Date : 20171206
Dossier : IMM-2891-17
Référence : 2017 CF 1114
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Vancouver (Colombie-Britannique), le 6 décembre 2017
En présence de monsieur le juge Roy
ENTRE :
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SERGEY REZVYY
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section de l’immigration du 14 juin 2017 qui l’a déclaré interdit de territoire pour fausse déclaration en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) [LIPR]. La demande de contrôle judiciaire est présentée en application de l’article 72 de la LIPR.
[2]
J’observe que, compte tenu de la mesure d’exclusion qui a été ordonnée par la Section de l’immigration, M. Rezvyy a quitté le pays.
I.
Exposé des faits
[3]
Il n’est pas contesté que le demandeur a répondu « non »
à la question de savoir s’il a déjà été arrêté, accusé ou déclaré coupable d’un acte criminel lorsqu’il a demandé la prolongation du permis d’études qu’il a reçu en 2013. Cela s’est produit le 30 juin 2016. Les parties n’ont pas indiqué à la Cour à quel moment le permis d’études devait arriver à échéance lorsque le renouvellement a été demandé ni le nombre de renouvellements qui avaient été accordés jusqu’au 30 juin 2016. Les études pour lesquelles le demandeur a sollicité un renouvellement ont pris fin moins de deux mois après la demande de renouvellement, le 20 août 2016, et moins de trois semaines après la délivrance dudit permis, le 2 août 2016. Toutefois, le permis d’études était valide jusqu’au 30 septembre 2020 lorsqu’il a été délivré.
[4]
La réponse à la question n’était pas exacte. Le 22 mars 2016, M. Rezvyy a été arrêté et accusé « d’introduction par effraction »
et « d’agression sexuelle »
. Il prétend qu’il a commis une erreur de bonne foi lorsqu’il a répondu à la question de savoir s’il avait été accusé ou arrêté trois mois après son arrestation en avançant qu’il a mal compris la question.
[5]
À la fin des études le 20 août 2016, le permis d’études délivré le 2 août 2016 et valide jusqu’au 30 septembre 2020 devenait non valide 90 jours plus tard, soit vers le 20 novembre 2016 (article 222 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement]).
[6]
Le 6 juillet 2016, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a tenu une entrevue avec le demandeur. La question de la réponse inexacte à la question de savoir s’il avait été arrêté ou accusé a été soulevée lors de l’entrevue et le demandeur a été informé que l’affaire serait examinée. En fait, la question de l’interdiction de territoire du demandeur a été déférée à la Section de l’immigration. Une audience visant à décider si le demandeur était frappé d’interdiction de territoire pour fausse déclaration devait avoir lieu le 28 novembre 2016. C’est dans le cadre d’un processus qui déclenche l’application des articles 44 et 45 de la LIPR que la question de l’interdiction de territoire est déférée par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) à la Section de l’immigration. Le renvoi, semble-t-il, était l’objet d’une demande de contrôle judiciaire le 25 novembre 2016. Par conséquent, l’audience sur l’interdiction de territoire qui devait avoir lieu le 28 novembre 2016 a été reportée.
[7]
Dans l’intervalle, le demandeur a présenté le 15 novembre 2016 une demande pour [traduction] « modifier les conditions, prolonger son séjour ou rester au Canada comme travailleur »
. À cette date, les accusations portées le 22 mars 2016 avaient été suspendues (le 13 octobre 2016). Par conséquent, M. Rezvyy a indiqué sur le formulaire du permis de travail que [traduction] « (e)n mars 2016, j’ai été accusé à tort d’un acte que je n’ai pas commis »
après avoir répondu à la question [traduction] : « Avez‑vous déjà commis une infraction criminelle, été arrêté, accusé ou condamné pour une telle infraction, peu importe le pays? »
. Cette fois, le demandeur a répondu : « Oui »
.
[8]
Un agent d’immigration a délivré le permis de travail le 12 décembre 2016. Il est valide jusqu’au 18 avril 2018.
[9]
L’audience sur l’interdiction de territoire qui devait avoir lieu le 28 novembre 2016, mais qui a été reportée parce que le renvoi à la Section de l’immigration par le ministre était contesté devant la Cour, a eu lieu le 19 mai 2017, après que la demande d’autorisation relative au renvoi devant la Section de l’immigration a été rejetée, le 10 avril 2017. La décision, qui est l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, a été rendue le 14 juin 2017.
II.
La thèse des parties
[10]
Le principal argument présenté au nom du demandeur est le suivant : tenir une enquête devant la Section de l’immigration constitue un recours abusif à la procédure. En effet, l’agent d’immigration, lorsqu’il a délivré un permis de travail, a déjà tranché sur la question de l’interdiction de territoire. Selon l’argument, c’est sûrement parce que le demandeur a été déclaré non interdit de territoire puisque l’agent d’immigration a délivré le permis de travail. On demande à la Section de l’immigration de rendre une décision différente en fonction des mêmes faits que ceux dont était saisi l’agent d’immigration.
