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Date : 20171220


Dossier : T-1869-17

Référence : 2017 CF 1173

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

GASTON GAUTHIER

demandeur

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

ET

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Invoquant les pouvoirs que la Cour possède en vertu de l’article 18.2 et de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, le demandeur recherche de manière urgente l’émission d’une ordonnance en suspension et en injonction interlocutoire visant à empêcher la ministre du Revenu national [ministre] d’émettre en vertu du paragraphe 152(4) ou de toute autre disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985 c 1 (5e supp) [LIR] une nouvelle cotisation relativement à l’année d’imposition 2004 ou toute autre année antérieure.

[2]               Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas satisfait en l’espèce que le demandeur se soit déchargé de son fardeau de démontrer à la Cour que son avis de demande de contrôle judiciaire du 5 décembre 2017 – qui recherche l’émission d’un bref de prohibition et diverses conclusions de nature déclaratoire – soulève une question sérieuse, qu’il subira un préjudice irréparable si la requête en suspension et en injonction interlocutoire n’est pas accueillie, et que la prépondérance des inconvénients le favorise compte tenu de l’intérêt public en jeu dans ce dossier (voir RJR-Macdonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, 111 DLR (4e) 385).

[3]               Le programme de divulgations volontaires de l’Agence du Revenu du Canada [ARC] fait la promotion de l’observation des lois fiscales du Canada en encourageant les contribuables à procéder à une divulgation volontaire afin de corriger des omissions passées dans le cadre de leurs transactions avec l’ARC. Les contribuables qui font une divulgation volontaire valide devront payer les impôts, plus les intérêts, sans pénalités ou poursuites auxquelles ils se verraient autrement assujettis. Sauf si une demande a été produite avant la règle relative à la restriction de 10 ans qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2005, les demandes produites pour les années d’imposition 1985 à 1994 ne seront pas acceptées. Voir la Circulaire d’information 1C00-1R4 concernant le programme de divulgations volontaires [la Circulaire].

[4]               En 1978, le demandeur aurait transféré 300 000 $ dans un compte bancaire aux Bahamas, un paradis fiscal; cette somme serait le fruit d’économies. Apparemment soucieux de mettre ses affaires en ordre pour ne pas transmettre ses problèmes fiscaux à ses héritiers, le demandeur a divulgué volontairement le revenu non déclaré pour les années d’imposition 2005 à 2014. La divulgation volontaire a apparemment été reçue par l’ARC le 7 janvier 2015 et acceptée le 17 juin 2015 au nom de la ministre conformément au paragraphe 220(3.1) de la LIR et à la Circulaire.

[5]               En l’espèce, l’ARC a accepté la divulgation du demandeur, renoncé aux pénalités et accordé un allègement d’intérêts pour les années d’imposition 2005 à 2014.

[6]               Or, au mois d’août 2016, l’ARC a entrepris, sur la base des renseignements fournis par le demandeur, la vérification des déclarations de revenu du demandeur pour les années d’imposition 1980 à 2004. Tel que l’explique dans son affidavit, M. Michel Audet, vérificateur à l’ARC, compte tenu de l’incapacité du demandeur de fournir des détails ou des documents sur le transfert initial de 300 000 $ ou sur la gestion du compte bancaire à compter de 1978, il a évalué deux scénarios de cotisation, choisissant d’« inclure le revenu total de placement (173 460 $) dans le revenu pour l’année d’imposition 2004, le répartir entre dividendes de sources canadiennes et les intérêts selon un pourcentage correspondant à la répartition de son portefeuille pour les années d’imposition 2005 à 2014 de façon à lui permettre de demander un crédit d’impôt pour dividendes [sic] et imposer la pénalité pour non-production du formulaire T1135 et les pénalités prévues aux par. 162(10) et (10.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour cette année d’imposition uniquement ».

[7]               En bref, le demandeur soumet aujourd’hui que l’émission de toute cotisation en lien avec la proposition de redressement du 7 novembre 2017 préparée par l’ARC contreviendrait à l’entente intervenue suite à la divulgation volontaire du demandeur, qui soutient que l’émission d’une nouvelle cotisation pour toute année antérieure à 2005 va à l’encontre de la pratique courante de l’ARC, alors qu’un contribuable acceptant de faire une divulgation volontaire n’est pas prêt à commettre un « suicide fiscal ».

