Date : 20180109
Dossier : T-629-17
Référence : 2018 CF 11
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2018
En présence de madame la juge McVeigh
ENTRE :
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LA NATION DÉNÉE DE BIRCH NARROWS, REPRÉSENTÉE PAR LE CHEF JONATHAN SYLVESTRE, LA NATION DÉNÉE DE BUFFALO RIVER, REPRÉSENTÉE PAR LA CHEF EILEEN MORRISON, LA PREMIÈRE NATION CRIE DE CANOE LAKE, REPRÉSENTÉE PAR LE CHEF FRANCIS IRON, LA NATION DÉNÉE DE CLEARWATER RIVER, REPRÉSENTÉE PAR LE CHEF TEDDY CLARKE, LA PREMIÈRE NATION DE ENGLISH RIVER, REPRÉSENTÉE PAR LE CHEF LAWRENCE MCINTYRE, LA PREMIÈRE NATION DE FLYING DUST, REPRÉSENTÉE PAR LE CHEF JEREMY NORMAN, LA PREMIÈRE NATION DE MINISTIKWAN, REPRÉSENTÉE PAR LE CHEF LESLIE CROOKEDNECK, LA PREMIÈRE NATION DE MAKWA SAHGAIEHCAN, REPRÉSENTÉE PAR LE CHEF RICHARD BEN
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demanderesses
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et
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SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU NORD CANADA, CHRIS RAINER, DIRECTEUR GÉNÉRAL, AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU NORD CANADA, DIRECTION GÉNÉRALE DE L’ÉDUCATION, ODETTE JOHNSTON, JEROME CARDIN-TREMBLAY, KIRBY KORCHINSKI, CAROLYN LEHRER
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défendeurs
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
Le 30 mars 2017, Affaires autochtones et du Nord Canada [le défendeur] a rencontré le conseil tribal de Meadow Lake [le demandeur] pour discuter de sa proposition relativement au financement de l’initiative Transformation (un programme qui procure des fonds aux conseils scolaires des Premières Nations et exige que ces conseils scolaires soient des personnes morales). Au cours des négociations, le défendeur a adopté la position selon laquelle, dans le but de s’assurer que le contrôle quotidien n’est pas assujetti à une ingérence politique, une majorité de chefs et de conseillers élus ne pouvait pas faire partie du conseil d’administration du demandeur. Par conséquent, le défendeur a mis fin aux négociations lorsque le demandeur a refusé de modifier ses règlements administratifs qui permettaient à une majorité de chefs et de conseillers de faire partie du conseil d’administration.
[2]
Lorsque les deux parties ont refusé de modifier leurs positions de négociation, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de trois affaires survenues lors des discussions du 30 mars 2017 : premièrement, le rejet par le défendeur des règlements administratifs proposés; deuxièmement, le refus par le défendeur de permettre que la majorité des administrateurs élus du conseil scolaire proposé se composent de chefs et de conseillers; et finalement, le refus par le défendeur de poursuivre les négociations jusqu’à ce que le demandeur modifie les règlements administratifs proposés.
[3]
Selon l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, une demande de contrôle judiciaire porte habituellement sur une seule question. Au terme de discussions au sujet de l’article 302, la seule question à l’égard de laquelle le demandeur demandait à la Cour un contrôle judiciaire est le fait que le défendeur interdisait qu’une majorité de dirigeants élus fassent partie des conseils d’administration.
[4]
Au début de l’audience, la Cour a donné au demandeur et au défendeur l’occasion d’envisager un mode substitutif de résolution des différends, mais le demandeur a préféré procéder à l’audience.
[5]
Étant donné que l’impasse dans les négociations n’est pas susceptible de recours judiciaire, je rejette la demande pour les motifs qui suivent.
II.
Résumé des faits
[6]
En 2011, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a publié un rapport qui traitait de l’éducation des Premières Nations [le rapport du Sénat de 2011]. Le rapport du Sénat de 2011 comporte des observations provenant de témoins et d’experts offrant des renseignements, idées et préoccupations sur la façon d’améliorer les systèmes d’éducation des Premières Nations. Lorsque le projet de loi C-33 (élaboré pour réformer les systèmes d’éducation actuels des Premières Nations au moyen de la Loi sur le contrôle par les premières nations de leurs systèmes d’éducation) a été mis en suspens en mai 2014, le défendeur a commencé à explorer d’autres façons de réformer les systèmes d’éducation des Premières Nations.
[7]
Dans le cadre de sa recherche sur les réformes, le défendeur a entrepris des discussions avec les Premières Nations intéressées. Le conseil tribal du demandeur, qui se composait de neuf membres de la Première Nation, était une partie intéressée. De nombreuses discussions ont eu lieu entre le défendeur et le demandeur.