[11]
Le défendeur conteste cette conclusion pour le motif que le demandeur savait qu’il y avait une audience sur l’interdiction de territoire en instance. En effet, il a demandé un ajournement en novembre 2016, quelques jours après sa demande de permis de travail (le 15 novembre) et moins de trois semaines avant que le permis de travail soit délivré (12 décembre 2016). Cela a eu pour effet que l’audience sur l’interdiction de territoire a eu lieu après la décision sur la délivrance du permis de travail.
[12]
Cependant, le défendeur n’a pas présenté d’argument juridique. Il a plutôt observé que la Cour ne doit pas accepter que le fait d’accorder un permis de travail a préséance sur l’audience sur l’interdiction de territoire. Malheureusement, aucune jurisprudence n’a été citée pour étayer un argument. Au mieux, il a été avancé que ce [traduction] « ne serait pas conforme au régime et à la politique d’immigration canadienne »
(mémoire des faits et du droit, au paragraphe 28).
III.
Discussion
i.
Recours abusif à la procédure
[13]
À mon avis, cette affaire doit être déférée à un tribunal différent de la Section de l’immigration, compte tenu de l’analyse déficiente relativement à la question du recours abusif à la procédure. Selon mon interprétation de la décision visée par le contrôle, l’analyse est limitée au paragraphe 35 :
[TRADUCTION]
[35] L’agent d’immigration qui a examiné la demande de permis de travail n’avait aucun motif de refuser la demande puisque, à ce moment‑là, il avait été sursis aux accusations; en outre, M. Rezvyy n’était pas interdit de territoire à l’époque étant donné que l’enquête n’avait pas encore eu lieu.
C’est comme si la Section de l’immigration concluait que l’agent d’immigration ne pouvait pas avoir conclu que le demandeur était interdit de territoire pour fausse déclaration. La Section de l’immigration n’a fourni aucune explication quant aux raisons pour lesquelles ce serait le cas. En fait, l’avocate du défendeur a fait valoir à l’audience que l’agent d’immigration aurait pu trancher la question également. Néanmoins, la question reste à trancher.
[14]
Il se peut fort bien que la question en litige porte sur l’interprétation à donner de l’article 179 du Règlement. Il n’est pas controversé entre les parties que le pouvoir de délivrer un permis de travail provient de cet article et que c’est l’alinéa 179e) qui s’applique.
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Le demandeur affirme que l’agent d’immigration disposait des notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) qui indiquaient que le demandeur était soupçonné de fausse déclaration. Malgré mes questions, la Cour ne sait pas si l’agent d’immigration s’est fié aux notes du SMGC et si ces notes étaient claires quant à l’interdiction de territoire pour fausse déclaration qui devait faire l’objet d’une audience par la Section de l’immigration. En d’autres mots, il semble que le dossier est muet sur ce qui peut être la question essentielle à la lumière du paragraphe 35 de la décision de la Section de l’immigration.
[16]
L’argument relatif au recours abusif à la procédure doit être fondé sur des décisions contradictoires rendues sur la foi des mêmes éléments de preuve. La Section de l’immigration semble supposer qu’elle est la seule à avoir compétence dans cette affaire. Le fait que les accusations ont été suspendues n’est pas pertinent, puisque la question en litige consiste plutôt à savoir s’il y avait fausse déclaration au moment de la fausse déclaration alléguée. En d’autres mots, c’est comme si la Section de l’immigration avait supposé que l’article 179 ne permettait pas à l’agent d’immigration de tenir compte du motif d’interdiction de territoire, qui constitue une fausse déclaration en application de l’article 40 de la LIPR.
[17]
Pour qu’une décision soit raisonnable, elle doit avoir les attributs de la raisonnabilité. Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 SCR 190 [Dunsmuir], la Cour suprême traite du processus de formulation de motifs (au paragraphe 47). Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. À mon avis, la décision n’a pas ces attributs. Il devient impossible de décider si la décision appartient aux issues possibles acceptables. Sans un minimum d’analyse, la Cour n’a plus rien à examiner. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 708 SCR, la Cour suprême a conclu que « les motifs répondent aux critères établis dans l’arrêt Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables »
(au paragraphe 16). En l’espèce, il n’est pas controversé entre les parties que le fait de décider s’il y a eu un recours abusif à la procédure est susceptible de révision selon la norme du caractère raisonnable. J’ai procédé sur ce fondement, mais, au réexamen, la question aurait dû être abordée, jurisprudence à l’appui, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.
[18]
Par conséquent, la nouvelle audience devra examiner de façon plus approfondie l’interprétation à donner à l’article 179 du Règlement. Elle devra également aborder ce qui constitue un recours abusif à la procédure et qui a compétence pour trancher la question. Si l’agent d’immigration peut conclure, en application de l’alinéa 179e) du Règlement, que le demandeur n’est pas interdit de territoire, était-ce la conclusion tirée? Si une telle conclusion a été tirée, la Section de l’immigration peut-elle rendre une nouvelle décision fondée sur les mêmes faits? La deuxième décision, rendue par la Section de l’immigration, constitue-t-elle un recours abusif à la procédure? La question de savoir si l’interdiction de territoire du demandeur constitue ou non un recours abusif à la procédure est la seule question déférée à la Section de l’immigration.
ii.
