Dossier : IMM-52-17
Référence : 2017 CF 1073
[TRADUCTION FRANÇAISE]
St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 27 novembre 2017
En présence de madame la juge Heneghan
ENTRE :
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DAILING YUAN
JIANJUN LI
LEYI LI
LEQIONG LI
(AUSSI CONNUE SOUS LE NOM DE LEQING LI)
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
M. Dailing Yuan (le « demandeur »), son épouse Jianjun Li (la « demanderesse ») et leurs filles mineures Leyi Li et Leqiong Li, aussi connue sous le nom de Leqing Li, (collectivement, les « demandeurs ») demandent le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Par cette décision, rendue le 20 décembre 2016, la SAR a rejeté l’appel des demandeurs et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR), selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, conformément aux articles 96 et 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), respectivement.
[2]
Les demandeurs sont des citoyens de la Chine. Ils craignent la persécution sur la base de la stérilisation forcée après un avortement forcé, selon les politiques de planification familiale du gouvernement chinois.
[3]
La demanderesse a accouché de son premier enfant le 17 décembre 2009. Son deuxième enfant est né le 2 novembre 2011. Elle affirme être tombée enceinte une troisième fois malgré l’utilisation d’un dispositif intra-utérin (DIU). Elle a constaté qu’elle était enceinte à la fin de juin 2014 et son examen suivant pour le DIU était prévu pour septembre 2014. Craignant un avortement forcé, la demanderesse s’est cachée au domicile de l’oncle de son mari. Lorsqu’elle y a été trouvée quelques semaines plus tard par les autorités de planification familiale, elle a été amenée à l’hôpital et forcée de subir un avortement.
[4]
La SPR n’a pas cru le récit de la demanderesse et a tiré des conclusions négatives quant à sa crédibilité. Dans sa décision, la SAR a examiné les conclusions de la SPR et confirmé l’évaluation négative de la crédibilité. La SAR est même allée jusqu’à conclure que la demanderesse n’avait pas subi d’avortement forcé et que ni elle ni son mari ne risquaient de subir une stérilisation forcée.
[5]
Dans leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur en confirmant la décision de la SPR, notamment dans son traitement de la preuve psychologique produite, en confirmant l’évaluation négative de la crédibilité et en concluant de manière déraisonnable qu’il n’existait pas de risque prospectif de persécution.
[6]
La première question à traiter est celle de la norme de contrôle, en commençant par la première norme de contrôle, soit celle que la Cour doit appliquer aux décisions de la SAR.
[7]
La norme de contrôle applicable pour l’examen, par la Cour, d’une décision de la SAR est celle de la décision raisonnable; voir : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Huruglica (2016), 396 D.L.R. (4th) 527 (C.A.F.), au paragraphe 35.
[8]
Par conséquent, la Cour ne devrait pas intervenir si la décision de la SAR est intelligible, transparente, justifiable et appartient aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.
[9]
Je passe maintenant à la norme de contrôle applicable par la SAR dans le cadre de l’appel d’une décision de la SPR.
[10]
Lors du contrôle judiciaire d’une décision de la SAR, la cour de révision doit examiner la norme de contrôle appliquée par la SAR à la décision de la SPR. Dans l’arrêt Huruglica, précité, la Cour d’appel fédérale a dit ce qui suit au paragraphe 77 :
[...] Si je l’interprète en fonction du régime législatif et de ses objectifs, je ne trouve rien dans la LIPR qui justifie le recours à une norme du caractère raisonnable ou de l’erreur manifeste et dominante pour analyser les conclusions de fait, ou les conclusions mixtes de fait et de droit de la SPR.
[11]
À la lumière de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, précité, il n’y a habituellement que deux normes de contrôle, soit la norme de la décision raisonnable et celle de la décision correcte. Si la norme de la décision raisonnable ne s’applique pas, il ne reste que la norme de la décision correcte qui peut être appliquée par la SAR lors de son examen de certaines questions soumises à la SPR.
[12]
Au paragraphe 103 de l’arrêt Huruglica, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit :
Au terme de mon analyse des dispositions législatives, je conclus que, concernant les conclusions de fait (ainsi que les conclusions mixtes de fait et de droit) comme celle dont il est question ici, laquelle ne soulève pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix, la SAR doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. Ainsi, après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant. Après cette étape, la SAR peut statuer sur l’affaire de manière définitive, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en cassant celle-ci et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile.
