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Date : 20180118


Dossier : T-474-17

Référence : 2018 CF 49

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2018

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

ENTRE :

JOSEPH HUBERT FRANCIS

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Hubert Francis, est un Mi’kmaq de la collectivité de la Première nation Elsipogtog, au Nouveau-Brunswick. M. Francis s’est livré à la pêche à la crevette dans le golfe du Saint-Laurent, et affirme qu’il a le droit de le faire en vertu de droits issus de traités et de droits ancestraux, sans avoir obtenu au préalable un permis du ministère des Pêches et des Océans. À trois reprises en 2015, des fonctionnaires du ministère des Pêches et des Océans (MPO) sont montés à bord de son navire et ont confisqué ses prises non autorisées, c.-à-d. sans permis de pêche valide. Le demandeur et les membres d’équipage autochtones de son navire sont maintenant accusés d’avoir pêché sans autorisation en ce qui a trait aux deux derniers incidents, et font face à des poursuites par voie de procédure sommaire devant les tribunaux de la province de Québec, en vertu de la Loi sur les pêches.

[2]  M. Francis demande à la Cour de déclarer que les interdictions et les restrictions qui lui ont été imposées à la suite de ces confiscations et accusations constituent une atteinte injustifiable à ses droits issus de traités d’avoir accès aux ressources halieutiques et d’en faire le commerce afin de lui permettre d’en tirer un revenu raisonnable, ainsi qu’une atteinte injustifiable à son droit ancestral d’avoir accès aux ressources halieutiques et d’en faire le commerce. Il demande également à la Cour de déclarer que ce droit ancestral ne soit pas limité à la seule fin de tirer un revenu raisonnable.

[3]  M. Francis dépose la présente requête en vue d’obtenir une ordonnance provisoire enjoignant à la défenderesse de verser une provision pour frais conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanaga, 2003 CSC 71, sans quoi il ne serait pas en mesure de donner suite à la présente action.

[4]  De façon générale, les parties s’entendent sur le fait que le demandeur doit respecter certains critères avant que la Cour examine si l’intérêt de la justice serait servi par l’ordonnance recherchée. Ces critères ont été énoncés au paragraphe 40 de l’arrêt Okanagan (précité) de la façon suivante :

1.  La partie qui demande une provision pour frais n’a véritablement pas les moyens de payer les frais occasionnés par le litige et ne dispose réalistement d’aucune autre source de financement lui permettant de soumettre les questions en cause au tribunal — bref, elle serait incapable d’agir en justice sans l’ordonnance.

2.  La demande vaut prima facie d’être instruite, c’est‑à‑dire qu’elle paraît au moins suffisamment valable et, de ce fait, il serait contraire aux intérêts de la justice que le plaideur renonce à agir en justice parce qu’il n’en a pas les moyens financiers.

3.  Les questions soulevées dépassent le cadre des intérêts du plaideur, revêtent une importance pour le public et n’ont pas encore été tranchées.

[5]  Les parties ne sont pas d’accord sur la façon dont ces facteurs doivent être appliqués dans les circonstances de l’espèce, et sur la question de savoir si ces critères ont donc été respectés.

[6]  Plus précisément, bien que la défenderesse reconnaisse que le demandeur n’a véritablement pas les moyens de payer les frais occasionnés par le présent contentieux et qu’il ne disposerait pas des sources de financement lui permettant de soumettre les questions en cause au tribunal sans provision pour frais, elle soutient que d’autres options s’offrent réellement au demandeur pour lui permettre de subir son procès, notamment dans le cadre de la poursuite par voie de procédure sommaire en cours.

[7]  La défenderesse fait également valoir que le demandeur n’a pas établi l’existence d’une solide preuve prima facie pour les trois motifs suivants : la Cour suprême a déjà établi de façon irréfutable que la simple exigence d’un permis ne constitue pas une atteinte injustifiable aux droits ancestraux ou issus de traités; le demandeur n’a pas la qualité pour faire valoir ses droits ancestraux et issus de traités dans une action civile visant un jugement déclaratoire; l’action intentée par le demandeur constitue une contestation incidente inadmissible des accusations sommaires et de la décision de la collectivité de la Première nation Elsipogtog de ne pas lui accorder l’accès à la pêcherie en vertu de son permis communautaire.

