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Date : 20171214


Dossier : IMM-4872-16

Référence : 2017 CF 1151

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

HONG YAN LI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision du 24 février 2016 par laquelle une déléguée du ministre de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a déféré l’affaire de la demanderesse à la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada pour enquête au motif qu’elle a fait une fausse déclaration de parrainage de ses parents aux fins de l’obtention de la résidence permanente.

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  La demanderesse est une citoyenne de la République populaire de Chine. Elle a obtenu la résidence permanente du Canada le 27 décembre 2008.

[3]  En 2009, elle a soumis une demande à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) afin de parrainer ses parents qui souhaitaient immigrer au Canada en qualité de résidents permanents. La demande de parrainage a été accueillie et les parents de la demanderesse sont devenus des résidents permanents. Dans cette demande, la demanderesse avait déclaré qu’elle travaillait pour une société appelée Oxford College, à Vancouver.

[4]  Cette société a attiré l’attention de la Section des enquêtes criminelles de l’ASFC dans le cadre d’une enquête sur les activités de New Can Consultants (Canada) Ltd. (New Can) et de Xun « Sunny » Wang. M. Wang était impliqué dans un stratagème de faux relevés d’emploi qui permettait à ses clients d’obtenir et de conserver la résidence permanente ou la citoyenneté canadienne. Selon l’ASFC, Oxford College était la société fictive que M. Wang utilisait pour son stratagème. Au cours de l’enquête, l’ASFC a mis la main sur des documents qui indiquaient que la demanderesse était l’une des clientes de M. Wang.

[5]  Dans la partie sur l’évaluation financière de la demande de parrainage, la demanderesse avait déclaré qu’Oxford College avait été son employeur du 1er janvier au 24 mars 2009, et que cet emploi lui procurait un salaire hebdomadaire de 375 $. Ces déclarations lui ont permis de satisfaire aux exigences financières du parrainage. En preuve de ce revenu, elle a fourni les bulletins de paye de la période en question ainsi que des lettres d’Oxford College qui attestaient qu’elle en était l’employée. Ces déclarations trompeuses ont retenu l’attention de l’ASFC car, dans la demande de citoyenneté présentée en 2012, la demanderesse avait indiqué qu’elle avait rendu visite à ses parents en Chine du 4 janvier au 11 mars 2009. Elle avait aussi déclaré qu’elle se trouvait en Chine pendant l’essentiel du mois d’avril, puis de nouveau du 14 mai et au 17 juillet 2009, alors que des bulletins de paye d’Oxford College ont été produits pour l’intégralité de cette période.

[6]  À son retour au Canada en 2014, l’ASFC a entrepris des procédures pour déférer l’affaire de la demanderesse à la Section de l’immigration pour enquête. Dans un rapport fondé sur le paragraphe 44(1) de la Loi (rapport), l’agent de l’ASFC chargé de l’exécution de la loi (agent) a exposé les faits qui à son avis emportaient interdiction de territoire de la demanderesse au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi. La conclusion du rapport est la suivante : [traduction] « La demanderesse a directement ou indirectement fait une présentation erronée sur un fait important risquant d’entraîner une erreur dans l’application de la [Loi]. » L’agent a transmis le rapport à la déléguée.

[7]  À ce jour, l’ASFC n’a pas fait part aux parents de la demanderesse qu’une allégation d’interdiction de territoire pour fausse déclaration pèse contre eux.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8]  Le rapport « Paragraphe 44(1) et article 55 Faits saillants » transmis à la déléguée décrit l’enquête menée par l’ASFC sur les activités de M. Wang et son recours allégué à de fausses déclarations pour aider ses clients à obtenir la résidence permanente. Selon le rapport, la Section des enquêtes criminelles de l’ASFC a estimé que, pour la plupart, les clients de M. Wang étaient au fait des fausses déclarations et ils avaient rétribué M. Wang pour ses services. Il y est expliqué en outre que la demanderesse avait attiré l’attention de l’ASFC dans le cadre de son enquête et que son dossier-client chez New Can indiquait qu’elle avait sollicité des services pour sa demande de parrainage. Il est soutenu dans le rapport que la demanderesse avait faussement déclaré dans sa demande qu’elle avait travaillé chez Oxford College.

[9]  La déléguée a expliqué qu’après avoir pris connaissance du rapport, elle a déféré l’affaire à la Section de l’immigration pour qu’elle mène une enquête et rende une décision quant à l’interdiction de territoire de la demanderesse pour fausse déclaration en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

[10]  La déléguée a conclu que la demanderesse n’avait pas un lien suffisamment important avec le Canada pour justifier que le rapport ne soit pas déféré. Il est par ailleurs souligné dans la décision que les documents présentés par la demanderesse attestent de sa [traduction] « générosité », mais qu’ils ne donnent pas une preuve suffisante d’un établissement au Canada qui justifierait la prise d’une mesure spéciale concernant l’interdiction de territoire alléguée.

IV.  QUESTION EN LITIGE

[11]  La demanderesse estime que l’espèce soulève la question suivante :

1.  Le défendeur peut-il déférer l’affaire de la demanderesse à la Section de l’immigration pour enquête concernant une fausse déclaration qui n’est aucunement liée à l’acquisition de son statut au Canada?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[12]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’une analyse de la norme de contrôle n’est pas toujours nécessaire. Lorsque la jurisprudence est claire quant à la norme de contrôle applicable à une question en litige devant la Cour, la cour de révision peut l’adopter. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit soupeser les quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[13]  La demanderesse soutient que la norme de contrôle de la décision correcte s’applique à la décision en cause. Si elle convient que la Loi est la loi constitutive de l’organisme dont relève la déléguée du ministre, la demanderesse plaide que les questions d’interprétation législative soulevées par l’espèce sont de nature générale, et qu’elles constituent des questions de droit revêtant une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangères au domaine d’expertise de la déléguée. Par conséquent, la norme de la décision correcte s’applique : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 au paragraphe 30; Dunsmuir, précité, au paragraphe 60. Selon la demanderesse, ces questions intéressent [traduction] « le champ d’application des principes ordinaires en matière d’interprétation législative et les exceptions à ceux-ci ».

[14]  Le défendeur soutient que c’est plutôt la norme de la décision raisonnable qui s’applique.

