des traverses gauche et droite; b) établir le nombre de pixels pour chacune de ces hauteurs et normaliser les hauteurs en pixels verticaux en utilisant un indice de mesure; c) enregistrer ces hauteurs; d) établir le delta réel entre la hauteur du patin de rail gauche et la traverse gauche, et entre le patin de rail droit et la traverse droite; et e) établir l’importance de l’abrasion de l’appui de rail pour les patins du rail gauche et droit.

[127] Selon Georgetown, le concept inventif de la revendication 11 est le même que celui de la revendication 7, mais l’étape e) est réalisée en employant le delta réel pour les patins du rail gauche et droit. Le concept inventif de la revendication 18 est un système pour établir l’abrasion de l’appui de rail ayant a) des générateurs de lumière et des appareils-photo pour générer des images représentatives du profil de la voie ferroviaire; et b) un processeur qui i) analyse les images, ii) établit la hauteur des patins du rail gauche et droit et des traverses gauches et droites, iii) établit le nombre de pixels pour chacune de ces hauteurs et normalise les hauteurs en pixels verticaux en utilisant un indice de mesure, et iv) détermine s’il y a présence d’abrasion de l’appui de rail le long de la voie ferrée par l’utilisation des mesures.

[128] Le témoin expert de Tetra, M. Parent, a déclaré que les caractéristiques standards de toute inspection automatisée des voies ferrées sont les suivantes : a) un générateur de lumière projetant un rayon traversant la voie ferrée; b) un récepteur optique qui génère des images représentatives du profil de la voie ferrée; c) un processeur qui utilise des algorithmes pour analyser les images; et d) la capacité de pouvoir lier une image captée par le récepteur à un emplacement géographique. Il s’est dit d’avis que l’appareil d’enregistrement des images décrit dans les brevets 082 et 249 est une technique courante de ligne de projection de triangulation en 3D, une approche qui était bien connue en 2004. M. Parent a évalué le brevet 082 comme distinct seulement quant à l’algorithme, mais a refusé de le caractériser comme un concept inventif. Il a nié l’existence de quelconque concept inventif dans le brevet 249.

[129] À mon avis, l’affirmation de Tetra selon laquelle les brevets 082 et 249 sont inventifs, le cas échéant, seulement à l’égard de leurs algorithmes, correspond de façon générale à la qualification des concepts inventifs de Georgetown. Je définirais donc les concepts inventifs comme suit :

  • Brevet 082, groupe 1 – les revendications 1, 22 et 43 – (distance entre les traverses) : un système de visionique qui mesure la distance entre les traverses en comptant le nombre de cadres et en se servant de la vitesse du véhicule pour calculer la distance.

  • Brevet 082. groupe 2 – les revendications 16, 37 et 58 – (selles de rails mal alignées ou enfoncées) : un système de visionique qui a) analyse le cadre de plusieurs images qui ont une région d’intérêt; b) établit la présence d’une selle de rail dans la région d’intérêt; c) établit le contour de la traverse et le contour de la selle de rail; d) compare l’orientation du contour de la traverse et l’orientation du contour de la selle de rail; et e) établit si la selle de rail est mal alignée ou enfoncée selon la comparaison.

  • Brevet 082, groupe 3 – les revendications 64, 65 et 66 – (rupture dans un rail) : un système de visionique qui mesure l’écart entre les rails contigus en comptant le nombre d’images prises entre les extrémités des rails et en se servant de la vitesse du wagon pour calculer la distance d’écartement.

  • Brevet 249 (abrasion de l’appui de rail) : un système de visionique qui a) analyse les images; b) établit la hauteur des patins du rail gauche et droit, et des traverses gauches et droites, en appliquant la CI au besoin; et c) établit s’il y a abrasion de l’appui de rail en se servant de ces mesures.

E. Différences entre l’art antérieur et l’invention

[130] Georgetown reconnaît que l’art antérieur invoqué par Tetra démontre qu’un système de visionique était disponible à l’époque pertinente pour capter des images des composantes de la voie ferrée et pour mesurer leur position relative. Toutefois, Georgetown affirme qu’aucun des documents de l’art antérieur n’aurait entraîné une personne versée dans l’art à construire un système de vision laser pour détecter les selles de rail enfoncées ou l’abrasion de l’appui de rail, ou pour se servir de la série d’étapes ou de calculs précis revendiqués dans les brevets 082 et 249. Georgetown soutient qu’aucun des documents de l’art antérieur invoqué par Tetra ne traite de la CI, ou ne se sert d’un delta réel entre deux points pour détecter l’abrasion de l’appui de rail.