[8]
En février 2016, le défendeur a reçu un nouveau mandat, intitulé l’initiative Transformation. L’objectif de cette initiative est de financer de nouvelles ententes en matière d’éducation qui mènent à la formation de conseils scolaires des Premières Nations. L’initiative Transformative vise à créer un financement stable qui, espère-t-on, mènera à des résultats souhaitables, notamment le recrutement et le maintien en poste amélioré d’enseignants. Les critères relatifs à l’initiative Transformation ne sont pas publiés et ils sont partiellement éclairés par le rapport du Sénat de 2011. Selon l’affidavit d’Odette Johnston, directrice de la Direction des partenariats régionaux, Direction générale de l’éducation, Secteur des programmes et des partenariats en matière d’éducation et de développement social pour le défendeur, [traduction]« [l]’un des critères exigés de l’initiative Transformation est que les responsables de l’éducation des Premières Nations soient des personnes morales dotées d’une gouvernance indépendante qui distingue les activités du processus décisionnel des organisations politiques ».
[9]
Au terme de discussions ultérieures, un rapport d’étape daté du 6 juillet 2016 a été publié. Ce rapport d’étape traitait des structures des conseils scolaires et indiquait que [traduction] « les communautés participantes nommeront un membre de leur communauté qui n’est pas titulaire d’une charge au poste de représentant de leur conseil scolaire ».
[10]
Le demandeur et le défendeur ont poursuivi les discussions sur la création d’une autorité chargée de l’éducation, soit Meadow Lake First Nation Education Authority Inc. Le défendeur a fait parvenir un courriel au demandeur le 28 juillet 2016 indiquant ce qui suit :
[traduction][…] Un conseil scolaire/une autorité chargée de l’éducation des Premières Nations correspondrait à une « personne morale et serait régi par un conseil d’administration qui se compose de membres des communautés qui font partie du conseil scolaire ou de l’autorité chargée de l’éducation, qui est doté de mécanismes qui assurent la reddition de comptes à leurs communautés ».
[11]
Le 24 août 2016, le demandeur a donné à un groupe le mandat de négocier avec le défendeur. Ce groupe (Education Transfer Working Group [ETWG]), se compose de quatre chefs du conseil tribal de Meadow Lake : le chef Lawrence McIntyre, le chef Jonathan Sylvestre, le chef Francis Iron, et le chef Richard Ben. En outre, trois experts-conseils en matière d’éducation et le directeur principal de l’éducation pour le conseil tribal de Meadow Lake travaillent pour l’ETWG.
[12]
Tout au long de l’automne de 2016, les discussions, notamment au sujet de la structure organisationnelle, se sont poursuivies.
[13]
Le 1er décembre 2016, le défendeur a fait parvenir un courriel au sujet de la structure de gouvernance (un sujet abordé plus en profondeur lors des réunions des 8 et 9 décembre 2016). Parmi d’autres questions qui ont été abordées, le courriel mentionnait ce qui suit :
[TRADUCTION]
Il n’existe aucun paramètre relativement à la personne que les communautés membres choisissent pour les représenter au conseil d’administration, c.-à-d. un chef, un conseiller, un directeur de l’éducation, un parent, etc. Cependant, si le conseil d’administration se composait majoritairement ou totalement de chefs et de conseillers, le conseil scolaire ou l’autorité chargée de l’éducation serait tenu d’offrir des conseils juridiques ou financiers quant à la façon dont cette entité satisfera aux critères de reddition de comptes comme l’exige l’Institut Canadien des Comptables Agréés.
[14]
En fonction de ces discussions, le demandeur a fait parvenir le 19 décembre 2016 une ébauche de proposition d’autorité chargée de l’éducation, y compris ses statuts constitutifs et ses règlements administratifs prévoyant un conseil d’administration composé de dix membres. Les règlements administratifs ordonnaient que seuls des chefs pouvaient combler deux postes au sein du conseil d’administration : la présidence du conseil et la vice-présidence du conseil. Selon ces règlements administratifs proposés, les autres postes pouvaient être comblés par différentes personnes, y compris mais sans s’y limiter, des chefs et des conseillers.
[15]
Les demandeurs ont par la suite présenté une ébauche d’un modèle de gouvernance au défendeur lors de réunions qui ont eu lieu les 16 et 17 janvier 2017. Après examen de ces documents, le défendeur a conclu que le projet de structure constituait un contrôle et a informé le demandeur que [traduction] « les chefs et conseillers des demandeurs des Premières Nations ne pouvaient pas former une majorité au sein du conseil d’administration, dans l’éventualité où une majorité des Premières Nations présentant des demandes choisissait qu’un chef ou un conseiller les représente au conseil d’administration ».