[15]  Je suis d’accord. Les décisions d’un délégué du ministre de déférer l’affaire d’un résident permanent à la Section de l’immigration en application du paragraphe 44(2) de la Loi soulèvent des questions mixtes de fait et de droit qui doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Tran, 2015 CAF 237, aux paragraphes 3, 22 et 31, inf. pour d’autres motifs dans l’arrêt 2017 CSC 50). De manière similaire, une conclusion de fausse déclaration fondée sur l’alinéa 40(1)a) soulève également une question mixte de fait et de droit qui commande l’application de la norme de la décision raisonnable (Ge c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 594, au paragraphe 14). La plupart du temps, l’exercice par un décideur administratif d’un pouvoir conféré par une loi fait intervenir des questions d’interprétation législative. Faire droit à l’argument de la demanderesse selon lequel la présente espèce porte sur des questions d’interprétation législative qui sont des questions de droit revêtant une importance capitale pour le système juridique aurait pour résultat que la Cour devrait appliquer la norme de contrôle de la décision correcte à pratiquement tous les litiges mettant en cause l’exercice d’un pouvoir administratif. L’interprétation stricte de ce qui constitue une question d’importance capitale pour le système juridique est préconisée par la Cour suprême du Canada (McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, aux paragraphes 28 à 33). La décision sera donc examinée selon la norme du caractère raisonnable. Je souligne néanmoins que l’application de la norme de la décision correcte n’aurait rien changé à l’issue de l’espèce.

[16]  Le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable se fonde sur une analyse qui s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour doit intervenir seulement si la décision est déraisonnable, c’est-à-dire si elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[17]  Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

b) être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations;

(b) for being or having been sponsored by a person who is determined to be inadmissible for misrepresentation;

c) l’annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d’asile ou de protection;

(c) on a final determination to vacate a decision to allow their claim for refugee protection or application for protection; or

d) la perte de la citoyenneté :

(d) on ceasing to be a citizen under

(i) soit au titre de l’alinéa 10(1)a) de la Loi sur la citoyenneté, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 8 de la Loi renforçant la citoyenneté canadienne, dans le cas visé au paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté, dans sa version antérieure à cette entrée en vigueur,

(i) paragraph 10(1)(a) of the Citizenship Act, as it read immediately before the coming into force of section 8 of the Strengthening Canadian Citizenship Act, in the circumstances set out in subsection 10(2) of the Citizenship Act, as it read immediately before that coming into force,

(ii) soit au titre du paragraphe 10(1) de la Loi sur la citoyenneté, dans le cas visé à l’article 10.2 de cette loi,

(ii) subsection 10(1) of the Citizenship Act, in the circumstances set out in section 10.2 of that Act, or

(iii) soit au titre du paragraphe 10.1(3) de la Loi sur la citoyenneté, dans le cas visé à l’article 10.2 de cette loi.

(iii) subsection 10.1(3) of the Citizenship Act, in the circumstances set out in section 10.2 of that Act.

Application

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1):

(2) The following provisions govern subsection (1):

a) l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of five years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced; and

b) l’alinéa (1)b) ne s’applique que si le ministre est convaincu que les faits en cause justifient l’interdiction.

(b) paragraph (1)(b) does not apply unless the Minister is satisfied that the facts of the case justify the inadmissibility.

Rapport d’interdiction de territoire

Preparation of report

44 (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

44 (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

Suivi

Referral or removal order

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

VII.  THÈSES DES PARTIES

A.  Thèse de la demanderesse

[18]  La demanderesse fait valoir que le rapport rédigé par l’agent en application du paragraphe 44(1) de la Loi, de même que la décision de la déléguée de le déférer en application du paragraphe 44(2) de celle-ci constituent des erreurs de droit puisque l’alinéa 40(1)a) ne prévoit pas l’interdiction de territoire pour une fausse déclaration qui n’est pas liée avec l’acquisition par le demandeur de son propre statut de résident permanent.

[19]  Selon la demanderesse, la déléguée du ministre n’a pas pris en considération le syntagme « quant à un objet pertinent » de l’alinéa 40(1)a). Il est un principe bien établi en matière d’interprétation législative que tous les mots d’une loi doivent être considérés comme nécessaires : R. c Kelly, [1992] 2 RCS 170, à la page 188; R. c D.L.W., 2016 CSC 22, au paragraphe 143. S’il est fait fi du syntagme en question, il s’ensuit qu’il pourrait y avoir une présentation erronée sur un fait important qui risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi sans être liée à un objet pertinent. Le rapport de l’agent et le rapport « Paragraphe 44(1) et article 55 Faits saillants » signé par la déléguée du ministre ne contiennent ni l’un ni l’autre de référence au fait que la présentation erronée doit être liée à un objet pertinent. Cette omission, argue la demanderesse, confère un caractère accessoire à cette condition et oblitère la possibilité qu’une présentation erronée puisse être liée à un objet qui n’est pas pertinent. Comme il n’est pas mentionné dans la décision que la présentation erronée de la demanderesse est liée à un objet pertinent, l’affaire a été déférée à tort et la décision devrait être annulée.

[20]  La demanderesse ajoute que la présomption de l’uniformité des expressions n’appuie pas une interprétation selon laquelle le syntagme « quant à un objet pertinent » à l’alinéa 40(1)a) de la Loi s’applique à une présentation erronée liée à une demande de statut présentée par une autre personne. Selon la présomption de l’uniformité des expressions, sauf si le contexte dénote clairement l’existence d’une intention contraire, un mot ou les mots utilisés selon une tendance notable doivent recevoir la même interprétation tout au long d’un texte législatif (Bozzer c Canada, 2010 CF 139, aux paragraphes 32 et 33 [Bozzer], inf. par 2011 CAF 186). Le syntagme « objet pertinent » figure à l’alinéa 104(1)c) ainsi qu’aux paragraphes 109(1) et 114(3) de la Loi. Selon l’interprétation de la demanderesse, chaque occurrence du syntagme limite l’objet pertinent à la demande en cause, y compris à l’alinéa 40(1)a). Aux articles 126 et 127, qui tous les deux créent des infractions pour fausses déclarations, l’« objet pertinent » doit être interprété comme étant le même que celui auquel renvoient les dispositions précédentes. Par conséquent, chaque occurrence du syntagme « objet pertinent » dans la Loi vise à exclure les fausses déclarations qui sont liées à une autre demande que celle qui fait l’objet d’un examen.

[21]  La demanderesse ajoute que la règle ejusdem generis milite pour une interprétation du syntagme « quant à un objet pertinent » qui restreint l’éventail des fausses déclarations pouvant être considérées comme pertinentes. D’ailleurs, les autres alinéas du paragraphe 40(1) prévoient aussi que seule emporte perte de statut une fausse déclaration qui concerne son acquisition par la personne qui l’a faite, et pas une fausse déclaration concernant le statut d’une autre personne. La locution ejusdem generis signifie « du même genre ». Selon cette théorie, « les termes généraux employés dans une énumération avec des termes précis devraient être interprétés d’une façon compatible avec ces derniers » (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 736 [Ward], citant Matter of Acosta, décision provisoire 2986, 1985 WL 56042 (US BIA)). La demanderesse soutient que chacun des alinéas 40(1)b), 40(1)c) et 40(1)d) de la Loi renvoie seulement à la perte de statut par suite d’une fausse déclaration liée à l’acquisition du statut par un résident permanent ou au statut d’un étranger. Selon elle, il serait absurde de considérer que l’alinéa 40(1)b) prévoit qu’une fausse déclaration qui n’a aucun lien avec le statut d’un résident permanent ou d’un étranger justifierait son interdiction de territoire parce qu’elle a emporté l’interdiction de territoire de son répondant. Il faut appliquer la même logique à l’alinéa 40(1)a), selon la demanderesse, qui ajoute qu’en soutenant qu’une interprétation littérale de l’alinéa 40(1)a) soit possible sans tenir compte des autres alinéas, le défendeur sous-entend que le syntagme « objet pertinent » à l’article 40 englobe « les demandes de parrainage ».