[8]               De leur côté, les défenderesses contestent vivement l’interprétation et les effets que prête le demandeur à la lettre du 17 juin 2015 et à la Circulaire. En effet, à la lecture de la lettre d’acceptation, l’ARC a été très claire : la divulgation volontaire n’était valable que pour les années d’imposition 2005 à 2014, ce conteste le demandeur qui soutient qu’on ne doit pas lire de manière littérale la lettre du 17 juin 2015 ou la Circulaire.

[9]               Le mieux qu’on puisse dire, c’est qu’à première vue, la preuve est contradictoire. Par conséquent, je suis d’accord avec le procureur des défenderesses que le demandeur n’a pas présenté à ce stade une preuve convaincante des allégations essentielles qui sous-tendent sa requête en suspension et en injonction interlocutoire – en particulier que les défenderesses se sont effectivement engagées à ne pas établir de nouvelles cotisations pour les années d’imposition antérieures aux années d’imposition visées par la divulgation volontaire du demandeur (2005 à 2014) et, qu’elles agiraient à l’encontre d’une promesse claire et non équivoque donnant lieu à l’application de la doctrine de la préclusion en droit public (voir Immeubles Jacques Robitaille Inc c Québec (Ville), 2014 CSC 34 aux paras 19, 20 et 24).

[10]           D’un autre côté, s’agissant du mérite éventuel d’un recours en prohibition pour empêcher l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui est clairement dévolu à la ministre par la LIR – soit celui d’émettre un nouvel avis de cotisation – force est de constater qu’aucune jurisprudence n’a pu être invoquée précisément à ce sujet par le demandeur, et encore moins dans le cadre d’une requête en injonction interlocutoire visant à suspendre au profit exclusif du demandeur l’application d’une loi d’application générale comme la LIR et dont la constitutionnalité n’est pas remise en cause.

[11]           Dans son affidavit, le demandeur dit comprendre que « les motifs soulevés au soutien de [sa] demande de contrôle judiciaire relèvent de l’équité », tandis qu’il « ne conteste pas le bien-fondé d’une cotisation devant cette Honorable Cour ». Cela dit, il allègue généralement que « l’émission hâtive des cotisations [lui] causerait des préjudices sérieux et irréparables », sans plus de précision. D’autre part, le fait que la présente demande de contrôle judiciaire puisse devenir académique ne constitue pas un préjudice irréparable selon la jurisprudence (voir United States Steel Corporation c Canada (Procureur général), 2010 CAF 200 au para 17).

[12]           Qui plus est, il existe un autre recours approprié et efficace pour soulever une question de fond touchant à la recevabilité d’une cotisation établie soi-disant à l’encontre du contenu même de l’entente et des représentations invoquées par le demandeur – non encore prouvées à ce stade des procédures – d’autant plus que la ministre (suite à une opposition), et la Cour canadienne de l’impôt (suite à un appel), peuvent annuler une cotisation (voir para 165(3) et l’article 171 de la LIR; l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales; Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 au para 81).

[13]           La prépondérance des inconvénients favorise clairement les défenderesses. L’intérêt public – soit l’application ordonnée de la LIR – l’emporte ici sur les inconvénients financiers et autres que pourra subir le demandeur d’avoir, comme tout contribuable, à s’astreindre à la procédure normale de contestation prévue dans la LIR.

[14]           Pour ces motifs, la présente requête est rejetée. Vu le résultat, les défenderesses ont droit à leurs dépens.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête en suspension et en injonction interlocutoire du demandeur soit rejetée avec dépens.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1869-17

 

INTITULÉ :

GASTON GAUTHIER c MINISTRE DU REVENU NATIONAL, ET, AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 décembre 2017

 

ORDONNANCE ET motifs :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Olivier Fournier

Me Marie-France Dompierre

Me Simon Lemieux

 

pour le demandeur

Me Ian Demers

 

pour leS défenderesses

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Droit fiscal Deloitte S.E.N.C.R.L./s.r.l

Montréal (Québec)

 

pour le demandeur

Procureur Général du Canada

 

pour leS défenderesses

 

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