Date : 20180112
Dossier : IMM-2551-17
Référence : 2018 CF 30
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2018
En présence de monsieur le juge Russell
ENTRE :
|
JAMIL OGIAMIEN
|
demandeur
|
et
|
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
INTRODUCTION
[1]
La Cour est saisie d’une demande, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), de contrôle judiciaire de la décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Section de l’immigration, ou la Commission), qui, le 22 mai 2017, accueillait la demande du défendeur de faire modifier le nom et le pays de citoyenneté figurant sur une mesure d’expulsion prise à l’encontre du demandeur.
II.
RÉSUMÉ DES FAITS
[2]
Le 6 février 2002, la Commission a pris une mesure d’expulsion conditionnelle à l’encontre de « Jamil Osai Mahachi ». La mesure d’expulsion désignait le pays de citoyenneté de M. Mahachi comme étant le Zimbabwe. Une enquête menée par le défendeur a plus tard établi que « Jamil Osai Mahachi » est en réalité le demandeur, Jamil Osai Ogiamien, et que son pays de citoyenneté est le Nigéria. La mesure d’expulsion a été prise à titre conditionnel puisque le demandeur avait présenté une demande d’asile en 2001.
[3]
Le 27 juin 2002, le ministre de la Justice a ordonné que le demandeur soit extradé aux États-Unis. Le demandeur a ultérieurement été extradé le 11 juillet 2002. Une attestation de départ a été partiellement remplie et signée par un agent de l’immigration du Canada, mais les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si elle a été remise au demandeur.
[4]
En juillet 2005, le Canada a accepté une demande des États-Unis de remettre le demandeur au Canada aux termes de l’accord de réciprocité. En acceptant la demande, les agents de l’immigration canadienne se sont demandé si l’extradition du demandeur avait entraîné l’exécution de sa mesure d’interdiction de séjour.
[5]
L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a arrêté le demandeur en mars 2014. Le demandeur est demeuré en détention jusqu’à ce que sa demande d’habeas corpus soit accueillie par la Cour supérieure de justice de l’Ontario en 2016. Dans le cadre de sa demande d’habeas corpus, le demandeur a dit dans son témoignage qu’il a vu pour la première fois son attestation de départ en 2015, lorsqu’elle lui a été remise dans le cadre d’une demande d’accès à l’information présentée la même année.
[6]
Le défendeur a demandé à la Commission de modifier sa mesure d’expulsion du 6 février 2002 afin que celle-ci indique son nom et sa citoyenneté véritables et ainsi faciliter la réception de titres de voyage délivrés par les autorités nigérianes afin que le demandeur puisse être renvoyé, conformément aux termes de la mesure d’expulsion.
III.
DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[7]
La Section de l’immigration a accueilli la demande du défendeur et modifié la mesure d’expulsion remise au demandeur afin qu’elle indique son nom, « Jamil Osai Ogiamien », et son pays de citoyenneté,, le Nigéria.
[8]
La Commission était convaincue que la preuve documentaire présentée par le défendeur démontrait que le demandeur est le « Jamil Osai Mahachi » visé par la mesure d’expulsion et qu’il est citoyen du Nigéria. La Section de l’immigration a observé que cette conclusion n’a pas été contestée par l’avocate du demandeur.
[9]
La Commission a conclu que les motifs pour lesquels la mesure d’expulsion avait été prise demeurent en vigueur dans le cadre du régime d’immigration actuel, et que le demandeur est toujours interdit de territoire. L’article 319 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement de la LIPR), maintient la validité d’une mesure d’expulsion prise en application de la Loi sur l’immigration, SRC 1985, c I-2 (Loi sur l’immigration).
[10]
Se fondant sur Chandler c Alberta Association of Architects, [1989] 2 RCS 848, la Commission a conclu que le fait de prendre de nouveau la même mesure d’expulsion ne va pas à l’encontre du principe du functus officio puisque la modification corrige une erreur commise dans l’expression de l’intention manifeste de la Section de l’immigration lorsqu’elle a pris la mesure. L’intention manifeste de la Section de l’immigration était de prendre la mesure d’expulsion à l’encontre du demandeur, et l’erreur dans l’expression de cette intention s’appuyait sur les renseignements disponibles au moment où la mesure d’expulsion a été prise. La Section de l’immigration était convaincue qu’il était approprié de prendre de nouveau la mesure d’expulsion.
[11]
Quant à la thèse du demandeur selon laquelle la mesure d’expulsion était caduque lorsqu’il a été extradé aux États-Unis, la Commission a souscrit à l’avis du défendeur selon lequel l’exécution des mesures de renvoi relève de l’ASFC. Par conséquent, la Section de l’immigration a conclu qu’elle outrepasserait sa compétence si elle devait conclure que la mesure d’expulsion est inapplicable.
[12]
La décision conclut que, même si la Section de l’immigration avait la compétence pour déclarer que la mesure d’expulsion était inapplicable, la mesure d’expulsion n’était pas appliquée au sens du paragraphe 240(1) du Règlement sur l’IPR et que, par conséquent, elle continue de s’appliquer. L’alinéa 240(1)d) dispose qu’une mesure de renvoi s’applique lorsque le ressortissant étranger « est autorisé à entrer, à d’autres fins qu’un simple transit, dans son pays de destination. »
La Commission a conclu qu’aucun élément de preuve ne démontrait que le demandeur [traduction]« était ‘autorisé à entrer’ aux États-Unis ou qu’un statut lui était conféré dans ce pays »
et que les opinions contradictoires des responsables de l’immigration quant à savoir si la mesure d’expulsion était caduque ne peuvent pas être déterminantes du statut de l’ordonnance.
[13]
La Section de l’immigration n’a pas expressément examiné la suggestion du demandeur selon laquelle le fait d’accueillir la demande du défendeur de modifier la mesure d’expulsion constitue un abus de procédure. La Commission a toutefois déclaré que le fait de modifier la mesure d’expulsion pour tenir compte des renseignements corrects ne changeait pas de manière significative les faits sous-jacents à l’ordonnance ni à la décision de la prendre. La Section de l’immigration s’interrogeait aussi sur ce qui motivait le demandeur à s’opposer à une modification, vu que c’était son propre manque de transparence qui avait entraîné la nécessité de modifier la mesure d’expulsion.
IV.
QUESTIONS EN LITIGE
[14]
Le demandeur soutient que les questions suivantes sont en litige dans la présente demande :
La Cour est-elle compétente pour annuler la mesure d’expulsion?
La mesure d’expulsion était-elle applicable lorsque le demandeur a été extradé du Canada?
L’extradition du demandeur exécutait-elle la mesure d’expulsion?
La demande du défendeur de modifier la mesure d’expulsion et la décision de la Commission d’autoriser la modification constituaient-elles un abus de procédure?
V.
NORME DE CONTRÔLE
[15]
Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la jurisprudence est constante quant à la norme de contrôle applicable à une question en litige devant la Cour, la cour de révision peut l’adopter. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit soupeser les quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).
