Date : 20180208
Dossier : IMM-3425-17
Référence : 2018 CF 147
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 8 février 2018
En présence de monsieur le juge Mosley
ENTRE :
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DUSAN FERENC HORVATH
TUNDE VOLOPICH
LETICIA HORVATH
ADRIAN HORVATH
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
Les demandeurs sont des citoyens de la Hongrie d’origine ethnique rome. Ils sollicitent le contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), de la décision rendue à leur égard par la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 13 juillet 2017. La décision de la Section d’appel des réfugiés confirmait celle par laquelle la Section de la protection des réfugiés décrétait que les demandeurs, M. Dusan Ferenc Horvath, Mme Tunde Volopich et leurs enfants mineurs, Leticia Horvath et Adrian Horvath, ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.
[2]
Les demandeurs soulèvent les questions de savoir si la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité et sa pondération des éléments de preuve. D’une manière plus globale, il s’agit de déterminer si la décision était raisonnable. Pour les motifs exposés ci-après, j’ai conclu que la décision n’était pas raisonnable et que le dossier doit être renvoyé à un autre commissaire de la Section d’appel des réfugiés pour réexamen.
II.
Résumé des faits
[3]
Les demandeurs habitaient à Miskolc, dans un quartier où la municipalité s’était engagée dans une opération de démolition des logements insalubres. Ils ont reçu un avis comme quoi leur logement était visé par cette opération. Ils ont retenu les services bénévoles d’un avocat de Budapest pour contester la décision, mais leur démarche a été infructueuse. Ils affirment avoir été expulsés de force de leur domicile et avoir été obligés de se reloger dans un hangar à bois situé sur la propriété d’un ami dans une autre municipalité. Avec l’aide de membres de leur famille, ils sont venus au Canada et ils ont demandé l’asile.
[4]
La Section de la protection des réfugiés a admis qu’ils étaient des citoyens de la Hongrie d’origine ethnique rome. Elle a cependant conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs n’étaient pas des témoins crédibles, et qu’un retour en Hongrie ne les exposerait pas à la persécution et ne mettrait pas leur vie en danger.
[5]
La Section de la protection des réfugiés s’est dite particulièrement préoccupée par l’insuffisance de documents à l’appui concernant l’expulsion des demandeurs et leurs allégations d’avoir été hospitalisés conséquemment à des agressions. Les demandeurs ont déclaré sous serment qu’ils avaient confié leurs dossiers à un proche qui les avait accidentellement jetés aux rebuts.
[6]
M. Horvath soutient qu’il souffre de glaucome et qu’il est maintenant aveugle. La Section de la protection des réfugiés a relevé les déclarations contradictoires de lui et de sa femme concernant la cause de cette cécité, que l’un attribue à une agression à caractère racial et l’autre à un autre incident.
[7]
La Section de la protection des réfugiés a admis que des Roms peuvent être victimes de discrimination et d’agressions malveillantes à caractère racial en Hongrie, mais elle a estimé que ce n’est pas la preuve que tous les Roms sont exposés à un risque grave de traitement équivalant à de la persécution. Aux yeux de la Section de la protection des réfugiés, même si les allégations des demandeurs sont crédibles, leur expérience ne permettrait pas de conclure qu’ils sont exposés à de la discrimination pouvant aller jusqu’à la persécution. C’est le cas notamment de la discrimination dont ont souffert les demandeurs mineurs à l’école et dont a témoigné l’aîné.
[8]
La décision de la Section de la protection des réfugiés a été portée en appel devant la Section d’appel des réfugiés. Les demandeurs n’ont pas demandé une audience conformément au paragraphe 110(6) de la LIPR, et la Section d’appel des réfugiés n’en a pas tenu. Ils ont présenté de nouveaux éléments de preuve à l’appui de l’appel interjeté conformément au paragraphe 110(4) de la LIPR. La Section d’appel des réfugiés a retenu tous les nouveaux éléments de preuve dont elle a été saisie, qui visaient entre autres à confirmer l’adresse donnée par les demandeurs et que la Section de la protection des réfugiés a mise en doute.
[9]
Les notes au dossier médical du St. Joseph’s Health Centre de Toronto semblent confirmer que M. Horvath souffre de glaucome au [traduction] « stade ultime »
, mais l’absence de cause pour cette affection a soulevé les doutes de la Section d’appel des réfugiés. M. Horvath a affirmé que sa cécité avait été causée par une agression physique. Vu les éléments de preuve contradictoires présentés à la Section de la protection des réfugiés, la Section d’appel des réfugiés n’a pas été convaincue que ces agressions avaient un caractère racial.