[16]
Le défendeur a fait part de ces préoccupations à plusieurs reprises : lors des réunions des 9 et 10 février 2017; dans un courriel du 10 mars 2017; et lors d’une conférence téléphonique le 24 mars 2017. Selon le demandeur, lors de la réunion du 9 février 2017, le défendeur a également dit que la décision selon laquelle les chefs ou conseillers ne pouvaient pas former une majorité du conseil d’administration se fondait sur un [traduction] « rapport d’expert ou des études indiquant que les personnes morales constituées d’une majorité de chefs au sein du conseil d’administration n’avaient pas connu de succès ».
[17]
Le 30 mars 2017, une autre réunion a eu lieu. Lors de cette réunion, le défendeur a dit qu’il n’approuverait pas la proposition relative à l’initiative Transformation du demandeur, parce que ses règlements administratifs permettaient qu’une majorité de chefs ou de conseillers fasse partie du conseil d’administration. Le défendeur a dit qu’il ne pouvait pas poursuivre les négociations, étant donné que cette structure de gouvernance ne respectait pas sa politique qui voulait qu’il y ait une distinction entre les activités quotidiennes et les organisations politiques (une politique fondée sur le rapport du Sénat de 2011). La position du défendeur était que pour avoir accès aux fonds provenant du programme de l’initiative Transformation, le demandeur devait modifier sa structure de gouvernance proposée de façon à ce que la majorité des membres du conseil ne puisse pas être constituée de chefs et de conseillers élus.
[18]
Le demandeur a refusé de modifier sa structure de gouvernance proposée et a déposé une demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision le 28 avril 2017. Le demandeur a demandé à la Cour d’annuler la décision du défendeur de ne pas permettre qu’une majorité de chefs ou de conseillers fasse partie du conseil d’administration de l’organisme proposé. Le demandeur a également demandé à la Cour une ordonnance visant à ce que le défendeur accepte la proposition qui permettrait que les représentants du conseil scolaire proposé non encore constitué en personne morale soient n’importe lesquels des membres suivants : des chefs, des conseillers, des parents, des experts en éducation, des membres des communautés des Premières Nations —, c’est-à-dire que le demandeur demande à la Cour d’ordonner qu’une majorité du conseil d’administration puisse se composer de chefs et de conseillers élus.
III.
Questions en litige
[19]
Les deux premières questions en litige ont été présentées par le demandeur et la dernière, par le défendeur, au paragraphe 55 de ses observations :
[TRADUCTION]
Savoir si le défendeur a commis une erreur de droit, ou a agi contrairement à la loi, en décidant d’interdire que les chefs ou conseillers du demandeur forment une majorité au sein du conseil d’administration de l’autorité chargée de l’éducation proposée de la Première Nation de Meadow Lake, contrairement aux droits du demandeur prévus au paragraphe 128(3) de la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, L.C. 2009, ch. 23 ou au paragraphe 93(3) de la Loi de 1995 sur les sociétés sans but lucratif, SS 1995, ch N-4,2.
Savoir si le défendeur a outrepassé sa compétence en décidant d’interdire aux chefs ou conseillers de former une majorité au sein du conseil d’administration de l’autorité chargée de l’éducation proposée de la Première Nation de Meadow Lake Inc., contrairement aux droits du demandeur prévus au paragraphe 128(3) de la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, L.C. 2009, ch. 23 ou à la Loi de 1995 sur les sociétés sans but lucratif, SS 1995, ch N-4,2.
Savoir si le défendeur a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, conformément à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.
A.
Question relative à la compétence ou à la justiciabilité
[20]
Avant que je puisse trancher une demande de contrôle judiciaire sur le fond, il faut répondre à des questions préliminaires. Je dois d’abord déterminer si l’objet est susceptible de recours judiciaire et si la Cour fédérale a compétence en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 [Loi sur les Cours fédérales]. J’ai demandé aux parties de présenter des arguments relativement à la présente question, avant de prendre en délibéré et d’entendre les arguments des parties sur le fond.
B.
Dispositions pertinentes
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 :
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L’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales prévoit qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée à l’égard d’une décision ou d’une ordonnance rendue par tout office fédéral. Pour déterminer si un décideur a agi à titre d’office fédéral, la Cour d’appel fédérale [CAF] a établi une analyse en deux étapes dans l’arrêt Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52, aux paragraphes 29 et 30 [arrêt Anisman] :
• Il est ainsi nécessaire en premier lieu pour un tribunal de déterminer « la nature de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer ».
