Dossiers : IMM-2977-17
Référence : 2017 CF 1131
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 11 décembre 2017
En présence de monsieur le juge Diner
ENTRE :
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CONSEIL CANADIEN POUR LES RÉFUGIÉS
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AMNISTIE INTERNATIONALE
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CONSEIL CANADIEN DES ÉGLISES
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ABC
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DE (REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE)
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ET FG (REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE)
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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défendeurs
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ORDONNANCE ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
Les défendeurs déposent la présente requête en vue d’une décision définitive concernant la question de savoir si le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR), Amnistie internationale (Amnistie) et le Conseil canadien des Églises (CCE – appelés collectivement les « organisations »), répondent au critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public. Après avoir examiné les observations des parties et le droit, j’ai décidé que (i) la question concernant la qualité pour agir dans l’intérêt public doit être tranchée de manière définitive maintenant, à ce stade précoce de l’instance et que (ii) les organisations répondent au critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public.
II.
Contexte
[2]
La présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (demande) a été déposée par les organisations et une mère et ses deux enfants salvadoriens (famille), dont les noms sont protégés en application d’une ordonnance de confidentialité.
[3]
La demande vise l’autorisation de demander un contrôle judiciaire de la décision du 5 juillet 2017 d’un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) qui a conclu que la demande d’asile de la famille était irrecevable aux fins de renvoi à la Section de la protection des réfugiés (SPR), en application de l’alinéa 101(1)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) et de l’article 159.3 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement). La demande conteste la constitutionnalité de ces dispositions et la désignation continue des États-Unis en tant que « pays tiers sûr »
(PTS), en vertu de la LIPR et du Règlement.
[4]
Au moyen d’une ordonnance datée du 6 juillet 2017, la juge McDonald a suspendu le retour de la famille aux États-Unis en attendant l’issue de la présente demande. Toutefois, une décision relative à l’autorisation n’a pas encore été prise puisque les défendeurs ont déposé la présente requête avant la mise en état de la demande.
[5]
Deux autres demandes de contrôle judiciaire ont été déposées contre les défendeurs, lesquelles contestent elles aussi la constitutionnalité des dispositions en matière de PTS à l’égard des États-Unis. La première, IMM-775-17, dont l’autorisation a été accordée le 25 juillet 2017, concerne quatre demandeurs, soit Mohammad Majd Maher Homsi et ses trois enfants [Homsi]. L’autorisation a été accordée dans la deuxième demande, IMM-2229-17, déposée par Nedira Jemal Mustefa, le 11 décembre 2017 [Mustefa]. Une décision quant à une demande de regrouper ces deux instances et la présente demande a été reportée jusqu’à ce que la présente demande d’autorisation soit tranchée.
[6]
Mustefa, Homsi et la présente demande ne sont pas la première contestation de la constitutionnalité du PTS, prévu à la LIPR et au Règlement : les organisations elles-mêmes l’ont contestée avec succès, il y a plus de dix ans, dans Conseil canadien pour les réfugiés c Canada, 2007 CF 1262 [CCR (CF)], dans laquelle le juge Phelan leur a accordé la qualité pour agir dans l’intérêt public. Toutefois, CCR (CF) a été infirmée lorsque la Cour d’appel fédérale (CAF) a conclu qu’il n’y avait [traduction] « aucun fait justifiant »
la contestation constitutionnelle. La CAF a décidé qu’un tel fondement devait être présenté par un réfugié afin d’assurer le « contexte factuel approprié »
(Canada c Conseil canadien pour les réfugiés, 2008 CAF 229, aux paragraphes 101 à 103 [CCR (CAF)], autorisation d’appel refusée, 2009 CarswellNat 3778 (WL Can)].
[7]
Ces deux affaires, tranchées il y a presque une décennie, demeurent importantes parce que les mêmes organisations affirment, encore une fois, avoir qualité pour agir dans l’intérêt public dans l’espèce, ce qui soulève essentiellement les mêmes contestations constitutionnelles. En conséquence, le raisonnement de la CAF dans CCR (CAF) a une certaine incidence sur la question actuelle concernant la qualité pour agir dans l’intérêt public, tel que cela sera discuté davantage ci-dessous.
III.
Discussion
A.
Quelle est la nature de la présente requête?
[8]
Les défendeurs ont, à cette étape préliminaire de la demande, déposé une requête en vue d’obtenir une ordonnance « radiant »
les organisations en tant que parties. Selon l’argument sous-jacent, les organisations ne répondent pas au critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public.
[9]
Il ne faut pas oublier que la présente demande a été déposée en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 (Loi). En application du paragraphe 18.4(1) de la Loi, la Cour fédérale statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes qui lui sont présentées dans le cadre de l’article 18.1. Les décisions préliminaires sont déconseillées (YZ c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 892, au paragraphe 37 [YZ]).
[10]
En d’autres termes, le type de réparation demandé par les défendeurs est rarement examiné par la Cour. Pour ce motif, je dois être clair en ce qui concerne la nature de la requête des défendeurs puisqu’elle aura une incidence sur les autorisations accordées, le fardeau de la preuve applicable, les normes juridiques à respecter et le caractère définitif de toute décision rendue. À cette fin, je fournirai d’abord le contexte procédural de la présente requête et mon analyse de la compétence de la Cour de l’examiner à ce stade de la demande.