[8]  La défenderesse soutient également qu’en raison de la jurisprudence antérieure voulant que la simple exigence d’être titulaire d’un permis ne constitue pas une atteinte injustifiable aux droits ancestraux, et parce que l’action du demandeur est limitée à ses propres circonstances, le troisième critère de l’arrêt Okanagan n’a pas été respecté.

[9]  Enfin, la défenderesse affirme que les arguments et les circonstances susmentionnés devraient également éclairer la Cour dans son examen de l’intérêt de la justice et lui permettre de conclure qu’il n’y aurait pas lieu de rendre une ordonnance de provision pour frais.

[10]  Pour les motifs exposés ci-après, je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que la poursuite par voie de procédure sommaire en cours constitue une autre option s’offrant réellement au demandeur pour lui permettre de soumettre les questions en cause à la Cour, que cette dernière peut et doit prendre en compte, et que le demandeur n’a pas exploré les autres options de financement possibles dans cette instance. Je suis également d’avis que le demandeur n’a pas établi une preuve prima facie qu’il a la qualité requise pour intenter la présente action.

[11]  En raison des conclusions énoncées ci-dessus, le demandeur ne respecte pas deux des trois critères requis pour que la Cour puisse envisager d’examiner la question de savoir si une ordonnance accordant une provision pour frais servirait l’intérêt de la justice, et sa requête est vouée à l’échec. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner ou de déterminer si les arguments avancés par le demandeur au soutien de son action valent prima facie d’être instruits, ou de me prononcer sur les autres arguments de la défenderesse, et je refuse de le faire.

I.  Une autre option s’offre-t-elle réellement au demandeur pour lui permettre de soumettre les questions en cause à la Cour?

[12]  Le demandeur a produit un dossier considérable pour démontrer qu’il n’a véritablement pas les moyens d’assumer les coûts très importants liés à la contestation des questions soulevées dans la présente instance. Il ressort également du dossier que le demandeur n’est pas admissible à l’aide juridique du Québec, du Nouveau-Brunswick ou de la Nouvelle-Écosse en ce qui a trait à l’action visant à obtenir un jugement déclaratoire. Enfin, il a été établi que M. Francis ainsi que d’autres personnes agissant en son nom ont examiné et tenté d’autres moyens de financer le présent contentieux, mais qu’ils n’ont réussi à obtenir que 10 000 $, montant nettement insuffisant.

[13]  Les éléments de preuve au dossier ne mentionnent pas que M. Francis est admissible à l’aide juridique du Québec ou du Nouveau-Brunswick pour se défendre dans le contexte de la poursuite par voie de procédure sommaire en cours intentée contre lui au Québec relativement aux accusations d’avoir pêché sans permis dans des eaux adjacentes à la province de Québec. Les éléments de preuve au dossier n’établissent pas que le demandeur, les membres d’équipage autochtones coaccusés ou des personnes agissant en leur nom ont tenté de recueillir des fonds pour assurer leur défense, y compris une défense commune fondée sur les droits issus de traités ou les droits ancestraux. Au contraire, certains éléments de preuve au dossier indiquent que la collectivité de la Première nation Elsipogtog a offert de venir en aide à la défense aux accusations sommaires. Il semble toutefois que M. Francis et les personnes qui l’aident dans le présent contentieux aient délibérément concentré leurs initiatives de financement sur le contentieux civil devant la Cour, acceptant de l’aide à l’égard de l’instance en matière criminelle au Québec, seulement dans la mesure où cette aide était nécessaire à la sauvegarde des droits de M. Francis.

[14]  L’ensemble de la preuve indique que M. Francis et ses conseillers avaient l’intention d’obtenir du financement ou, à défaut, d’obtenir une ordonnance de provision pour frais dans le but d’intenter une action visant à obtenir un jugement déclaratoire pour par la suite demander l’arrêt des procédures criminelles en attendant le règlement de cette affaire.