[22]  L’interprétation que propose le défendeur de l’alinéa 40(1)a) conduit à une interprétation absurde du paragraphe 40(2). Effectivement, le défendeur pourrait établir un rapport d’interdiction de territoire des parents de la demanderesse et le déférer à la Section de l’immigration en application du paragraphe 44(2) au motif que l’interdiction de territoire de la demanderesse, qui est leur répondante, emporterait leur interdiction de territoire en application de l’alinéa 40(1)b). L’alinéa 40(2)b) de la Loi dispose que « l’alinéa (1)b) ne s’applique que si le ministre est convaincu que les faits en cause justifient l’interdiction ». La demanderesse estime qu’il serait absurde d’ajouter une étape procédurale qui, de surcroît, compliquerait la déclaration d’interdiction de territoire de ses parents alors que la fausse déclaration alléguée est liée directement à l’acquisition de leur statut de résidents permanents. Cette étape procédurale supplémentaire porterait atteinte à l’intégrité du système. La demanderesse invoque une jurisprudence de la Cour suprême du Canada portant sur les pouvoirs de détermination d’une peine conférés par le Code criminel, LRC 1985, c C-46, pour faire valoir qu’il faut interpréter les textes de loi en évitant « [...] tout résultat absurde [et] en s’efforçant d’assurer la cohérence et la logique internes du texte » (R c Wust, 2000 CSC 18, au paragraphe 34, cité dans R c Fice, 2005 CSC 32, au paragraphe 52). Comme l’interprétation proposée par le demandeur donne selon elle un résultat absurde, la demanderesse estime que la sienne doit lui être préférée. Cette interprétation n’éliminerait pas toutes les conséquences de la fausse présentation puisque son auteur pourrait se voir refuser l’admission au Canada ou être renvoyé après son admission.

[23]  La demanderesse fait valoir que l’absurdité sur laquelle elle attire l’attention, c’est-à-dire la plus grande complexité de la procédure de renvoi d’une personne parrainée que de son répondant, est incompatible avec le principe de l’unité de la famille. Dans la décision Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, au paragraphe 9, le juge O’Keefe cite de longs extraits des motifs d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI). La Section d’appel de l’immigration a conclu que le mot « indirectement » à l’alinéa 40(1)a) de la Loi doit s’interpréter comme englobant les fausses déclarations d’une autre personne que le demandeur. Une autre interprétation de cette disposition aurait pour résultat qu’un demandeur principal pourrait être déclaré interdit de territoire pour avoir fait de fausses déclarations au profit de ses personnes à charge, mais que cette interdiction ne s’étendrait pas à ces dernières. Un tel résultat pourrait mener à une séparation inacceptable de familles. La demanderesse fait valoir qu’une logique similaire devrait s’appliquer en l’espèce.

[24]  Sans donner de référence précise, elle soutient que l’historique législatif ne permet pas de croire que le législateur a voulu que le paragraphe 40(1) s’applique aux cas de fausses déclarations qui ne sont pas liées à l’octroi d’un statut à une personne visées par ces fausses déclarations.

[25]  La demanderesse fait aussi valoir que la décision déroge à l’objet de la politique énoncé à la page 29 du guide du CIC intitulé « Évaluation de l’interdiction de territoire », ENF 2/OP 18 (24 mai 2006) (le guide) : « Les dispositions concernant les fausses déclarations ont pour but de veiller à ce que les demandeurs donnent des renseignements honnêtes, complets et véridiques en tout point dans leurs demandes d’entrée au Canada. » La demanderesse fait remarquer qu’elle était déjà entrée au Canada en tant que résidente permanente au moment de la fausse déclaration alléguée, et que l’application des dispositions sur les fausses déclarations à son cas est incompatible avec le point de vue du défendeur quant à l’objet de la politique exposé dans le guide. La demanderesse reconnaît que le guide ne fait pas autorité pour ce qui concerne l’intention du législateur, mais elle fait valoir qu’il offre un éclairage pertinent et convaincant qui permet de mieux la comprendre : Nguyen c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 232, aux pages 244 à 246 (CAF).

[26]  La Section d’appel de l’immigration s’est déjà penchée sur l’interprétation du paragraphe 40(1) dans le contexte d’une fausse déclaration d’un répondant, mais la demanderesse estime que cette interprétation n’est pas convaincante. La Section d’appel de l’immigration a conclu que l’intention du législateur était claire et que les dispositions concernant les fausses déclarations visent à « éviter la tolérance envers l’abus du système d’immigration au moyen de fausses déclarations » (Niaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CanLII 72218, au paragraphe 40, VA8-03228 (CISR) [Niaz]). Il découle de cette interprétation qu’un répondant peut être interdit de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi s’il fait une fausse déclaration dans une demande de parrainage (Niaz, précitée, aux paragraphes 3, 10 à 14 et 43). Même si l’intention du législateur était bel et bien d’éviter la tolérance envers l’abus, la demanderesse estime que les principes en matière d’interprétation législative auxquels elle renvoie sont plus convaincants que le raisonnement de la Section d’appel de l’immigration.

[27]  Pour ces motifs, elle sollicite l’annulation de la décision de déférer son affaire à la Section de l’immigration pour enquête.

B.  Thèse du défendeur

[28]  Le défendeur juge que la décision est raisonnable puisqu’elle appartient aux issues acceptables et qu’elle est justifiée, transparente et intelligible.

[29]  Il fait observer que notre Cour a précédemment interprété l’alinéa 40(1)a) et conclu que l’objet de la disposition « est de veiller à ce que les demandeurs fournissent “des renseignements honnêtes, complets et véridiques, et à dissuader les fausses déclarations” et que la “divulgation complète est fondamentale à l’application juste et équitable du régime d’immigration” » (Duquitan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 769, au paragraphe 10, citant Paashazadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 327, au paragraphe 25). Il faut décourager les fausses déclarations pour préserver l’intégrité de la procédure d’immigration (Inocentes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1187, au paragraphe 17 [Inocentes], citant Sayedi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 420, aux paragraphes 23 et 24). Une interprétation large de l’alinéa 40(1)a) s’impose donc, et « un risque d’erreur dans l’application de la [Loi] suffit » pour tirer une conclusion d’interdiction de territoire au motif d’une fausse déclaration (Inocentes, précitée, au paragraphe 18, citant Kobrosli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 757, au paragraphe 48).

