Date : 20180115
Dossier : T-1972-14
Référence : 2018 CF 35
Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2018
En présence de monsieur le juge O’Reilly
ENTRE :
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COMMUNITIES AND COAL SOCIETY, VOTERS TAKING ACTION ON CLIMATE CHANGE, CHRISTINE DUJMOVICH
ET PAULA WILLIAMS
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demandeurs
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, L’ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER-FRASER ET FRASER SURREY DOCKS LIMITED PARTNERSHIP
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défendeurs
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et
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LA VILLE DE NEW WESTMINSTER
ET LA VILLE DE SURREY
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intervenantes
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Les demandeurs comprennent deux groupes communautaires, soit Communities and Coal Society and Voters Taking Action on Climate Change, et deux particuliers, Mme Christine Dujmovich et Mme Paula Williams. Ensemble, les demandeurs contestent deux décisions de la défenderesse, l’Administration portuaire Vancouver Fraser (l’Administration portuaire), approuvant une proposition de l’autre défenderesse, Fraser Surrey Docks Limited Partnership (Fraser Surrey Docks), de construire des installations de transfert de charbon dans un terminal portuaire de Surrey, en Colombie-Britannique. Les installations assureraient le transfert du charbon transporté au terminal par voie ferroviaire vers des barges ou navires océaniques à destination de l’Asie.
[2]
Les demandeurs affirment que les décisions de l’Administration portuaire sont invalides, car elles ont été prises par le chef de la direction de l’Administration portuaire et non son conseil d’administration et qu’aucune décision appropriée n’a été prise concernant l’impact environnemental éventuel du projet. De plus, les demandeurs maintiennent que les décisions donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité, car les dirigeants et employés de l’Administration portuaire étaient financièrement motivés à approuver le projet et que l’Administration portuaire a même aidé Fraser Surrey Docks à présenter une proposition favorable. Les demandeurs me demandent d’annuler les décisions de l’Administration portuaire et d’ordonner le réexamen de la proposition.
[3]
Je ne relève aucun motif justifiant l’annulation des décisions de l’Administration portuaire — elles ont été rendues de façon équitable et légale et n’étaient entachées d’aucune crainte raisonnable de partialité. Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.
[4]
Les parties ont aussi échangé des requêtes écrites contestant l’admissibilité de l’information contenue dans les affidavits de leur opposant. Plutôt que de plaider ces requêtes lors de l’audience, elles ont convenu de présenter leurs observations orales concernant les principales questions de la demande en fonction du dossier complet et de me confier la tâche de trancher les requêtes préliminaires de preuve en fonction des documents écrits fournis.
[5]
Les questions en litige sont les suivantes :
Les affidavits présentés par les parties devraient-ils être radiés, en tout ou en partie?
Les demandeurs ont-ils qualité pour engager la présente contestation?
Les décisions de l’Administration portuaire ont-elles été prises de façon équitable et légale?
Les décisions de l’Administration portuaire donnent-elles lieu à une crainte raisonnable de partialité?
Le permis délivré par l’Administration portuaire le 30 novembre 2015 est-il entaché de nullité?
II.
Contexte factuel
[6]
En 2012, Fraser Surrey Docks a présenté une demande de permis pour construire et exploiter des installations de transfert de charbon à Surrey. À l’heure actuelle, cet endroit sert à l’expédition de grain, d’acier et de produits agricoles. Fraser Surrey Docks a proposé d’y acheminer du charbon des États-Unis par voie ferroviaire, puis de le charger à bord de barges en vue d’être expédié à l’île Texada, où il serait transféré à bord de navires à destination d’Asie.
[7]
La demande a fait l’objet d’un processus d’examen de la part de l’Administration portuaire, conformément au Règlement sur l’exploitation des administrations portuaires, DORS/2000-55 (articles 5 et 27) et à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, LC 2012, c 19 (article 67) (la LCEE) (voir l’annexe pour l’ensemble des lois citées). Le processus d’examen comprenait des consultations auprès de groupes communautaires, de Premières Nations, d’autorités locales et de municipalités. Pendant l’examen, les demandeurs ont soulevé des préoccupations relativement à l’impact environnemental du projet et du processus d’examen lui-même.
[8]
Les demandeurs ont aussi soulevé une crainte de partialité de la part de l’Administration portuaire. Ces préoccupations découlaient du fait que l’Administration portuaire avait collaboré de façon active avec Fraser Surrey Docks pour assurer le succès de la demande de permis et passer sous silence les préoccupations soulevées par les autres opposants au projet.
[9]
En 2014, des employés de l’Administration portuaire ont préparé une déclaration relative à l’évaluation environnementale dans laquelle ils exprimaient leur conclusion selon laquelle il était peu probable que le projet entraîne des effets environnementaux négatifs importants. Ils ont aussi publié un rapport d’examen de projet qui recommandait l’approbation du projet. Le comité d’examen de projet de l’Administration portuaire a ensuite examiné ces documents et d’autres encore. Le vice-président, Planification et opérations de l’Administration portuaire, M. Peter Xotta, a recommandé au chef de la direction de l’Administration portuaire, M. Robin Sylvester, d’approuver le projet. Le chef de la direction a approuvé le projet et délivré un permis à Fraser Surrey Docks le 21 août 2014. En 2015, à la demande de Fraser Surrey Docks, le chef de la direction de l’Administration portuaire a modifié le permis pour permettre le chargement de charbon à bord de navires océaniques.
III.
Première question – Les affidavits présentés par les parties devraient-ils être radiés, en tout ou en partie?
A.
Requête des défendeurs
[10]
L’Administration portuaire soutient que les affidavits des demanderesses, Christine Dujmovich et Paula Williams, devraient être admis uniquement sur la question de la qualité pour agir. Leur affidavit contient des renseignements sur l’impact potentiel du projet, leur participation aux activités revendicatrices opposées à la délivrance des permis et leurs préoccupations concernant l’impact du projet.