[15]  M. Francis n’a pas démontré ou même tenté de démontrer qu’il n’a véritablement pas accès à des ressources, et par conséquent, qu’il ne peut pas assumer le coût de sa défense à la poursuite par voie de procédure sommaire. Dans la mesure où les questions en cause qu’il souhaite soumettre à la Cour dans le présent contentieux peuvent être tranchées dans le cadre de ces autres procédures, il est alors clair qu’il ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombe d’établir qu’« [il] ne dispose réalistement d’aucune autre source de financement lui permettant de soumettre les questions en cause au tribunal ».

[16]  M. Francis soutient que cette approche interprète mal le premier volet du critère applicable à la provision pour frais. Il affirme que les mots « ne dispose réalistement d’aucune autre source de financement », employés au paragraphe 40 de l’arrêt Okanagan, se rapportent aux options de financement, et non aux options de contentieux. Les arguments de M. Francis portent principalement sur la dernière partie de la phrase, soit « – bref, elle serait incapable d’agir en justice sans l’ordonnance » et sur l’utilisation des mots « agir en justice », ce qui limite l’étendue de l’analyse aux « options [qui] s’offrent réellement » à l’égard du financement du procès auquel la requête pour obtenir du financement est présentée, sans examiner la disponibilité d’autres instances ou processus dans le cadre desquels les questions pourraient être réglées. À l’exception de l’interprétation textuelle de cette phrase tirée de l’arrêt Okanagan, l’argument de M. Francis repose sur le fait que la Cour suprême n’a pas mentionné la disponibilité d’autres instances sous la rubrique précise du manque de ressources dans les deux arrêts suivants : R. c. Caron, 2011 CSC 5 et Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2.

[17]  L’argument ne tient cependant pas compte du fait que la préoccupation qui motive une décision d’accorder une provision pour frais est qu’elle ne doit être utilisée qu’en dernier recours, avant que ne soit commise une injustice pour un plaideur et le public en général qui découlerait du défaut de régler adéquatement les questions d’importance publique. La Cour suprême a précisé que ces préoccupations doivent guider la Cour dans son analyse de l’ensemble des exigences du critère établi dans l’arrêt Okanagan, de même que dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (voir l’arrêt Little Sisters, au paragraphe 37). En outre, les motifs de la majorité dans l’arrêt Little Sisters réitèrent la façon dont ces principes généraux doivent façonner jusqu’à l’analyse du critère particulier relatif au manque de ressources :

71  L’exigence du manque de ressources prévue dans l’arrêt Okanagan signifie qu’une provision pour frais ne pourra être ordonnée que s’il s’avère impossible de procéder autrement. La provision pour frais ne saurait être utilisée comme une stratégie d’instance habile; elle constitue plutôt un dernier recours avant que soit commise une injustice pour un plaideur et pour le public en général.

[Non souligné dans l’original.]

[18]  Ce passage reprend les commentaires que la majorité avait déjà formulés au paragraphe 41, abordant plus précisément la disponibilité d’autres moyens ou instances pour trancher les questions en litige :

41  Troisièmement, aucune injustice ne sera créée s’il est possible de régler l’affaire en cause ou de tenir compte de l’intérêt public sans accorder une provision pour frais. Là encore, nous devons souligner que les ordonnances de provision pour frais ne sont indiquées qu’en dernier recours. Dans l’affaire Okanagan, les bandes avaient tenté, avant de solliciter une provision pour frais, de résoudre leurs différends en évitant purement et simplement la tenue d’un procès. De même, les tribunaux devraient vérifier si une autre affaire visant les mêmes fins est en instance et peut se dérouler sans qu’il soit nécessaire de rendre une ordonnance accordant une provision pour frais. Ils devraient aussi se garder de recourir à ces ordonnances de manière à encourager les litiges purement artificiels qui sont contraires à l’intérêt public.

[Non souligné dans l’original.]