[131] Les tableaux suivants préparés par M. Myler résument les éléments du brevet 082 qui seraient absents, prétend-on, de l’art antérieur invoqué par Tetra :

[132] Le tableau suivant préparé par M. Myler résume les éléments du brevet 249 qui seraient absents, prétend-on, de l’art antérieur invoqué par Tetra :

[133] Georgetown a consacré la majeure partie de sa preuve et de son argumentation pour défendre la validité des revendications relevant du groupe 2 (selles de rail mal alignées ou enfoncées). En ce qui concerne le groupe 1 (distance entre les traverses), M. Myler a seulement dit qu’aucun des documents de l’art antérieur invoqué par Tetra ne recensait de problèmes liés à la mesure de la distance entre les traverses, et ne suggérait des solutions semblables à celles des revendications 1, 22 et 43 du brevet 082.

[134] Dans le même ordre d’idée, en ce qui concerne le groupe 3 (rupture dans le rail), M. Myler a seulement dit qu’aucun des documents de l’art antérieur invoqué par Tetra ne décrivait le système ou le procédé pour mesurer l’écart entre les rails contigus en comptant le nombre d’images prises entre les extrémités des rails, et en utilisant la vitesse du wagon pour calculer la distance d’écartement. Il s’est dit d’avis qu’aucun des documents de l’art antérieur ne posait de problèmes concernant la mesure de la distance d’écartement, ou ne suggérait quelconque décision semblable à celle des revendications 64, 65 et 66 du brevet 082.

[135] Tetra ne conteste pas sérieusement l’évaluation de Georgetown au sujet des différences entre l’art antérieur et les inventions contestées des brevets 082 et 249. Au contraire, Tetra décrit les efforts de Georgetown pour établir une distinction entre les inventions brevetées et l’art antérieur comme [traduction] « stratégique » et [traduction] « injuste ». Tetra souligne que dans la déclaration initiale de Georgetown, il y avait une atteinte alléguée à 55 revendications du brevet 082, et aux revendications 7, 11 et 18 du brevet 249. Georgetown a modifié sa déclaration le 20 juin 2017, peu avant que les parties échangent leurs rapports d’expert initiaux. Les modifications avaient pour effet de permettre le désistement de l’action en relation avec les revendications relevant du groupe 1 (distance entre les traverses) et du groupe 3 (rupture dans le rail).

[136] Je respecte la qualification de Georgetown des différences entre l’art antérieur et les inventions contestées qui, à mon avis, est compatible avec la preuve présentée dans la présente instance. Le désaccord entre les parties n’est pas tant de savoir si les inventions revendiquées diffèrent de l’art antérieur, mais bien plutôt de savoir si les différences étaient évidentes.

F. Les différences étaient-elles évidentes ou nécessitaient-elles une invention?

[137] Il est admis entre les parties que les techniques de visionique et de triangulation en 3D, à l’aide d’un logiciel, étaient disponibles et couramment utilisées pour examiner les différences de hauteur et d’autres éléments de diverses surfaces. Cette procédure s’est appliquée dans de nombreux contextes différents. Tetra souligne que la première rubrique de toutes les revendications des brevets 082 et 249 est la même, quelle que soit la surface en cause. Seuls les algorithmes de traitement diffèrent.

[138] Tetra affirme qu’il aurait été évident pour la personne versée dans l’art d’utiliser la triangulation en 3D afin d’inspecter les différentes caractéristiques de la voie ferrée. L’industrie adapterait forcément des techniques connues et automatisées d’examen de la surface des composantes des rails. L’art antérieur a démontré que la visionique, précisément les techniques de triangulation en 3D, peut être appliquée dans le contexte ferroviaire. Toutefois, Tetra reconnaît qu’aucun des documents de l’art antérieur ne portait sur l’évaluation des selles de rail enfoncées ou sur l’abrasion de l’appui de rail.

[139] Tetra soutient néanmoins qu’avant l’année 2004, la personne versée dans l’art aurait eu de bonnes raisons de combiner des techniques connues dans les champs de la visionique et de la triangulation en 3D pour en arriver aux inventions revendiquées. Il y a eu de fortes motivations commerciales pour automatiser l’inspection des rails, comme en témoigne la collaboration entre M. Mesher et le CN qui a mené au 3DTAS.

[140] En ce qui concerne le brevet 249, Tetra affirme qu’aucun élément inventif ou aucune mesure n’ont déjà été divulgués par le brevet 082, sauf peut-être la CI. Le contenu du brevet 249 est identique à celui du brevet 082, comme en témoignent les figures 1 à 12 et les paragraphes descriptifs correspondants. Selon Tetra, si les revendications 7, 11 et 18 du brevet 249 ne tiennent pas compte de l’inclinaison, elles manquent donc de nouveauté compte tenu des enseignements du brevet 082. Le brevet 082 fournit à la personne versée dans l’art tous les renseignements nécessaires pour mesurer la hauteur du dessus des rails et du patin de rail, et pour calculer la différence.