1)
Le contexte procédural de la présente requête
[11]
Par voie d’avis de requête déposé le 5 septembre 2017, les défendeurs ont demandé, en application des articles 367 et 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (Règles), ainsi que du paragraphe 18.1(1) de la Loi, en vue d’obtenir une ordonnance « radiant »
les organisations en tant que parties parce qu’elles étaient [traduction] « censées être des demanderesses à tort »
. Les défendeurs soutiennent que les organisations ne répondent pas au critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public et ont affirmé qu’elles avaient revendiqué à tort cette qualité dans l’avis de demande avec la famille, plutôt que d’avoir d’abord demandé à la Cour de reconnaître leur qualité d’agir.
[12]
Même si les organisations ont soutenu, en réponse, qu’elles répondaient au critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public, elles se sont opposées à la requête des défendeurs au motif qu’elle était prématurée et déposée par écrit. En ce qui concerne les allégations d’irrégularité des défendeurs, les organisations ont invoqué la décision de la Cour dans YZ, en soutenant que les parties qui défendent l’intérêt public n’ont pas à prouver la qualité d’agir à titre préliminaire.
[13]
À la suite d’une conférence de gestion de l’instance avec les parties, j’ai ordonné l’audition de la requête et j’ai invité les parties à présenter d’autres observations sur la compétence de la Cour de « radier »
les organisations pour défaut de qualité pour agir à ce stade, y compris la question de savoir si l’article 221 des Règles et sa jurisprudence connexe étaient pertinents.
[14]
L’article 221 des Règles, intitulé « Requête en radiation »
permet à la Cour de radier un acte de procédure ou rejeter une action où, par exemple, il ne révèle aucune cause d’action valable. Le critère applicable à une telle requête est celui de savoir s’il est « évident et manifeste »
que l’action n’a aucune possibilité d’être accueillie (R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, aux paragraphes 17 et 22). Même si l’article 221 des Règles ne s’applique pas directement aux demandes, la Cour peut, par analogie à l’article 221 des Règles et en application de son pouvoir absolu de contrôler sa propre procédure, radier ou rejeter une demande si elle est « manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie »
(David Bull Laboratories [Canada] Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 CF 588 [CAF], à la page 600 [David Bull]; Canada [Revenu national] c JP Morgan Asset Management [Canada] Inc, 2013 CAF 250 [JP Morgan], aux paragraphes 47 et 48; Windsor [City] c Canadian Transit Co, 2016 CSC 54, au paragraphe 72 [Windsor]). L’expression « évident et manifeste »
demeure donc utile aux fins des requêtes en radiation des demandes (Apotex Inc c Canada [Gouverneur en conseil], 2007 CAF 374, au paragraphe 16 [Apotex]; Windsor, aux paragraphes 24 et 72).
[15]
Dans leurs autres observations écrites, les défendeurs ont soutenu que leur requête ne constituait pas une requête en radiation sous l’égide de l’article 221 des Règles, mais plutôt une requête en vue de radier les organisations en tant que parties, en application de l’article 369 des Règles et du paragraphe 18.1(1) de la Loi. Les défendeurs ont également invoqué le pouvoir inhérent de la Cour de contrôler sa procédure, ainsi que l’alinéa 104(1)a) des Règles, selon lequel la Cour peut mettre hors cause une personne constituée erronément comme partie ou une partie dont la présence n’est pas nécessaire aux fins de la procédure (Sakibayeva c Canada [Citoyenneté et Immigration], 2007 CF 1045 [au paragraphe 5] [Sakibayeva]).
[16]
D’autre part, les organisations ont fait valoir que ni l’alinéa 104(1)a) des Règles ni Sakibayeva n’étaient utiles. Au contraire, elles ont décrit la demande des défendeurs comme une « requête en radiation »
régie par la jurisprudence de la CAF dans JP Morgan et Apotex, qui suivent David Bull. En général, comme je l’expliquerai davantage ci-dessous, la jurisprudence fondée sur David Bull établit un niveau élevé pour toute décision préliminaire concernant une demande, y compris pour cause de défaut de qualité pour agir.
[17]
Je remarque que, dans leurs observations écrites initiales, les défendeurs ont invoqué David Bull et ont renvoyé la Cour à plusieurs autres décisions – y compris Klippenstein c Canada, 2014 CAF 216 – qui porte sur les requêtes en radiation déposées en application de l’article 221 des Règles. Toutefois, dans leurs autres observations écrites et à l’audience, les défendeurs se sont efforcés de distancier la requête de la jurisprudence fondée sur David Bull et de la situer plutôt sous le régime de l’alinéa 104(1)a), même s’ils n’ont fourni à la Cour aucune jurisprudence qui portait directement sur une décision préliminaire en matière de qualité pour agir dans l’intérêt public en application de l’alinéa 104(1)a) des Règles, malgré le fait d’avoir été interrogé quant à l’existence d’une telle jurisprudence pendant l’audience.
[18]
En fin de compte, je ne suis pas convaincu que l’alinéa 104(1)a) des Règles permette à la Cour de simplement écarter la jurisprudence fondée sur David Bull portant sur les décisions préliminaires en matière de qualité pour agir au cours de demandes de contrôle judiciaire, décisions que j’examine maintenant.
2)
Décisions en matière de qualité d’agir dans le cadre de demandes
[19]
Une partie peut affirmer avoir qualité d’agir dans l’intérêt public en se désignant comme demanderesse dans un avis de demande. Cependant, les défendeurs ont fait valoir que la Cour devrait décourager les organisations d’intérêt public de le faire en soutenant que la qualité pour agir dans l’intérêt public est [traduction] « tout à fait hors de propos »
en l’absence d’une requête.