[11]
De même, l’Administration portuaire maintient que l’affidavit de Kevin Washbrook, administrateur du demandeur, Voters Taking Action on Climate Change, devrait être admis uniquement sur la question de la qualité pour agir. Son affidavit décrit le mandat et les activités du groupe, y compris ses activités revendicatrices concernant le projet en question.
[12]
De plus, l’Administration portuaire conteste l’admissibilité d’un affidavit signé par Jeff Arason, gestionnaire de la division des services publics du service d’ingénierie de la ville de Surrey, pour le motif qu’il s’agit d’une preuve irrégulière sous forme d’opinion. Dans la même veine, l’Administration portuaire maintient que l’affidavit de Mehran Nazeman, gestionnaire de la division des bâtiments du service de planification et de développement de la ville de Surrey devrait être radié.
[13]
Enfin, l’Administration portuaire maintient que certaines pièces liées à l’affidavit d’Alison Wold, adjointe administrative de l’avocat des demandeurs, qui concernent le permis modifié délivré en novembre 2015, devraient être radiées, car elles sont incomplètes et non pertinentes.
[14]
Je conclus que les affidavits de Christine Dujmovich, Paula Williams et Kevin Washbrook sont admissibles. Comme je l’explique plus loin, ils portent principalement sur la question de la qualité pour agir, mais offrent aussi des éléments contextuels permettant de comprendre le processus menant à la délivrance des permis et fournissent, dans une certaine mesure, des éléments de preuve susceptibles d’être pertinents à la question de partialité.
[15]
Pour ce qui est des affidavits de MM. Arason et Nazeman, je conviens que certains passages dans ces documents contiennent des opinions. Les demandeurs affirment être en droit de présenter des témoignages d’expert pour contrer les opinions offertes dans un affidavit de Timothy Blair, planificateur principal de l’Administration portuaire (en date du 24 mai 2016). Cependant, lorsqu’elle a accordé aux demandeurs la permission de produire une preuve en réponse à l’affidavit de M. Blair, la protonotaire Martha Milczynski a indiqué qu’une grande partie de cet affidavit contesté ne constituait pas une opinion, mais plutôt une description de ce que contenait le permis délivré en novembre 2015 (ordonnance du 1er juin 2016). À ce titre, je ne tiendrai pas compte des opinions contenues dans les affidavits de MM. Arason et Nazeman; il n’est pas nécessaire de les radier intégralement. Même si le reste des éléments de preuve dans ces affidavits n’a pas été porté à la connaissance du décideur, il décrit le processus menant à la décision en l’espèce et j’en tiendrai compte uniquement à cette fin.
[16]
Pour ce qui est des pièces de Mme Wold, je conclus qu’elles sont admissibles en l’espèce concernant la délivrance du permis modifié en novembre 2015. Le fait qu’elles ne représentent pas la totalité du dossier ne justifie pas de les exclure. Je n’ai pas tenu compte des pièces non pertinentes.
[17]
Fraser Surrey Docks a aussi présenté des objections à la preuve des demandeurs semblables à celles de l’Administration portuaire. Je n’ai pas jugé nécessaire d’aborder ces objections séparément.
B.
Requête des demandeurs
[18]
Les demandeurs cherchent à faire radier, en tout ou en partie, un affidavit de M. Timothy Blair, daté du 1er mars 2016, ainsi que certaines parties de trois autres affidavits signés par les demandeurs – l’affidavit de Timothy Blair daté du 16 décembre 2014, l’affidavit de Jeff Scott (chef de la direction de Fraser Surrey Docks) daté du 17 décembre 2014 et l’affidavit de Peter Xotta (vice-président de l’Administration portuaire) daté du 1er juin 2015.
[19]
Comme l’Administration portuaire ne se fonde pas sur l’affidavit du 1er mars 2016, nul besoin que la Cour se prononce sur cette objection.
[20]
Pour ce qui est de l’affidavit de M. Blair du 16 décembre 2014, les demandeurs affirment qu’il contient des éléments de preuve par ouï-dire, des arguments, des conclusions de droit et des dossiers inadmissibles qui devraient être radiés. Dans l’affidavit de M. Scott, les demandeurs allèguent qu’il contient des éléments de preuve par ouï-dire, des arguments et des conclusions de droit. Les demandeurs soutiennent aussi que l’affidavit de M. Xotta contient des arguments et des opinions.
[21]
En fait, l’affidavit de M. Blair du 16 décembre 2014 contient la majeure partie du dossier porté à la connaissance du décideur en l’espèce. La protonotaire Milczynski l’a désigné « dossier d’affidavit »
(ordonnance du 1er juin 2016) et a noté que les demandeurs ne s’y étaient pas opposés lorsqu’il avait été présenté. Les demandeurs n’ont pas, non plus, cherché à contre-interroger M. Blair concernant le contenu de son affidavit ou des pièces qui s’y rattachent. De plus, les demandeurs ont produit plusieurs des mêmes documents au moyen de l’affidavit de M. Washbrook. Je ne vois aucun fondement aux objections des demandeurs.
[22]
En ce qui a trait à l’affidavit de M. Scott, je souscris aux affirmations des demandeurs selon lesquelles certaines des déclarations qu’il contient se fondent sur quelque chose d’autre qu’une simple connaissance personnelle. Toutefois, je note aussi que les déclarations contestées de M. Scott sont corroborées par d’autres éléments de preuve au dossier. Par conséquent, selon moi, il n’y a rien à gagner à radier de l’affidavit de M. Scott des renseignements ne faisant pas partie de ses connaissances personnelles.
[23]
Enfin, pour ce qui est de l’affidavit de M. Xotta, je note que les demandeurs ont contre-interrogé M. Xotta et contesté les déclarations qui étaient, selon eux, inadmissibles. Dans les circonstances, je ne radierais pas les parties contestées de l’affidavit de M. Xotta. Je les lirais plutôt à la lumière de l’ensemble du dossier, y compris son contre-interrogatoire.