[141] Georgetown répond qu’il existe des différences importantes entre le brevet 082 et les connaissances générales courantes et l’art antérieur pour ce qui est de déterminer si la selle de rail est enfoncée. Aucun art antérieur ne fait mention des selles de rail enfoncées comme problème à résoudre, et ne présente pas non plus de moyen de déterminer si une selle de rail est enfoncée par l’utilisation d’un système de visionique.

[142] En ce qui concerne le brevet 249, Georgetown affirme qu’aucun des documents de l’art antérieur ne se heurte à un problème lié à l’abrasion de l’appui de rail; aucun document ne présente pas non plus de solution pour établir s’il y a abrasion de l’appui de rail ou l’étendue de l’abrasion. Georgetown soutient qu’aucun élément de l’art antérieur n’aurait pu faire en sorte que la personne versée dans l’art évalue l’abrasion de l’appui de rail par l’utilisation du système ou des procédés décrits dans le brevet 249. L’abrasion de l’appui de rail touche principalement les traverses en béton, qui ne sont pas le point central de l’art antérieur.

[143] Georgetown souligne qu’un autre élément des revendications 7 et 11 du brevet 249 est de déterminer le delta actuel. Dans la mesure où Tetra soutient que cela peut être compris comme englobant la CI, aucun des documents de l’art antérieur ne discute de la CI ou ne détermine le delta actuel entre deux points pour mesurer l’abrasion de l’appui de rail.

[144] En ce qui concerne les autres revendications du brevet 082, c’est-à-dire celles qui se rapportent aux groupes 1 et 3, Georgetown soutient qu’aucun des documents de l’art antérieur ne se heurte à un problème concernant la mesure de la distance entre les traverses ou les écarts entre les rails contigus. Aucun des documents ne présente pas non plus de solution similaire à celle du brevet 082.

[145] Il incombe à Tetra d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les inventions revendiquées dans les brevets 082 et 249 étaient évidentes à partir du 30 juin 2004 et du 23 juin 2009, respectivement. Je ne suis pas convaincu que Tetra se soit acquittée de ce fardeau.

[146] Il est vrai qu’avant l’année 2004, les techniques de visionique et de triangulation en 3D, à l’aide d’un logiciel, étaient disponibles et couramment utilisées pour examiner les différences de hauteur et d’autres éléments de diverses surfaces. L’art antérieur invoqué par Tetra comporte plusieurs documents qui ont appliqué cette technologie dans le contexte ferroviaire. Toutefois, aucun des documents de l’art antérieur ne définit les selles de rail enfoncées ou l’abrasion de l’appui de rail comme problèmes à résoudre, et ne suggère pas non plus de solutions similaires à celles divulguées dans les brevets 082 et 249.

[147] Comme l’a souligné Georgetown, les selles de rail enfoncées et l’abrasion de l’appui de rail sont des phénomènes qui ne sont pas visibles quand ils sont vus du dessus, parce qu’ils se produisent sous des composantes qui sont visibles du dessus. Les deux brevets résolvent ce problème en comparant la hauteur de la traverse avec la hauteur d’une autre composante de la voie : la selle de rail et la base de rail, respectivement. Le brevet 249 comprend également un algorithme pour augmenter l’exactitude du calcul de l’abrasion de l’appui de rail en tenant compte de l’inclinaison. Ni l’existence de ces problèmes ni les solutions proposées dans les brevets ne sont évidentes dans l’art antérieur. Elles n’auraient pas non plus pu y arriver sans aperçu inventif.

[148] L’allégation d’invalidité de Tetra est plus solide en ce qui concerne les revendications des groupes 1 et 3 du brevet 082, c’est-à-dire celles qui concernent la distance entre les traverses et les ruptures dans le rail. Ces deux phénomènes sont parfaitement visibles quand ils sont vus du dessus, et l’allégation selon laquelle l’art antérieur reconnaît les défis qu’ils présentent est fondée, tout comme l’utilisation d’instruments d’inspection automatisés comme solution. Toutefois, aucun des documents de l’art antérieur ne décrit le système ou les procédés comparables à celles des brevets 082 et 249.

[149] Une analyse ex post facto de l’invention est potentiellement mal fondée (The King v Uhlemann Optical Company (1949), 11 CPR 26, au paragraphe 46). Une allégation peut être affaiblie si la preuve n’explique pas, directement ou implicitement, pourquoi l’invention n’a pas été faite par d’autres (Apotex Inc c Canada (Santé), 2007 CAF 243, au paragraphe 25). La contestation de Tetra quant à la validité des brevets 082 et 249 entraîne la séparation des différentes parties des inventions, la démonstration que les parties étaient connues à titre individuel, et l’affirmation que la combinaison était évidente. La Cour d’appel fédérale a fait une mise en garde précisément contre ce genre d’analyse dans l’arrêt Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188, au paragraphe 51.

[150] Je conclus donc que les revendications du brevet 082 et du brevet 249 ne sont pas invalides pour cause d’évidence. Le recensement de problèmes particuliers, et l’emploi de la visionique et de calculs précisés comme solutions possibles, reposaient sur l’inventivité et n’étaient pas évidents à compter des dates de priorité.