[20]
La Cour a tranché des arguments semblables dans YZ, où la demande a été déposée par une personne qui était directement touchée par la décision, ainsi que par l’Association canadienne des avocats et des avocates en droit des réfugiés (ACAADR), qui a affirmé une qualité pour agir dans l’intérêt public dans l’avis de demande. Le juge Boswell a conclu, au paragraphe 37 de YZ, qu’aucune règle n’exige qu’une partie prouve sa qualité pour agir dans l’intérêt public au moyen d’une requête préliminaire et qu’une telle règle soit contraire aux indications données par la Cour suprême du Canada dans Finlay c Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 RCS 607 (CSC), qui enseigne qu’il n’est pas toujours approprié de statuer sur la qualité pour agir à titre préliminaire.
[21]
En conséquence, une partie peut soutenir qu’elle a qualité pour agir lorsqu’une demande est entreprise et elle n’est pas tenue de la demander au moyen d’une requête préliminaire. Dans de tels cas, la qualité d’une partie pour présenter la demande sera habituellement examinée à l’audience sur le fond. C’est ce qui s’est produit, par exemple, dans les deux affaires CCR (CF) et YZ, et cela est conforme à la politique exigée par le paragraphe 18.4(1) de la Loi, à savoir que les actions doivent être entendues sommairement. Néanmoins, lorsque la qualité pour agir dans l’intérêt public est affirmée dans l’avis de demande, la Cour peut également trancher la question de qualité pour agir au moyen d’une requête préliminaire, soit à l’aide de : a) une « requête en radiation »
ou b) une « décision préliminaire sur une question de droit »
(Apotex, aux paragraphes 11 et 24).
a)
Requête en radiation pour défaut de qualité pour agir
[22]
La partie qui présente une requête en radiation pour défaut de qualité pour agir a le fardeau de la preuve (Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada c Canada, 2008 CF 146, au paragraphe 13, infirmée pour d’autres motifs dans 2008 CF 732 [B’Nai Brith (CF)]). Le critère à appliquer à une telle requête est celui de savoir s’il est « évident et manifeste »
que la demande de contrôle judiciaire « n’a aucune chance de succès »
parce que la partie contestée n’a pas qualité pour agir (Apotex, au paragraphe 11, cité récemment dans Arctos Holdings Inc c Canada [Procureur général], 2017 CF 553, au paragraphe 46 [Arctos]). Si la réponse à cette question est « oui »
, la requête doit alors être accueillie et la demande rejetée ou la partie n’ayant pas qualité pour agir est radiée. Une telle conclusion ne peut être tirée que dans des cas exceptionnels (Arctos, au paragraphe 45).
[23]
Si, d’autre part, il n’est pas évident et manifeste que la partie n’a pas qualité pour agir, alors la requête en radiation est rejetée. Dans ce cas, la question liée à la qualité pour agir n’est pas réellement tranchée, mais il revient plutôt au juge qui entendra la demande de la trancher (Arctos, au paragraphe 75; Apotex, au paragraphe 24).
b)
Décision sur la qualité pour agir dans une requête préliminaire
[24]
La jurisprudence enseigne également que la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher complètement et définitivement la question liée à la qualité pour agir dans une requête préliminaire, c’est-à-dire, avant l’audition de la demande. Dans de tels cas, la Cour doit être convaincue que la décision à l’étape préliminaire est appropriée; sinon, la question devrait être réglée en même temps que l’on statue sur le fond de la demande (Apotex, au paragraphe 13). Le pouvoir discrétionnaire pour rendre une décision sur la qualité pour agir à un stade préliminaire de la procédure doit être exercé expressément, mais avec modération (Apotex, aux paragraphes 13 et 14). Enfin, la considération essentielle est encore une fois que les demandes de contrôle judiciaire devraient être réglées sommairement et ne doivent pas être encombrées par des requêtes interlocutoires (JP Morgan, aux paragraphes 47 et 48).
[25]
Dans leurs documents de requête, les défendeurs demandent la « radiation »
des organisations en tant que partie et ils invoquent, en partie, un certain nombre de décisions qui ont suivi David Bull et qui portent sur l’article 221 des Règles. Toutefois, il s’est vite avéré à l’audition de la présente requête que les défendeurs demandaient réellement à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher de manière définitive la question concernant la qualité pour agir dans l’intérêt public à cette étape préliminaire de la demande.
[26]
Le désir des défendeurs de trancher la question concernant la qualité pour agir dans cette procédure est compréhensible. Ils ont invoqué la jurisprudence suggérant que des contestations au stade avancé concernant la qualité pour agir indique un manque de diligence de la partie requérante et qu’il est difficile de [traduction] « débrouiller les œufs »
avant une audience lorsque l’affaire s’est déroulée avec la participation de toutes les parties en soutenant avoir la qualité pour agir (ordonnance de la protonotaire datée du 15 janvier 2015 dans IMM-3700-13 et IMM-5940-14, au paragraphe 4, à la page 24 du dossier de requête des défendeurs; voir également Odynsky c Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada, 2009 CAF 82, aux paragraphes 8 à 10).
[27]
Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que la question concernant la qualité pour agir des organisations peut et doit être tranchée de manière définitive maintenant plutôt qu’à un moment donné ou, effectivement à l’audience même, si l’autorisation est accordée.