IV.
Deuxième question – Les demandeurs ont-ils qualité pour engager la présente contestation?
[24]
L’Administration portuaire maintient que les demandeurs n’ont pas qualité pour engager la présente contestation, car ils ne sont pas « […] directement touché[s] par l’objet de la demande »
(Loi sur les Cours fédérales, paragraphe 18.1(1)). L’Administration portuaire affirme qu’en l’espèce, l’objet de la demande est l’attaque technique des demandeurs à l’endroit des décisions approuvant le projet. Elle affirme que ces questions de droit très étroites n’ont ni directement porté préjudice ni nui aux droits des demandeurs et que, par conséquent, ceux-ci n’ont pas qualité pour contester les décisions de l’Administration portuaire.
[25]
En outre, l’Administration portuaire soutient que même si les demanderesses individuelles, Mme Dujmovich et Mme Williams, sont préoccupées quant au niveau actuel d’activité commerciale dans les alentours de la rivière Fraser, cette préoccupation n’entraîne pas nécessairement d’impact direct sur elles découlant du projet proposé.
[26]
Pour ce qui est de la qualité pour agir dans l’intérêt public, l’Administration portuaire affirme que la présente demande ne représente pas un moyen raisonnable et efficace de soumettre les questions pertinentes à notre Cour (comme dans l’arrêt Voters Taking Action on Climate Change v British Columbia (Energy and Mines), 2015 BCSC 471). Les intervenantes en l’espèce, les municipalités de New Westminster et de Surrey, ont un intérêt plus tangible dans les questions et sont mieux placées pour les aborder, selon l’Administration portuaire.
[27]
Je ne suis pas d’accord avec l’Administration portuaire sur ce point. La demanderesse a-t-elle qualité pour présenter la présente demande de contrôle judiciaire?
[28]
Dans son affidavit, Mme Dujmovich décrit son lien avec le terrain adjacent à Fraser Surrey Docks et les voies ferrées qui mènent aux installations. Elle habite à environ 500 mètres de Fraser Surrey Docks, sur un terrain acheté par son père en 1920. Elle y a vécu pratiquement toute sa vie avec son frère handicapé, Gregory. Mme Dujmovich craint que les installations de transfert de charbon puissent avoir des effets délétères sur la santé et l’environnement, principalement en raison de la poussière de charbon et des échappements de diesel le long de la route, mais elle craint aussi l’effet élargi sur le changement climatique provoqué par l’utilisation du charbon comme combustible. Elle s’en fait aussi pour les autres conséquences négatives, notamment le bruit et la réduction de la valeur des propriétés.
[29]
De plus, Mme Dujmovich décrit en détail le processus consultatif auquel la Communities and Coal Society et elle-même ont participé. En particulier, elle mentionne une rencontre en mai 2013 où elle a parlé au président de Fraser Surrey Docks, M. Jeff Scott. Après lui avoir fait part de ses préoccupations concernant la poussière générée à cet endroit, Mme Dujmovich a dit que M. Scott l’aurait rassurée sur le fait que ses préoccupations seraient abordées. Cependant, quelques mois plus tard, M. Scott a dit à Mme Dujmovich qu’elle avait dû l’avoir mal compris, car il n’avait pris aucun engagement à son égard par rapport à ce problème.
[30]
(Dans son affidavit, M. Scott a expressément abordé l’assertion de Mme Dujmovich selon laquelle il aurait manqué à son engagement de réduire la poussière à Fraser Surrey Docks. Il dit que Mme Dujmovich doit mal avoir compris ses propos. Il avait dit que des améliorations étaient en cours, mais il n’était pas prévu qu’elles soient terminées avant l’automne de 2013, comme Mme Dujmovich l’aurait peut-être pensé.)
[31]
La demanderesse, Mme Paula Williams, habite à 300 mètres de la voie ferrée. Elle a observé la circulation ferroviaire de près, en particulier les wagons transportant du charbon, et a mesuré le son des sifflets.
[32]
Depuis qu’elle a appris l’existence du projet, Mme Williams craint les incidences, sur la santé, du transport de volumes importants de charbon dans sa communauté et près de chez elle. Elle s’en fait aussi pour la stabilité des pentes devant lesquelles passe la voie ferrée et du risque de coulées boueuses provoquées par la circulation accrue. Les préoccupations de Mme Williams l’ont incitée à fonder Communities and Coal, qui a participé au processus menant à la délivrance d’un permis à Fraser Surrey Docks. Communities and Coal compte près de 300 adeptes dans la zone locale.
[33]
Mme Williams explique que la principale préoccupation du demandeur, Communities and Coal, est l’impact sur la santé du transport de charbon par voie ferroviaire. Elle a rédigé une pétition en 2013 demandant aux représentants des ordres fédéral, provincial et municipal de mener une étude exhaustive concernant l’impact du projet sur la santé. Cette pétition a rassemblé 13 000 signatures. Communities and Coal a organisé diverses activités de diffusion d’information et de sensibilisation de la communauté sur le projet et y a participé.
[34]
Mme Williams a personnellement examiné de nombreux documents sur les incidences éventuelles du projet sur la santé, ce qui n’a fait que renforcer ses préoccupations. Elle n’était pas convaincue que l’évaluation de l’impact sur l’environnement ait pleinement tenu compte de l’impact environnemental éventuel du projet.
[35]
M. Kevin Washbrook est l’administrateur du demandeur, Voters Taking Action on Climate Change. Son affidavit décrit le mandat du groupe comme étant de militer en faveur de la réduction de l’émission de gaz à effet de serre et d’inciter les gouvernements à restreindre l’utilisation des combustibles fossiles. Le groupe participe aux consultations relatives à la proposition de Fraser Surrey Docks depuis 2012. M. Washbrook décrit le long processus d’examen entrepris par l’Administration portuaire, le rôle qu’y joue son groupe et les efforts de celui-ci pour sensibiliser le public à son sujet.