[30]  Les principes applicables à l’alinéa 40(1)a) ont été résumés comme suit aux paragraphes 10 et 12 de la décision Brar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 542 [références omises] :

Pour conclure qu’un demandeur est interdit de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a), un agent doit être convaincu que (1) le demandeur a directement ou indirectement fait une présentation erronée des faits et (2) que la présentation erronée pourrait entraîner une erreur dans l’administration de la [Loi].

[...]

Les principes clés qui revêtent une importance particulière dans le contexte de la présente demande comprennent : (1) la large portée de la disposition; (2) que toute exception à la règle est étroite et s’applique uniquement aux circonstances extraordinaires; (3) un demandeur a une obligation de franchise et doit fournir des renseignements complets, honnêtes et véridiques en tout point lorsqu’il présente une demande d’entrée au Canada; (4) une présentation erronée n’a pas besoin d’être décisive ou déterminante; et (5) un demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités d’immigration avant l’examen final de la demande.

[31]  Le défendeur fait valoir que l’obligation de la demanderesse de fournir des renseignements complets, honnêtes et véridiques vaut pour toutes ses interactions avec CIC, y compris, au nom de l’administration juste et équitable du régime de l’immigration, les renseignements fournis dans la demande de parrainage de ses parents.

[32]  Le défendeur souligne qu’il est déjà prévu à l’alinéa 40(1)b) qu’une fausse déclaration d’un répondant peut emporter interdiction d’un demandeur. La Loi ne dispose pas que la fausse déclaration du répondant doit être liée à la demande de parrainage. Par conséquent, plaide le défendeur, une personne peut être interdite de territoire pour fausse déclaration sous le régime de la Loi même si cette fausse déclaration n’est pas liée à l’acquisition de son propre statut.

[33]  L’application du paragraphe 40(1) aux fausses déclarations qui ne sont pas liées à l’acquisition du statut par le demandeur n’est pas absurde si on considère que la véracité et l’honnêteté des renseignements fournis sont l’essence même de l’intégrité du système de l’immigration. Limiter l’application de l’article 40 aux fausses déclarations qui sont liées à l’acquisition du statut de leur auteur minerait l’intégrité du système. Selon le défendeur, cette interprétation limitative serait incompatible avec l’objet de l’article 40 tel que l’ont expliqué les tribunaux.

[34]  Il fait valoir en outre que la règle ejusdem generis n’est d’aucun recours pour la demanderesse puisqu’une interprétation littérale de l’article 40 tend à indiquer qu’il s’applique à son cas. Comme il n’y a aucune ambiguïté, une comparaison entre le libellé de cet article et celui d’autres dispositions de la Loi serait inutile.

[35]  Par conséquent, le défendeur sollicite le rejet de la demande de contrôle judiciaire.

VIII.  DISCUSSION

[36]  La présente demande vise à obtenir le contrôle d’une décision de la déléguée du ministre de déférer à la Section de l’immigration un rapport fondé sur le paragraphe 44(1)a) de la Loi afin qu’elle mène une enquête conformément au paragraphe 44(2).

[37]  La demanderesse est une résidente permanente du Canada et a parrainé la demande d’immigration de ses parents. Ils ont depuis obtenu leur résidence permanente, mais un rapport fondé sur le paragraphe 44(1) porte dans sa demande de parrainage, la demanderesse a directement ou indirectement fait une présentation erronée sur un fait important risquant d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Plus précisément, le rapport fait état de renseignements frauduleux fournis par la demanderesse eu égard à ses antécédents d’emploi au Canada.

[38]  La demanderesse soutient que la déléguée de la ministre a commis une erreur de droit en déférant le rapport à la Section de l’immigration aux termes de l’alinéa 44(1)a) de la Loi puisque cette disposition ne s’applique pas à la fausse déclaration alléguée. Effectivement, fait-elle valoir, le défendeur ne peut pas solliciter une mesure de renvoi pour une fausse déclaration qui n’est pas liée à l’acquisition de son statut de résidente permanente au Canada.

[39]  Il s’ensuit que la présente demande soulève une question d’interprétation législative très précise : Le défendeur peut-il solliciter une mesure de renvoi aux termes de l’alinéa 40(1)a) pour une fausse déclaration qui n’est pas liée à l’acquisition par la demanderesse de son statut de résidente permanente au Canada? Selon elle, la réponse à cette question doit être négative, pour plusieurs motifs.

A.  Objet pertinent

[40]  La demanderesse estime que des erreurs de droit sont à l’origine du rapport et de la décision de le déférer puisque l’exigence de l’alinéa 40(1)a) concernant l’« objet pertinent » n’y est ni mentionnée ni analysée. La demanderesse expose ainsi ses arguments :

[traduction]

16.  Pour justifier l’établissement d’un rapport et la décision de le déférer, le défendeur ne peut pas se contenter d’invoquer une présentation erronée sur un fait important risquant d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés : il doit rattachée cette présentation erronée à un objet pertinent. Comment peut-il alléguer qu’il y a eu une présentation erronée sur un fait important risquant d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés si elle n’est pas liée à un objet pertinent?

[…]

18.  Le rapport a manifestement été déféré à tort puisqu’il y manque un élément essentiel du motif législatif d’interdiction de territoire. Il ne suffit pas que certaines exigences de l’alinéa 40(1)a) soient remplies pour qu’une personne soit déclarée interdite de territoire. Toutes les exigences doivent être remplies. Le défendeur ne fait même aucune allusion à cet égard. Il s’agit d’une erreur qui invalide d’office la décision de déférer le rapport.

[41]  Selon le paragraphe 44(1), l’agent qui « estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire » peut, une fois qu’il a formé cette opinion, « établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre ».

[42]  Plus loin, le paragraphe 44(2) dispose que « [s]’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête […] ».

[43]  Contrairement à ce qu’avance la demanderesse, l’agent traite bel et bien de l’exigence relative à l’« objet pertinent » dans son rapport. Il indique que la demanderesse est une résidente permanente qui, à son avis, est interdite de territoire aux termes de :

[traduction]

l’alinéa 40(1)a) puisque, selon la prépondérance des probabilités, il existe des motifs de croire qu’il s’agit d’une résidente permanente ou d’une étrangère qui est interdite de territoire pour fausses déclarations parce qu’elle a fait, directement ou indirectement, une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou en raison d’une réticence sur ce fait qui risque entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la loi.

[44]  L’agent expose ensuite les faits tel que l’exige le paragraphe 44(1); il note que la demanderesse :

n’est pas une citoyenne canadienne;

est devenue une résidente permanente du Canada le 27 décembre 2008 à l’aéroport international de Vancouver;

a présenté une demande en vue de parrainer sa famille au Canada et a fourni des renseignements sur ses antécédents d’emploi, son salaire et d’autres documents établis par une société fictive nommée Oxford College;

a présenté une demande afin de parrainer sa famille au Canada dans laquelle elle a fourni des renseignements frauduleux et indiqué qu’elle travaillait pour Oxford College;

a, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important risquant d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[45]  Considéré dans son ensemble, le rapport indique clairement :

  • a) que les renseignements frauduleux à propos de l’emploi de la demanderesse chez OxfordCollege constituent la fausse déclaration reprochée;

  • b) que l’« objet pertinent » est le fait que les antécédents d’emploi de la demanderesse sont déterminants de sa capacité d’agir à titre de répondante;

  • c) qu’il s’ensuit un risque d’erreur dans l’application de la loi – qui s’est d’ailleurs matérialisé – puisque le statut d’emploi de la demanderesse est pertinent pour établir sa capacité de remplir son obligation de subvenir aux besoins des personnes qu’elle parraine.