XI. Contrefaçon

A. Principes juridiques

[151] L’article 42 de la Loi sur les brevets accorde au breveté le droit, la faculté et le privilège exclusifs de fabriquer, de construire, d’exploiter et de vendre à d’autres l’objet de l’invention pour qu’ils puissent l’utiliser. Un brevet est contrefait par tout acte qui nuit à la pleine jouissance du monopole conféré au titulaire du brevet (Monsanto Canada Inc c Schmeiser, 2004 CSC 34, au paragraphe 34 [Monsanto]).

[152] Conformément au paragraphe 55(1) de la Loi, quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté du dommage que cette contrefaçon lui a fait subir après l’octroi du brevet. Pour établir s’il y a contrefaçon, on compare les produits qui sont présumés contrefaire le brevet avec les revendications du brevet, telles qu’elles sont interprétées par la Cour. Si le 3DTAS englobe chacun des éléments essentiels des revendications en litige, les brevets de Georgetown ont été contrefaits.

[153] Le fardeau de prouver qu’il y a eu contrefaçon incombe à la partie qui l’allègue (Monsanto, au paragraphe 29). En l’espèce, cette obligation incombe à Georgetown.

B. La contrefaçon par une intention commune

[154] Georgetown soutient que Tetra et le CN ont conjointement porté atteinte aux brevets 082 et 249 par une intention commune : le CN a installé l’équipement fourni par Tetra sur ses wagons afin de recueillir des données d’image et d’exécuter le traitement initial; Tetra a ensuite effectué le traitement et l’analyse des données recueillies par le CN.

[155] Dans Packers Plus Energy Services Inc c Essential Energy Services Ltd, 2017 CF 1111 [Packers], le juge O’Reilly a conclu qu’une méthode brevetée pour un traitement par fluide d’un trou de forage n’avait pas été violée étant donné que la défenderesse n’avait pas exécuté toutes les étapes de la méthode décrite dans le brevet. La défenderesse a fourni et a installé l’équipement nécessaire, mais des tierces compagnies ont exécuté de façon indépendante d’autres étapes essentielles. Le juge O’Reilly a conclu que « les parties qui agissent de concert pour commettre un acte délictueux peuvent chacune être tenues responsables si toutes les parties impliquées se sont entendues pour agir de manière délictueuse » (Packers, au paragraphe 48). Toutefois, dans cette décision, aucune entente n’a été conclue. Par conséquent, on a conclu que la défenderesse désignée n’avait pas contrefait le brevet de la demanderesse. La décision a été portée en appel.

[156] La décision Packers portait sur une méthode brevetée. Dans la présente instance, il est allégué que Tetra a fourni au CN un système entraînant la contrefaçon. En ce qui concerne les méthodes revendiquées, Georgetown souligne que Tetra et le CN ont conclu un contrat d’équipement, un contrat de licence et un contrat de service. À supposer, sans en décider, que la fourniture d’équipements de Tetra au CN et son traitement ultérieur ne soient pas suffisants à l’appui d’une allégation de contrefaçon de la méthode des brevets 082 et 249, les trois ententes écrites satisfont, à mon avis, au critère de la décision Packers pour la commission concertée d’actes reprochés.

[157] En tout état de cause, Tetra ne dit pas que certains éléments des mesures essentielles des procédés décrits dans les brevets 082 et 249 ont été exécutés par le CN, et qu’elle devrait échapper à la responsabilité. Tetra ne conteste pas non plus qu’elle a conclu des ententes avec le CN afin d’atteindre un objectif commun. Il n’est pas nécessaire, par conséquent, d’examiner davantage l’argument de Georgetown concernant la contrefaçon par une intention commune.

C. Les éléments essentiels

[158] Les parties sont d’accord que les éléments des revendications en litige sont essentiels. Il n’est pas contesté que les éléments des revendications des brevets 082 et 249 sont également présents dans le 3DTAS. Néanmoins, Tetra nie que le 3DTAS présente les cinq caractéristiques suivantes :

  • Analyse « un cadre », « au moins une image », ou « un cadre d’une série d’images »;

  • Établit le contour de la traverse et de la selle de rail;

  • Se sert d’une région d’intérêt;

  • Compare l’orientation des contours de la traverse et de la selle de rail;

  • Établit un delta réel entre la base de rail et la traverse.