[19]  Enfin, les circonstances de l’arrêt Caron étaient telles qu’il n’aurait pas été possible de proposer une autre instance au moment de la présentation de la requête pour obtenir du financement. Le fait que la Cour suprême n’a pas mentionné la disponibilité d’autres instances dans son analyse de la question du manque de ressources dans cette affaire est donc futile.

[20]  Il n’y a aucune raison que la Cour ne tienne pas compte, en examinant le critère de manque de ressources, de la possibilité que le demandeur puisse obtenir du financement pour lui permettre de soumettre les questions en cause devant une autre instance ou au moyen d’un processus différent.

[21]  Le demandeur soutient toutefois que la poursuite par voie de procédure sommaire est une procédure inadéquate et inappropriée pour trancher des questions dans le cadre de revendications de droits ancestraux. Cet argument trouve appui dans l’opinion incidente du juge LeBel dans ses motifs concordants rendus dans l’arrêt R. c. Marshall; R. c. Bernard, 2005 CSC 43, aux paragraphes 142 à 144. Il est également vrai que le juge Binnie, s’exprimant au nom de la majorité dans l’arrêt Caron, précité, a cité l’opinion incidente du juge LeBel : « [...] une poursuite devant une cour provinciale ne fournit généralement pas, sur le plan procédural, un cadre institutionnel efficace pour résoudre des litiges constitutionnels importants de la nature de celui en l’espèce [...] ». Les limites inhérentes à la capacité, dans le cadre de poursuites par voie de procédure sommaire, de tirer des conclusions générales sur les questions vastes et complexes en jeu lorsqu’il s’agit de trancher des droits et titres ancestraux ressortent également des nombreuses affaires dans lesquelles les droits ancestraux et les droits issus de traités pouvant être revendiqués par les Mi’kmaqs de la région de l’Atlantique, ont jusqu’ici, été progressivement déterminés.

[22]  Cela dit, ni ce fait ni la jurisprudence n’appuient la déclaration générale selon laquelle les procédures criminelles sont nécessairement, et dans toutes les circonstances, inappropriées ou inadéquates lorsqu’il s’agit de trancher des questions de droits ancestraux, y compris les questions que M. Francis souhaite soulever. Il convient également de rappeler que, dans la présente requête, M. Francis avait le fardeau d’établir chaque élément du critère de l’arrêt Okanagan. Si, prima facie, il existe un autre mode ou une autre instance pour obtenir un redressement, le demandeur a le fardeau d’établir pourquoi, dans les circonstances, ce mode ou cette instance n’est ni approprié ni adéquat.

[23]  M. Francis affirme que, depuis l’arrêt R. c. Marshall, [1999] 3 RCS 456, les poursuites par voie de procédure sommaire sont inadéquates ou inappropriées lorsqu’il s’agit de trancher des questions plus générales en matière de droits ancestraux et issus de traités, questions qu’il soulève dans la présente action, et de mettre fin à la confusion et à l’ambiguïté ayant entouré les droits conférés par les traités signés avec les collectivités Mi’kmaqs au XVIIIe siècle. Cette affirmation est toutefois contredite par la portée limitée des déclarations recherchées dans sa déclaration. M. Francis cherche à faire déclarer que les interdictions et les restrictions qui lui ont été imposées personnellement par suite des trois incidents précis décrits au paragraphe 1 des présents motifs constituent une atteinte injustifiable à ses propres droits ancestraux et issus de traités. Dans la mesure où une déclaration plus large est recherchée, ses propres droits ancestraux d’avoir accès aux ressources halieutiques et d’en faire le commerce ne sont pas limités au fait d’en tirer un revenu raisonnable. Cette dernière déclaration n’est cependant pas le point crucial de la présente action, et elle serait également susceptible d’être soulevée dans la défense de M. Francis aux accusations criminelles.