[36]
M. Washbrook dresse aussi la liste des divers documents produits par l’Administration portuaire lors de la délivrance du permis de Fraser Surrey Docks, y compris le rapport d’examen de projet, la déclaration relative à l’évaluation environnementale, une évaluation du risque pour la santé humaine, un mémoire en réponse aux commentaires du public et un certain nombre d’autres documents d’information.
[37]
De plus, M. Washbrook mentionne certaines des organisations de l’industrie avec lesquelles est associée l’Administration portuaire et fournit des renseignements sur les dispositions en matière de rémunération des cadres de l’Administration portuaire. Ces facteurs ont fait en sorte que son groupe avait des préoccupations en matière de partialité et d’équité concernant le processus d’examen, préoccupations dont ils ont fait part à l’Administration portuaire à l’aide d’une série de lettres.
[38]
La preuve indique que Mmes Dujmovich et Williams sont directement touchées par les décisions faisant l’objet de la demande et, par conséquent, elles ont qualité pour présenter la présente demande de contrôle judiciaire. Les deux habitent près du couloir ferroviaire par lequel passeront les trains transportant le charbon vers les installations de transfert. Les trains passeraient une ou deux fois par jour tirant plus de cent wagons découverts. Ces demanderesses pourraient être exposées à une augmentation de poussière de charbon, de fumée d’échappement et de bruit.
[39]
De plus, à mon avis, les deux groupes communautaires demandeurs ont qualité pour agir dans l’intérêt public aux termes du critère exposé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers Against Violence in Society, 2012 CSC 45, au paragraphe 37. Ces demandeurs ont soulevé des questions sérieuses et se préoccupent réellement du caractère équitable et légal des décisions de l’Administration portuaire et de l’impact de ces décisions sur l’environnement de la communauté locale. Les deux groupes ont participé de façon active au processus menant à la décision de l’Administration portuaire de délivrer un permis à Fraser Surrey Docks. Leur demande de contrôle judiciaire représente un moyen raisonnable et efficace de soumettre les questions pertinentes à la Cour.
V.
Troisième question – Les décisions de l’Administration portuaire ont-elles été prises de façon équitable et légale?
[40]
Les demandeurs n’ont pas contesté le caractère raisonnable des décisions de l’Administration portuaire. Cependant, ils ont soulevé certaines questions concernant la façon dont l’Administration portuaire a rendu ses décisions, en l’occurrence :
L’Administration portuaire était-elle autorisée à déléguer sa responsabilité décisionnelle au chef de la direction aux termes de la LCEE?
Si oui, l’a-t-elle fait en l’espèce?
Si oui, le chef de la direction a-t-il rendu la décision requise aux termes de la LCEE?
[41]
Les demandeurs affirment que c’est le conseil d’administration de l’Administration portuaire, et non le chef de la direction, qui avait l’obligation de décider de délivrer un permis et de déterminer l’impact environnemental éventuel du projet proposé aux termes de la LCEE. Ils mentionnent la Loi maritime du Canada, LC 1998, c 10, qui indique clairement que l’Administration portuaire peut déléguer ses pouvoirs de gestion de ses activités à un comité d’administrateurs ou à ses dirigeants (article 21.1). Toutefois, la LCEE ne contient aucune telle délégation de pouvoirs. Par conséquent, selon les demandeurs, le chef de la direction de l’Administration portuaire n’avait pas le pouvoir de rendre la décision fondée sur la LCEE.
[42]
Qui plus est, les demandeurs maintiennent que l’Administration portuaire n’a pas présenté une preuve suffisante selon laquelle le conseil d’administration a autorisé le chef de la direction à rendre la décision en question, ou que la décision fondée sur la LCEE a même été rendue.
[43]
Je ne suis pas d’accord.
[44]
En tant qu’autorité fédérale, l’Administration portuaire était tenue de déterminer si le projet aurait vraisemblablement des effets environnementaux négatifs importants. Elle n’était pas tenue de réaliser une évaluation environnementale complète ou de délivrer une déclaration; cela aurait été nécessaire seulement s’il s’agissait d’un « projet désigné »
aux termes de la LCEE.
[45]
L’obligation découlant de la LCEE appartenait à l’Administration portuaire elle-même, une société d’État, non pas au conseil d’administration. Par conséquent, le chef de la direction avait l’autorité de rendre la décision fondée sur la LCEE au nom de la société.
[46]
De plus, l’Administration portuaire pouvait déléguer au chef de la direction la décision fondée sur la LCEE. Si la proposition avait porté sur un projet désigné aux termes de la LCEE, l’Administration portuaire n’aurait pas pu déléguer à un dirigeant la tâche de déterminer l’éventuel impact environnemental du projet (paragraphes 26(1), 27(1) et 52(1)). Cependant, la loi n’érige aucun obstacle semblable aux projets non désignés, comme c’est le cas en l’espèce.
[47]
De plus, le conseil d’administration de l’Administration portuaire avait le pouvoir législatif de déléguer le pouvoir décisionnel découlant de la LCEE à titre d’activité de l’Administration portuaire (Loi maritime du Canada, article 21.1). Le conseil d’administration peut déléguer à un dirigeant les pouvoirs de « gestion des activités »
de l’Administration portuaire.
[48]
Les deux municipalités intervenantes, Surrey et New Westminster, affirment que l’expression « gestion des activités »
ne comprend pas le fait de rendre une décision fondée sur la LCEE, car, conformément à la Loi maritime du Canada, l’Administration est uniquement autorisée à s’adonner aux « activités portuaires liées à la navigation, au transport des passagers et des marchandises, et à la manutention et l’entreposage des marchandises […] »
(alinéa 28(2)a)). Par conséquent, selon les intervenantes, comme la liste des activités autorisées ne mentionne pas le fait de rendre des décisions environnementales, l’Administration portuaire n’a pas le pouvoir de déléguer ces décisions à un dirigeant de la société.