[46]  Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle à l’égard de cette question.

B.  Présomption de l’uniformité des expressions

[47]  Comme principal argument juridique, la demanderesse fait valoir [traduction] « qu’une fausse déclaration qui est liée à l’acquisition d’un statut en vertu de la Loi par une autre personne n’est pas un objet pertinent quant à l’interdiction de territoire du demandeur ». Autrement dit, [traduction] « la fausse déclaration de la demanderesse, si elle a été faite, n’est pas pertinente quant à l’acquisition de son statut au Canada puisqu’elle est antérieure à la fausse déclaration alléguée ». Rien dans le libellé de l’alinéa 40(1)a) n’en limite ainsi la portée. Pour contourner le sens évident de l’alinéa 40(1)a) et faire admettre qu’il exige que la fausse déclaration soit liée à sa propre demande, la demanderesse renvoie la Cour à d’autres dispositions où figure le syntagme « objet pertinent », soit les paragraphes 104(1), 109(1) et 114(3), ainsi que les articles 126 et 127. La demanderesse cite ensuite la décision Bozzer, précitée :

[32]  La présomption d’uniformité des expressions a été énoncée avec justesse par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385, 89 D.L.R. (4th) 218 : « [à] moins que le contexte ne s’y oppose clairement, un mot doit recevoir la même interprétation et avoir le même sens tout au long d’un texte législatif » (Thomson, à la page 243).

[33]  Sullivan et Driedger écrivent que la présomption ne s’applique pas seulement aux mots uniques, mais que [traduction] « [l]a présomption [d’uniformité des expressions] est également marquée dans les cas où les mots répétés sont inusités ou distinctifs, ou contribuent à une tendance notable » (Sullivan et Driedger, à la page 166).

[48]  L’argument de la demanderesse est le suivant :

[traduction]

29.  Ailleurs dans la Loi, le syntagme « quant à un objet pertinent » renvoie au statut auquel est liée la fausse déclaration. Il ne concerne pas l’acquisition d’un autre statut. Selon la présomption d’uniformité des expressions, le syntagme « quant à un objet pertinent » au paragraphe 40(1) se rapporte au statut auquel la fausse déclaration est liée, et non à un autre statut.

[49]  La demanderesse ne présente aucun fondement juridique pour son interprétation des dispositions citées. Elle se borne à des affirmations générales concernant l’interprétation à donner à chaque disposition. Or, en l’absence de fondement juridique pour son interprétation, la Cour ne saurait dire si les comparaisons que propose la demanderesse sont pertinentes ou convaincantes. De plus, il faut interpréter l’exigence relative à l’« objet pertinent » dans le contexte de chaque disposition et de son objet. Ces dispositions ne sont pas identiques. La Cour suprême du Canada maintient que « les termes d’une loi [doivent être lus] dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, au paragraphe 21. Notre Cour a maintes fois répété que l’article 40 a pour objet général de décourager les déclarations fausses ou frauduleuses afin de préserver l’intégrité de notre système d’immigration. (Inocentes, précitée, au paragraphe 17) La fausse déclaration de la demanderesse a certainement entraîné une menace pour le système parce qu’elle a été déterminante de l’admissibilité de ses parents au statut de résidents permanents. N’eût été cette fausse déclaration, leur demande aurait été rejetée. Il est évident que la fausse déclaration de la demanderesse est visée par le libellé clair et l’objet reconnu de l’alinéa 40(1)a).

[50]  À mon sens, les dispositions citées par la demanderesse mènent à une conclusion tout à fait contraire à celle que la demanderesse soumet à la Cour. Si le législateur avait expressément limité la portée du syntagme « objet pertinent » dans l’une ou l’autre des dispositions législatives, il aurait fallu en déduire qu’il n’avait pas l’intention d’imposer la même limite si elle n’est pas expressément formulée dans une autre disposition. Cependant, le sens clair de l’alinéa 40(1)a) indique que cette limite n’est ni prévue ni requise.

C.  Ejusdem generis

[51]  La demanderesse se fonde sur la règle ejusdem generis et renvoie la Cour à l’arrêt Ward, dans lequel la Cour suprême du Canada cite, approuve et applique le passage suivant de la décision provisoire 2986 Matter of Acosta, 1985 WL 56042 (US BIA) :

[traduction]

Nous concluons que la théorie bien établie de l’ejusdem generis, qui signifie littéralement « du même genre », est fort utile pour interpréter l’expression « appartenance à un groupe social ». Selon cette théorie, les termes généraux employés dans une énumération avec des termes précis devraient être interprétés d’une façon compatible avec ces derniers.

[52]  La demanderesse tente ensuite de faire reconnaître que cette théorie s’applique à la présente demande en proposant des interprétations de différentes dispositions de la Loi et de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29. Là encore, elle ne fonde ces interprétations sur aucun principe juridique, et la Cour ne peut pas considérer que les points de vue de l’avocat font autorité. L’intention du législateur est claire dans les dispositions citées qui mentionnent expressément le statut auquel se rapporte la déclaration fausse ou frauduleuse. Néanmoins, il ne faut pas en déduire que l’intention du législateur était qu’une fausse déclaration visée à l’alinéa 40(1)a) n’ait aucune conséquence sur le statut de son auteur. Le libellé clair et net de l’alinéa 40(1)a) ne sous-entend pas une telle limitation de sa portée. La demanderesse voudrait que la Cour y voie une limite importante qui irait à l’encontre du principe de la préservation de l’intégrité du système de parrainage et qui pourrait inciter les répondants à la malhonnêteté dans leurs rapports avec les autorités canadiennes de l’immigration. La présence dans la Loi de dispositions criminelles qui s’appliquent expressément dans ces cas ne signifie pas que le législateur avait l’intention de soustraire les répondants malhonnêtes à une enquête sur l’interdiction de territoire.

[53]  La règle ejusdem generis s’applique à un terme général qui suit une énumération de termes précis (Banque nationale de Grèce (Canada) c Katsikonouris, [1990] 2 RCS 1029, à la page 1040 [Katsikonouris]). C’est un peu moins clair dans le passage de l’arrêt Ward, cité par la demanderesse, en raison de la substitution dans la version anglaise du synonyme enumeration [« énumération »] au terme list [« liste »]. Cela dit, l’application de la règle tient au contexte dans l’arrêt Ward, dans lequel la Cour interprète le sens de l’expression « appartenance à un groupe social » dans le syntagme « la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social ou les opinions politiques » (Ward, à la page 726). La demanderesse tente d’appliquer la doctrine à l’interprétation du syntagme « objet pertinent » au premier alinéa du paragraphe 40(1) plutôt qu’à une énumération, compte tenu de sa propre interprétation de chaque alinéa subséquent. Or, l’application de cette règle n’est pas aussi large.