[16]
Le demandeur prétend que la question de savoir si la mesure d’expulsion avait déjà été exécutée par son extradition est une question touchant véritablement à la compétence qui est soumise à la norme de la décision correcte. Le demandeur invoque Nagalingam c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 362, au paragraphe 16 [Nagalingam], où la Cour a conclu que la décision de savoir si le ministre défendeur était compétent pour renvoyer une personne du Canada en application d’une mesure d’expulsion caduque était une question touchant véritablement à la compétence. Le défendeur reconnaît que les questions de droit sont soumises à la norme de la décision correcte. Après Nagalingam, la question de savoir si la mesure d’expulsion était exécutée fera l’objet d’un examen selon la norme de la décision correcte.
[17]
La norme de contrôle appliquée à la décision de la Commission sur la question de savoir s’il y a eu un abus de procédure n’est pas tout à fait établie devant notre Cour. Des opinions contraires ont été reconnues par le juge Fothergill dans Shen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 70 [Shen] :
[29] Dans le jugement B006 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1033, aux paragraphes 35 et 36, la juge Kane a estimé que la norme de la décision correcte est celle qui s’applique au critère juridique formulé par la SPR à l’égard de l’abus de procédure, mais que sa conclusion suivant laquelle un tel abus n’avait pas eu lieu appelait la norme de la raisonnabilité. L’abus de procédure peut également être décrit comme un aspect de l’équité procédurale, question à examiner selon la norme de la décision correcte (Muhammad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 448, au paragraphe 51, citant Pavicevic c Canada (Procureur général), 2013 CF 997, au paragraphe 29, et Herrera Acevedo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 167, au paragraphe 10).
[18]
En l’espèce, la Commission n’a formulé aucun critère de l’abus de procédure ni expressément examiné l’observation du demandeur. Par conséquent, je retiens le raisonnement du juge Fothergill pour conclure que la décision de la Commission sur la question de savoir si la demande de modifier la mesure d’expulsion constituait un abus de procédure doit être examinée suivant la norme de la décision correcte. Voir Shen, précité, au paragraphe 30.
[19]
Lorsqu’elle procède à un examen selon la norme de la décision correcte, la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard du raisonnement du décideur. Elle doit plutôt entreprendre sa propre analyse et substituer son avis si elle ne souscrit pas à la conclusion du décideur. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 50.
VI.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
[20]
Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes pour la présente demande :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[21]
Les dispositions suivantes de la LIPR, entrées en vigueur le 11 juillet 2002, sont aussi sont pertinentes pour la présente demande :
|
|
|
|
|
|
|
|
[22]
Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration, entrées en vigueur le 27 juin 2002, sont pertinentes pour la présente demande :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[23]
Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes pour la présente demande :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[24]
Les dispositions suivantes de la Loi sur l’extradition, LC 1999, c 18 [Loi sur l’extradition], entrées en vigueur le 27 juin 2002, sont pertinentes pour la présente demande :
|
|
|
|
|
|
|
|
[25]
La disposition suivante de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 (Loi sur les Cours fédérales) est pertinente pour la présente demande :
|
|
|
|
|
|
|
|
VII.
THÈSES DES PARTIES
A.
Demandeur
1)
Pouvoir d’annuler la mesure d’expulsion
[26]
Le demandeur prétend que la Cour a le pouvoir d’annuler la mesure d’expulsion dont il est l’objet, et que la Cour devrait exercer son pouvoir en l’espèce. Le demandeur affirme que la réparation appropriée est de déclarer que le demandeur ne peut pas être renvoyé du Canada en application de la mesure d’expulsion et d’une ordonnance de prohibition interdisant au défendeur de recourir à la mesure d’expulsion pour renvoyer le demandeur. Le demandeur dit que cette réparation empêcherait le défendeur de modifier la mesure d’expulsion.
[27]
Dans Nagalingam, précitée, au paragraphe 102, la Cour a retenu que la réparation appropriée était une conclusion déclaratoire selon laquelle le demandeur ne pouvait pas être renvoyé du Canada en application d’une mesure d’expulsion caduque et d’une ordonnance de prohibition interdisant au défendeur de faire appliquer l’ordonnance pour renvoyer le demandeur. Le pouvoir de la Cour de rendre une ordonnance vient du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales et de la déclaration de la Cour suprême du Canada selon laquelle « [u]n tribunal peut, à juste titre, prononcer un jugement déclaratoire dans la mesure où il a compétence sur l’objet du litige, où la question dont il est saisi est une question réelle et non pas simplement théorique, et où la personne qui la soulève a véritablement intérêt à la soulever »
(Canada (Premier ministre) c Khadr, 2010 CSC 3, au paragraphe 46).
[28]
Le demandeur affirme que le critère énoncé dans Khadr a été rempli en l’espèce, puisque la Cour a compétence sur l’objet du litige, que la question est réelle, et que le demandeur a véritablement intérêt à la soulever. Le fait que la Section de l’immigration ne soit pas habilitée à rendre des ordonnances de prohibition contre ses propres mesures n’empêche pas la Cour de prendre une telle mesure. Prétendre le contraire équivaudrait à priver le demandeur de tout moyen de contester l’exercice illégitime du pouvoir conféré au défendeur relativement aux mesures de renvoi. Voir la décision Nagalingam, précitée, aux paragraphes 97 et 98. Le ministre a cherché à faire modifier la mesure d’expulsion pour faciliter le renvoi du demandeur au Nigéria. Le demandeur a un intérêt réel dans la question, et la Cour supérieure de justice de l’Ontario a reconnu que la détermination de la validité d’une mesure d’expulsion constituait une question véritable dans la demande d’habeas corpus d’un demandeur. Voir R c Ogiamien, 2016 ONSC 4126, au paragraphe 82.
2)
Caractère exécutoire de la mesure d’expulsion au moment de l’extradition du demandeur
[29]
Le demandeur prétend que la mesure d’expulsion était exécutable lorsque le demandeur a été extradé aux États-Unis.
[30]
Le demandeur affirme que l’argument du défendeur selon lequel la mesure d’expulsion n’était pas exécutable lorsque le demandeur a été extradé le 11 juillet 2002 émane d’une interprétation erronée des lois qui étaient en vigueur à ce moment-là. Le demandeur souligne que la LIPR est entrée en vigueur le 28 juin 2002 et que, par conséquent, elle n’était pas en vigueur le 27 juin 2002 lorsque son extradition aux États-Unis a été ordonnée. Les textes de loi applicables qui étaient en vigueur le 27 juin 2002 étaient les paragraphes 32.1(6) et 69.1(14) de l’ancienne Loi sur l’immigration. Selon le demandeur, l’effet conjugué de ces dispositions était de considérer que, le 27 juin 2002, lorsque le ministre de la Justice a ordonné l’extradition du demandeur, sa demande d’asile était rejetée. La mesure d’expulsion était donc exécutable le 27 juin 2002.
[31]
L’argument du défendeur se fonde sur l’alinéa 49(2)c) de la LIPR, lequel prévoit un délai de quinze jours pour l’exécution d’une mesure d’expulsion après un refus réputé. Or, le demandeur prétend qu’aucune disposition comparable n’était prévue dans la Loi sur l’immigration en vigueur le 27 juin 2002. L’article 319 du Règlement sur l’IPR prévoit que les mesures de renvoi qui n’ont pas été exécutées deviennent assujetties à la LIPR, mais le demandeur affirme que cela n’a pas changé le caractère exécutoire de sa mesure d’expulsion qui était déjà exécutable.