[49]
Je ne suis pas d’accord avec les intervenantes sur ce point. J’accorde aux mots « gestion des activités »
de l’Administration portuaire un sens large. Je ne vois aucune raison de les exclure des responsabilités qui incombent à l’Administration portuaire aux termes de la LCEE.
[50]
En outre, je note que les lettres patentes de l’Administration portuaire contiennent une liste beaucoup plus détaillée d’activités que la Loi maritime du Canada. Les lettres patentes indiquent expressément que l’Administration portuaire peut réaliser des évaluations environnementales (sous-alinéa 7.1j)(i)).
[51]
Les intervenantes mentionnent aussi les lettres patentes, mais dans un autre but. Elles indiquent que le pouvoir de délégation conféré par l’article 21.1 de la Loi maritime du Canada est assujetti aux lettres patentes et affirment que celles-ci limitent le pouvoir de délégation.
[52]
Là encore, je ne suis pas d’accord. Les intervenantes s’appuient sur l’article 4.15 des lettres patentes. Cette disposition permet au conseil d’administration de créer des comités et de déléguer à ceux-ci les pouvoirs détenus par le conseil lui-même (avec certaines exceptions). Les intervenantes s’appuient sur le fait que l’article 4.15 ne mentionne aucun pouvoir de délégation aux dirigeants pour arguer que le pouvoir législatif de délégation doit donc faire l’objet d’une interprétation atténuée. Cependant, les lettres patentes ne limitent pas le pouvoir du conseil d’administration de déléguer aux dirigeants; elles renforcent le pouvoir du conseil d’administration de déléguer à des comités. Par conséquent, si le pouvoir législatif de délégation aux dirigeants est, en effet, assujetti aux lettres patentes, rien de ce que contiennent ces dernières ne limite l’ampleur du premier. L’Administration portuaire pourrait déléguer les décisions aux termes de la LCEE à son chef de la direction, et à mon avis, la preuve indique qu’elle l’a fait.
[53]
Lors d’une réunion extraordinaire du conseil d’administration le 19 août 2014, le vice-président a présenté aux administrateurs le rapport du comité d’examen de projet. Le rapport recommandait que le projet soit approuvé, sous réserve de 81 conditions qui feraient en sorte que le projet n’aurait vraisemblablement pas d’effets environnementaux négatifs. Lorsque les administrateurs ont terminé de discuter de la question, le chef de la direction a rendu sa décision d’approuver le projet. Cette décision figure au procès-verbal de la réunion du conseil d’administration.
[54]
Lors de cette même réunion, le conseil d’administration a examiné la déclaration relative à l’évaluation environnementale, qui discutait de l’éventuel impact environnemental du projet, et a conclu que les mesures d’atténuation proposées et les conditions stipulées dans le permis faisaient en sorte qu’il était peu probable que le projet ait des effets environnementaux négatifs importants. La déclaration abordait en particulier la responsabilité de l’Administration portuaire aux termes de la LCEE et les diverses préoccupations environnementales découlant du projet et les points de vue des diverses intervenantes, y compris les autorités locales. Le conseil d’administration, en présence du chef de la direction, a pris les deux documents en considération. Le chef de la direction a indiqué qu’il était disposé à approuver le projet et, quelques jours plus tard, il a rendu sa décision de délivrer un permis à Fraser Surrey Docks. Il est raisonnable d’inférer, à partir de ces circonstances, que le conseil d’administration avait expressément délégué la décision requise au chef de la direction.
[55]
En fait, le conseil d’administration de l’Administration portuaire avait déjà expressément délégué le pouvoir de délivrer des autorisations environnementales au chef de la direction. En 2013, le conseil avait adopté une résolution déléguant au chef de la direction le pouvoir [traduction] « de délivrer des autorisations environnementales conformément à la Politique environnementale B-007 »
, qui aborde expressément les obligations de l’Administration portuaire aux termes de la LCEE.
[56]
Les demandeurs mentionnent d’autres documents qu’ils caractérisent comme étant des indicateurs inadéquats de délégation au chef de la direction – la Directive du processus d’examen de projet, le Guide d’examen de projet et l’annexe I de la Politique environnementale. Cependant, le fait que ces documents n’abordent pas expressément la délégation de pouvoir ne constitue pas une preuve qu’aucune délégation n’a eu lieu. Je conclus, selon la preuve précitée, que le pouvoir de décision aux termes de la LCEE a, en fait, été délégué au chef de la direction.
[57]
Les demandeurs maintiennent aussi que le fait que le chef de la direction a rendu une décision de délivrer un permis ne signifie pas qu’il a aussi rendu une décision aux termes de la LCEE. Si le permis lui-même ne mentionne pas cette décision, le processus menant à la décision du chef de la direction indique clairement qu’il a pris en considération de façon appropriée les obligations de l’Administration portuaire aux termes de la LCEE. Comme je l’ai déjà mentionné, les exigences de la LCEE sont expressément indiquées dans la Politique environnementale de l’Administration portuaire, la déclaration relative à l’évaluation environnementale, le rapport d’examen de projet et le rapport du vice-président au chef de la direction. De plus, le conseil a expressément discuté de la décision fondée sur la LCEE lors de sa réunion du 19 août 2014. Cette preuve me permet de conclure que le chef de la direction aurait clairement été au courant des exigences de la LCEE au moment où il envisageait la délivrance du permis. Comme il a déjà été mentionné, la LCEE n’exige aucune sorte de décision ou de déclaration relativement aux projets non désignés. Par conséquent, le fait que le permis ne mentionne pas expressément la décision relative à la LCEE ne constitue pas une preuve qu’elle n’a jamais été rendue. Les circonstances globales indiquent qu’elle l’a été.