• Deuxièmement, il y lieu de déterminer la source ou l’origine de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer ».
[22]
Récemment, la CAF a confirmé et appliqué le critère de l’arrêt Anisman dans l’affaire Pokue c. Nation innue, 2014 CAF 271, au paragraphe 11.
[23]
Le demandeur soutient que le défendeur a agi à titre d’office fédéral comme l’exige l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, et se fonde sur l’arrêt Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62 pour la proposition selon laquelle la définition d’office fédéral est large. Pour ce qui est de l’étape 1 du critère de l’arrêt Anisman, le demandeur soutient que le défendeur a exercé sa compétence sur l’éducation ou les écoles par rapport aux Autochtones. Pour ce qui est de l’étape 2 du critère de l’arrêt Anisman, le demandeur soutient que le défendeur a obtenu son pouvoir sur les écoles en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, aux articles 114 à 122. Plus particulièrement, le demandeur dit que le défendeur a exercé son pouvoir en application du paragraphe 114(2) de la Loi sur les Indiens pour « établir, diriger et entretenir des écoles pour les enfants indiens ».
[24]
La compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire se limite également aux « objets »
qui satisfont à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (Air Canada c. Administration Portuaire De Toronto Et Al, 2011 CAF 347, aux paragraphes 28 à 30 et 42). Le demandeur a soutenu que l’échec des négociations est un « objet »
au sens du paragraphe 18.1. À l’appui de son argument, le demandeur se fonde sur May c. CBC/Radio Canada, 2011 CAF 130 [May] et Krause c. Canada, [1999] 2 CF 476 (CAF). Dans l’arrêt May, la CAF a conclu que « [l]e terme “objet” inclut plus qu’une simple décision ou une ordonnance d’un office fédéral : il s’applique à toute question à l’égard de laquelle il est possible d’obtenir une réparation »
(au paragraphe 10).
[25]
Le demandeur soutient que, même si les politiques elles-mêmes ne sont pas assujetties à un contrôle judiciaire, l’application d’une politique est un objet susceptible de contrôle judiciaire. Par conséquent, le demandeur soutient que la Cour peut déterminer si l’objet, qu’il décrit comme étant l’application d’une politique, est raisonnable.
[26]
Je conviens, tout comme les parties, que la Cour peut procéder à un contrôle judiciaire de l’application d’une politique, à la condition que l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales soit satisfait (Timberwest Forest Corp c. Canada, 2007 CF 148, au paragraphe 92, conf. par 2007 CAF 389). Par contre, je ne suis pas d’accord pour dire que la décision à l’égard de laquelle on demande à la Cour de procéder à un contrôle judiciaire en l’espèce concerne l’application d’une politique. Je considère l’objet à l’égard duquel on me demande de procéder à un contrôle judiciaire comme une négociation dans une impasse. Chaque partie a adopté une position qui a entraîné l’arrêt de la négociation. Pour l’instant, chaque partie demeure retranchée sur sa position.
[27]
La question de savoir si la Cour devrait exercer sa compétence et procéder à un contrôle judiciaire de l’impasse dans les négociations constitue une question de justiciabilité. Les objets ne sont pas tous justiciables. Par exemple, la CAF a abordé la question de justiciabilité dans Première Nation des Hupacasath c. Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2015 CAF 4, aux paragraphes 59 à 70 [Hupacasath]. Dans Hupacasath, le Canada avait conclu un accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers avec la République populaire de Chine. Au moment d’examiner si la Cour fédérale devrait procéder à un contrôle judiciaire des décisions du Canada de conclure des ententes et des traités à l’échelle internationale, le juge Stratas a confirmé que les exceptions quant à ce qui n’est pas justiciable sont très étroites :
62 Le caractère justiciable, parfois désigné l’« objection fondée sur des questions de politique », a trait à la capacité d’une cour d’examiner une question qui lui est soumise et à l’opportunité d’un tel examen. Certaines questions sont de nature si politique que les cours de justice sont incapables d’en traiter ou sont mal placées pour le faire, ou ne devraient pas les examiner eu égard à la ligne de démarcation traditionnelle à respecter entre les pouvoirs des tribunaux et des autres branches de l’État.
63 Pour savoir si la question dont la Cour est saisie est justiciable, la question de la source du pouvoir du gouvernement[.]
