Dossier : IMM-3610-17
Référence : 2018 CF 111
Montréal (Québec), le 1er février 2018
En présence de madame la juge Roussel
ENTRE :
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FRANCK MOHAMED KESSE
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Partie demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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Partie défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
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Le demandeur, Franck Mohamed Kesse, est citoyen de la Côte d’Ivoire. Il arrive au Canada en 1997 muni d’un visa d’étudiant. Il obtient le statut de réfugié en 2004 et la résidence permanente en 2006.
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En octobre 2013, le demandeur fait l’objet d’un rapport d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] pour manquement à l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la LIPR. Une mesure d’interdiction de séjour est prononcée contre lui. Le 17 novembre 2014, le demandeur perd le statut de réfugié suite aux nombreux retours effectués entre 2006 et 2014 dans son pays d’origine.
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Le 28 juillet 2017, la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejette l’appel présenté par le demandeur à l’encontre de la mesure de renvoi prononcée contre lui. La SAI conclut que le demandeur n’a pas cumulé le nombre de jours requis durant la période quinquennale du 12 octobre 2008 au 11 octobre 2013, jugeant non crédible l’affirmation du demandeur voulant qu’il ait travaillé, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne selon le sous-alinéa 28(2)a)(iii) de la LIPR. De plus, la SAI conclut que le demandeur n’a pas prouvé l’existence de considérations d’ordre humanitaire suffisantes justifiant la prise de mesures spéciales.
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Le demandeur allègue que la SAI a erré dans l’application du sous-alinéa 28(2)a)(iii) de la LIPR et dans l’appréciation des considérations d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales.
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Les parties conviennent que la norme applicable en l’instance est celle de la décision raisonnable. La conclusion qu’un demandeur travaille ou non, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne et le constat de l’existence ou non de considérations d’ordre humanitaire sont des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit. Ces questions relèvent de l’expertise de la SAI et commandent une déférence considérable de la Cour (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux para 57-58 [Khosa]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Jiang, 2011 CF 349 aux para 28-31; Gazi c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 993 aux para 17-19; Samad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 30 aux para 20-21).
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Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
. Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité »
, il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Khosa au para 59).
[7]
Contrairement aux arguments du demandeur, la Cour estime qu’il était raisonnable pour la SAI de conclure que le demandeur n’avait pas travaillé, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne durant la période de référence. La SAI a jugé le demandeur non crédible en raison des nombreuses contradictions dans la preuve relativement à son emploi pour l’entreprise Rema Bleu. Elle a aussi souligné l’absence de preuve quant aux revenus du demandeur, notant par ailleurs qu’un employé d’une entreprise canadienne devrait normalement obtenir un relevé T4 à la fin d’une année fiscale. Elle retient également le témoignage du demandeur selon lequel il ne travaillait pas à temps plein chez Rema Bleu.
[8]
La Cour est d’avis que la preuve au dossier appuie les conclusions de la SAI quant à la crédibilité du demandeur et son lien d’emploi avec l’entreprise Rema Bleu. Notamment, le demandeur affirme dans le cadre de son témoignage avoir travaillé comme consultant pour d’autres entreprises alors qu’il était à l’emploi de Rema Bleu. Lorsque la SAI le questionne sur la portion du temps qu’il consacrait à son travail de consultant, le demandeur réplique : « [c]’était pas plus de la moitié, pas plus de la moitié »
. Par la suite, le demandeur tente de corriger son témoignage en indiquant qu’il a travaillé à temps plein pour Rema Bleu jusqu’en 2011. Or, le demandeur indique ailleurs avoir commencé à travailler pour l’entreprise ivoirienne Ivoire Torréfaction en novembre 2010.
[9]
Le témoignage du demandeur est également contraire à sa preuve documentaire puisqu’il affirme dans sa demande de résidence permanente avoir été à l’emploi de Rema Bleu jusqu’en novembre 2015. De plus, selon la lettre du directeur général de l’entreprise Rema Bleu datée du 11 août 2014, le demandeur aurait toujours été à l’emploi de l’entreprise à cette date.
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Considérant le manque de limpidité qui entoure l’emploi du demandeur pour l’entreprise canadienne ainsi que l’absence de preuve démontrant qu’il travaillait, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne, il était raisonnable pour la SAI de conclure que le demandeur ne rencontrait pas les exigences du sous-alinéa 28(2)a)(iii) de la LIPR.
[11]
La Cour considère également que la conclusion de la SAI relativement à l’insuffisance de considérations d’ordre humanitaire justifiant l’octroi de mesures spéciales est raisonnable. La SAI a consciencieusement examiné chacun des facteurs à prendre en considération dans le cadre d’une telle demande et elle a soupesé la preuve en soulignant les éléments favorables et défavorables.
[12]
Le demandeur reproche, entre autres, à la SAI d’avoir conclu qu’il ne cherchait pas à donner davantage de temps en personne à sa fille. Or, cette constatation doit être mise en contexte. En examinant le critère de l’intérêt supérieur des enfants, la SAI a indiqué être convaincue que le demandeur était un père présent pour sa fille, que ce soit à distance ou en personne. Toutefois, elle a également noté que le demandeur vivait en Côte d’Ivoire depuis des années, par choix, malgré la présence de sa fille au Canada. Compte tenu de la preuve au dossier, il était raisonnable pour la SAI de faire une telle constatation.
[13]
Bien que le demandeur ne soit pas d’accord avec les conclusions de la SAI, il ne revient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve pour en arriver à une conclusion qui lui serait favorable (Khosa au para 59).
[14]
Après étude du dossier et de la décision de la SAI, la Cour estime que la décision de la SAI appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
et qu’elle est justifiée d’une manière qui satisfait aux critères de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir au para 47).
[15]
Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.
JUGEMENT au dossier IMM-3610-17
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
Aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Sylvie E. Roussel »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3610-17
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INTITULÉ :
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FRANCK MOHAMED KESSE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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MONTRÉAL (QUÉBEC)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 31 JANVIER 2018
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JUGEMENT ET motifs :
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LA JUGE ROUSSEL
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DATE DES MOTIFS :
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LE 1 FÉVRIER 2018
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COMPARUTIONS :
Luciano Mascaro
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Pour LA PARTIE DEMANDERESSE
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Sylviane Roy
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Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Arpin Mascaro & associés
Avocats
Montréal (Québec)
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Pour LA PARTIE DEMANDERESSE
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE
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