[32]
Le demandeur relève que même si le paragraphe 69.14(1) de la Loi sur l’immigration avait pour effet de considérer que la demande d’asile était rejetée le 27 juin 2002, une erreur de procédure a eu pour résultat que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a examiné sa demande jusqu’à ce que son désistement soit prononcé après son extradition aux États-Unis. Le demandeur dit que le défendeur s’est fondé sur un renseignement incorrectement saisi dans la base de données du Système de soutien des opérations et des bureaux locaux [SSOBL] pour établir la date à laquelle la mesure devenait exécutable. Le demandeur prétend que le défendeur ne peut pas se fier sur ses propres vices procéduraux. La signature d’une attestation de départ alors que le demandeur était en détention le 11 juillet 2002 démontre que le défendeur avait déjà estimé la mesure d’expulsion exécutable.
[33]
Le demandeur affirme que les actions du défendeur signifient que le défendeur est maintenant aussi empêché par les principes d’équité de postuler que la mesure d’expulsion n’était pas exécutable le 11 juillet 2002. Le demandeur reconnaît que les doctrines de l’attente légitime et de préclusion par assertion n’empêchent pas l’exercice d’une obligation prévue par la loi. Voir p. ex. Granger c Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1986] 3 RCS 70 (CA) [Granger]. Le demandeur prétend toutefois qu’il ne s’agit pas d’une situation où l’obligation prévue par la loi en question — en l’occurrence l’exécution de la mesure d’expulsion — avait déjà été exercée et ne pouvait plus être exercée de nouveau.
[34]
Pour établir une attente légitime, un demandeur doit démontrer « l’existence d’une pratique antérieure nette, sans ambiguïté et non qualifiée chez le tribunal administratif en question »
: Samad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 324, au paragraphe 14. Le demandeur prétend qu’une attestation de départ remplie et la signification de sa mesure d’expulsion sont des pratiques nettes, sans ambiguïté, et non qualifiées qui confirment son renvoi. Par conséquent, les doctrines de l’attente légitime et de préclusion par assertion s’appliquent.
3)
Effet de l’extradition sur la mesure d’expulsion du demandeur
[35]
Le demandeur prétend que son extradition a exécuté la mesure d’expulsion.
[36]
Les affaires sur lesquelles s’est fondé le défendeur pour établir que l’extradition ne constitue pas une expulsion se distinguent puisqu’elles n’établissent que l’extradition est un processus différent du processus d’expulsion et ne clarifient pas l’effet de l’extradition sur une mesure d’expulsion. Dans Waldman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1326 (Waldman), on a conclu qu’une personne visée par une extradition n’a pas droit à un examen des risques. Dans Németh c Canada (Justice), 2010 CSC 56 (Németh), la Cour suprême du Canada a estimé que l’extradition n’est pas un « renvoi »
au sens de la LIPR. Pourtant, ni l’une ni l’autre instance n’a examiné la question de savoir si l’extradition avait pour effet d’exécuter une mesure d’expulsion lorsque les exigences de la loi relativement à l’expulsion ont été remplies.
[37]
La décision relève les [traduction] « opinions contradictoires des responsables de l’immigration »
sur la question de savoir si la mesure d’expulsion était caduque, sans toutefois examiner le fondement de ces opinions contradictoires. Le demandeur affirme que la lettre du 26 juillet 2005 d’un fonctionnaire de Citoyenneté et Immigration Canada envoyée à l’ambassade des États-Unis présume à tort que l’extradition du demandeur signifie qu’il n’était pas renvoyé au titre de la mesure d’expulsion et n’examine pas pourquoi le critère de renvoi n’était pas rempli. En comparaison, lorsque la lettre a été transmise à l’ASFC avant le retour du demandeur au Canada, un agent de l’ASFC a établi que puisque [traduction] « le renvoi du demandeur avait été confirmé au moment de son extradition, il ne faisait plus l’objet d’une mesure de renvoi exécutable »
.
[38]
Le demandeur prétend que sa mesure d’expulsion avait été exécutée, puisque toutes les exigences énoncées au paragraphe 240(1) du Règlement sur l’IPR étaient remplies lorsqu’il a été extradé le 11 juillet 2002. Puisque le demandeur faisait l’objet d’une mesure d’expulsion exécutable le 27 juin 2002, l’article 319 du Règlement sur l’IPR dispose qu’il était assujetti aux dispositions de la LIPR le 28 juin 2002 lorsqu’elle est entrée en vigueur. Le paragraphe 240(1) définit à quel moment peut être exécutée une mesure de renvoi contre un ressortissant étranger. Une attestation de départ confirmant son renvoi avait été remplie conformément aux exigences définies à l’alinéa b). Le requérant était sous la garde des agents d’immigration canadiens lorsqu’il a été extradé et les agents ont vérifié son départ. Cela satisfaisait aux exigences de l’alinéa a). Le demandeur a quitté le Canada le 11 juillet 2002 et, par conséquent, répondait aux exigences de l’alinéa c).
[39]
En ce qui concerne l’alinéa 240(1)d) du Règlement sur l’IPR, le demandeur affirme que sa libération conditionnelle aux États-Unis signifiait qu’il était « autorisé à entrer »
dans son pays de destination. Le demandeur souligne que l’article 242 du Règlement sur l’IPR prévoit une exception explicite à l’alinéa 240(1)d) pour « [la] personne transférée en vertu d’une ordonnance de transfèrement délivrée sous le régime de la Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle. »
Il n’y a pas d’exception semblable concernant les personnes transférées en vertu de la Loi sur l’extradition.
[40]
Le demandeur affirme aussi que son extradition a été exécutée avec la permission du défendeur. Le paragraphe 40(2) de la Loi sur l’extradition obligeait le ministre de la Justice à consulter le ministre responsable de la Loi sur l’immigration avant d’ordonner l’extradition du demandeur le 27 juin 2002. Comme il a été observé, le demandeur était aussi détenu par les agents de l’immigration au moment de son extradition, et une attestation de départ a été remplie.
[41]
Le demandeur reconnaît que les agents de l’immigration n’ont pas suivi les procédures prescrites à son retour au Canada en 2005. Pourtant, ces manquements ne sont pas pertinents pour décider si sa mesure d’expulsion a été exécutée le 11 juillet 2002 et si son extradition remplit les exigences prévues au paragraphe 240(1) du Règlement sur l’IPR.
4)
Recours abusif
[42]
Le demandeur prétend aussi que la demande du défendeur de modifier une mesure d’expulsion déjà exécutée constituait un recours abusif, et que la Commission a commis une erreur en accueillant la demande.
[43]
Le paragraphe 162(1) de la LIPR confère à chaque section de la Commission l’autorité exclusive sur les questions de fait et de droit dans les procédures présentées à ladite section en vertu de la LIPR. Le paragraphe 162(2) dispose que chacune des sections fonctionne, « dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité. »
Le paragraphe 168(2) autorise la Section de l’immigration à constater l’abus de procédure dans certaines circonstances. Le critère d’abus de procédure est de savoir si [traduction] « le préjudice qui serait causé à l’intérêt du public dans l’équité du processus administratif, si les procédures suivaient leur cours, excéderait celui qui serait causé à l’intérêt du public dans l’application de la loi, s’il était mis fin à ces procédures »
: Canada (Citoyenneté et Immigration) c Parekh, 2010 CF 692, au paragraphe 24, citant Blencoe c Colombie-Britannique (Commission des droits de l’homme), 2000 CSC 44, au paragraphe 120 [Blencoe].