D. Analyse

1) Analyse « un cadre », « au moins une image », ou « un cadre d’une série d’images »

[159] Selon Georgetown, le 3DTAS crée une carte altimétrique en captant les données contenues dans les cadres individuels, et en analysant par la suite les données des nombreux cadres. Cela se produit comme suit : deux appareils-photo Ranger SICK sont installés sur le 3DTAS. Ils prennent des photos en alternance d’une région rectangulaire autour d’un rayon laser tendu au travers de la surface de la voie. Chaque image, enregistrée sous la forme de pixels, est sauvegardée pour un certain temps dans l’appareil-photo Ranger SICK. Le 3DTAS simplifie l’image en enlevant l’avant-plan et l’arrière-plan de la voie ferrée. La photo numérique simplifiée est ensuite transformée par l’appareil-photo Ranger SICK dans ce qu’on appelle un « vecteur du profil altimétrique », qui est une forme de données d’images. Chaque photo numérique est transformée en un vecteur unique, qui conserve l’information sur la hauteur de la position de la ligne. L’appareil-photo Ranger SICK assemble les vecteurs en blocs de 5 000, qui sont stockés en matrices sur un disque dur. Les données sont par la suite téléchargées et envoyées à Tetra, où le post-traitement se produit au moyen de démultiplexage de séquencement des vecteurs de données altimétriques. Une carte en 3D est alors créée.

[160] Tetra répond que le 3DTAS n’analyse pas les images en 2D en ordre séquentiel, comme le prévoient les brevets 082 et 249. Au contraire, le 3DTAS se sert de cartes altimétriques. Celles-ci sont décrites par Tetra comme [traduction] « des matrices de valeurs altimétriques, construites par des vecteurs de balayages altimétriques », qui peuvent être représentées graphiquement. Tetra affirme que les cartes altimétriques ne sont pas traitées comme des images de la manière décrite par les brevets, et qu’aucune analyse n’est effectuée par le 3DTAS sur les cadres en 2D captés par l’appareil-photo.

[161] M. Parent a insisté pour dire que les systèmes décrits dans les brevets 082 et 249 n’analysent pas les images qui ont été combinées ou traitées afin de créer une carte altimétrique en 3D, mais seulement les images en 2D qui ont été captées par les capteurs optiques. M. Parent affirme que les algorithmes du brevet 082 renvoient toujours aux images en 2D, et que ces algorithmes ne peuvent s’appliquer à une carte altimétrique en 3D.

[162] Toutefois, M. Parent reconnaît aussi qu’un appareil-photo numérique capte des images d’une manière semblable à celle d’une rétine humaine. L’image existe véritablement à partir de l’appareil-photo. Il est possible que les données relatives à l’image qui sont par la suite traitées ne soient pas présentées de cette manière, quoiqu’elles puissent aussi l’être. Les algorithmes permettent aux images de se présenter à l’œil humain de diverses façons. Il n’est pas nécessaire que l’appareil-photo soit en mesure de traiter des images numériques. Un appareil-photo classique peut être utilisé.

[163] M. Parent a comparé la création d’une carte altimétrique en 3D au réassemblage de tranches de pain, puis à l’examen de la croûte supérieure. En contre-interrogatoire, il a convenu que les images en 2D étaient préservées dans une carte altimétrique en 3D, qui comporte un assemblage séquentiel des profils en hauteur obtenu par l’appareil-photo.

[164] M. Mesher a convenu qu’une carte altimétrique est une collecte de données. Il a expliqué que dans chaque ligne de la carte altimétrique, un vecteur altimétrique individuel est affiché et représente l’altitude comme une ombre : le blanc est proche, le foncé est loin, et le gris est quelque part entre les deux. Un cadre est une collecte de pixels ou une structure de données de pixels, et le 3DTAS analyse une compilation des vecteurs altimétriques individuels.

[165] Georgetown invoque le paragraphe 0044 du brevet 082, qui énonce : [traduction] « comme on peut le constater dans les figures 11 et 12, les données des images compilées constituent une représentation en trois dimensions (X, Y, et Z) du lit de la voie ferrée ». Autrement dit, le brevet envisage expressément la création d’une représentation en 3D à partir des données compilées des images en 2D captées par l’appareil-photo.

[166] Je suis donc convaincu que le 3DTAS, lorsqu’il crée une carte altimétrique, analyse nécessairement « un cadre », « au moins une image », et « un cadre d’une série d’images ». Une carte altimétrique en 3D est simplement la création de données tirées de nombreuses images en 2D affichées de façon séquentielle.

2) Établit le contour de la traverse et de la selle de rail

[167] Georgetown affirme que le 3DTAS satisfait aussi aux éléments essentiels d’établir le contour de la traverse et de la selle de rail. Dans une image en 2D, le contour est affiché en tant que ligne simple. À l’inverse, dans une carte altimétrique en 3D, le contour est affiché comme surface continue, qui est générée en rassemblant l’information sur la hauteur de multiples images en 2D ou de vecteurs altimétriques. M. Parent a accepté cette interprétation en contre-interrogatoire.

[168] Néanmoins, Tetra soutient que le 3DTAS recueille des vecteurs de points altimétriques sans lien entre eux. Tetra affirme que dans le 3DTAS, les moyens altimétriques des régions des selles de rail et des traverses représentent deux nombres flottants desquels aucun contour ne peut être calculé.