[24]  De plus, bien qu’il puisse être préférable que les apparences procédurales d’une action visant à obtenir un jugement déclaratoire devant la Cour fédérale servent à trancher les questions en litige soulevées par M. Francis plutôt que les questions soulevées dans la poursuite par voie de procédure sommaire, il n’a pas été établi que ces questions, dans la mesure où elles se rapportent à M. Francis, ne pourraient pas être tranchées de manière équitable, adéquate et sans qu’une injustice ne soit commise envers lui dans le cadre des procédures criminelles devant les tribunaux de la province de Québec. Les ordonnances de provision pour frais ne sont indiquées qu’en dernier recours, pour éviter une injustice. Elles ne peuvent pas être rendues simplement parce qu’elles constitueraient un mode « privilégié » servant à trancher les questions, lorsqu’un autre mode adéquat existe.

II.  Le demandeur a-t-il établi une preuve prima facie qu’il a la qualité requise pour intenter la présente action?

[25]  Même si les déclarations recherchées par M. Francis dans sa déclaration se limitent à ses propres droits, il reste que les droits qu’il revendique sont, de par leur nature, des droits collectifs détenus par les collectivités ou les communautés autochtones pertinentes, qu’il s’agisse de la Première nation Elsipogtog ou de la collectivité Mi’kmaq élargie. Par conséquent, ces droits ne peuvent être revendiqués dans le cadre d’une action civile ou d’une action visant à obtenir un jugement déclaratoire sans le soutien de la collectivité ou de la communauté qui détient ces droits :

50  [traduction] Le titre ancestral, les droits issus de traités et les droits ancestraux sont des droits détenus par le peuple autochtone qui se les partage, et ces droits ne peuvent pas être revendiqués par des membres de la collectivité. Pour reprendre les termes utilisés par le protonotaire Hargrave dans la décision Wahsatnow c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord Canadien) [2002] A.C.F. no 1665, 2002 CFPI 2012, en l’espèce, les revendications ne constituent pas un droit que les défendeurs peuvent revendiquer à titre personnel. Si le droit existe, il appartient à la bande, et seuls les représentants légitimes de la bande peuvent revendiquer ce droit dans le cadre d’une action collective.

51  Il existe une bonne raison à cela. Si, comme il est allégué dans la défense, la nation Tyendinaga Mohawk possède un titre ancestral sur les terres en question, toute action délictuelle pour intrusion sur ces terres devrait être exercée par les représentants autorisés de cette nation, et non par des particuliers pouvant ou non représenter sa volonté. Dans la décision Te Kiapilanoq v. British Columbia, 2008 BCSC 54, [2008] B.C.J. no 50, au paragraphe 25, le juge Parrett a déclaré ce qui suit :

[traduction] « Avec égards, je suis d’avis que le conseil élu représentant la nation des Squamish a la qualité de partie possédant le pouvoir inhérent à cette catégorie déterminée de personnes pouvant mener un dossier visant à trancher des questions en matière de droits ancestraux et de droits issus de traités. Le caractère collectif de ces droits exige une autorisation de la part des personnes qui sont, dans ce cas-ci, représentées collectivement par leur conseil élu.

52  Malgré l’évolution du droit autochtone, il est bien établi en droit que le titre ancestral et les droits ancestraux, comme ceux qui sont revendiqués dans la demande reconventionnelle, ne peuvent pas faire l’objet d’une action personnelle. Par conséquent, ces revendications sont rejetées.

Canadian National Railway Co. v Brant, 2009 OJ no 2661 (OSCJ).

[26]  Même si le demandeur a raison de dire que les droits ancestraux et les droits de pêche issus de traités sont susceptibles d’être exercés par des personnes comme lui, ces droits demeurent uniques; il s’agit de droits collectifs que des individus n’ont pas le droit de chercher à faire définir, reconnaître ou appliquer dans le cadre de procédures civiles, comme en l’espèce (voir, par exemple, R. c. Sundown, [1999] 1 RCS 393, aux paragraphes 35 et 36, Marshall, précité, au paragraphe 17; pour une analyse complète de la distinction entre les droits collectifs et les droits individuels, se reporter aux paragraphes 173 a 183 de la décision Papaschase Indian Band (Descendants of) v Canada (Attorney General), 2004 ABQB 655, confirmée par la Cour suprême dans l’arrêt [2008] 1 RCS 372). Des individus peuvent, sans l’appui de la collectivité qui possède les droits, revendiquer ces droits collectifs et les faire trancher, dans la mesure nécessaire, en défense à des procédures relatives à des infractions criminelles ou liées à la réglementation, mais ils ne peuvent pas invoquer ces droits comme fondement à une demande de détermination des droits (R v Chevrier, [1989] 1 CNLR 128, au paragraphe 24 (Cour de district de l’Ontario); Queackar-Komoyue Nation v British Columbia, 2006 BCSC 1517, au sous-paragraphe 34(3)).