[10]
Un rapport psychologique à jour faisant état du trouble de stress post-traumatique dont souffre M. Horvath a aussi été admis. Cependant, il a peu pesé dans la décision au motif qu’il ne permettait pas d’établir la crédibilité de la demande d’asile : B296 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 761, aux paragraphes 54 à 57, citant Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1379, [2014] 2 FCR 3.
[11]
La Section d’appel des réfugiés n’a pas cru que les demandeurs avaient été expulsés de leur domicile parce qu’ils sont des Roms. Elle a refusé leur explication comme quoi les documents à l’appui attestant leur expulsion avaient été jetés par un ami en Hongrie. La Section d’appel des réfugiés a estimé que les demandeurs n’avaient pas fait d’efforts raisonnables pour obtenir des rapports de police et médicaux, et elle n’a pas prêté foi à l’explication de M. Horvath selon laquelle il ne savait pas qu’il pouvait demander ces documents. Il avait auparavant fait des déclarations contradictoires à la Section de la protection des réfugiés concernant une prétendue agression subie le 1er mai 2015. Il avait alors déclaré qu’il avait confondu cet incident avec un autre.
[12]
Le fait que les demandeurs n’ont mentionné aucune des multiples agressions physiques alléguées lors de l’entrevue au point d’entrée a grandement préoccupé la Section d’appel des réfugiés. Notamment, M. Horvath a parlé surtout de sa crainte d’envoyer ses enfants à l’école, mais d’aucun des incidents relatés plus tard à la Section de la protection des réfugiés.
III.
Norme de contrôle
[13]
Les parties conviennent que la Cour doit examiner la décision de la Section d’appel des réfugiés selon la norme de la décision raisonnable. Je suis d’accord. La Cour doit faire preuve de déférence à l’égard du décideur et porter une attention respectueuse aux motifs donnés à l’appui de sa décision : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47 [Dunsmuir]. Les conclusions sur les faits et les décisions sur la crédibilité de la Section d’appel des réfugiés doivent appartenir aux issues possibles et acceptables : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 44 et 59.
IV.
Question en litige
[14]
La question à trancher est celle de savoir si la décision est raisonnable.
V.
Textes législatifs pertinents
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Les dispositions pertinentes de la LIPR sont les suivantes :
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VI.
Discussion
A.
La décision était-elle raisonnable?
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Dans leur mémoire d’appel, les demandeurs précisent qu’ils ne solliciteront pas d’audience à la Section d’appel des réfugiés, [traduction] « sauf si elle n’arrive pas à substituer sa décision à celle de [la Section de la protection des réfugiés] »
. Dans leurs observations écrites sur la présente demande et à l’audience, ils allèguent que la décision de la Section d’appel des réfugiés de statuer sur le dossier sans tenir d’audience était déraisonnable.
[17]
La Section d’appel des réfugiés « peut tenir une audience »
si de nouveaux éléments de preuve sont admis conformément au paragraphe 110(4) de la LIPR qui a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité, b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile, et c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, d’après le paragraphe 110(6).
[18]
Les règles de la Section d’appel des réfugiés autorisent un appelant à demander une audience. Le cas échéant, il doit présenter sa demande par écrit, accompagnée d’un mémoire : Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257 (Règles de la Section d’appel des réfugiés, sous-alinéa 3(3)d)(ii) et alinéa 3(3)g). Toutefois, ni la LIPR ni les Règles de la Section d’appel des réfugiés n’obligent les appelants à solliciter une audience à la Section d’appel des réfugiés ni à la convaincre que les circonstances la justifient. Il appartient à la Section d’appel des réfugiés de choisir le critère législatif pertinent et de l’appliquer raisonnablement : Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 911, au paragraphe 11; voir aussi Strachn c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 984, au paragraphe 34; Boyce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 922, aux paragraphes 47 et 48.
[19]
Vu les questions importantes concernant la crédibilité qui sont ressorties de l’audience de la Section de la protection des réfugiés et compte tenu des nouveaux éléments de preuve admis par la Section d’appel des réfugiés, il aurait été indiqué qu’elle tienne une audience avant de rejeter l’appel des demandeurs.
