Date : 20171207
Dossier : IMM-1641-17
Référence : 2017 CF 1118
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2017
En présence de monsieur le juge Bell
ENTRE :
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TSOTNE NANAVA
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
(Rendus oralement à l’audience à Toronto (Ontario), le 20 novembre 2017)
[1]
Cette affaire est liée à une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, rendue le 27 mars 2017, relativement à des audiences ayant eu lieu le 15 mars 2017 et le 22 mars 2017 (décision). Dans cette décision, un commissaire de la SPR (commissaire) a jugé que le demandeur, M. Tsotne Nanava (M. Nanava) avait abandonné sa demande de statut de réfugié au sens de la Convention ou de personne ayant besoin de protection en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), ce qui avait mis fin à la demande.
I.
Les faits
[2]
M. Nanava est un citoyen de la Géorgie. Le 7 août 2016, il est arrivé au Canada muni d’un visa de visiteur, qu’il a admis avoir obtenu au moyen de fausses déclarations relativement à son emploi, à sa formation et à ses plans pendant son séjour au Canada. Trois mois plus tard, il a présenté une demande d’asile à un bureau du Canada en application des articles 96 et 97 de la LIPR. Sa demande d’asile a été présentée à la SPR le 6 janvier 2017.
[3]
Une audience devant la SPR a débuté le 2 mars 2017. À l’audience, M. Nanava a été pris d’un malaise et s’est évanoui. Le personnel de la sécurité s’est occupé de lui jusqu’à l’arrivée du personnel médical d’urgence. M. Nanava a fini par reprendre conscience et a été transporté à l’hôpital Mount Sinai, à Toronto (Ontario), par le personnel médical d’urgence.
[4]
Après le départ de M. Nanava de la salle d’audience, le président de l’audience de la SPR a posé de nombreuses questions à l’avocat de M. Nanava (avocat) au sujet de ce qui s’était passé entre le demandeur et le personnel médical d’urgence. En particulier, il a questionné l’avocat au sujet de l’état de santé de M. Nanava et de la langue dans laquelle il avait répondu au personnel médical d’urgence. Le président de l’audience a ensuite déclaré ce qui suit (ligne 25, page 199 du dossier certifié du tribunal et page 21 de la transcription de l’audience du 2 mars) :
[TRADUCTION]
Très bien. Donc ma décision est de permettre au demandeur de – le demandeur sera examiné par un médecin à l’hôpital aujourd’hui et il ne fait aucun doute qu’un document médical sera produit et pourrait l’aider et vous aider à justifier pourquoi la demande ne devrait pas être déclarée abandonnée.
Donc ma décision au sujet de la demande de changement de la date ou de l’heure est que cette demande rejetée, mais la mesure de réparation est que le demandeur a la chance de justifier pourquoi sa demande ne devrait pas être déclarée abandonnée. Une date spéciale est déjà notée dans l’avis de convocation.
L’audience spéciale, comme si un demandeur ne se présente pas à l’audience de la demande, dans ce cas le demandeur était ici, donc la date de l’audience de justification sera le 9 mars, à l’heure précisée dans l’avis de convocation. Vous serez avisés s’il y a un changement.
La séance est levée. Merci, monsieur l’interprète.
(Non souligné dans l’original.)
[5]
La date précisée dans les motifs publiés par le président de l’audience, le 9 mars, a finalement été reportée au 15 mars 2017.
[6]
M. Nanava a été incapable de se présenter à l’audience sur le désistement du 15 mars 2017. Toutefois, l’avocat s’est présenté en son nom. L’avocat a produit une preuve médicale pour justifier le départ de M. Nanava de l’audience du 2 mars et son défaut de comparaître à l’audience du 15 mars. L’avocat a également produit des documents concernant une partie importante de la demande d’asile de M. Nanava, soutenant que ces documents devraient contribuer à montrer l’intention de M. Nanava de poursuivre ses démarches de demande d’asile.
[7]
Le président de l’audience a examiné la preuve médicale et conclu qu’elle n’était pas conforme aux exigences de justification pour des raisons médicales. Le président de l’audience a ajourné l’affaire au 22 mars 2017 pour permettre à M. Nanava et à l’avocat de produire un certificat médical justifiant pourquoi la demande d’asile de M. Nanava ne devrait pas être déclarée abandonnée. Avant de quitter l’audience du 15 mars, l’avocat a avisé le président de l’audience qu’il avait une autre audience prévue le 22 mars 2017 et qu’il n’était pas disponible à cette date. L’avocat a proposé que l’audience soit fixée au lundi précédant le 22 mars, c’est-à-dire le 20 mars 2017. Le président de l’audience a rejeté cette demande et maintenu la date de l’audience au 22 mars.
[8]
Le 22 mars 2017, ni M. Nanava si son avocat n’était présent à l’audience prévue. Le commissaire a noté que la preuve médicale produite le 15 mars n’expliquait pas adéquatement l’absence de M. Nanava, que l’avocat avait été avisé des lacunes et qu’il n’y avait eu aucun renseignement additionnel ni aucun appel téléphonique pour expliquer l’absence de M. Nanava. Le commissaire a déclaré que la demande d’asile de M. Nanava était considérée comme étant retirée. Cette décision, écrite et datée du 27 mars 2017, est le sujet de la présente demande de contrôle judiciaire.
II.
Lois et Règles applicables
[9]
Voir l’annexe A jointe aux présents motifs.
III.