[28]
Après avoir examiné le dossier de preuve considérable et les nombreuses observations écrites et orales des parties, je ne prévois aucun motif pertinent relatif au critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public qui serait mieux examiné à l’audience (voir Sierra Club du Canada c Canada [Ministre des Finances], [1992] 2 CF 211, au paragraphe 25, extrait cité dans Apotex, au paragraphe 13). En d’autres termes, la Cour dispose maintenant de tous les renseignements dont elle a besoin pour trancher de manière définitive la question de savoir si les organisations devraient se voir accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public (voir Canwest Mediaworks Inc c Canada [Procureur général], 2008 CAF 207, au paragraphe 10).
[29]
En outre, dans les circonstances particulières de la présente demande, une décision définitive sur la qualité pour agir dans l’intérêt public à ce stade précoce permettra de s’assurer que la demande se déroulera sans délai, conformément à l’exigence prévue au paragraphe 18.4(1) de la Loi. Cela contribuera également à favoriser l’objectif de l’article 3 des Règles, en permettant d’apporter une solution au litige qui est la plus expéditive et économique possible.
[30]
Par conséquent, il reste à décider si les organisations, à qui incombe maintenant le fardeau de la preuve, satisfont au critère de la « qualité pour agir dans l’intérêt public »
.
B.
Les organisations devraient-elles se voir accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public?
[31]
Au cœur de la question dont la Cour est saisie est la question de savoir si les organisations devraient se voir accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public. Si la réponse est « oui »
, elles sont donc des parties appropriées à la demande à l’avenir et je dois rejeter la réparation demandée par les défendeurs.
[32]
Le paragraphe 18.1(1) de la Loi indique qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par « quiconque est directement touché par l’objet de la demande »
, ce qui inclut les parties ayant la qualité pour agir dans l’intérêt public (YZ, au paragraphe 36).
[33]
Toutefois, les défendeurs demandent à la Cour de tenir compte des assises de la doctrine visant à limiter la qualité à ceux qui sont directement touchés par une procédure. Ils soutiennent qu’une telle limitation affine le débat devant la Cour parce que le fait d’avoir un intérêt personnel permet de s’assurer que les arguments seront présentés de manière complète et diligente. Ils font valoir, en outre, que l’ajout de parties qui ne sont pas nécessaires ajoute des frais et des inconvénients sans aucun avantage correspondant et ne permet pas de respecter le principe de conserver les ressources judiciaires. En fonction de ce contexte général, les défendeurs soutiennent que les organisations ne satisfont pas au critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public.
[34]
La CSC a élaboré un critère à trois volets pour trancher les questions concernant la qualité pour agir dans l’intérêt public, peaufiné dans Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, aux paragraphes 37 [Downtown Eastside]. Pour satisfaire à ce critère, les organisations doivent démontrer 1) qu’une question justiciable sérieuse est soulevée; 2) qu’elle a un intérêt réel ou véritable envers cette question; et 3) que la demande proposée constitue un moyen raisonnable et efficace de porter cette question devant la Cour.
[35]
La qualité pour agir dans l’intérêt public doit être appréciée de façon souple, libérale et généreuse, au regard des objectifs d’instaurer des restrictions quant à la qualité pour agir, comme cela est confirmé dans Manitoba Metis Federation Inc c Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, au paragraphe 43 [Manitoba Metis]. Cette approche constitue la norme d’interprétation depuis au moins Conseil canadien des Églises c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 RCS 236 (CSC) (à la page 253) [Conseil canadien des Églises] et elle a été élargie dans Downtown Eastside et Manitoba Metis.
[36]
En tenant compte de ces principes et pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec les organisations pour dire 1) qu’une question justiciable sérieuse est soulevée, 2) qu’elles ont un intérêt réel ou véritable dans l’issue de cette question, et 3) que leur participation en tant que parties contribuera de manière importante à un litige raisonnable et efficace.
[37]
Les défendeurs ne reconnaissent ni ne contestent vigoureusement que les organisations ont satisfait au premier des deux volets du critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public. Comme cela est expliqué ci-dessous, le nœud de la présente décision consiste donc à savoir si la demande, avec la participation des organisations, constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la contestation des dispositions en matière de PTS du Canada à l’égard des États-Unis à la Cour. En conséquence, je n’examinerai que brièvement les deux premiers volets du critère avant de passer au troisième, qui est la question principale.
1)
La demande soulève-t-elle une question justiciable sérieuse?
[38]
Afin de répondre au premier volet du critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public, je dois être convaincu que la demande soulève une « question justiciable sérieuse »
, sans me livrer à un « examen en profondeur »
du bien-fondé (Downtown Eastside, au paragraphe 56). La question soulevée doit être appréciée de façon pragmatique afin de s’assurer qu’elle est « importante »
et « loin d’être futile »
(Downtown Eastside, aux paragraphes 54 à 56).
[39]
Dans leurs observations écrites, les organisations résument les questions soulevées dans la demande comme suit :
a) L’article 159.3 du Règlement est-il ultra vires ou par ailleurs illégal parce que la désignation des États-Unis d’Amérique n’est pas et/ou n’était pas, au moment de la décision, conforme à l’alinéa 102(1)a) et aux paragraphes 102(2) et (3) de la LIPR?
b) L’article 159.3 du Règlement est-il incompatible avec les obligations internationales du Canada en vertu de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et de la Convention contre la torture?
c) L’article 159.3 du Règlement est-il inopérant en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 parce qu’il contrevient à l’article 7 et/ou au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés?
d) L’alinéa 101(1)e) de la LIPR est-il inopérant en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 parce qu’il contrevient à l’article 7 et/ou au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés?
[40]
En premier lieu, il s’agit de questions constitutionnelles importantes, qui ont été longuement étudiées dans CCR (CF) et CCR (CAF). Elles sont loin d’être futiles.