[44]
Le demandeur affirme que la Section de l’immigration disposait d’une abondance d’éléments de preuve pour établir que la mesure d’expulsion avait été exécutée. L’attestation de départ avait été remplie et signée le 11 juillet 2002, ce qui confirmait que les exigences de la LIPR avaient été remplies. Des agents supérieurs de l’ASFC ont plus tard déclaré que l’extradition avait confirmé le renvoi du demandeur. Malgré ces confirmations, le défendeur a demandé la modification de la mesure d’expulsion dans l’objectif de faciliter le renvoi du demandeur au Nigéria au moyen de la même mesure d’expulsion. Nagalingam, précitée, au paragraphe 111, réfute l’argument selon lequel l’abus de procédure serait qualifié si le défendeur cherchait à obtenir une nouvelle mesure d’expulsion alors qu’une ordonnance antérieure est caduque. Il s’agissait de la bonne procédure à suivre pour le défendeur, et le demandeur prétend que la décision de ne pas avoir agi ainsi constitue un abus de procédure.
B.
Défendeur
1)
Compétence d’accorder la réparation sollicitée par le demandeur
[45]
Le défendeur reconnaît que le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour la compétence de rendre un jugement déclaratoire et de décerner des brefs de prohibition.
[46]
Le défendeur estime toutefois qu’une déclaration selon laquelle la mesure d’expulsion du demandeur est invalide a une portée trop large puisque le demandeur n’a pas contesté la validité de l’ordonnance lorsqu’elle a été rendue en 2002. L’argument selon lequel la mesure d’expulsion est caduque est semblable à la situation dans Nagalingam et, si la Cour autorise le contrôle judiciaire dans la présente demande, le défendeur prétend que le recours approprié est une déclaration selon laquelle la mesure d’expulsion est exécutée et caduque. Voir Nagalingam, précitée, aux paragraphes 99 et 100.
2)
Caractère exécutoire de la mesure d’expulsion au moment de l’extradition du demandeur
[47]
Le défendeur prétend que la mesure d’expulsion du demandeur n’était pas exécutable lorsqu’il a été extradé aux États-Unis le 11 juillet 2002, puisque le demandeur n’avait pas été avisé du refus réputé de sa demande d’asile.
[48]
Le défendeur est d’accord avec le demandeur pour dire que, en application du paragraphe 69.1(14) de la Loi sur l’immigration, l’ordonnance rendue le 27 juin 2002 en vue de son extradition a eu pour effet que le demandeur était réputé ne pas être un réfugié au sens de la Convention. Cependant, le défendeur affirme que cela ne rendait pas la mesure d’expulsion exécutable, puisque l’alinéa 32.1(6)c) de la Loi sur l’immigration exigeait que le demandeur soit avisé du refus de sa demande d’asile. Pour respecter cette exigence, selon le protocole de la section du statut de réfugié (SRR), il fallait envoyer aux demandeurs qui étaient réputés ne pas être des réfugiés au sens de la Convention une lettre d’avis en application du paragraphe 69.1(14). Le demandeur n’a jamais reçu une telle lettre.
[49]
Le défendeur prétend que la théorie du demandeur selon laquelle sa mesure d’expulsion était exécutable le 27 juin 2002 ne tient pas compte de l’exigence de préavis énoncée à l’alinéa 32.1(6)c) de la Loi sur l’immigration. Cela enfreint le principe d’interprétation législative qu’il faut donner un sens à chaque terme d’une loi. Voir Fonds de développement économique local c Canadian Pickles Corp, [1991] 3 RCS 388, à la page 408 [Canadian Pickles]; Krayzel Corp c Equitable Trust Co, 2016 CSC 18, au paragraphe 48, la juge Côté est dissidente. Le défendeur affirme qu’une conclusion défavorable peut être tirée de l’absence d’observations présentées par le demandeur à l’égard des éléments de preuve déposés relativement aux lignes directrices en matière de notification de la SRR.
[50]
Puisque le demandeur n’avait pas été avisé du refus réputé de sa demande d’asile, sa mesure d’expulsion est demeurée conditionnelle le 28 juin 2002 lorsque la LIPR et son règlement d’application sont entrés en vigueur. Les mesures d’expulsion conditionnelles sont devenues assujetties aux dispositions de la LIPR et de son règlement en application de l’article 319 du Règlement. Aux termes de la LIPR, le demandeur avait toujours le droit d’être avisé du refus de sa demande avant que sa mesure d’expulsion ne devienne exécutable, mais l’alinéa 49(2)c) a ajouté un délai de quinze jours suivant cet avis avant que la mesure ne devienne exécutable.
3)
La mesure d’expulsion du demandeur n’a pas été exécutée
[51]
Subsidiairement, si la Cour conclut que l’on peut faire abstraction de l’exigence en matière de notification prévue à l’alinéa 32.1(6)c) de la Loi sur l’immigration, le défendeur prétend que la mesure d’expulsion du demandeur n’était pas exécutée puisque l’extradition du demandeur ne répondait pas aux exigences énoncées au paragraphe 240(1) du Règlement sur l’IPR.
[52]
Le défendeur observe que « [l]es lois ne peuvent être annulées par des dispositions législatives subordonnées »
: Afzal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1028, au paragraphe 23. Par conséquent, même si les exigences du paragraphe 240(1) du Règlement sur l’IPR étaient satisfaites, l’absence de préavis au demandeur rendait tout de même inexécutable sa mesure d’expulsion conditionnelle.
[53]
L’alinéa 240(1)b) du Règlement sur l’IPR rend obligatoire l’attestation de départ pour exécuter une mesure de renvoi. Dans le cadre de son témoignage au sujet de sa demande d’habeas corpus, le demandeur a dit qu’il avait initialement obtenu une copie de son attestation de départ incomplète en mai 2015. Le défendeur affirme que l’observation du demandeur selon laquelle une attestation de départ avait été « délivrée »
ne tient pas compte du fait qu’il devait avoir « obtenu »
une copie de l’attestation. Le défendeur prétend que l’interprétation du demandeur ne correspond à aucune jurisprudence et contrevient à la règle selon laquelle il faut donner un sens à chaque terme d’une loi.
[54]
Le défendeur reconnaît que le demandeur a reçu sa mesure d’expulsion le 11 juillet 2002, mais prétend que cela n’est pas pertinent pour décider si l’exigence prévue à l’alinéa 240(1)b) du Règlement sur l’IPR était satisfaite. La mesure d’expulsion se distingue de l’attestation de départ, et l’alinéa 240(1)b) exigeait que le demandeur obtienne une attestation de départ. Par conséquent, même si le demandeur était assujetti à une mesure d’expulsion exécutable le 11 juillet 2002, son extradition n’a pas exécuté cette ordonnance.