[54]  De plus, la demanderesse fonde son interprétation de l’alinéa 40(1)b) sur celle qu’elle choisit de donner à l’alinéa 40(1)a). Selon cette interprétation, [traduction] « la fausse déclaration visée à [l’alinéa 40(1)b)] doit être pertinente quant au statut de la personne à qui elle est reprochée, qui est la répondante. Toute autre interprétation serait insensée. » Comme le signale le défendeur, ce n’est pas l’interprétation qui ressort d’une simple lecture de cette disposition. Notamment, dans les circonstances de l’espèce, la demanderesse reconnaît que ses parents pourraient être déclarés interdits de territoire en application de l’alinéa 40(1)b) si leur répondante (elle-même) est déclarée interdite de territoire en application de l’alinéa 40(1)a), même si sa fausse déclaration n’est pas liée à l’obtention de son propre statut de résidente permanente.

[55]  La possibilité que l’alinéa 40(1)b) produise un tel résultat est compatible avec l’exigence de l’alinéa 40(2)b) selon laquelle le ministre doit établir si les faits en cause justifient de déférer une affaire pour enquête aux termes de l’alinéa 40(1)b). Il est concevable qu’un répondant puisse faire une fausse déclaration liée à une autre demande de parrainage longtemps après l’accueil de la demande de résidence permanente de la première personne parrainée. Le résident permanent parrainé qui n’a rien à se reprocher ne pourrait pas être interdit de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)a) puisqu’il n’a pas, directement ou indirectement, fait de présentation erronée dans sa demande, mais il pourrait l’être aux termes de l’alinéa 40(1)b) si son répondant est ultérieurement déclaré interdit de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)a). Dans pareil cas, le ministre pourrait invoquer l’alinéa 40(2)b) pour trancher que les faits ne justifient pas l’interdiction de territoire d’une personne parrainée qui n’a rien à se reprocher au sens du libellé par ailleurs général de l’alinéa 40(1)b).

[56]  Par surcroît, la structure du paragraphe 40(1) ne remplit pas la condition préalable essentielle de la règle ejusdem generis, car ses dispositions plus précises suivent une disposition plus générale, elles ne la précèdent pas. Dans l’arrêt Katsikonouris, précité, le juge La Forest se prononce comme suit à la page 1040 :

Quel que soit le document particulier qui est interprété, lorsque l’on trouve une clause qui énonce une liste de termes précis suivie d’un terme général, il conviendra normalement de limiter le terme général au genre de l’énumération restreinte qui le précède. Toutefois, il serait illogique de procéder de la même manière lorsqu’un terme général précède une énumération d’exemples précis. Dans ce cas, il est logique de déduire que l’énumération d’exemples précis tirés d’une vaste catégorie générale a pour but d’écarter toute ambiguïté relativement à la question de savoir si ces exemples sont en fait compris dans la catégorie.

[57]  En l’espèce, le syntagme en cause figure au premier alinéa du paragraphe 40(1) et il est suivi des alinéas que la demanderesse qualifie de précis. Par conséquent, même si le paragraphe 40(1) était considéré comme une « énumération avec des termes précis » et que l’interprétation que propose la demanderesse de l’alinéa 40(1)b) était retenue, la structure même de la disposition ne se prêterait pas à l’application de la règle ejusdem generis.

D.  Éviter l’absurdité

[58]  La demanderesse ajoute un autre argument :

[traduction]

43.  [...] Si l’interprétation que propose le défendeur de l’alinéa 40(1)a) est réputée juste et qu’elle emporte interdiction de territoire de la demanderesse pour fausse déclaration, alors ses parents pourraient être interdits de territoire et l’affaire pourrait être déférée à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié seulement si le ministre est convaincu que les faits en cause le justifient.

[59]  De l’avis de la demanderesse :

44.  Il s’agit d’un résultat absurde. Il serait absurde que l’expulsion de ses parents soit plus difficile après plutôt qu’avant la confirmation d’une fausse déclaration liée à l’acquisition de leur statut.

[60]  Cette opinion personnelle de la demanderesse ne me convainc pas.

E.  Historique législatif

[61]  La demanderesse souligne les différences entre les dispositions de la Loi concernant les fausses déclarations et le paragraphe 27(1) de l’ancienne Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I-2. À cet égard, elle affirme ce qui suit :

[traduction]

49.  Le libellé de l’ancienne Loi et de la Loi actuelle a été modifié pour trois raisons. Premièrement, il fallait actualiser la terminologie en remplaçant « établissement » par « résidence permanente ». Deuxièmement, la disposition sur les fausses déclarations ne s’applique plus seulement aux résidents permanents, mais également aux visiteurs. Troisièmement, la disposition sur les fausses déclarations a été étendue aux demandes de statut non réglées.

50.  Rien dans l’historique législatif ne suggère que les modifications visaient à englober l’interprétation invoquée par le défendeur. Un débat de fond a précédé l’adoption des nouvelles dispositions législatives en 2001. La demanderesse n’a pas été en mesure de citer une déclaration des autorités gouvernementales qui indiquerait que le législateur a souhaité modifier le texte législatif afin de dissocier l’interdiction de territoire pour fausse déclaration du statut acquis.

51.  Il n’est pas nécessaire de retenir une interprétation de la Loi qui dissocie l’interdiction de territoire pour fausse déclaration du statut acquis pour donner un sens à la modification apportée à la disposition législative pertinente de l’ancienne Loi par rapport à la Loi actuelle. Le contenu substantiel de la modification est indépendant d’une interprétation de la Loi fondée sur la dissociation.

[62]  La demanderesse n’a présenté ni élément de preuve ni jurisprudence pour corroborer ces affirmations. Elle s’attendait à ce que la Cour acquiesce tout simplement à son opinion – ou à celle de son avocat – au sujet de l’historique législatif et du débat qui a précédé l’adoption des nouvelles dispositions législatives. Or, elle devait présenter à la Cour des éléments de preuve corroborant ses arguments. Une opinion n’est pas une preuve. Un témoignage d’opinion d’un avocat n’est pas une preuve admissible.

F.  Guide de l’immigration

[63]  La demanderesse cite l’article 9.1 du guide qui est intitulé « Objet de la politique » :

Les dispositions concernant les fausses déclarations ont pour but de veiller à ce que les demandeurs donnent des renseignements honnêtes, complets et véridiques en tout point dans leurs demandes d’entrée au Canada.

[64]  Elle soutient qu’en l’espèce, la décision de déférer l’affaire n’était pas conforme à la politique puisque la fausse déclaration alléguée ne concernait pas une demande d’admission au Canada.