[13]
À mon avis, le paragraphe précité indique que la SAR doit appliquer la norme de la décision correcte lorsqu’elle examine les décisions de la SPR qui ne soulèvent pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix. En l’espèce, c’est la crédibilité qui est la question déterminante. Il faut examiner ces conclusions en utilisant la norme de la décision raisonnable, comme il est mentionné plus haut.
[14]
J’ai examiné les dossiers de demande présentés par les parties, ainsi que l’affidavit de Dana Salmon, déposé par le défendeur. Une copie de la transcription de l’audience devant la SPR figure en pièce jointe à cet affidavit. Le demandeur et la demanderesse ont témoigné devant la SPR.
[15]
À mon avis, il était loisible à la SPR de tirer ses conclusions négatives au sujet de la crédibilité des demandeurs.
[16]
Selon la décision, la SAR a examiné l’enregistrement audio de l’audience devant la SPR. La décision de la SAR renvoie à plusieurs reprises à l’enregistrement audio.
[17]
La décision de la SAR établit avec soin les motifs pour lesquels elle a rejeté les arguments qui lui ont été présentés par les demandeurs.
[18]
Dans la présente instance, les demandeurs contestent les conclusions de la SAR et allèguent qu’elles ont été tirées sans tenir compte des éléments de preuve, et en particulier du rapport psychologique. Ils soutiennent aussi que la SAR n’a pas tenu compte du rapport d’échographie daté du 9 octobre 2014.
[19]
Le rapport a été commandé au nom de la demanderesse entre la première et la deuxième audience devant la SPR. L’idée maîtresse de ce rapport, préparé par un psychologue clinicien, est que la demanderesse souffre d’un trouble de stress post-traumatique et que son état peut affecter son aptitude à témoigner. Dans la mesure où la SPR a tiré des conclusions négatives sur la crédibilité, conclusions retenues par la SAR, ce rapport est pertinent à l’évaluation de crédibilité de la demanderesse et des observations en faveur des demandeurs ont été faites de ce point de vue.
[20]
Je ne suis pas convaincue que la SPR ou la SAR n’ont pas tenu compte de ces éléments de preuve.
[21]
Dans la mesure où la SPR a tenu compte de ce rapport dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse, elle avait le droit d’en évaluer la pertinence et le poids qui devait lui être accordé, et devait le faire.
[22]
Un rapport psychologique ne peut, en soi, remplacer le témoignage d’un témoin, incluant celui d’un demandeur, devant la SPR ou la SAR, selon le cas. Je citerai les remarques faites dans Khatun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2012] A.C.F. no 169, au paragraphe 94 :
En l’espèce, la demanderesse essaie de s’appuyer sur le rapport Pilowsky et sur le fait que la SPR n’en aurait pas tenu compte pour expliquer tant bien que mal toutes les conclusions défavorables concernant la crédibilité. Cependant, comme le défendeur l’a dit, aucun rapport psychologique ne pourrait agir comme panacée pour tous les défauts contenus dans la preuve de la demanderesse.
[23]
Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les arguments concernant le rapport d’échographie ne devraient pas être entendus. Ces observations n’ont pas été exposées dans le mémoire des faits et du droit. Elles n’ont pas été exposées devant la SAR. De toute façon, ni le rapport d’échographie ni les arguments n’abordent la question déterminante de la crédibilité.
[24]
Les demandeurs soumettent que la SAR a commis une erreur omettant de considérer la question des risques prospectifs.
[25]
À mon avis, la SAR n’était pas tenue de traiter cette question, en raison des conclusions négatives qu’il lui était loisible de tirer sur la crédibilité des demandeurs.
[26]
Par conséquent, n’ayant relevé aucune erreur susceptible de révision dans la décision de la SAR, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est à certifier.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, et aucune question n’est à certifier.
« E. Heneghan »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-52-17
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INTITULÉ :
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DAILING YUAN ET AUTRES c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 1er juin 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE HENEGHAN
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DATE DES MOTIFS :
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Le 27 novembre 2017
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COMPARUTIONS :
Michael Korman
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Pour les demandeurs
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Bridget O’Leary
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocats
Otis and Korman
Avocats
Toronto (Ontario)
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Pour les demandeurs
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Sous-procureur général du Canada
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Pour le défendeur
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