[41]
En deuxième lieu, lorsqu’elle a ordonné la suspension de l’expulsion de la famille, la juge McDonald a conclu que la famille avait établi une « question sérieuse »
, comme cela est exigé par Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF). Il convient également de noter que l’autorisation a été accordée dans Homsi et Mustefa, qui, comme cela est expliqué ci-dessus, soulèvent des questions constitutionnelles semblables. Afin d’obtenir l’autorisation dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire, un demandeur doit établir une « cause raisonnablement défendable »
qui, selon la jurisprudence, exige qu’un seuil plus élevé que la « question sérieuse »
soit établi pour obtenir un sursis de l’expulsion (Brown c Canada [Citoyenneté et Immigration], 2006 CF 1250, au paragraphe 5).
[42]
Même si ces décisions antérieures et connexes sont fondées sur des normes juridiques différentes et ne permettent donc pas de trancher la question dont est saisie la Cour, je suis d’avis qu’elles constituent une autre preuve qu’une question sérieuse existe dans la présente demande aux fins de la qualité pour agir dans l’intérêt public. Je n’ai donc aucune difficulté à conclure que les organisations satisfont au premier volet du critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public.
2)
Les organisations ont-elles un intérêt réel ou véritable dans l’issue de la question?
[43]
Selon le deuxième volet du critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public, les organisations doivent avoir un intérêt réel ou véritable dans l’issue de la demande. Ce volet du critère « tradui[sai]t la préoccupation de conserver les ressources judiciaires limitées et la nécessité d’écarter les simples trouble-fête »
(Downtown Eastside, au paragraphe 43).
[44]
Encore une fois, je n’ai aucune difficulté à conclure que les organisations satisfont à ce deuxième volet du critère. Chacune des organisations a des mandants ou des intervenants qui sont touchés par la question contestée dans la demande. En fait, les organisations ont participé de manière importante aux cas fondés sur les dispositions en matière de PTS de la LIPR et de son Règlement pendant presque trois décennies, y compris, tel que cela est indiqué ci-dessus, le dépôt de la contestation constitutionnelle antérieure devant la Cour, en 2007.
[45]
Fait intéressant, Conseil canadien des Églises, l’arrêt de la CSC dans lequel le critère de la qualité pour agir dans l’intérêt a été exprimé au début des années 1990, a été intenté par l’une des trois organisations qui demandent la qualité pour agir dans l’intérêt public en l’espèce. À cette époque, le CCE avait contesté certaines des procédures à l’égard des réfugiés, y compris le précurseur à la disposition en matière de PTS, en litige en l’espèce. Même si la CSC a refusé d’accorder au CCE la qualité pour agir dans l’intérêt public en application du troisième critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public, elle a conclu qu’il n’y avait « pas de doute »
que le CCE avait un intérêt véritable dans l’issue de la question en concluant que le CCE « jouit de la meilleure réputation possible »
et qu’il avait « démontré un intérêt réel et constant dans les problèmes des réfugiés et des immigrants »
(à la page 254).
[46]
Les trois organisations ont défendu depuis longtemps et de manière constante les droits des réfugiés et elles ont été largement reconnues en ce qui concerne leurs travaux dans ce domaine. Elles se consacrent également aux questions en matière de droits de la personne et de justice sociale et ont participé collectivement à de nombreux arrêts de principe et sont intervenues dans ceux-ci.
[47]
Étant donné leurs antécédents et leurs mandats, je conclus que les organisations ont un intérêt réel et véritable dans les questions soulevées dans la demande. Cet intérêt a été amplement établi dans la preuve par affidavit présentée par chacune des organisations en réponse à la présente requête, qui établit en détail leur participation importante et constante dans ce domaine du droit des réfugiés, y compris depuis leur participation dans CCR (CF) et CCR (CAF). Les organisations ont entrepris une quantité importante de travaux en aidant les personnes, à présenter des observations au gouvernement, à rendre compte aux médias et à recueillir des éléments de preuve.
[48]
En fait, les défendeurs dans la présente requête ont reconnu que l’intérêt des organisations dans la présente demande [traduction] « ne peut être contesté »
. Toutefois, en invoquant CCR (CAF), les défendeurs ont soutenu que la nature de l’intérêt des organisations diffère de celui de la famille. Ils font valoir que l’intérêt des organisations ne saurait engager la qualité pour agir dans l’intérêt public, mais engage plutôt une participation au litige en tant qu’intervenantes ou en [traduction] « aidant ceux directement touchés »
.
[49]
J’examinerai la suggestion des défendeurs selon laquelle les organisations devraient demander l’autorisation d’intervenir ou par ailleurs de simplement « aider »
la famille, à la troisième étape du critère (ci-dessous). À ce stade, il suffit de dire que je n’ai pas été convaincu par la tentative des défendeurs de réduire au minimum la nature de l’intérêt des organisations par rapport à celui de la famille. Au contraire, je conclus que les organisations apporteront un point de vue utile et général de l’intérêt public à l’issue de ces questions. Chacune de celles-ci a un intérêt véritable, démontré depuis longtemps, dans les questions soulevées. Elles sont loin d’être de « simples trouble-fête »
. En conséquence, les organisations satisfont au deuxième volet du critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public.
3)
La participation de l’organisation constitue-t-elle une manière raisonnable et efficace de plaider?