[55]
Le défendeur prétend que la jurisprudence sur l’alinéa 240(1)c) du Règlement sur l’IPR appuie l’interprétation selon laquelle la mesure d’expulsion du demandeur n’était pas exécutée. Dans Waldman, le demandeur a fait valoir que son extradition était, dans les faits, une expulsion et qu’il avait de ce fait le droit à un examen des risques en vertu de la LIPR. La Cour a rejeté cet argument, puisque pour constituer l’exécution d’une mesure de renvoi « le départ du Canada doit découler de l’exécution de la mesure de renvoi elle-même »
: Waldman, précitée, au paragraphe 21. Dans l’arrêt Németh, précité, au paragraphe 26, la Cour suprême du Canada a déclaré que « le mot « renvoyée », dans la LIPR, revêt un sens spécialisé et qu’il n’englobe pas le renvoi par extradition. »
Le défendeur affirme que, d’après la logique exposée dans ces décisions, l’extradition du demandeur ne répond pas à l’exigence de départ définie à l’alinéa 240(1)c) du Règlement sur l’IPR.
[56]
Le défendeur prétend aussi que des erreurs administratives dans le traitement de l’extradition du demandeur ne l’emportent pas sur les exigences de la loi relatives à l’exécution de la mesure d’expulsion, et n’empêchent pas le défendeur de faire valoir que la mesure d’expulsion n’était pas exécutable le 11 juillet 2002. Dans un contexte d’impôt sur le revenu, la Cour suprême du Canada avait déjà conclu « qu’une approbation donnée sans que les conditions prescrites par la loi ne soient remplies ne lie pas le ministre »
: Ministre du Revenu national c Inland Industries Limited (1971), [1974] RCS 514, à la page 523. Ce principe a été appliqué dans Al-Ghamdi c Canada (Affaires étrangères et Commerce international), 2007 CF 559, au paragraphe 31 [Al-Ghamdi], où le juge Shore a affirmé, dans un contentieux sur la citoyenneté qu’une « erreur administrative ne saurait modifier les conditions prescrites par la loi. »
Voir aussi Pavicevic c Canada (Procureur général), 2013 CF 997, au paragraphe 41 [Pavicevic]. Le défendeur affirme que l’attestation de départ partiellement remplie du demandeur avait été amorcée par erreur et que ni cela ni la signification de la mesure d’interdiction de séjour conditionnelle n’annule l’effet de la loi. Il en va de même pour la question de savoir si le demandeur était tenu d’obtenir une autorisation de retour au Canada en 2005. Les opinions administratives divergentes sur cette question et les autorités auxquelles a été remis le demandeur le jour de son extradition, ne changent rien aux exigences énoncées dans la Loi sur l’immigration ou la LIPR.
4)
Recours abusif
[57]
Le défendeur prétend que la demande présentée à la Section de l’immigration de modifier la mesure d’expulsion visant le demandeur n’était pas un abus de procédure, peu importe si la mesure était considérée comme exécutée ou caduque. Le défendeur affirme que le critère établissant l’abus de procédure est élevé et n’est atteint que dans les « cas les plus manifestes »
: Blencoe, précitée, au paragraphe 120, citant R c Power, [1994] 1 RCS 601, à la page 616. Le désaccord du demandeur avec la thèse du ministre selon laquelle la mesure d’expulsion n’était pas caduque n’établit pas que les actions du ministre étaient inéquitables, abusives ou contraires à l’intérêt de la justice. De plus, devant la Section de l’immigration, le défendeur a aussi affirmé que le fait que l’ordonnance ait été caduque n’empêche pas sa modification par la Section de l’immigration.
[58]
Le défendeur observe que la capacité de la Section de l’immigration de prendre en considération les arguments sur l’abus de procédure était décrite comme « très restreint »
dans Ismaili c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2017 CF 427, au paragraphe 24. Cette observation était faite dans le contexte de l’abus de procédure attribuable à un retard, mais le défendeur affirme que le principe s’applique aussi en l’espèce.
VIII.
DISCUSSION
[59]
Pour l’essentiel, le demandeur affirme que la mesure d’expulsion conditionnelle délivrée le 6 février 2002 est caduque puisqu’elle a été exécutée le 11 juillet 2002 lorsqu’il a été extradé aux États-Unis. Par conséquent, il affirme que la Section de l’immigration n’avait pas la compétence de modifier cette mesure d’expulsion caduque tel qu’elle prétendait le faire dans la décision du 22 mai 2017 qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
[60]
Dans une très large mesure, la question de savoir si la mesure d’expulsion avait été exécutée (et donc caduque) lorsque le demandeur a été extradé le 11 juillet 2002 est une question d’interprétation de la loi à laquelle s’appliquent les règles standard. Les aspects qui suivent revêtent une importance particulière en l’espèce :
a) Le principe selon lequel il faut donner un sens à chaque terme d’une loi et qu’une interprétation qui laisserait sans effet une partie des termes employés dans une loi sera normalement rejetée (Canadian Pickles, précitée, à la page 408);
b) Le principe moderne voulant qu’il faille [traduction]
« lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur »
(Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, au paragraphe 23).
[61]
Les deux parties conviennent que le demandeur a été légalement remis et extradé aux États-Unis le 11 juillet 2002. Le demandeur affirme toutefois que, d’après les faits de l’espèce, l’effet de l’extradition était d’exécuter la mesure d’expulsion puisqu’elle signifiait que les conditions de l’exécution de la mesure d’expulsion avaient été remplies à ce moment-là. Cependant, le défendeur affirme que l’extradition du demandeur n’a pas entraîné l’exécution de la mesure d’expulsion. Ainsi, la mesure d’expulsion demeurait en effet et a été légalement modifiée par la Section de l’immigration dans la décision faisant l’objet du contrôle.
A.
Applicabilité
[62]
L’argument principal du défendeur est que la mesure d’expulsion ne pouvait pas être exécutée par l’extradition du 11 juillet 2002 aux États-Unis, puisque la mesure d’expulsion n’était pas, aux termes des dispositions législatives et des règlements en vigueur, exécutable à cette date.
[63]
Le défendeur est d’accord avec le demandeur pour dire que, le 27 juin 2002, lorsqu’il a été ordonné que le demandeur soit remis pour son extradition, le paragraphe 69.1(14) de la Loi sur l’immigration (dans la version qui était alors en vigueur), faisait de l’ordonnance de remise une décision réputée défavorable de la SRR, l’effet étant que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention. Mais le défendeur affirme que cela ne signifie pas que la mesure d’expulsion est devenue exécutoire le 27 juin 2002, car l’alinéa 32.1(6)c) de la Loi sur l’immigration dispose qu’aucune mesure de renvoi conditionnel ne devient exécutoire que si se réalise l’une ou l’autre des conditions suivantes : « la section du statut lui a refusé le statut de réfugié au sens de la Convention »
– ce qui s’est produit en l’espèce en raison de l’effet déterminatif de l’article 69.1 (4) de la Loi sur l’immigration – et qu’elle en « a dûment notifié le refus »
au demandeur – ce qui, selon le défendeur, ne s’est pas produit en l’espèce.