[65]  La demanderesse fait valoir que [traduction] « même si l’objet de la politique tel qu’il est formulé dans le guide n’est pas déterminant de l’intention du législateur, il offre un éclairage pertinent et convaincant ». Cet argument est valable, mais il n’est pas convaincant au vu de l’ensemble des facteurs.

G.  Jurisprudence

[66]  Dans ses observations initiales, la demanderesse fondait son interprétation sur la décision de la Section de l’immigration dans l’affaire Niaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CanLII 46296, A8‑00270 (CISR). Cependant, la Section d’appel de l’immigration a annulé la décision de la Section de l’immigration dans Niaz et a retenu une interprétation qui appuie la thèse soutenue par le défendeur en l’espèce. La demanderesse persiste néanmoins à faire valoir que le raisonnement de la Section de l’immigration est convaincant.

[67]  Dans la décision Reyes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CanLII 104205, IMM-3859-11 (CF) [Reyes], qui est la seule décision pertinente de la Cour selon moi, la juge Hansen rejette catégoriquement la thèse plaidée par la demanderesse :

Dans Niaz, précitée, la SI avait fait remarquer que, sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration, un résident permanent était interdit de territoire pour fausse déclaration que si la fausse déclaration en question était liée à sa propre demande d’admission au Canada. La SI avait conclu que, bien que le paragraphe 40(1) de la Loi ne soit pas formulé de la même manière identique que son prédécesseur, les modifications étaient insuffisantes pour renverser le principe bien établi selon lequel les résidents permanents ne peuvent, dans le contexte de demandes de parrainage, être expulsés du Canada en raison d’une présentation erronée sur un fait. La SI avait aussi relevé les conséquences indésirables qui pourraient découler s’il était possible que des résidents permanents soient expulsés pour avoir fait de fausses déclarations dans le contexte de demandes de parrainage.

Cette décision avait par la suite été annulée par le membre de la SAI dont la décision est en cause dans la présente instance. Dans la décision en cause, en ce qui concerne la question de l’interprétation de l’alinéa 40(1)a), le commissaire a essentiellement incorporé le raisonnement qu’il avait antérieurement formulé dans la décision Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Niaz, 2009 CanLII 72218. Sa conclusion, selon laquelle l’alinéa 40(1)a) s’appliquait à la demanderesse, est fondée sur une conclusion clé, à savoir que :

[...] le paragraphe 40(1) de la Loi fait référence à l’interdiction de territoire pour fausses déclarations, peu importe que celles-ci aient été faites par un résident permanent ou un étranger, ou en son nom, eu égard à sa propre demande de statut au Canada, à moins que la circonstance spéciale décrite à l’alinéa 40(1)b) ne s’applique.

Le libellé de la disposition est clair et non ambigu. La disposition traite des fausses déclarations faites par les résidents permanents et par les étrangers. Elle prévoit que le fait de formuler de fausses déclarations emporte interdiction de territoire, et ce, autant pour les résidents permanents que pour les étrangers. De plus, la disposition ne fait d’aucune façon une distinction entre les résidents permanents et les étrangers, en ce qui concerne la nature de l’affaire au sujet de laquelle il y a eu fausse déclaration. En fait, la disposition est formulée de manière large : la fausse déclaration doit être faite quant à un « objet pertinent » qui « risque d’entraîner une erreur dans l’application » de la Loi. L’interprétation de la demanderesse aurait pour effet de remplacer l’expression « quant à un objet pertinent » par « dans le contexte d’une demande de résidence permanente ». Cette interprétation restrictive et étroite ne concorde pas avec le libellé très large adopté par le législateur ni avec son intention claire en ce sens.

[68]  La demanderesse fait valoir que la décision de la juge Hansen dans l’affaire Reyes, précitée, n’a aucune valeur de précédent et que je n’y suis pas lié par courtoisie judiciaire.

[69]  Elle me renvoie à la directive sur la procédure de la Cour « Avis aux parties et à la communauté juridique : Publication de décisions ayant valeur de précédent » (19 juin 2015), qui énonce que « le fait qu’une décision n’ait pas reçu de numéro de référence neutre et n’ait pas été publiée indique que l’officier de justice qui préside juge qu’elle n’a pas valeur de précédent ». La demanderesse m’enjoint à suivre la directive du juge en chef et à faire abstraction de la décision Reyes, qui à son avis n’a pas valeur de précédent et ne m’impose donc aucune obligation de courtoisie.

[70]  Dans sa citation de la directive à laquelle elle me renvoie, la demanderesse a omis le passage « [u]ne partie peut toutefois adopter une position concernant la valeur de précédent de la décision ».

[71]  Ce passage a un sens seulement s’il est admis que le juge en chef a estimé (dans le contexte de la directive) que la valeur de précédent d’une ordonnance ne tient pas forcément à sa publication ou à la désignation par un numéro de référence neutre.

[72]  Le défendeur s’est donc fondé sur la directive pour soutenir que la décision Reyes devrait avoir valeur de précédent. J’abonde dans le même sens, pour plusieurs raisons :

  • a) De toute évidence, l’ordonnance prononcée dans la décision Reyes n’est pas une simple approbation. La juge Hansen procède à un examen assez exhaustif de l’interprétation de l’alinéa 40(1)a) de la Loi, y compris le fondement factuel de son ordonnance et l’historique législatif de l’article 40. Le raisonnement clair et complet aurait pu être celui d’un jugement publié.

  • b) L’affaire Reyes soulevait exactement la même question que celle que je dois trancher en l’espèce.

  • c) Le contexte factuel est très semblable,

  • d) et la juge Hansen a fondé sa décision sur la jurisprudence.

[73]  Même si la décision Reyes a été publiée sous la forme d’une ordonnance, le soin avec lequel la juge Hansen a examiné la question essentielle de l’interprétation législative me donne à penser qu’elle voulait que sa démarche soit bien comprise, mais aussi que son interprétation soit convaincante et qu’elle résiste à un examen minutieux. Ne pas traiter la décision Reyes comme ayant valeur de précédent pour la simple raison qu’il s’agit d’une ordonnance non publiée équivaudrait à donner plus d’importance à la forme qu’au contenu.

[74]  J’accorde donc une valeur de précédent à la décision Reyes. Une autre issue contredirait d’autres décisions de la Cour sur la question centrale de la présente demande.

[75]  Même si je ne suis pas tenu par les règles de courtoisie judiciaire de me conformer à la décision Reyes, je dois néanmoins considérer qu’elle est hautement convaincante. De toute manière, même sans tenir compte de la décision Reyes, je serais parvenu aux mêmes conclusions que la juge Hansen.

[76]  Dans ses observations écrites, le défendeur donne le résumé suivant de sa thèse à l’égard de la question centrale en l’espèce :

[traduction]

26.  Mme Li avait l’obligation de fournir des renseignements complets, honnêtes et véridiques à la CISR à l’égard de la demande de parrainage de ses parents. Cette obligation ne se limite pas à l’obtention du statut de Mme Li au Canada, mais à l’ensemble de ses interactions avec la CISR. Cette obligation s’applique pour tous les types de demandes présentées à la CISR, y compris une demande de parrainage, afin de favoriser l’administration adéquate et équitable du système d’immigration.