[27]  M. Francis soutient que la présente action est différente, parce qu’elle fait manifestement partie de sa défense ou complète sa défense aux accusations criminelles, comme l’a indiqué le juge LeBel dans l’arrêt Marshall : « [...] lorsque des questions de titre aborigène ou d’autres revendications de droits ancestraux sont soulevées dans le cadre de procédures sommaires, il pourrait être plus avantageux, pour toutes les personnes concernées, de demander la suspension temporaire des accusations afin de permettre que la revendication autochtone soit régulièrement débattue devant les tribunaux civils » (paragraphe 144). M. Francis soutient que ce conseil serait illogique si le défendeur concerné par une poursuite criminelle n’avait pas la qualité pour intenter une action civile.

[28]  L’idée selon laquelle « toutes les personnes concernées » pourraient tirer profit du fait de diriger les revendications autochtones vers les tribunaux civils lorsque ces revendications sont soulevées dans le contexte de procédures criminelles, prise dans son contexte, présuppose la participation active de la collectivité et d’autres parties pouvant être intéressées par le règlement des questions. Le passage sur lequel M. Francis se fonde suit immédiatement la remarque suivante : « tous les intéressés devraient pouvoir participer » à un tel litige. Il convient de souligner qu’en l’espèce, rien ne prouve qu’une quelconque bande ou nation autochtone dont les droits collectifs sont revendiqués a appuyé l’action civile proposée par M. Francis, ou a manifesté de l’intérêt à participer à l’instance ou à chercher à faire trancher, de manière plus large, les questions soulevées dans les procédures criminelles.

[29]  Le fait de reconnaître à un individu le droit d’intenter et de poursuivre, sans l’appui de la collectivité pertinente, des actions civiles en revendication de droits ancestraux chaque fois qu’elles sont intentées « parallèlement » aux poursuites criminelles, aurait pour effet de se soustraire à des principes importants voulant que les meilleurs gardiens des droits ancestraux et des droits issus de traités soient les bandes ou les nations auxquels ces droits appartiennent. Cela aurait pour effet de faire fi de la nature unique de ces droits et de miner le pouvoir des représentants légitimes de la bande ou de la nation pertinente de décider quand et comment revendiquer ces droits.

[30]  Étant donné que M. Francis n’a pas la qualité pour intenter la présente action, le deuxième élément du critère de l’arrêt Okanagan, soit que la demande vaut prima facie d’être instruite, n’a pas été respecté.

[31]  J’ajouterais que, même si, comme l’a fait valoir M. Francis, sa qualité pour intenter l’action était défendable, son défaut de démontrer que ses efforts bénéficient du soutien des responsables et titulaires légitimes des droits revendiqués m’empêcherait de conclure que la protection de l’intérêt public exige qu’une ordonnance de provision pour frais soit rendue. Je ne saurais conclure que la situation est suffisamment sérieuse ou unique pour que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire d’accorder une telle mesure d’exception.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La requête du demandeur est rejetée et les dépens sont adjugés à la défenderesse.

« Mireille Tabib »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-474-17

 

INTITULÉ :

JOSEPH HUBERT FRANCIS c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 novembre 2017

 

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Michael Kennedy

Me Sarah J. Emery

Me Robert H. Pineo

 

Pour le demandeur

 

Me Reinhold M. Endres

Me Susan L. Inglis

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patterson Law

Avocats

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

Pour le demandeur

 

Me Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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