[64]
Dans le détail, l’argument du défendeur sur la question était le suivant :
14. Pour assurer la conformité à l’alinéa 32.1(6)c), la SRR avait en place en juin 2002 un protocole se rapportant aux avis. La SRR avait reçu pour consigne de suivre la procédure définie dans la Note de procédure du Tribunal (NPT). Précisément, la NPT obligeait la SRR à notifier les demandeurs que leur demande d’asile avait été rejetée en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention après la délivrance de leur arrêté d’extradition.
15. Conformément à la NPT, une fois que la revendication du demandeur est réputée rejetée par l’application du paragraphe 69.1(14) de la Loi sur l’immigration, le greffier de la SRR devait notifier le demandeur de la décision défavorable en lui envoyant une lettre d’avis. Le modèle de cette lettre est exposé dans la NPT et désigné comme Lettre no 2. Sur réception de cette lettre, une mesure d’expulsion conditionnelle deviendrait alors exécutable par l’application de l’alinéa 32.1(6)c) de la Loi sur l’immigration.
16. Le demandeur n’a jamais reçu de lettre d’avis de la SRR l’informant que sa demande d’asile était réputée rejetée.
17. La théorie du demandeur selon laquelle sa mesure d’expulsion est devenue exécutable le 27 juin 2002 n’est viable que si l’on ne tient pas compte de l’exigence en matière de notification expressément inscrite à l’alinéa 32(1)(6)c). Cependant, le fait de ne pas tenir compte de cette exigence contrevient au principe fondamental d’interprétation législative voulant qu’il faille donner un sens à chaque terme d’une loi.
[Renvois omis.]
[65]
Le demandeur conteste ainsi ces arguments :
39. L’effet conjugué de ces deux dispositions est que lorsque l’extradition du demandeur a été ordonnée en vertu de la Loi sur l’extradition le 27 juin 2002, à laquelle le demandeur avait accepté de se conformer en signant le Consentement après arrestation (article 71 de la Loi sur l’extradition) le 7 juin 2002, en application du paragraphe 69[.1](14), la demande d’asile était réputée avoir été rejetée et, par conséquent, en application de l’article 32.1, la mesure d’expulsion est devenue exécutable le même jour, le 27 juin 2002, et non 15 jours plus tard, comme le fait valoir le défendeur dans son argumentation relative à l’autorisation.
40. Dans son argumentation relative à l’autorisation, le défendeur a tenté d’évoquer une disposition de la LIPR —, plus précisément celle qui prévoit un délai d’applicabilité de 15 jours après le refus réputé défini à l’alinéa 49(2)c) de la LIPR —, mais la LIPR n’est entrée en vigueur que le lendemain, c’est-à-dire le 28 juin 2002. Aucune disposition comparable n’existe dans la Loi sur l’immigration, qui était toujours la loi en vigueur le 27 juin 2002, le jour où le demandeur a été extradé en application de la Loi sur l’extradition. Par conséquent, en raison de l’application conjointe du paragraphe 69[.1](14) et du paragraphe 32.1(6) de la Loi sur l’immigration, il existait une mesure de renvoi exécutable le 27 juin 2002.
41. Le 28 juin 2002, une mesure de renvoi non exécutée est devenue assujettie à la LIPR en application de l’article 319 du Règlement. Cependant, l’entrée en vigueur de la LIPR et du Règlement ne change rien à l’applicabilité de cette mesure de renvoi déjà exécutable.
[66]
Le demandeur n’explique toutefois pas comment le refus réputé de la demande d’asile édicté par le paragraphe 69.1(14) rend la mesure d’expulsion exécutable si l’on ne satisfait pas aux exigences en matière de notification prévues à l’alinéa 32.1(6)c) de la Loi sur l’immigration. L’argument du défendeur est que le demandeur n’a jamais reçu une lettre d’avis de la SRR l’informant que sa demande d’asile était réputée rejetée.
[67]
Le demandeur ne prétend pas que l’exigence de notifier prévue à l’alinéa 32.1(6)c) de la Loi sur l’immigration peut être facultative. Ainsi, il doit démontrer comment l’exigence de notifier était satisfaite eu égard aux faits de l’espèce. Le demandeur tente d’arriver à cette fin par de plusieurs façons.
[68]
D’emblée, il affirme que le défendeur a considéré la mesure d’expulsion comme exécutable lorsqu’un agent a confirmé le renvoi du demandeur du Canada le 11 juillet 2002 au moyen d’une attestation de départ signée alors que le demandeur était détenu par le défendeur, et le demandeur a reçu signification de la mesure d’expulsion le même jour.
[69]
Les éléments de preuve qui m’ont été présentés n’indiquent pas que le demandeur a obtenu ou a reçu une copie de l’attestation de départ lorsqu’il a été extradé, c’est-à-dire après l’entrée en vigueur de la LIPR. L’alinéa 240(1)b) du Règlement sur l’IPR précise que le demandeur doit avoir « obtenu »
une attestation de départ du ministère pour répondre aux critères d’exécution de la mesure d’expulsion. Le demandeur, d’après les éléments de preuve présentés à son audience d’habeas corpus, affirme qu’il n’a pas obtenu copie de son attestation de départ avant mai 2015.
[70]
Le défendeur est d’accord avec le demandeur pour dire que le demandeur a reçu signification de sa mesure d’expulsion le 11 juillet 2002. Mais cela ne satisfait pas aux dispositions de l’alinéa 240(1)b) de la LIPR qui était en vigueur lorsque le demandeur a été extradé le 11 juillet 2002, et cela ne l’emporte pas sur l’alinéa 32.1(6)c) de la Loi sur l’immigration ou sur le paragraphe 49(2) de la LIPR, qui exigent tous deux une notification du rejet (présumé ou non) de la demande par la Section de la protection des réfugiés.
[71]
De l’avis du demandeur :
une attestation de départ remplie et la signification de la mesure d’expulsion d’une personne sont des pratiques et des observations claires, sans ambiguïté et sans réserve qui confirment le renvoi d’une personne. Par conséquent, les doctrines équitables de l’attente légitime et de préclusion par assertion s’appliquent.
[72]
Le demandeur semble arguer que, même si les conditions d’applicabilité imposées par la loi ne sont pas remplies, les principes d’équité devraient lui garantir la réparation qu’il sollicite en l’espèce. Le demandeur ne peut avoir aucune attente légitime ni aucun droit de préclusion pouvant remplacer les termes explicites d’une loi. La Cour n’a aucun pouvoir d’écarter l’intention manifeste du législateur. Voir Granger, précitée, aux paragraphes 8 et 9, confirmée dans [1989] 1 RCS 141.
[73]
Au fond, le demandeur affirme que son extradition aux États-Unis équivalait, en fait et en droit, à une expulsion. Cependant, la Cour a clairement établi que l’extradition et l’expulsion sont deux processus très différents et ne peuvent être traitées comme des prolongations l’une de l’autre. Dans Waldman, par exemple, la Cour a formulé à ce sujet les observations suivantes :
[21] L’article 240 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoit quand une mesure de renvoi est exécutée. L’exécution a lieu, par exemple, lorsque l’étranger concerné « quitte le Canada » (alinéa c)). L’article 240 prévoit clairement cependant, selon moi, que le départ du Canada doit découler de l’exécution de la mesure de renvoi elle-même, l’article précisant que l’exécution peut être soit volontaire ou forcée, du fait du ministre de l’Immigration.