[50]
La présente requête est fondée sur le troisième volet du critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public, notamment, celui de savoir si le litige – avec la participation des organisations en tant que parties qui défendent l’intérêt public – constitue une « manière raisonnable et efficace »
de débattre les questions justiciables sérieuses soulevées dans la demande. Même s’il incombe aux organisations de satisfaire à ce troisième volet du critère, je commencerai par les observations des défendeurs qui portent sur le cœur de la question.
[51]
Les défendeurs soutiennent que les organisations ne satisfont pas au troisième volet du critère parce qu’il existe déjà plusieurs parties directement touchées devant la Cour qui, selon les défendeurs, débattront [traduction] « de manière complète et diligente »
des questions soulevées dans la présente demande. Plus particulièrement, les défendeurs soulignent que les membres de la famille, ainsi que les demandeurs dans Homsi et Mustefa, ont tous des avocats chevronnés. En conséquence, ils font valoir que les personnes sont les mieux placées pour débattre les questions soulevées. Les défendeurs font valoir que la participation des organisations ne constituerait que des dédoublements et créeraient des inefficacités.
[52]
Les défendeurs ont invoqué Conseil canadien des Églises qui établit que « l’objet fondamental de la reconnaissance de la qualité pour agir dans l’intérêt public est de garantir qu’une loi n’est pas à l’abri de la contestation »
(à la page 256). Les défendeurs soutiennent qu’en l’espèce, comme dans Conseil canadien des Églises, il n’existe aucun « abri »
de la sorte, parce que la famille et les demandeurs dans Mustefa et Homsi contestent déjà les dispositions en matière de PTS prévues par la loi. Par conséquent, le raisonnement pour accorder aux organisations la qualité pour agir dans l’intérêt public disparaît. À cet égard, les défendeurs demandent à la Cour de suivre le raisonnement dans IMM-1604-16 (ordonnance de la juge Heneghan, datée du 4 janvier 2017, à la page 16 du dossier de requête des défendeurs [Kashtem]). Dans Kashtem, la juge Heneghan a conclu que l’ACAADR n’avait pas un intérêt suffisant dans la procédure pour se voir accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public parce que les questions pouvaient être tranchées par les demandeurs individuels (aux pages 18 et 19 du dossier de requête des défendeurs).
[53]
Je conclus que Kashtem se distingue par ses faits, qui seront expliqués après avoir examiné d’abord les deux arrêts principaux de la CSC en matière de qualité pour agir dans l’intérêt public (Downtown Eastside et Manitoba Metis), les considérations qu’ils soulèvent et la raison pour laquelle ces considérations n’orientent pas l’issue de l’espèce vers celui de Kashtem.
1)
Orientation de la CSC dans Downtown Eastside et Manitoba Metis
[54]
Contrairement aux observations des défendeurs, dans Manitoba Metis il a été conclu que « [l]e fait qu’il y ait d’autres demandeurs n’exclut pas nécessairement la qualité pour agir dans l’intérêt public; il s’agit de savoir si la présente instance constitue un moyen raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour »
(au paragraphe 43).
[55]
Six mois plus tôt, dans Downtown Eastside (un arrêt publié avant, mais entendu après Manitoba Metis), la CSC a donné une orientation importante quant aux types de « questions interdépendantes »
que les tribunaux doivent examiner lorsqu’ils apprécient le troisième volet du critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public. Ces questions intimement liées comprennent a) la capacité d’une partie d’engager une poursuite, y compris ses ressources et son expertise, ainsi que la présentation d’un contexte factuel, b) la question de savoir si l’intérêt public transcende les intérêts des parties qui sont le plus directement touchées, y compris les considérations relatives à l’accès à la justice, c) d’autres manières réalistes de trancher la question qui favoriseraient une utilisation plus efficace et efficiente des ressources judiciaires et d) l’incidence éventuelle des procédures sur les droits d’autres personnes dont les intérêts sont aussi, sinon plus, touchés (Downtown Eastside, au paragraphe 51).
[56]
Après avoir tenu compte de chacune de ces quatre considérations interdépendantes (expliquées ci-dessous), je conclus qu’elles militent en faveur d’accorder aux organisations la qualité pour agir dans l’intérêt public.
a)
Capacité des organisations
[57]
Vu la participation historique des organisations aux questions juridiques concernant les réfugiés en général, y compris dans les domaines législatif, judiciaire et de l’élaboration de politiques, ainsi que leur participation aux questions en litige, elles sont exceptionnellement bien placées pour aider la Cour à apprécier les conséquences plus générales de ses conclusions éventuelles. En ce qui concerne ce point, je suis guidé par la conclusion dans Manitoba Metis selon laquelle « [m]ême en présence d’autres demandeurs ayant un intérêt direct dans le litige, il est permis au tribunal de se demander si le demandeur d’intérêt public offrira une perspective particulièrement utile ou distincte sur la question à trancher »
(au paragraphe 43). Il est clair que les organisations ont une perspective utile et distincte.
[58]
Il ressort également clairement de l’avis de demande et des décisions antérieures dans CCR (CF) et CCR (CAF), que la présente demande soulève des questions complexes et importantes, dont la décision exigera un dossier de preuve considérable. La Cour bénéficierait donc de la participation des organisations qui ont toutes aidé, dans le passé, les tribunaux aux fins de questions concernant l’immigration et les réfugiés ayant une importance nationale.
[59]
De plus, les organisations ont déposé des éléments de preuve dans la présente requête selon lesquels elles ont actuellement les ressources et les relations requises avec les organisations américaines et les avocats pour obtenir une preuve d’expert à l’égard de la réalité du système d’asile américain. Elles soutiennent que les membres de la famille n’ont ni cette expertise ni les ressources, ce qui est confirmé par la demanderesse ABC dans son affidavit.