Norme de contrôle
[10]
Lorsqu’elle examine la décision d’abandon d’un commissaire de la SPR, la Cour doit appliquer la norme de la « décision raisonnable » (Gonzalez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1248, [2009] ACF no 1600, aux paragraphes 14 à 16; Letaif c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1036, [2016] ACF no 1001, aux paragraphes 2 et 20; Ndomba c. Canada ( Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 189, [2014] ACF no 188, au paragraphe 9; Csikos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 632, [2013] ACF no 680, au paragraphe 23 [Csikos]; Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 224, [2012] ACF no 242, au paragraphe 22).
IV.
Analyse
[11]
M. Nanava prétend que la décision du commissaire était déraisonnable vu la preuve claire et évidente qu’il était malade, s’étant effondré sur le sol pendant l’audience du 2 mars, et qu’il n’avait aucunement l’intention d’abandonner sa demande d’asile. Inversement, le défendeur prétend que le commissaire a raisonnablement déterminé que M. Nanava avait abandonné sa demande après avoir omis de se présenter à deux audiences différentes et qu’il avait omis de produire un certificat médical approprié en guise de preuve de son incapacité de comparaître. Je suis d’accord avec M. Nanava.
[12]
Pour déterminer si la décision d’abandon du commissaire était raisonnable ou non, la Cour doit établir si les absences de M. Nanava pourraient raisonnablement être interprétées comme l’expression d’une intention de ne plus poursuivre ses démarches de demande d’asile avec diligence, en gardant à l’esprit son obligation de donner une excuse raisonnable pour son défaut de comparaître, ainsi que tous les autres facteurs pertinents ayant une incidence sur l’affaire (Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 CF 109, [2000] ACF no 289, aux paragraphes 32 et 33 [Ahamad]; Csikos, aux paragraphes 25, 26 et 35). Dans les circonstances, je ne suis pas convaincu que le commissaire a tenu compte de facteurs autres que le caractère prétendument inapproprié de la preuve médicale de M. Nanava. Une telle approche n’est pas compatible avec le libellé général du paragraphe 65(4) des Règles ni avec la jurisprudence (voir p. ex. Ahamad au paragraphe 33; Octave c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 597, [2015] ACF no 609, au paragraphe 23; Guo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 533, [2015] ACF no 544).
[13]
En fait, selon les éléments de preuve présentés au commissaire, il était déraisonnable de sa part de conclure que M. Nanava n’avait démontré aucun intérêt de poursuivre ses démarches de demande d’asile avec diligence. Ces éléments de preuve incluent : 1) le fait que M. Nanava et son avocat étaient présents à l’audience de demande d’asile prévue le 2 mars 2017 afin de présenter la demande d’asile de M. Nanava; 2) le fait que M. Nanava s’est effondré sur le sol et a reçu des services médicaux d’urgence pendant son audience de demande d’asile avant d’être transporté de la salle d’audience à l’hôpital Mount Sinai par le personnel médical d’urgence; 3) le fait que l’avocat s’est présenté à l’audience sur le désistement du 15 mars avec des documents concernant une partie importante de la demande d’asile de M. Nanava afin de réitérer l’intention de son client de poursuivre ses démarches, ainsi qu’avec une preuve médicale justifiant l’absence de M. Nanava à l’audience sur le désistement; et 4) la tentative de l’avocat de déplacer l’audience sur le désistement du 22 mars à une date antérieure afin de pouvoir réitérer l’intention de son client de poursuivre ses démarches de demande d’asile et justifier l’absence de M. Nanava.
[14]
En bref, je conclus que le commissaire s’est déraisonnablement concentré sur les lacunes techniques des certificats médicaux de M. Nanava et a omis de tenir compte des autres facteurs pertinents lorsqu’il a évalué si M. Nanava avait ou non abandonné sa demande. Ainsi que je l’ai mentionné ci-dessus, une telle approche va à l’encontre du paragraphe 65(4) des Règles et de la jurisprudence. Par conséquent, la décision est déraisonnable.
[15]
En plus de ce qui précède, je remarque que la décision de la SPR d’entreprendre une audience de justification était également déraisonnable. Étant donné que M. Nanava et l’avocat se sont présentés à l’audience prévue le 2 mars entièrement préparés à défendre la demande d’asile de M. Nanava et qu’ils ont été interrompus pendant l’audience par des circonstances de nature médicale indépendantes de la volonté de M. Nanava, il aurait été approprié d’ajourner l’audience de fond à une autre date. À mon avis, M. Nanava n’était pas en défaut dans le cadre de cette procédure. Il s’ensuit que les conditions nécessaires pour tenir une audience de justification n’étaient pas réunies.
[16]
Je permettrais la révision judiciaire, j’annulerais la décision du commissaire et je conseillerais à la SPR de présenter la demande d’asile de fond de M. Nanava devant un autre commissaire. Aucuns dépens ne sont adjugés et aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.
JUGEMENT dans le dossier IMM-1641-17
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie sans dépens.
La décision du commissaire est annulée.
Une nouvelle audience se tiendra sur la question de fond, à savoir une demande d’asile présentée par le demandeur, devant un autre commissaire de la Division.
Aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.
« B. Richard Bell »
Juge
ANNEXE A
Le paragraphe 168(1) de la LIPR se lit comme suit :
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Les Règles 65(1), 65(3) et 65(4) à 65(6) des Règles de la Section de la protection des réfugiés (Règles), DORS/2012-256, se lisent comme suit :
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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Dossier :
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IMM-1641-17
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INTITULÉ :
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TSOTNE NANAVA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 20 novembre 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE BELL
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DATE DES MOTIFS :
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Le 7 décembre 2017
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COMPARUTIONS :
Victor Pilnitz
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Pour le demandeur
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Bridget O’Leary
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pilnitz Law Group
Avocats
Toronto (Ontario)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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