[20]
Dans le présent dossier, la Section d’appel des réfugiés a admis de nouveaux éléments de preuve qui contredisaient directement les conclusions de la Section de la protection des réfugiés au sujet de l’adresse des demandeurs et qui avaient une incidence capitale sur l’évaluation de leur crédibilité. Les questions soulevées par la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés au sujet de la cécité de M. Horvath se sont aussi révélées fatales à l’évaluation de sa crédibilité sur un point important. La Section d’appel des réfugiés a relevé des contradictions entre son récit et son témoignage au sujet de l’incident de 2006 – qui, a-t-il affirmé, serait à l’origine de sa cécité – et de ses démêlés avec les autorités policières. La Section d’appel des réfugiés en a déduit qu’il n’avait pas établi que sa cécité était le résultat d’agressions physiques motivées par son identité rome.
[21]
Dans l’ensemble, le récit des demandeurs tel qu’il est rapporté dans les notes prises au point d’entrée concorde avec leurs témoignages à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, hormis quelques divergences anecdotiques et quelques détails ajoutés ultérieurement. Il était déraisonnable de reprocher aux demandeurs de ne pas avoir fait le récit complet de leur expérience dès leur arrivée au point d’entrée. Ils venaient de mettre le pied en sol canadien après un long voyage avec leurs enfants. Il est manifeste que l’agent n’a pas voulu donner trop de détails dans ses notes et qu’il a fait des erreurs en remplissant le dossier. Certains détails donnés par les demandeurs et consignés par l’agent témoignent clairement de leur confusion de part et d’autre. Les inquiétudes exprimées par les demandeurs adultes à l’égard de la sécurité de leurs enfants à l’école ne contredisent pas leurs déclarations ultérieures.
[22]
La Cour a déjà donné une mise en garde contre le recours abusif aux notes prises au point d’entrée étant donné les circonstances dans lesquelles les déclarations sont recueillies : Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1102, au paragraphe 16; Seenivasan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1410, au paragraphe 21.
[23]
La Section d’appel des réfugiés a admis que la municipalité de Miskolc s’était engagée dans un programme de démolition dans le quartier où vivaient les demandeurs, mais elle a refusé leur explication de leur incapacité de fournir la preuve de leur expulsion. En l’absence d’élément probant, la Section d’appel des réfugiés n’a accordé aucune valeur au récit des demandeurs. Elle a jugé que les demandeurs n’ont pas fourni [traduction] « d’explication suffisante pour justifier l’absence d’éléments de preuve documentaires corroborant leur allégation d’avoir été expulsés »
. La Section d’appel des réfugiés admet indirectement qu’elle n’a pas cru les demandeurs et qu’elle ne les croira jamais s’ils ne lui fournissent pas d’éléments de preuve documentaire pour corroborer cet événement majeur : voir Liban c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1252, au paragraphe 14.
[24]
La Section d’appel des réfugiés peut exiger des éléments de preuve corroborants seulement 1) s’il existe une raison de douter des revendications des demandeurs, et 2) si elle aurait pu raisonnablement s’attendre à recevoir ces éléments de preuve : Ndjavera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452, au paragraphe 6. La Section d’appel des réfugiés n’a pas expliqué en termes intelligibles et transparents pourquoi elle n’avait pas cru les demandeurs et pourquoi ils devaient présenter des éléments de preuve documentaires corroborants.
[25]
La crédibilité des demandeurs était au cœur des conclusions de la Section de la protection des réfugiés concernant leurs allégations de persécution des demandeurs . La Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en ne tenant pas d’audience pour examiner les réserves importantes quant à la crédibilité qui ont joué un rôle central dans la décision de la Section de la protection des réfugiés. Les conclusions de la Section d’appel des réfugiés ne sont pas étayées par le dossier, et sa décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit
»
: Dunsmuir, précité, au paragraphe 47. Pour ce motif, la présente demande sera renvoyée à un autre commissaire de la Section d’appel des réfugiés pour réexamen.
[26]
Les parties n’ont pas proposé de question importante de portée générale aux fins de certification, et aucune n’est certifiée.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3425-17
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la Section d’appel des réfugiés pour réexamen.
Aucune question n’est certifiée.
« Richard G. Mosley »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 2e jour d’octobre 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3425-17
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INTITULÉ :
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DUSAN FERENC HORVATH ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 5 février 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE MOSLEY
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DATE DES MOTIFS :
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Le 8 février 2018
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COMPARUTIONS :
Peter G. Ivanyi
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Pour les demandeurs
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Nadine Silverman
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Rochon Genova LLP
Avocats
Toronto (Ontario)
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Pour les demandeurs
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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