[22] Si l’arrêté d’extradition est exécuté à l’encontre du demandeur en l’espèce, c’est le ministre de la Justice qui en assurera l’exécution et, par suite, le demandeur sera hors du Canada. Ce dernier fait pourrait bien avoir une incidence, en vertu de la LIPR, quant à la manière dont le demandeur pourrait retourner ici. Mais le demandeur se trouverait hors du Canada non parce qu’il a quitté le pays volontairement et non parce que le ministre de l’Immigration a exécuté une mesure de renvoi à son encontre, mais parce que le ministre de la Justice l’a fait extrader.
[74]
La Cour suprême du Canada a aussi explicité cette distinction. Dans Németh, par exemple, pour examiner le « renvoi »
au sens de la LIPR, la Cour suprême a retenu ce qui suit, qui s’applique aussi à l’espèce :
[24] Je reviens donc à l’argument voulant que l’art. 115 et, plus particulièrement, les mots « [n]e peut être renvoyée » interdisent l’extradition de réfugiés. On affirme que le sens ordinaire de ces mots inclue l’extradition, que cette interprétation est nécessaire à la mise en œuvre des obligations du Canada sous le régime de la Convention relative aux réfugiés et que l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3, de notre Cour étaye cette opinion. L’intimé soutient pour sa part que, dans la LIPR, la notion de « renvoi » est d’ordre technique, et qu’elle ne vise que les mesures de renvoi prises en application de cette loi.
[25] Pour les motifs exposés ci‑dessous, je donne raison à l’intimé.
a) Sens ordinaire
[26] Les appelants mettent l’accent sur le sens ordinaire du mot « renvoyée » au par. 115(1) et soutiennent que l’extradition est une forme de « renvoi ». Il est certain que le sens ordinaire de ces mots est assez large pour englober tout type de renvoi, y compris l’extradition. Toutefois, suivant le « principe moderne » d’interprétation des lois maintes fois répété, les termes de la LIPR doivent s’interpréter dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, par. 21; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 RCS 559, par. 26. Lorsque l’on procède ainsi, il devient clair, à mon avis, que le mot « renvoyée », dans la LIPR, revêt un sens spécialisé et qu’il n’englobe pas le renvoi par extradition.
[75]
Le demandeur souligne aussi diverses erreurs administratives dans le traitement en l’espèce, mais ces erreurs ne peuvent l’emporter sur l’application des dispositions législatives en vigueur et sur les exigences de la législation applicable.
[76]
Le demandeur reconnaît qu’il a été extradé et que, en règle générale, l’extradition ne correspond pas à l’expulsion. Il affirme, cependant, que l’extradition peut constituer une expulsion si, d’après les faits de l’espèce, l’extradition remplit les conditions du renvoi.
[77]
Il prétend que les conditions d’expulsion étaient remplies puisque, conformément au paragraphe 240(1) du Règlement sur l’IPR, il a :
a) comparu devant un agent de l’immigration à un point d’entrée et son départ du Canada a été vérifié;
b) obtenu une attestation de départ du ministère;
c) quitté le Canada;
d) été autorisé à entrer, à d’autres fins qu’un simple transit, aux États-Unis qui était son pays de destination aux fins du processus d’extradition.
[78]
Il affirme que, aux fins de l’alinéa 240(1)b), il n’était pas obligé de recevoir une copie papier de l’attestation de départ. Il reconnaît que l’attestation de départ en l’espèce ne comporte pas sa photo ou sa signature, mais affirme que la loi ne l’exigeait pas pour rendre l’attestation valide, et que c’est la signature de l’agent qui remplit l’attestation et la rend légale.
[79]
En effet, l’attestation de départ indique ce qui suit : [traduction]
La présente attestation, une fois signée par un agent de l’immigration ci-après dans la Partie C, confirme que la personne visée a convaincu l’agent que les exigences du renvoi sont satisfaites conformément au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, et que la mesure de renvoi a été exécutée à la date de confirmation.
[80]
Le demandeur souligne que son témoignage dans le cadre de sa demande d’habeas corpus quant au moment où il a finalement reçu sa copie de l’attestation de départ n’est pas pertinent en l’espèce, puisque l’attestation de départ confirme, par la signature de l’agent visé, que toutes les exigences de renvoi avaient été satisfaites conformément au Règlement sur l’IPR et que la mesure de renvoi avait été exécutée et confirmée le 11 juillet 2002.
[81]
La réponse du défendeur à ce qui précède est que les règlements ne l’emportent pas sur les lois sous-jacentes et que, d’après les faits de l’espèce, la mesure d’expulsion n’était pas en vigueur lorsque l’extradition a été exécutée le 11 juillet 2002. En effet, vu le libellé de l’alinéa 32.1(6)c) de la Loi sur l’immigration, la mesure d’expulsion ne pouvait devenir exécutoire que si le demandeur recevait l’avis que la Section de la protection des réfugiés indiquant qu’il n’était pas un réfugié au sens de la Convention, ce qui ne s’est pas produit. Et, après l’entrée en vigueur de la LIPR le 28 juin 2002, le lendemain de la signature par le ministre de l’arrêté d’extradition, la LIPR disposait à l’alinéa 49(2)c) que la mesure de renvoi ne deviendrait exécutoire que 15 jours après « notification »
que la demande d’asile du demandeur avait été rejetée par la Section de la protection des réfugiés. Ainsi, en l’espèce, la mesure de renvoi ne pouvait pas devenir exécutoire avant le 12 juillet 2002, c’est-à-dire le lendemain du jour où l’extradition a eu lieu. Ainsi, l’extradition n’aurait pas pu être l’exécution de la mesure de renvoi. Dans Al-Ghamdi, la Cour a conclu :
[31] Une erreur administrative ne saurait modifier les conditions prescrites par la loi. Dans l’arrêt Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.) c. Inland Industries Ltd., [1974] RCS 514, le juge Louis-Philippe Pigeon écrit ce qui suit :
[…] Toutefois, il me paraît clair qu’une approbation donnée sans que les conditions prescrites par la loi ne soient remplies ne lie pas le ministre.
(Il y a également lieu de se reporter, à cet égard, à l’arrêt Granger c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 141.)
[82]
Le demandeur affirme que la mesure d’expulsion est devenue exécutoire le 27 juin 2002 par prise d’effet conjointe du paragraphe 69.1(14) et de l’article 32.1 de la Loi sur l’immigration :
39. L’effet conjugué de ces deux dispositions est que lorsque l’extradition du demandeur a été ordonnée en vertu de la Loi sur l’extradition le 27 juin 2002, à laquelle le demandeur avait accepté de se conformer en signant le Consentement après arrestation (article 71 de la Loi sur l’extradition) le 7 juin 2002, en application du paragraphe 69[.1](14), la demande d’asile était réputée avoir été rejetée et, par conséquent, en application de l’article 32.1, la mesure d’expulsion est devenue exécutable le même jour, le 27 juin 2002, et non 15 jours plus tard, comme le fait valoir le défendeur dans son argumentation relative à l’autorisation.