[58]
En effet, comme il a déjà été mentionné, le permis comprend 81 conditions visant à atténuer l’impact environnemental du projet. Il s’agit de nombreuses mesures destinées à aborder des conditions environnementales générales, notamment la protection de la végétation, des poissons et de la faune; la prévention des déversements; le contrôle de la sédimentation et de l’érosion; la conservation de la qualité de l’eau, du sol et de l’eau souterraine; la protection de la qualité de l’air; la réduction du bruit; et la disposition des débris et des déchets.
[59]
Par conséquent, je conclus que la décision de l’Administration portuaire de délivrer un permis à Fraser Surrey Docks était équitable et juste.
VI.
Quatrième question – Les décisions de l’Administration portuaire donnent-elles lieu à une crainte raisonnable de partialité?
[60]
Les demandeurs mentionnent un total de cinq facteurs qui, selon eux, appuient leur accusation selon laquelle le comportement de l’Administration portuaire donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. Premièrement, les demandeurs font valoir que le chef de la direction et le vice-président avaient un intérêt pécuniaire dans l’approbation du projet. Deuxièmement, ils maintiennent que la structure institutionnelle de l’Administration portuaire créait un environnement où les employés avaient intérêt à approuver les projets. Pour ce qui est de ces deux premiers motifs, les demandeurs s’appuient sur les commentaires du juge Iacobucci à ce sujet dans l’arrêt Pearlman c Comité Judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 RCS 869, à la page 883 :
Il existe de nombreuses situations différentes qui pourraient remettre en question l’impartialité d’un organisme décisionnel. Parmi celles-ci, notons les cas où les décideurs ont ou sont perçus comme ayant un intérêt pécuniaire, direct ou indirect, dans l’issue de l’affaire dont ils sont saisis.
[61]
Troisièmement, les demandeurs affirment que l’Administration portuaire avait une relation continue avec l’industrie du charbon, y compris dans le cadre d’une commandite d’une conférence de l’Association charbonnière canadienne. Quatrièmement, les demandeurs soulignent la collaboration étroite entre l’Administration portuaire et Fraser Surrey Docks dans la demande de permis de cette dernière. Cinquièmement, les demandeurs mentionnent le défaut de l’Administration portuaire de respecter son propre code de conduite, qui l’oblige à promouvoir la confiance du public dans son intégrité et son impartialité. Je discuterai de chacune de ces allégations en ordre.
[62]
L’argumentation des demandeurs s’appuie en grande partie sur le fait que le chef de la direction et le vice-président de l’Administration portuaire obtiennent des primes au rendement déterminées en fonction de leur atteinte de certains objectifs prédéterminés. Pour le chef de la direction, ces objectifs comprennent le développement de la capacité du port et de ses installations, et le fait de répondre aux besoins en matière de capacité des utilisateurs, y compris l’industrie charbonnière. Il est clair que l’approbation des installations de transfert de charbon aurait aidé l’atteinte de ces objectifs. De même, les objectifs personnels du vice-président comprennent l’obtention des approbations clés pour faire progresser les intérêts de l’Administration portuaire. En outre, le chef de la direction et le vice-président touchent des primes pour améliorer les relations avec la clientèle, ce qui comprendrait Fraser Surrey Docks. Ces primes étaient payables, cependant, uniquement si l’Administration portuaire atteignait un revenu net seuil. Par conséquent, le fait d’accroître les recettes de l’Administration portuaire par l’approbation de projets comme celui de Fraser Surrey Docks pouvait aussi accroître la probabilité que soient versées des primes.
[63]
À mon avis, ces circonstances ne sont pas suffisantes pour donner lieu à une crainte raisonnable de partialité. Le programme global de rémunération des cadres supérieurs de l’Administration portuaire ne récompense pas directement l’approbation de projets. La suggestion selon laquelle l’approbation du projet de Fraser Surrey Docks générerait des primes pour cadres supérieurs à l’avenir repose entièrement sur des conjectures.
[64]
Le programme de rémunération de l’Administration portuaire récompense le rendement individuel et le rendement de l’entreprise en fonction d’objectifs correspondants. L’approbation du projet en question ne constitue ni un objectif individuel ni un objectif d’entreprise pendant la période pertinente en l’espèce. Toutefois, l’obtention d’une décision dans le cadre du projet Fraser Surrey Docks faisait partie du plan de rendement du vice-président aux fins de planification et de développement d’entreprise pour 2013; il aurait touché une prime même si le projet n’avait pas été approuvé, car l’objectif indiqué était de rendre une décision, non pas d’obtenir un certain résultat. De plus, cette catégorie de plan de rendement ne représentait que 10 % du calcul global de la prime; elle comprenait de nombreux autres projets en cours et était assujettie à l’approbation du conseil d’administration. La décision relative au permis de Fraser Surrey Docks, qu’il s’agisse d’une approbation ou d’un rejet, aurait pu donner lieu à une prime d’environ 1 % du salaire de 2013 du vice-président. Toutefois, la décision n’a pas été rendue avant 2014 et, pendant cette année, le plan de rendement du vice-président ne comprenait pas d’objectif portant sur les décisions relatives aux projets, même si elle mentionnait l’avancement de façon générale des objectifs de base du port, dont l’atteinte aurait sans doute été facilitée par le projet. Mais encore là, ce n’est que spéculation.
[65]
Pour ce qui est du plan de rendement du chef de la direction, il ne comprenait aucun objectif explicite concernant l’approbation de projets en 2013 ou 2014. Le plan du chef de la direction pour 2014 comprenait le traitement d’enjeux difficiles d’engagement public, ce qui aurait inclus de mener le dossier de Fraser Surrey Docks à terme.