[169] Je préfère l’explication de Georgetown. Je doute de la déclaration de M. Parent selon laquelle le 3DTAS « recueille des vecteurs des points altimétriques sans lien entre eux ». Si les vecteurs ne sont véritablement pas liés, il n’apparaît pas clairement en quoi ils pourraient se combiner pour produire une carte altimétrique en 3D.

[170] La position de Tetra, en l’espèce, est similaire à celle qu’elle a adoptée sur la question de savoir si le 3DTAS analyse un cadre d’une série d’images. Tetra soutient que le 3DTAS n’analyse aucunement des images en 2D, mais analyse plutôt des cartes altimétriques. À mon avis, il s’agit là d’une distinction vide de sens. Une carte altimétrique est créée à partir d’images en 2D captées par les capteurs optiques. Un contour demeure le même, indépendamment du fait qu’il soit affiché seul en tant qu’image en 2D, ou en ordre séquentiel en tant que carte altimétrique en 3D. La seule différence est que dans l’image en 2D, un contour est affiché comme silhouette, alors que dans une carte altimétrique en 3D, le contour est affiché comme surface.

3) Se sert d’une région d’intérêt

[171] Georgetown affirme que le 3DTAS se sert de la région d’intérêt pour établir et comparer les contours, et que la région d’intérêt est la surface de la selle de rail et la zone adjacente de la traverse. Selon M. Myler, afin d’obtenir les données du contour pour les selles de rail et les traverses, le système 3DTAS localise d’abord les trous dans les selles de rail. Pour des semelles en bois, il cherche dans sa bibliothèque des selles de rail avec un modèle de trous correspondants. Une fois que le modèle a été déterminé, les dimensions connues du modèle sont utilisées pour définir une zone de délimitation de la selle de rail. Le système 3DTAS définit alors la région d’intérêt comme la zone des bords latéraux de la selle de rail, et la région qui y correspond sur la traverse voisine.

[172] On a montré à M. Mesher un dessin de la selle de rail adjacente à la traverse. On lui a demandé de préciser la région qui est utilisée par le 3DTAS pour calculer la hauteur de la surface de la selle de rail. Il l’a fait, mais a refusé de la qualifier de région d’intérêt au sens des brevets 082 et 249. Il a plutôt opté pour une description plus générique : [traduction] « une zone qui est intéressante ».

[173] Tetra soutient que Georgetown a confondu la région d’intérêt avec la zone de délimitation. M. Mesher a expliqué que la région d’intérêt est une région où la vue est limitée afin de trouver quelque chose et d’améliorer le traitement. Toutefois, il a souligné qu’aucun traitement ne peut être effectué par le 3DTAS pour trouver une région d’intérêt. Au contraire, une fois que la zone de délimitation est définie, la région d’intérêt est établie de façon mathématique sans besoin de chercher autre chose.

[174] Tetra affirme que, dans le contexte des brevets 082 et 249, les régions d’intérêt sont utilisées pour souligner les zones horizontales et verticales afin de détecter des caractéristiques précises. À l’inverse, le système 3DTAS établit les caractéristiques de la selle de rail en traitant l’ensemble de la carte altimétrique pour localiser les crampons et les trous, puis en choisissant la selle de rail la mieux connue en utilisant un modèle de crampons et de trous correspondants. Une fois définie, la zone de délimitation est utilisée pour définir d’autres zones qui sont tenues d’exécuter des calculs altimétriques. Toutefois, les calculs qui établissent les différences en altitude s’appuient sur l’emplacement des selles de rail ou des attaches, et n’exigent pas de connaissance de la zone de délimitation. Par conséquent, Tetra conclut que le 3DTAS n’utilise pas une région d’intérêt pour restreindre la recherche de caractéristiques dans la carte altimétrique en 3D, verticalement ou spatialement.

[175] Dans la mesure où il est possible de suivre l’argument de Tetra, il semble être fondé sur l’hypothèse selon laquelle le 3DTAS n’a aucunement analysé les images en 2D, mais a plutôt analysé les cartes altimétriques. J’ai repoussé cette distinction ailleurs, et pour des motifs semblables, je rejette l’affirmation de Tetra selon laquelle le 3DTAS traite de « l’ensemble de la carte altimétrique » plutôt qu’analyse une région d’intérêt précise. J’accepte la preuve et l’argument de Georgetown selon lesquels le 3DTAS se sert d’une région d’intérêt de la manière prévue dans les brevets 082 et 249.

4) Compare l’orientation des contours de la traverse et de la selle de rail

[176] Le sens ordinaire du mot « orientation » est la position relative d’une chose. Au contre-interrogatoire de M. Mesher, il a convenu que le 3DTAS calcule la valeur des selles de rail enfoncées en soustrayant la hauteur de la traverse et l’épaisseur de la selle de rail de la hauteur de la selle de rail. L’épaisseur de la selle de rail se trouve dans la bibliothèque des modèles de selles de rail. Étant donné que dans le cadre de la présente instance, il faut comparer la position relative des selles de rail et des traverses adjacentes, Georgetown soutient que le 3DTAS compare l’orientation de leurs contours respectifs.