[60]
En ce qui concerne cette première considération de Downtown Eastside, je suis convaincu que les organisations ont l’expertise, les ressources et la capacité d’aider la Cour à trancher de manière juste les questions constitutionnelles soulevées dans la demande. Les organisations aideront non seulement la famille dans la présentation de la contestation constitutionnelle, mais également la Cour à trancher ces questions. En même temps, la famille s’assurera que ces questions constitutionnelles sont tranchées dans un contexte factuel concret et bien établi, en atténuant les préoccupations soulevées dans CCR (CAF).
b)
Accès à la justice
[61]
Les organisations sont disposées à présenter des éléments de preuve et à consacrer des ressources qui ne seraient pas disponibles par ailleurs à la famille. Leur participation contribuera donc davantage à la réalisation des objectifs de l’accès à la justice qui sont inhérents au principe de la qualité pour agir dans l’intérêt public.
[62]
Cette réalité va au-delà des demandeurs individuels qui ont déposé la demande et englobe les personnes qui ne sont pas bien placées pour lancer leur propre contestation. Les demandeurs d’asile ne peuvent pas habituellement entreprendre seuls des contestations constitutionnelles importantes : ils représentent un segment vulnérable de la population canadienne et n’ont ni les ressources ni le statut d’immigrant et ils ont besoin d’un soutien pour accéder à la justice.
[63]
Ces considérations doivent être pondérées, non seulement à l’égard des autres personnes concernées par l’affaire, mais également en tenant compte des réalités d’autres personnes dans une situation semblable qui ne pourraient pas être en mesure de déposer une demande devant la Cour (Downtown Eastside, au paragraphe 67). En fait, il a fallu presque dix ans depuis CCR (CAF) pour que des demandeurs individuels présentent une telle demande. Même si la famille fournira le contexte factuel nécessaire, elle est à risque de ne pas être en mesure de poursuivre l’instance jusqu’à sa conclusion, surtout si elle est expulsée.
[64]
La participation des organisations permettra de s’assurer que la demande est menée à terme. À cet égard, je suis conscient que l’absence du contexte factuel constituait une question dans CCR (CAF) il y a une décennie, mais les préoccupations soulevées par la CAF à cette époque sont atténuées dans la présente demande. Par ailleurs, comme cela est mentionné ci-dessus, le droit en matière de qualité pour agir dans l’intérêt public a évolué de manière importante depuis CCR (CAF) à l’aide de Downtown Eastside et de Manitoba Metis.
c)
Utilisation efficace et efficiente des ressources judiciaires
[65]
Les organisations se sont engagées à harmoniser leurs commentaires et à ne pas prolonger la durée ou la portée du litige. Cela tempère les préoccupations des défendeurs selon lesquelles la participation des organisations deviendra complexe et créera des inefficacités dans la procédure. À l’aide de leurs observations écrites et de leurs plaidoiries devant la Cour, les organisations ont démontré qu’elles sont conscientes de la nécessité de conserver les ressources judiciaires. Par exemple, si l’autorisation est accordée dans la présente demande, les organisations se sont engagées à ne pas déposer des arguments écrits distincts de ceux déposés par la famille et ne demanderont pas de prorogation aux fins des plaidoiries. Je suis donc convaincu que l’octroi de la qualité pour agir dans l’intérêt public aux organisations n’imposera pas un fardeau trop lourd aux ressources des tribunaux.
d)
Incidence éventuelle des procédures sur les droits d’autres personnes
[66]
Cette dernière considération de Downtown Eastside a été traitée dans la discussion ci-dessus. Pour résumer, je suis convaincu que l’inclusion des organisations en tant que parties défendant l’intérêt public aura un effet bénéfique sur les droits d’autres personnes et que l’octroi aux organisations de la qualité pour agir dans l’intérêt public ne minera pas les intérêts privés de ceux qui ne sont pas disposés ou qui ne sont pas en mesure de poursuivre les contestations constitutionnelles soulevées dans la demande. Au contraire, leur participation soutiendra ces intérêts privés.
[67]
J’examinerai brièvement les observations des défendeurs selon lesquelles les intérêts des organisations sont mieux adaptés si ces dernières ont la qualité d’intervenantes ou d’« aide »
à la famille dans les coulisses plutôt que de parties défendant l’intérêt public.
[68]
En premier lieu, je ne suis pas saisi du statut d’intervenant. Les organisations demandent la qualité pour agir dans l’intérêt public et j’ai appliqué ce critère. En deuxième lieu, vu l’étendue de l’expertise et de la participation des organisations dans les questions, je ne souscris pas à la proposition des défendeurs selon laquelle les organisations devraient simplement « aider »
la famille. En général, il n’est pas approprié que des parties « fantômes »
hantent les couloirs, en fournissant des fonds considérables, des éléments de preuve, des conseils ou des renseignements.
[69]
Enfin, j’examine la jurisprudence pertinente de la Cour après Manitoba Metis et Downtown Eastside.