27.  À l’inverse de ce qu’affirme Mme Li relativement au lien entre la fausse déclaration et sa propre demande en vue d’obtenir un statut d’immigration au Canada, une personne parrainée peut être déclarée interdite de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)b) si son répondant a fait une fausse déclaration. Il n’est pas précisé dans la Loi qu’une fausse déclaration doit être liée à l’acquisition de son propre statut par son auteur. Par conséquent, peu importe la demande à laquelle elle se rapporte – qui constitue l’objet pertinent –, une fausse déclaration peut emporter interdiction de territoire de toute partie à une demande d’immigration. Il n’est pas précisé dans la disposition précise que l’interdiction de territoire d’un répondant pour fausse déclaration doit être liée à la demande de parrainage.

28.  Il ne s’agit pas d’un résultat absurde. L’intégrité du système d’immigration suppose que les renseignements et les éléments de preuve fournis à la CISR soient véridiques et honnêtes. Limiter l’application de l’article 40 de la Loi à certaines situations, par exemple à l’acquisition d’un statut par la personne concernée, ne permettrait pas d’assurer l’intégrité du système d’immigration, qui en est l’objectif. Selon le raisonnement de Mme Li, des personnes pourraient en toute impunité miner l’intégrité du système d’immigration en fournissant des renseignements faux, frauduleux ou trompeurs à la CISR. Ce n’est pas ce que la jurisprudence nous enseigne eu égard à l’article 40.

[77]  En résumé, je souscris à la thèse du défendeur pour les raisons présentées ci-dessus.

[78]  Les arguments de la demanderesse ont pour objectif de la soustraire aux conséquences de sa tentative de tromper le système. Elle n’a présenté aucune excuse pour sa conduite et il semble que sa fausse déclaration était tout à fait délibérée. Après avoir tenté de tromper le Canada sur un aspect d’une importance et d’une pertinence cruciales pour le programme de parrainage (son admissibilité à titre de répondante), elle allègue que les conséquences de sa conduite peuvent se répercuter sur le statut d’immigration de ses parents, qui n’ont peut-être rien à se reprocher, mais qu’elle doit s’en sortir indemne. Une telle issue soustrairait la demanderesse et d’autres répondants malhonnêtes aux obligations morales et juridiques du parrainage, et ils poseraient alors une menace grave pour l’intégrité du système. Il ressort clairement du libellé de l’alinéa 40(1)a) que l’intention du législateur n’était pas que les répondants ne soient pas visés et qu’ils puissent ainsi échapper à leurs obligations morales et juridiques au Canada.

IX.  Question à certifier

[79]  La demanderesse a soulevé la question à certifier suivante :

Le défendeur peut-il, sous le régime de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, solliciter une mesure de renvoi pour une fausse déclaration qui n’est pas pertinente quant à l’acquisition du statut de la demanderesse au Canada?

[80]  Dans les observations qu’elle a présentées après l’audience, la demanderesse a proposé deux variantes de la question :

[traduction]

45.  Une question équivalente à celle qui a été soulevée dans l’affaire Wang, qui traite de faits analogues à ceux de la présente espèce, pourrait être formulée ainsi :

« Un résident permanent est-il interdit de territoire pour avoir indirectement fait une présentation erronée sur un fait s’il a obtenu la résidence permanente en tant que personne parrainée par un répondant qui, dans sa demande de parrainage, a fait une présentation erronée sur un fait important? »

46.  Une question générique, qui engloberait les deux situations et qui s’ajoute à la question soumise initialement par la demanderesse, irait comme suit :

« L’alinéa 40(1)a) s’applique-t-il aux fausses déclarations faites par une autre personne à l’insu de la personne qui présente une demande de résidence permanente? »

[81]  Dans ses observations postérieures à l’audience, le défendeur affirme ce qui suit :

[traduction]

24.  L’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et l’article 18 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté d’immigration et de protection des réfugiés traitent de la question des questions certifiées. L’alinéa 74d) dispose qu’un appel est possible seulement si un « juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale ». L’article 18 reprend ce libellé.

25.  La Cour d’appel fédérale a établi les principes régissant la certification d’une question en application de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés :

(i)  La question est une question qui transcende les intérêts des parties au litige, et [qui] aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale.

(ii)  La question est aussi déterminante quant à l’issue de l’appel. Le processus de certification ne doit pas être utilisé comme un moyen d’obtenir, de la Cour d’appel, des jugements déclaratoires à l’égard de questions subtiles qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée.

(iii)  Le processus de certification ne doit pas être assimilé au processus de renvoi établi par la Loi sur les Cours fédérales.

Liyanagamage v Canada (MCI) (1994), 176 NR 4, aux paragraphes 4 à 6; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89, 318 NR 365, aux paragraphes 11 et 12; Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145, aux paragraphes 22 à 29.

[82]  Le défendeur souligne que la Cour s’est prononcée sur l’interprétation de l’alinéa 40(1)a) dans un certain nombre d’affaires, dont Reyes. Il ajoute qu’étant donné que la Cour a abondamment examiné cette question, l’application du cadre factuel tel que l’établit la demanderesse à la disposition législative ne soulève pas une question grave de portée générale puisque la question déterminante en l’espèce est pertinente uniquement pour elle et eu égard à son intérêt dans l’issue de la demande de contrôle judiciaire.

[83]  Je conviens avec le défendeur que la Cour s’est maintes fois prononcée sur l’alinéa 40(1)a), et que chacune de ses décisions penche pour une interprétation large. En revanche, la seule analyse explicite de la question du renvoi d’un répondant pour fausse déclaration en application de l’alinéa 40(1)a), qui est la question centrale en l’espèce, se trouve dans la décision Reyes de la juge Hansen et dans mes propres motifs en l’espèce. Je suis d’avis qu’il s’agit d’une question grave de portée générale pour l’ensemble des répondants, et qu’elle sera déterminante dans d’autres situations que celle de la demanderesse en l’espèce. En conséquence, je suis prêt à certifier la question suivante :

Un résident permanent peut-il être interdit de territoire pour fausse déclaration au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, s’il parraine une ou plusieurs personnes et a fait une fausse déclaration dans la demande de parrainage d’une autre ou de plusieurs autres personnes?


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4872-16

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande est rejetée.

  2. La question suivante est certifiée :

Un résident permanent peut-il être interdit de territoire pour fausse déclaration au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, s’il parraine une ou plusieurs personnes et a fait une fausse déclaration dans la demande de parrainage d’une autre ou de plusieurs autres personnes?

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4872-16

 

INTITULÉ :

HONG YAN LI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

Pour la demanderesse

 

Brett Nash

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le défendeur

 

 

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