[66]
À mon avis, cette preuve n’indique pas que les cadres supérieurs de l’Administration portuaire avaient un intérêt direct ou tangible dans l’approbation du projet. Tout intérêt pécuniaire que les dirigeants sont censés avoir « est vraiment trop minime et trop éloigné pour donner lieu à une crainte raisonnable de partialité »
(Pearlman, précité, à la page 891).
[67]
Pour ce qui est de la structure institutionnelle de l’Administration portuaire, les demandeurs maintiennent que le programme de primes des employés donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité parce qu’il récompensait les personnes impliquées dans l’approbation de projets susceptibles d’améliorer le rendement économique de l’Administration portuaire. La possibilité de gains financiers, selon les demandeurs, prédisposerait vraisemblablement les employés de l’Administration portuaire à exercer le pouvoir discrétionnaire qui leur avait été conféré pour faciliter l’approbation de projets d’une valeur économique éventuelle pour leur employeur.
[68]
Là encore, la possibilité de gains financiers des employés repose, dans l’ensemble, sur des conjectures. Le programme de primes des employés reconnaît de nombreux facteurs, y compris le rendement de l’entreprise, le revenu d’entreprise seuil, les objectifs de rendement personnels et la discrétion du conseil d’administration. Il est vrai qu’aucune prime n’aurait été versée si l’Administration portuaire n’avait pas obtenu un succès financier suffisant au cours d’une année donnée. Cependant, à mon avis, ce facteur ne peut, à lui seul, établir que les employés de l’Administration portuaire faisaient preuve de partialité quant à l’approbation de projets lucratifs, y compris le projet de Fraser Surrey Docks en particulier, ou même donner lieu à une crainte raisonnable de partialité. Il y avait tout simplement trop de facteurs en jeu.
[69]
Les demandeurs ont aussi affirmé que la relation étroite entre l’Administration portuaire et l’industrie du charbon donne lieu à une crainte raisonnable de partialité en faveur de l’approbation de projets liés au charbon, comme la proposition Fraser Surrey Docks. De même, lorsqu’elle a assisté à la réunion de mai 2013, Mme Dujmovich croyait que l’Administration portuaire et Fraser Surrey Docks étaient la même entité, car elles parlaient toutes deux en faveur du projet.
[70]
L’Administration portuaire est membre de l’Association charbonnière canadienne et a aidé à commanditer une conférence organisée par l’Association. Lorsque l’entente de commandite a été rendue publique, l’Administration portuaire s’est rendu compte que l’apparence de sa relation avec l’Association était problématique. Elle a dépensé 3 000 $ pour faire supprimer son nom des documents liés à la conférence.
[71]
Pour ce qui est de cette allégation, ainsi que des autres mentionnées ci-dessus, il faut garder en tête la nature de l’Administration portuaire au moment de déterminer si son comportement aurait donné lieu à une crainte raisonnable de partialité. Il ne faut pas oublier que la question de partialité relativement à un membre d’un tribunal judiciaire ne peut être examinée de la même façon que dans le cas d’un membre d’un tribunal administratif que la loi autorise à exercer ses fonctions de façon discrétionnaire, à la lumière de son expérience ainsi que de celles de ses conseillers techniques (Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, à la page 395).
[72]
L’Administration portuaire est une société dont le mandat, conféré par la loi, est de fournir l’infrastructure maritime dont a besoin le Canada, de promouvoir la vitalité des ports dans le but de contribuer à l’intérêt économique du Canada, de fournir des installations sécuritaires et écologiques, et de gérer les actifs maritimes de façon commerciale avec l’apport des utilisateurs et des membres de la collectivité (Loi maritime du Canada, article 4). Ces rôles exigent nécessairement que l’Administration portuaire entretienne, par l’entremise de ses dirigeants et employés, des relations avec des groupes d’utilisateurs et des locataires individuels, y compris l’industrie du charbon de façon générale et Fraser Surrey Docks en particulier.
[73]
Dans ce contexte, je ne considère pas l’adhésion de l’Administration portuaire à l’Association charbonnière canadienne ou même sa commandite d’une conférence comme une preuve de partialité réelle ou une crainte raisonnable de partialité. Il est plutôt inhérent à la nature des responsabilités assignées à l’Administration portuaire par la loi de favoriser ces types de contacts et de relations.
[74]
De même, je ne peux conclure que les communications continues entre l’Administration portuaire et Fraser Surrey Docks ou même son soutien manifeste au projet appuient l’allégation de partialité des demandeurs. La preuve indique qu’il y a eu communication entre les deux entités, y compris des expressions de confiance de la part de l’Administration portuaire que le projet serait ultimement approuvé et qu’on réussirait à concilier les préoccupations des opposants. De prime abord, ces communications ne me semblent pas indiquer de jugement préconçu ou partial. Elles reflètent tout simplement des opinions préliminaires sur la nature du projet et la possibilité d’atténuer les préoccupations relatives à son impact environnemental. Dans la même veine, le fait que Mme Dujmovich croyait que l’Administration portuaire et Fraser Surrey Docks ne formaient qu’une seule entité parce qu’elles parlaient toutes deux en faveur du projet ne me porte pas à conclure que l’Administration portuaire était partiale ou que les circonstances donnaient lieu à une crainte raisonnable de partialité. La position de l’Administration portuaire était conforme au mandat conféré par la loi et à son devoir d’assurer la gestion responsable de l’infrastructure maritime du Canada.
[75]
Enfin, les demandeurs maintiennent que le comportement des administrateurs, des dirigeants et des employés de l’Administration portuaire viole les codes de conduite applicables. Le code de conduite des administrateurs et des dirigeants exige qu’ils se comportent d’une façon apte à inspirer et promouvoir la confiance du public dans l’intégrité et l’impartialité de l’Administration portuaire. La politique relative au code d’éthique applicable aux employés les exhorte à éviter les comportements susceptibles de mettre en question leur objectivité totale. Les demandeurs affirment, sur la force des allégations décrites ci-dessus, qu’ils appuient une conclusion selon laquelle il y aurait eu violation des normes d’éthique.