[177] Comme il a été mentionné, Tetra maintient que le 3DTAS n’établit pas le contour des traverses et des selles de rail. Si cela est exact, il s’ensuit que le 3DTAS ne compare pas leurs altitudes respectives. M. Mesher a témoigné que la comparaison entre l’orientation des traverses et le contour des selles de rail exige une comparaison de l’angle entre le contour de la selle de rail et le contour de la traverse. Il s’est dit d’avis que cela ne pouvait être fait à partir d’un seul point de mesure, ce qu’utilise le 3DTAS dans ses calculs. Un seul point de mesure n’est pas un contour.

[178] Selon Tetra, le système de 3DTAS mesure une hauteur moyenne pour une zone à la pointe de la selle, et une hauteur moyenne pour la zone adjacente sur la traverse. La différence entre les deux moyennes a été publiée. Tetra appelle cette mesure « selle de rail », mais il ne s’agit pas de la valeur réelle de la selle de rail étant donné que la hauteur de la selle n’est qu’une estimation.

[179] J’ai conclu ailleurs que le 3DTAS établit effectivement les contours des traverses et des selles de rail, quoiqu’il se serve d’un algorithme pour les exposer en tant que surface continue au lieu d’une ligne tracée. Tetra admet que le 3DTAS mesure la hauteur d’une région à la pointe de la selle, et la hauteur de la région adjacente sur la traverse, puis calcule la différence. À mon avis, cela équivaut à la comparaison de l’orientation des contours de la traverse et de la selle de rail.

5) Établit un delta réel entre le patin de rail et la traverse

[180] L’élément essentiel pour établir un delta réel entre le patin de rail et la traverse se trouve seulement dans le brevet 249. Le delta réel est simplement la différence réelle en hauteur entre deux composantes de la voie. M. Mesher a convenu avec M. Myler que le 3DTAS établit la différence de hauteur entre le patin de rail et la traverse adjacente afin de calculer l’épaisseur de la semelle en polymère. Il calcule la moyenne de deux points sur le patin de rail, puis soustrait la moyenne des hauteurs à trois points sur la traverse. Il soustrait ensuite l’épaisseur du patin de rail.

[181] Il n’y a pas de débat sérieux entre les parties sur la question de savoir si le 3DTAS établit la différence, ou le « delta réel », entre le patin de rail et la traverse, mais Tetra souligne que la mesure déclarée par le 3DTAS n’est pas précise. Toutefois, les formules pour établir le delta réel prévues dans le brevet 249 comportent un facteur de la CI pour tenir compte du dévers ou de l’inclinaison de la voie, à la gauche ou à la droite. Tetra soutient donc que le calcul du « delta réel » exige nécessairement l’examen de l’inclinaison.

[182] Georgetown reconnaît que le brevet 249 comporte des formules pour établir l’abrasion de l’appui de rail en tant que variantes privilégiées de l’invention. Toutefois, Georgetown affirme que les revendications ne doivent pas être limitées à ce qui a été divulgué dans les exemples. (citant Dableh c Ontario Hydro (1996), 68 CPR 3d) 129, au paragraphe 144 (CAF)). Les revendications du brevet 249 englobent la détection de l’abrasion de l’appui de rail, alors même que la voie est droite. S’il n’y a pas de dévers de véhicule, aucune correction n’est requise, et la valeur de la CI dans la formule est zéro.

[183] Même si la CI avait été jugée un élément essentiel des revendications en litige, Georgetown affirme que le 3DTAS corrige en effet l’inclinaison. Au fur et à mesure que les vecteurs de données relatives à l’altitude sont transformés en carte altimétrique en 3D, une « correction altimétrique réaliste » est exécutée. Des unités de pixels sont transformées en des mesures mécaniques, comme des millimètres ou des pouces. Afin d’obtenir des unités de mesure réalistes, le 3DTAS apporte des ajustements sur la dynamique des véhicules qui touchent la distance entre la surface et les appareils-photo. M. Mesher n’a pas nié que le 3DTAS corrige la dynamique des véhicules, mais a dit qu’il ne la corrige que dans une dimension longitudinale. Georgetown affirme que cela est suffisant pour établir que le 3DTAS corrige l’inclinaison.

[184] Selon Tetra, le 3DTAS applique [traduction] « les corrections du mouvement de la dynamique du véhicule ». Ce processus vise à contrecarrer les effets du bond de suspension du véhicule au sens de déplacement. Toutefois, Tetra affirme qu’elle n’aborde pas les différences de hauteur entre les champignons de rail gauche et droit. Tetra a fait valoir qu’il n’est pas nécessaire que son système fasse ce rajustement, étant donné que la différence minime dans la hauteur du rail causée par une inclinaison transversale des appareils-photo ne touche pas au degré de précision exigé par ses clients.