[83]
Le demandeur n’a toutefois pas précisé sur quel paragraphe de l’article 32.1 il s’appuyait, mais il semble manifeste qu’il se fonde sur l’alinéa 32.1(6)c), qui exigeait non seulement que la Section de la protection des réfugiés décide qu’il n’est pas un réfugié au sens de la Convention, mais aussi qu’il en soit notifié Le demandeur n’a pas expliqué comment il est possible de se soustraire à l’exigence en matière de notification, ou comment ou quand la notification prévue à l’alinéa 32.1(6)c) a eu lieu à l’égard des faits de l’espèce.
[84]
Le demandeur ne conteste pas non plus le compte rendu de Mme Carol Hammond dans son affidavit concernant le protocole public transparent de notification qui était en place pendant la période visée, et la lettre qui existait pour assurer la transmission de la notification, et que le demandeur n’a pas reçue pendant la période visée.
[85]
Le demandeur n’a pas réellement tenté de démontrer à la Cour comment on peut faire abstraction de l’exigence en matière de notification en l’espèce. Il se fonde sur le paragraphe 240(1) du Règlement sur l’IPR, mais même s’il pouvait démontrer qu’il a, d’une manière quelconque, « obtenu »
une attestation de départ du ministère en application de l’alinéa 240(1)b), cela ne pourrait pas l’emporter sur les exigences de la loi applicable qu’un avis doit être signifié avant que la mesure de renvoi conditionnel ne prenne effet. Le demandeur se fonde sur l’attestation de départ pour démonter qu’il a satisfait aux conditions pour que son renvoi soit exécuté, mais n’explique pas comment le paragraphe 240(1) du Règlement sur l’IPR peut permettre de satisfaire aux lois applicables. J’estime qu’un parallèle utile peut être tracé avec les conclusions de la juge Strickland dans Pavicevic :
[41] En ce qui concerne la citoyenneté, le droit de détenir un passeport canadien découle de la citoyenneté, laquelle ne peut être attribuée qu’en conformité avec la Loi sur la citoyenneté (Solis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 407 (QL); Al-Ghamdi c Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2007 CF 539, au paragraphe 29 [Al-Ghamdi]). Dans le cas qui nous occupe, lorsqu’il a délivré des passeports dans le passé, Passeport Canada l’a fait en croyant à tort que le demandeur était un citoyen canadien de par son lieu de naissance. Toutefois, « une approbation donnée sans que les conditions prescrites par la loi ne soient remplies ne lie pas le ministre » (arrêt Inland Industries, précité; décision Al-Ghamdi, précitée, au paragraphe 31). Par conséquent, le fait qu’un passeport a été délivré dans le passé n’emporte pas attribution de la citoyenneté et n’oblige pas Passeport Canada à délivrer d’autres passeports à l’avenir, pas plus qu’il ne l’empêche de révoquer un passeport si les conditions légales sous-jacentes n’ont pas été respectées.
[Non souligné dans l’original.]
[86]
En outre, le paragraphe 240(1) du Règlement sur l’IPR n’est d’aucun secours au demandeur en l’espèce, puisqu’il n’a pas « obtenu »
une attestation de départ du ministère. Le fait qu’une attestation de départ a été délivrée ne signifie pas que le demandeur a « obtenu »
l’attestation. Il vaut la peine de souligner que le demandeur n’a pas signé l’attestation de départ et que sa photo n’y est pas jointe, ce qui permet de penser qu’il n’était pas présent en personne lorsqu’elle a été signée par l’agent. Le demandeur savait qu’il était extradé aux États-Unis et qu’il n’était pas renvoyé en application de la mesure d’expulsion. Dans Németh, la Cour a fait les observations suivantes :
[24] Je reviens donc à l’argument voulant que l’art. 115 et, plus particulièrement, les mots « [n]e peut être renvoyée » interdisent l’extradition de réfugiés. On affirme que le sens ordinaire de ces mots inclue l’extradition, que cette interprétation est nécessaire à la mise en œuvre des obligations du Canada sous le régime de la Convention relative aux réfugiés et que l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3, de notre Cour étaye cette opinion. L’intimé soutient pour sa part que, dans la LIPR, la notion de « renvoi » est d’ordre technique, et qu’elle ne vise que les mesures de renvoi prises en application de cette loi.
[...]
[27] Il faut examiner l’art. 115 dans le contexte des autres dispositions de la Loi qui traitent aussi du renvoi. La section 5 de la partie I de la LIPR porte sur la « Perte de statut et [le] renvoi ». Le mot « renvoi » y est employé en rapport avec la « mesure de renvoi », une mesure particulière autorisée par la LIPR dans des circonstances déterminées qui sont définies de façon détaillée : voir, p. ex., le par. 44(2), l’al. 45d) et l’art. 48. Les termes « renvoyée » et « renvoi » sont donc employés en relation avec des procédures particulières établies par la LIPR, ce que confirme le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑277. L’article 53 de la LIPR énonce que les règlements d’application de la Loi peuvent notamment régir « les cas de prise ou de maintien des mesures de renvoi » : al. 53b). La partie 13 du Règlement traite du renvoi. L’article 223 du Règlement précise que les mesures de renvoi sont de trois types : l’interdiction de séjour, l’exclusion et l’expulsion. L’arrêté d’extradition pris en vertu de la [Loi sur l’extradition] n’y est pas mentionné. Le lien établi entre le renvoi et ces trois types de mesure renforce l’opinion que les mots « renvoyée » et « renvoi » concernent des procédures particulières prévues par la LIPR.
[...]
[31] En conclusion sur cette question, j’estime qu’il ressort indubitablement de l’interprétation contextuelle de l’art. 115 que le mot « renvoyée », au par. 115(1) vise le processus de renvoi sous le régime de la LIPR et non le renvoi pour extradition sous le régime de la [Loi sur l’extradition]. Il n’y a donc pas conflit entre les deux lois.
[87]
Puisque le demandeur n’a pas déposé d’affidavit avec la présente demande, aucun élément de preuve ne m’a été présenté pour expliquer pourquoi il n’a pas signé l’attestation de départ ou qu’il avait l’impression que son extradition aux États-Unis signifiait que son expulsion était exécutée en même temps. La demande dont je suis saisi repose sur une interprétation exclusivement technique de la Loi sur l’immigration, de la LIPR, et du Règlement sur l’IPR. Aucun élément de preuve ne démontre qu’il a quelque attente que ce soit que son extradition signifiait aussi l’expulsion fondée sur ces faits. Pour ce qui est de l’interprétation de la loi, j’estime que la demande doit être déboutée.
B.
Recours abusif
[88]
Puisque l’argument avancé par le demandeur pour alléguer l’abus de procédure est fondé sur le fait que sa mesure d’expulsion avait déjà été exécutée, et que j’ai conclu que ce n’était pas le cas, son argument sur le recours abusif doit lui aussi être rejeté.
IX.
Question à certifier
[89]
Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et la Cour ne voit aucune question à certifier.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2551-17
LA COUR ORDONNE QUE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« James Russell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 29e jour de juin 2020
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-2551-17
|
INTITULÉ :
|
JAMIL OGIAMIEN c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 22 novembre 2017
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE RUSSELL
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 12 janvier 2018
|
COMPARUTIONS :
Rebeka Lauks
|
Pour le demandeur
|
Monmi Goswami
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Waldman & Associates
Avocats
Toronto (Ontario)
|
Pour le demandeur
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
Pour le défendeur
|