Date : 20180123
Dossier : IMM-3165-17
Référence : 2018 CF 65
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2018
En présence de monsieur le juge Barnes
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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demandeur
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et
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XIN TIAN
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
La Cour est saisie d’une demande présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration qui cherche à faire annuler une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission). La décision faisant l’objet du contrôle a annulé une mesure de renvoi prise contre le défendeur, Xin Tian, qui a négligé de se conformer à l’obligation de résidence exigée en application de l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).
[2]
Il n’est pas contesté que M. Tian est citoyen chinois et que, depuis 2011, il est résident permanent du Canada. N’est pas non plus une question en litige le fait que, lorsque M. Tian est rentré au Canada en provenance de la Chine le 18 novembre 2014, sa période de résidence canadienne était largement insuffisante par rapport aux conditions exigées par la loi. Lorsque l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) l’a interrogé à l’aéroport de Vancouver, il a volontairement reconnu qu’il avait passé la majeure partie des trois (3) années précédentes en Chine pour répondre aux besoins de son grand-père et de son père, qui ont tous les deux eu des problèmes de santé. Par conséquent, en application de l’alinéa 41b) de la LIPR, M. Tian était à première vue interdit de territoire et passible de renvoi du Canada.
[3]
M. Tian a d’abord été interrogé par l’agente Sagarbarria de l’ASFC. L’agente Sagarbarria a rédigé le rapport établi en application du paragraphe 44(1) présentant ses premières conclusions d’interdiction de territoire et recommandant qu’une mesure d’interdiction de séjour soit imposée. Comme exigé, cette recommandation était sujette à examen ainsi qu’à une décision indépendante par un représentant du ministre.
[4]
En l’espèce, il semble que le représentant du ministre était l’agent Nair de l’ASFC. L’agent Nair a signé l’interdiction de séjour prononcée contre M. Tian ainsi qu’une déclaration de l’interprète et la déclaration de M. Tian concernant un droit d’appel. Toutefois, l’agent Nair a omis de consigner les notes de sa prétendue entrevue avec M. Tian. L’agent Nair a aussi omis de signer le rapport établi en application du paragraphe 44(1) rédigé par l’agente Sagarbarria, et n’a à première vue exposé aucun motif appuyant sa décision d’imposer une interdiction de séjour dans ce rapport (ni nulle part ailleurs).
[5]
Devant la Commission, le ministre a cherché à remédier à l’absence de preuve à l’appui en présentant la déclaration solennelle de l’agent Nair concernant sa ligne de conduite habituelle dans les cas se rapportant au paragraphe 44(1). C’est le mieux que l’agent Nair a pu faire puisqu’il n’avait aucun souvenir de ses interactions avec M. Tian ni aucune note (récente ou autre) pour l’aider à se rafraîchir sa mémoire. Selon cette déclaration, l’agent Nair a toujours mené des interrogatoires et posé une série de questions pertinentes à une personne dans une situation semblable à celle de M. Tian. Ces questions comprendraient des questions de nature humanitaire pouvant être prises en considération pour régler une situation de résidence insuffisante.
[6]
Devant la Commission, une attention considérable a été portée à l’identité du représentant du ministre. Toutefois, rien dans la décision ne permet d’affirmer que ce n’était pas l’agent Nair qui a agi en cette qualité. La préoccupation de la Commission était plutôt l’absence d’éléments de preuve relatifs au caractère suffisant de la présumée évaluation d’interdiction de territoire de l’agent Nair. Cette préoccupation se retrouve dans la conclusion énigmatique de l’analyse de la Commission :
[TRADUCTION]
[22] Alors que je constate que le courriel se trouvant à la page 6 de la pièce R1 n’identifie pas de façon concomitante M. Nair comme étant le représentant du ministre, à mon avis, le texte n’établit pas assez solidement qu’une analyse approfondie des facteurs d’ordre humanitaire ou de compassion a été réalisée.
[23] Je doute aussi fortement que, pour reprendre la description que M. Nair a faite de l’obligation d’un représentant du ministre, [TRADUCTION] « en l’espèce […], une analyse [a été] réalisée par un tiers impartial qui n’a aucun lien direct avec le dossier pour examiner les affirmations présentées par l’agent et les éléments de preuve dans le but d’examiner tout facteur atténuant ou aggravant ainsi que de rendre une décision concernant cette interdiction de territoire ou de renvoyer le cas à une instance supérieure ».
[24] Dans cette situation, lorsque la preuve est analysée et que la jurisprudence est prise en considération, je conclus qu’il est plus probable qu’improbable que les mesures de renvoi prises contre le demandeur le 18 novembre 2014 soient juridiquement nulles. Ayant tiré cette conclusion, il n’est pas nécessaire que j’évalue quelque facteur d’équité procédurale ou humanitaire et de compassion que ce soit pour trancher cette affaire, et je ne le fais pas dans cette décision.
[25] La seule question ayant été tranchée dans le présent document est la validité juridique de la mesure de renvoi contestée. À mon avis, le principe de la chose jugée ne s’appliquerait pas si le ministre décidait à l’avenir de suivre le processus en deux étapes mentionné à l’article 44 de la Loi.