[76]
Compte tenu de mes conclusions selon lesquelles le comportement contesté des administrateurs, des dirigeants et des employés de l’Administration portuaire n’appuie pas une conclusion de partialité ou de crainte raisonnable de partialité, je ne peux que conclure que les codes de conduite n’ont pas été violés.
VII.
Cinquième question – Le permis délivré par l’Administration portuaire le 30 novembre 2015 est-il entaché de nullité?
[77]
Les demandeurs maintiennent que le permis délivré le 30 novembre 2015 constitue une modification mineure du permis précédent, non pas un nouveau permis. La plupart des conditions du permis original ont été maintenues; seulement 18 modifications ont été apportées. Par conséquent, les questions de compétence et de partialité qui entachaient le permis original n’ont pas été réglées par la délivrance d’un deuxième permis. Comme les problèmes du premier permis l’ont rendu nul, selon les demandeurs, le deuxième, délivré en se fiant au premier, doit être considéré comme étant entaché de nullité.
[78]
À l’appui de la thèse des demandeurs, M. Arason décrit, dans son affidavit, la participation de la ville de Surrey dans le processus d’examen du projet et la correspondance, au fil des ans, entre la ville et l’Administration portuaire. Il décrit aussi le permis modifié du 30 novembre 2015 et caractérise le processus d’examen menant à la délivrance de ce permis comme ayant [traduction] « une portée très restreinte »
et étant [traduction] « de très courte durée »
, avec une [traduction] « consultation limitée auprès des intervenantes »
. À son avis, selon le numéro assigné au permis modifié (2012-072-1) comparativement au permis original (2012-072), le permis original demeure en vigueur; le permis du 30 novembre 2015 ne fait qu’y apporter quelques modifications mineures. M. Arason se fie aux déclarations suivantes figurant sur le permis modifié :
[traduction] Là où les conditions du permis de projet 2012-072 ont été modifiées, la condition originale a été radiée et remplacée par la version modifiée indiquée en italiques. Deux conditions ont été supprimées, 14 ont été modifiées et deux ont été ajoutées à la fin du document. Ce permis de projet modifié remplace donc le document préalablement délivré.
[79]
M. Arason interprète cette déclaration comme voulant dire que le permis modifié représente une consolidation du permis original et des modifications approuvées. Le permis modifié ne devrait donc pas être considéré comme un nouveau permis. M. Nazeman est d’accord avec cette interprétation.
[80]
Je ne suis pas d’accord.
[81]
Le deuxième permis, selon son libellé, remplace clairement le premier. De plus, le premier permis était valide à première vue et applicable jusqu’à sa révocation. De plus, compte tenu de mes conclusions sur la validité du premier permis, il s’ensuit que le deuxième n’était pas entaché de quelque façon que ce soit.
[82]
Par conséquent, les affirmations des demandeurs selon lesquelles le permis modifié du 30 novembre 2015 est entaché de nullité n’ont aucun fondement légal ou factuel.
VIII.
Conclusion et décision
[83]
Les demandeurs ont qualité pour présenter la présente demande de contrôle judiciaire? Toutefois, je ne peux conclure que la décision d’accorder à Fraser Surrey Docks un permis pour ses installations de transfert de charbon a été prise de façon inéquitable ou autrement illégale. Il n’y a rien pour appuyer la crainte raisonnable de partialité de la part de l’Administration portuaire ou de ses employés. Enfin, le permis modifié délivré par l’Administration portuaire en novembre 2015 est valide. Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire des demandeurs, avec dépens.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1972-14
LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire, le tout avec dépens.
« James W. O’Reilly »
Juge
Ce 1er jour de juin 2020
Lionbridge
Annexe
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-1972-14
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INTITULÉ :
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COMMUNITIES AND COAL SOCIETY, VOTERS TAKING ACTION ON CLIMATE CHANGE, CHRISTINE DUJMOVICH ET PAULA WILLIAMS c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, L’ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER ET FRASER SURREY DOCKS LIMITED PARTNERSHIP ET LA VILLE DE NEW WESTMINSTER ET LA VILLE DE SURREY
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Vancouver (Colombie-Britannique)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 18 mai 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE O’REILLY
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DATE DES MOTIFS :
|
Le 15 janvier 2018
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COMPARUTIONS :
Harry Wruck
Fraser Thomson
Kegan Pepper-Smith
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Pour les demandeurs
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Non représenté
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Pour le défendeur –
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
Harley J. Harris
Daniel H. Coles
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Pour la défenderesse –
ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER-FRASER
|
Robert M. Lonergan
Bridget Gilbride
|
Pour la défenderesse –
FRASER SURREY DOCKS LIMITED PARTNERSHIP
|
Anthony Capuccinello
|
POUR L’INTERVENANTE
LA VILLE DE SURREY
|
Reece Harding
Gregg Cockrill
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POUR L’INTERVENANTE
LA VILLE DE NEW WESTMINSTER
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ecojustice
Vancouver (Colombie-Britannique)
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Pour les demandeurs
|
Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie-Britannique)
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Pour le défendeur –
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,
|
Owen Bird Law Corporation
Three Bentall Centre
Vancouver (Colombie-Britannique)
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Pour la défenderesse –
ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER-FRASER
|
Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Avocats
Vancouver (Colombie-Britannique)
|
Pour la défenderesse –
FRASER SURREY DOCKS LIMITED PARTNERSHIP
|
Anthony Capuccinello
Ville de Surrey
Surrey (Colombie-Britannique)
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POUR L’INTERVENANTE
LA VILLE DE SURREY
|
Reece Harding
Young Anderson
Vancouver (Colombie-Britannique)
|
POUR L’INTERVENANTE
LA VILLE DE NEW WESTMINSTER
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