2)
Orientation de notre Cour
[70]
En premier lieu, je renvoie aux commentaires de la juge Mactavish formulés dans sa décision exhaustive dans Médecins canadiens pour les soins aux réfugiés c Canada (Procureur général), 2014 CF 651, que je juge applicable dans la présente requête. Dans cette affaire, la Cour a également accordé la qualité pour agir dans l’intérêt public même en présence de demandeurs directement touchés. La juge Mactavish a affirmé l’importance de l’accès à la justice pour les personnes défavorisées dont les droits légaux sont touchés et elle a conclu comme suit :
347 Les trois organismes demandeurs qui cherchent à obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public en l’espèce sont des organismes crédibles dont l’expertise n’est plus à démontrer en ce qui concerne les questions soulevées dans les présentes demandes. Ils sont représentés par un avocat expérimenté, et ils ont la capacité, les ressources et les compétences nécessaires pour présenter les questions dans un contexte factuel suffisamment concret et élaboré : Downtown Eastside, précité, au paragraphe 51. On peut conclure que la présente action constitue une façon efficace de soumettre à la Cour les questions soulevées dans la présente procédure, et ce, dans un contexte favorable à ce qu’une décision soit rendue dans le cadre du système contradictoire.
[71]
La juge Mactavish a ensuite constaté que les questions soulevées « ont certes une incidence sur un groupe vulnérable et économiquement défavorisé, et sont manifestement des questions qui revêtent un intérêt public considérable et qui transcendent les intérêts de ceux qui sont le plus directement touchés »
(au paragraphe 350). En outre, en ce qui concerne les litiges duplicatifs, la juge Mactavish a indiqué qu’il était plus logique « du point de vue de l’affectation des ressources »
d’examiner les questions « une seule fois, de façon cohérente et exhaustive, que de les examiner une par une, au fur et à mesure qu’elles sont présentées »
(au paragraphe 344).
[72]
En deuxième lieu, je me fonde également sur l’analyse suivante dans YZ :
42 Reconnaître à l’ACAADR la qualité pour agir dans l’intérêt public constitue également une façon raisonnable et efficace de soumettre à la Cour les questions constitutionnelles soulevées au sujet de l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR. Les ressources et les compétences de l’ACAADR font en sorte que les questions constitutionnelles ont été formulées dans un cadre contextuel concret. Bien que l’existence d’éventuels autres demandeurs d’asile soit une considération pertinente, l’ACAADR a joint sa demande à celle de trois particuliers, garantissant ainsi qu’il n’y aura pas de gaspillage des ressources judiciaires (Downtown, au paragraphe 50). De plus, il est nécessaire d’envisager la possibilité concrète que d’autres demandeurs d’asile soumettent la question à la Cour par des moyens tout aussi raisonnables et efficaces en tenant compte du fait que d’autres éventuels demandeurs d’asile pourraient être expulsés avant même d’être en mesure de contester la loi [...] La plupart des demandeurs d’asile arrivent au Canada avec peu d’argent et ne disposent pas de suffisamment de moyens financiers pour plaider des questions constitutionnelles complexes, tandis que l’ACAADR a obtenu d’Aide juridique Ontario un financement pour des causes types […] L’ACAADR sera bien placée pour poursuivre le présent litige advenant le cas où Y.Z., G.S. ou C.S. ne pourraient pas ou ne voudraient pas le faire.
[73]
Enfin, Kashtem se distingue de l’espèce en fonction du (i) lien unique que les organisations ont à l’égard des questions soulevées dans la présente demande et (ii) de l’expertise, des ressources et de la preuve, qui seront requis pour débattre de manière efficace des contestations constitutionnelles soulevées en l’espèce, dont la portée importante est évidente compte tenu de CCR (CF) et de CCR (CAF).
IV.
Conclusion
[74]
Les questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire revêtent une importance nationale et transcendent les intérêts immédiats des parties individuelles. Après avoir exercé mon pouvoir discrétionnaire pour trancher – de manière définitive – la question concernant la qualité pour agir dans l’intérêt public, je conclus que le critère a été respecté : la demande soulève une question justiciable sérieuse dans laquelle les organisations ont un intérêt véritable. Cette question sera examinée raisonnablement et effectivement avec la participation des organisations en tant que parties. En conséquence, les organisations se voient accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public et la demande des défendeurs de les radier en tant que parties à la présente demande est refusée.
ORDONNANCE DANS LE DOSSIER IMM-2977-17
LA COUR ORDONNE ce qui suit :
La demande des défendeurs d’obtenir une ordonnance en radiation du Conseil canadien pour les réfugiés, d’Amnistie internationale et du Conseil canadien des Églises en tant que parties est rejetée.
Le Conseil canadien pour les réfugiés, Amnistie internationale et le Conseil canadien des Églises se voient accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public immédiatement et définitivement.
« Alan S. Diner »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 24e jour de février 2020
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-2977-17
|
INTITULÉ :
|
LE CONSEIL CANADIEN POUR LES RÉFUGIÉS ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET AL
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 16 novembre 2017
|
ORDONNANCE ET MOTIFS :
|
LE JUGE DINER
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 11 décembre 2017
|
COMPARUTIONS :
A. Brouwer
H. Neufeld
E. Simpson
K. Webster
P. Balasundaram
|
POUR LES DEMANDEURS
|
M. Anderson
L. Gregory
N. Prasad
|
Pour les défendeurs
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bureau du droit des réfugiés
Avocats
Toronto (Ontario)
|
POUR LES DEMANDEURS
AMNISTIE INTERNATIONALE
CONSEIL CANADIEN POUR LES RÉFUGIÉS
CONSEIL CANADIEN DES ÉGLISES
|
Downtown Legal Services
Avocats
Toronto (Ontario)
|
POUR LES DEMANDEURS
ABC, DE (REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE)
ET FG (REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE)
|
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
Toronto (Ontario)
|
Pour les défendeurs
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
|