Erreur de bonne foi
[19]
L’autre question soulevée par le demandeur, à savoir qu’il a commis une erreur de bonne foi, est rejetée.
[20]
Il incombe au demandeur de convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que la conclusion tirée par la Section de l’immigration n’était pas raisonnable. C’est une question mixte de fait et de droit qui exige une norme de contrôle de la décision raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 53).
[21]
En l’espèce, la question n’était pas ambiguë. L’explication du demandeur selon laquelle il aurait dû répondre oui à une question de savoir si un demandeur a été arrêté ou accusé ou condamné pour une infraction criminelle, peu importe le pays, seulement s’il avait été reconnu coupable ou s’il avait été incarcéré n’a pas été acceptée par l’agent de l’ASFC, qui a déférée l’affaire au ministre. Le délégué du ministre l’a alors envoyée à la Section de l’immigration parce que, évidemment, il ne croyait pas non plus l’explication. Le renvoi fait en application du paragraphe 44(2) est fait [traduction] « [S]’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête […] »
.
[22]
Il incombait au demandeur de démontrer que la conclusion de la Section de l’immigration n’était pas l’une des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit. Il ne l’a pas fait. Que le demandeur ait simplement menti lorsqu’il a répondu à la question était une possibilité évidente qui était acceptable dans la situation, en particulier compte tenu de l’explication présentée le 6 juillet 2016. Le demandeur n’a pas simplement coché la mauvaise case; il a affirmé que la question n’était pas claire et qu’il aurait dû cocher la case « oui »
seulement s’il avait été reconnu coupable ou avait été incarcéré. Ce n’est pas une explication qui doit faire pencher la balance.
[23]
Étrangement, le demandeur a affirmé que [traduction] « par la suite, il a en toute honnêteté et librement divulgué ces accusations à l’agent Dutton de l’ASFC le 6 juillet 2016 lors d’une entrevue »
(exposé complémentaire des faits et du droit, au paragraphe 67). D’abord, ce qui compte c’est la fausse déclaration du 30 juin 2016 dans le formulaire rempli dans le but de prolonger le permis d’études. Ensuite, c’est seulement lorsqu’il a été confronté par l’agent Dutton que le demandeur a confessé, quoiqu’en ajoutant une explication qui n’a pas été crue.
IV.
Conclusion
[24]
En l’espèce, la seule question que la Cour doit trancher a trait à la décision de la Section de l’immigration qui conclut que le demandeur est interdit de territoire pour fausse déclaration. Deux arguments ont été présentés : recours abusif à la procédure et erreur de bonne foi. La Cour a conclu que seulement l’argument du recours abusif à la procédure exige un nouvel examen.
[25]
J’observe que la validité du permis de travail n’était pas contestée et que notre Cour n’en est pas saisie. Il s’ensuit que le permis de travail semblerait être à cette étape-ci encore jusqu’au 18 avril 2018. Comme on l’a signalé plus tôt, le demandeur a quitté le Canada suite à une mesure d’exclusion prise en raison de l’interdiction de territoire.
[26]
L’avocat du demandeur a demandé une ordonnance qui irait plus loin que ce que dispose le paragraphe 52(2) de la LIPR.
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Le demandeur voulait que la Cour ordonne au ministre de faire tout ce qui est nécessaire « pour faciliter »
le retour du demandeur en délivrant un [traduction] « permis de travail postdiplôme ouvert […] valide pour au moins 10 mois »
. La Cour n’est pas prête à aller au-delà de ce que dispose le paragraphe 52(2) de la LIPR. Aux termes de la loi, le demandeur « peut revenir au Canada aux frais du ministre »
. Comme je l’ai indiqué à l’avocat du demandeur à l’audience, l’ordonnance se limite au retour du demandeur au Canada. Cela ne couvre pas un retour éventuel au pays de citoyenneté du demandeur après un nouvel examen ou après l’expiration du permis de travail.
[27]
L’avocate du défendeur ne s’est pas opposée à l’ordonnance limitée au paragraphe 52(2) de la LIPR et elle n’a pas non plus offert d’observations. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale, et aucune question ne se pose.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2891-17
LA COUR ORDONNE QUE :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
La question du recours abusif à la procédure présumé est déférée à un tribunal différemment constitué de la Section de l’immigration pour nouvel examen.
Par souci de clarté, l’argument concernant une erreur de bonne foi prétendue est rejeté.
En application du paragraphe 52(2) de la LIPR, le demandeur peut revenir au Canada aux frais du ministre.
Il n’y a aucune question grave de portée générale.
« Yvan Roy »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 9e jour d’octobre 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-2891-17
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INTITULÉ :
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SERGEY REZVYY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Vancouver (Colombie-Britannique)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 27 novembre 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE ROY
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DATE DES MOTIFS :
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Le 6 décembre 2017
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COMPARUTIONS :
Fritz Gaerdes
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POUR LE DEMANDEUR
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Ashley Caron
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Elgin, Cannon & Associates
Avocats
Vancouver (Colombie-Britannique)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie-Britannique)
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Pour le défendeur
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