[…]
66 [...] Dans de rares cas, toutefois, les exercices du pouvoir exécutif s’appuient sur des considérations idéologiques, politiques, culturelles, sociales, morales et historiques qui ne peuvent être soumises au processus judiciaire ou qui ne se prêtent pas à l’analyse judiciaire. Dans ces rares cas, évaluer si l’action de l’exécutif appartient aux issues acceptables et justifiables dépasse les capacités des cours et est hors de leur compétence, les faisant s’écarter du rôle qui leur est dévolu en vertu du principe de la séparation des pouvoirs. Par exemple, il est difficile d’imaginer le contrôle par une cour, en temps de guerre, de la décision stratégique d’un général de déployer des forces militaires d’une manière donnée.
[Non souligné dans l’original.]
[28]
Le demandeur a dissimulé le présent contrôle judiciaire sous la forme d’un différend juridique, alors qu’il s’agit en réalité d’un différend politique. Les positions de négociation des parties indiquent qu’il s’agit vraiment d’un différend politique. Par exemple, la position du défendeur, fondée sur des audiences du Sénat, est que le conseil d’administration doit être complètement distinct de la politique et, par conséquent, ne peut pas se composer à majorité de dirigeants politiques (élus). La position de négociation du demandeur est que le défendeur devrait permettre à des chefs et à des conseillers élus de former une majorité dans la composition du conseil. Étant donné que le mandat du défendeur est que la constitution en personne morale du conseil scolaire doit être exempte de toute ingérence politique, sa position est donc que la proposition du demandeur (qui permet la possibilité d’une majorité de chefs et de conseillers au sein du conseil) est inacceptable.
[29]
Le demandeur dit que la décision du défendeur de mettre un terme aux négociations n’est pas raisonnable, étant donné qu’il s’agit d’une application déraisonnable d’une politique visant à interdire aux chefs et conseillers de faire partie du conseil. Le demandeur dit également qu’il est déraisonnable pour le défendeur de ne pas accepter la proposition telle qu’elle est rédigée, parce que la proposition du demandeur sépare effectivement les opérations quotidiennes.
[30]
Je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire relève de l’exception exposée dans Hupacasath étant donné qu’elle est « de nature si politique que les cours de justice sont incapables d’en traiter ou sont mal placées pour le faire, ou ne devraient pas les examiner eu égard à la ligne de démarcation traditionnelle à respecter entre les pouvoirs des tribunaux et des autres branches de l’État ».
Je suis saisie de l’un des rares cas où « les exercices du pouvoir exécutif s’appuient sur des considérations idéologiques, politiques, culturelles, sociales, morales et historiques qui ne peuvent être soumises au processus judiciaire ou qui ne se prêtent pas à l’analyse judiciaire ».
Encore une fois, cet « objet »
dont je suis saisie est une impasse dans des négociations qui peut encore être résolue (ou peut-être pas).
[31]
En outre, l’objet est inapproprié dans le cas du contrôle judiciaire, parce que l’on n’a pas donné au judiciaire l’accès à tous les renseignements dont disposent les acteurs politiques concernant leurs positions politiques respectives dans le cadre de la négociation. La Cour n’a aucun rôle de supervision à jouer quant aux aspects politiques de la négociation entreprise par les parties. De plus, la réparation recherchée par le demandeur ne peut être obtenue que par une évaluation et des actions politiques en vue d’une résolution d’une façon ou d’une autre.
[32]
Le fait de ne pas accepter la compétence pour entendre cet objet constitue une utilisation appropriée de la retenue judiciaire. Il ne présente pas un aspect suffisamment juridique pour le rendre justiciable. L’impasse dans les négociations n’est pas une question qui doit être tranchée ou résolue par le processus judiciaire.
[33]
Il n’est pas nécessaire que je fasse tout l’exercice de savoir si l’objet relève de la compétence de la Cour fédérale, puisque qu’il n’est pas justiciable, et la Cour n’exercera pas sa compétence.
[34]
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[35]
Aucune des parties n’a demandé des dépens et aucuns dépens ne sont accordés.
JUGEMENT dans le dossier T-629-17
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucuns dépens ne sont accordés.
« Glennys L. McVeigh »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-629-17
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INTITULÉ :
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LA NATION DÉNÉE DE BIRCH NARROWS ET AL. c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU NORD CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Saskatoon (Saskatchewan)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 19 décembre 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE MCVEIGH
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DATE DES MOTIFS :
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Le 9 janvier 2018
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COMPARUTIONS :
Carl M. Nahachewsky
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Pour le demandeur
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Karen Jones
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Pour les défendeurs
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nahachewsky Law Office
Prince Albert (Saskatchewan)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Saskatoon (Saskatchewan)
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Pour les défendeurs
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