[7]
Une bonne partie des observations écrites du ministre concernant la présente demande vise à savoir si la Commission a fait fi ou omis de bien évaluer les éléments de preuve, à savoir si l’agent Nair a en fait agi en tant que représentant du ministre dans l’exercice des fonctions exigées au paragraphe 44(1). À mon avis, il ne s’agit pas d’une question réelle en l’espèce puisque la Commission n’a tiré aucune conclusion déterminante à l’effet du contraire. Ce qui préoccupait la Commission était de savoir si une évaluation adéquate des facteurs d’ordre humanitaire a été réalisée. Cette décision, a-t-elle conclu, ne pouvait reposer sur la foi de la mémoire chancelante de l’agent Nair ni sur quelques notes ou motifs inexistants.
[8]
Le ministre soutient que la Commission aurait dû tenir compte du témoignage de l’agent Nair à propos de ses pratiques normales dans les cas visés au paragraphe 44(1). Il est soutenu que ce témoignage aurait dû suffire à combler les lacunes en matière de preuve concernant ce qui s’est réellement passé dans le cas de M. Tian.
[9]
Bien qu’il soit exact que la Commission n’a pas fait référence au témoignage de l’agent Nair au sujet de ses pratiques habituelles dans la conclusion de son analyse, ce témoignage a implicitement été jugé comme insuffisant. Il ne s’agit pas d’une conclusion déraisonnable puisque, selon ses propres aveux, l’agent Nair a négligé de suivre la procédure prescrite. L’agent Nair a reconnu qu’il n’a pas pris de notes au cours de son entrevue avec M. Tian, même s’il était conscient que des droits d’appel considérables étaient en jeu et que le rapport établi en application du paragraphe 44(1) constituait un document non négligeable (voir les pages 98 et 110 du dossier certifié du tribunal [DCT]). En effet, sa pratique habituelle consistait à ne pas prendre de notes dans de tels cas (voir la page 100 du DCT). Il a aussi reconnu qu’il a omis de suivre le protocole exigé pour remplir la partie du rapport établi en application du paragraphe 44(1) dans laquelle sont exigés les motifs et une signature (voir la page 108 du DCT).
[10]
Compte tenu de ces atteintes à la procédure, le ministre peut difficilement s’étonner que la Commission ne fût pas disposée à accepter qu’à tous les autres égards, l’agent Nair a dû suivre ses procédures habituelles. Il s’agit aussi d’une affaire dans laquelle il est approprié d’examiner le dossier de façon indépendante et de porter une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui de la décision (voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 12, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses], et Delta Air Lines Inc c Lukács, 2018 CSC 2, au paragraphe 10).
[11]
Il n’était pas déraisonnable que la Commission conclue dans ce dossier qu’il n’avait pas été établi qu’on avait procédé à un examen approprié en application du paragraphe 44(1). En effet, toute autre issue aurait été étonnante. Une conclusion d’interdiction de territoire est extrêmement importante pour un résident permanent comme M. Tian. Les obligations légales prescrites au paragraphe 44(1) que le représentant du ministre doit exécuter ne doivent pas être exécutées sommairement. Sans exception, elles exigent l’examen attentif et la consignation des explications du résident permanent, surtout celles qui ont des incidences sur la possibilité d’accorder une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire. La décision doit aussi être appuyée par les motifs appropriés. Dans la mesure où les pratiques adoptées dans cette affaire peuvent être courantes à l’aéroport de Vancouver, elles ne doivent plus être suivies, sous aucun prétexte.
[12]
Le ministre déplore aussi le fait que la Commission a commis une erreur en ne renvoyant pas le cas de M. Tian pour nouvel examen ou, subsidiairement, en omettant de réaliser son propre examen des considérations d’ordre humanitaire. Même si je suis d’accord qu’il s’agissait d’une possibilité, la Commission disposait du pouvoir discrétionnaire de faire ce qu’elle a fait. Si, en application des pouvoirs que lui confère le paragraphe 77(2) de la LIPR, la Commission a le pouvoir d’imposer une mesure de renvoi, elle doit avoir le pouvoir réciproque d’en annuler une. En annulant la mesure d’interdiction de séjour de M. Tian, la Commission a envoyé au ministre le message clair que les pratiques adoptées dans l’affaire de M. Tian présentaient des lacunes et qu’elles ne devaient pas être encouragées. L’effet de cette mesure a été direct, mais pas intenable sur le plan juridique.
[13]
Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée.
[14]
Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune question de portée générale n’est soulevée en l’espèce.
[15]
L’avocat de M. Tian sollicite des dépens. Toutefois, je suis d’accord avec l’avocat du ministre qu’aucune circonstance particulière ne justifie l’adjudication de dépens dans cette affaire.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3165-17
LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.
« R.L. Barnes »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 14e jour d’août 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3165-17
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INTITULÉ :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c XIN TIAN
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Vancouver (Colombie-Britannique)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 10 janvier 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE BARNES
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DATE DES MOTIFS :
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Le 23 janvier 2018
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COMPARUTIONS :
Helen Park
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POUR LE DEMANDEUR
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Lawrence Wong
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LE DEMANDEUR
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Lawrence Wong & Associates
Avocats
Richmond (Colombie-Britannique)
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POUR LE DÉFENDEUR
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