[185] Dans l’analyse de l’interprétation des revendications, ci-dessus, j’ai conclu que le brevet 249 ne prévoit pas la nécessité d’une indemnité pour l’inclinaison au fur et à mesure que le système se déplace le long de la voie. Au contraire, le système compense l’inclinaison seulement lorsque le phénomène « se produit ».

[186] Par conséquent, je conclus que le 3DTAS établit la différence, ou le « delta réel », entre le patin de rail et la traverse de la manière décrite dans le brevet 249. L’algorithme utilisé pour établir le delta réel divulgué dans le brevet n’exige pas un examen de la CI dans toutes les circonstances. Les revendications du brevet 249 englobent la détection de l’abrasion de l’appui de rail, alors même que la voie est droite.

XII. Conclusion

[187] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les brevets 082 et 249 sont valides. Les éléments essentiels des revendications invoquées sont également exposés dans le 3DTAS. La vente du 3DTAS au CN, effectuée par Tetra, et son appui du système, contrefont les deux brevets.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. Les brevets canadiens 2 572 082 (brevet 082) et 2 766 249 (brevet 249) sont valides et appartiennent à la demanderesse Georgetown Rail Equipment Company (Georgetown);

  2. La défenderesse TetraTech EBA Inc (Tetra) a contrefait les revendications 16, 67, 37, 68, 70, 58, 71 et 73 du brevet 082 et les revendications 7, 11, et 18 du brevet 249 (revendications invoquées) en vendant son matériel à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), en octroyant une licence d’un logiciel au CN et en analysant des images captées par le CN pour établir les selles de rail enfoncées et l’abrasion de l’appui de rail en se servant des méthodes et du système 3DTAS;

  3. 3. Tetra, ses dirigeants, ses administrateurs, ses employés, ses mandataires et tous ceux sur lesquels elle exerce un contrôle direct ou indirect, se voient interdits, pendant les durées respectives des brevets 082 et 249, de contrefaire les revendications invoquées;

  4. Sans délai, Tetra doit remettre à Georgetown ou, au gré de Georgetown, détruire sous serment tous les articles en sa possession ou sous son contrôle qui ont servi aux revendications invoquées;

  5. Tetra est tenue de payer à Georgetown :

  • a) Une indemnité raisonnable pour les dommages subis par Georgetown aux termes du paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets, LRC, c P-4 pour tout acte posé par Tetra et le CN du :

  1. 12 janvier 2006 au 25 janvier 2011 inclusivement à l’égard des revendications 16, 67, 37, 68, 70, 58, 71 et 73 du brevet 082;

  2. 29 décembre 2010 au 5 novembre 2013 inclusivement à l’égard des revendications 7, 11, et 18 du brevet 249;

Ces actes auraient constitué une violation des revendications invoquées des brevets 082 et 249 s’ils n’avaient pas été accordés le 12 janvier 2006 ou le 29 décembre 2010 respectivement. Une indemnité raisonnable sera évaluée par renvoi.

  • b) Les dommages-intérêts en raison de la contrefaçon ou, subsidiairement, au gré de Georgetown, une restitution des bénéfices réalisée par Tetra par suite de la contrefaçon des revendications invoquées. Georgetown a droit à un interrogatoire préalable avant de faire son choix. Les dommages-intérêts ou la restitution des bénéfices seront évalués par renvoi;

  • c) Les intérêts avant et après jugement sur les indemnités prononcées dépendront du juge chargé du renvoi.

  1. La demande reconventionnelle de Tetra est rejetée;

  2. Par conséquent, si les parties ne peuvent s’entendre sur les dépens payables dans le cadre de l’étape relative à l’examen de la responsabilité de l’espèce, elles peuvent présenter des observations écrites, d’au plus sept pages, dans les 14 jours du prononcé du présent jugement. Des observations d’au plus trois pages pourront être présentées en réponse dans les sept jours suivants.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de juillet 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-896-15

 

INTITULÉ :

GEORGETOWN RAIL EQUIPMENT COMPANY c RAIL RADAR INC. ET TETRA TECH EBA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 20, 21, 22, 23, 24 et 27 novembre et le 4 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES JUGEMENT ET MOTIFS CONFIDENTIELS :

Le 25 janvier 2018

 

DATE DES JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS :

Le 31 janvier 2018

COMPARUTIONS :

Donald M. Cameron

Jerry Chen

 

POUR LA DEMANDERESSE

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Bob H. Sotiriadis

Jason Moscovici

 

Pour les défenderesses

DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bereskin & Parr, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LA DEMANDERESSE

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

ROBIC, S.E.N.C.R.L.

Avocats

Montréal (Québec)

Pour les défenderesses

DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

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