Date : 20171204
Dossier : IMM-4953-16
Référence : 2017 CF 1096
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2017
En présence de monsieur le juge Brown
ENTRE :
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NASSER TARABEIN
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) d’une décision rendue par le gestionnaire du programme d’immigration et directeur de programme adjoint de l’ambassade du Canada à Beyrouth, au Liban (l’agent des visas) datée du 27 octobre 2016, décision établissant que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour deux motifs : 1) en raison de criminalité organisée au sens de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR, c’est-à-dire, recyclage de produits de la criminalité; et 2) pour fausses déclarations, contrevenant ainsi à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.
[2]
La question déterminante en l’espèce est de décider si l’agent des visas a commis un manquement au principe d’équité procédurale à l’égard du demandeur.
[3]
À mon humble avis, la conclusion de criminalité organisée, c.-à-d., le recyclage de produits de la criminalité, au sens de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR était entachée d’un manquement à l’équité procédurale. Je suis du même avis en ce qui a trait à la conclusion relative aux fausses déclarations en contravention de l’alinéa 40(1)a). Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. J’exposerai maintenant les motifs de ma décision.
II.
Norme de contrôle
[4]
Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision correcte, comme requis en l’espèce :
La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.
[5]
À cet égard, il est également accepté que la règle générale permettant aux agents des visas de tirer des conclusions est que « [l]e devoir d’équité procédurale d’un agent des visas se situe à l’extrémité inférieure du spectre »
Mirosavljevic c Canada, 2016 CF 439, aux paragraphes 18 à 20, décision rendue par le juge Zinn. Néanmoins, dans les cas de fausses déclarations, « une norme d’équité très élevée s’applique en ce qui concerne l’application de ces dispositions »
, parce qu’une conclusion de fausse représentation entraîne une interdiction de territoire au Canada d’une durée de cinq ans : Menon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1273, au paragraphe 15, décision rendue par le juge Gibson.
III.
Exposé des faits
[6]
Le demandeur a la double citoyenneté libanaise et vénézuélienne. Il est né au Liban et a déménagé au Vénézuéla en 1980. En 1988, son épouse et lui se sont mariés, et cette dernière l’a rejoint au Vénézuéla. Au Vénézuéla, le demandeur a incorporé diverses sociétés, notamment, Texas Shop Cowboy, CA and Buffalo, CA, lesquelles sont des sociétés de commerce général qui vendent des biens de consommation.
[7]
Vers le mois d’octobre 2008, le demandeur affirme avoir été victime d’un enlèvement et a été séquestré par des criminels au Vénézuéla qui exigeaient une rançon. Craignant pour la sécurité de leurs enfants, la femme du demandeur est retournée au Canada pour assurer la protection de leurs enfants. Sa femme et ses enfants sont citoyens canadiens.
[8]
Une fois libéré, le demandeur s’est enfui au Liban où il a entamé des démarches afin de réunir sa famille au Canada. Le demandeur prétend cependant que, alors qu’il se trouvait au Liban, il a été l’objet de menaces récurrentes de la part de ses assaillants et qu’il craint de devenir à nouveau victime de telles menaces.
[9]
En septembre 2008, le demandeur a été admis au Canada en tant que résident temporaire pour une période de six mois. En 2009, sa femme a présenté une demande de parrainage depuis le Canada, mais en mars 2009, le demandeur est retourné au Liban en raison d’une urgence familiale. Par la suite, il a présenté une demande de parrainage depuis le Liban.
IV.
Contexte procédural
[10]
En août 2013, la demande de résidence permanente présentée par le demandeur a été rejetée en raison d’une interdiction de territoire pour raison de sécurité, plus précisément, au titre de l’alinéa 34(1)f) (être membre d’une organisation inscrite à la liste d’entités se livrant à des activités terroristes : le Hezbollah) et du paragraphe 37(1) (criminalité organisée) de la LIPR [la première décision].
[11]
Il a présenté une demande de contrôle judiciaire, mais sa demande a été renvoyée pour réexamen sur consentement parce qu’il a été conclu que le demandeur n’avait pas fait l’objet d’une procédure équitable, plus précisément, qu’il n’avait pas été adéquatement informé de la preuve présentée contre lui.
V.
L’engagement
[12]
Dans le cadre de ce règlement, le défendeur, par l’intermédiaire de l’avocat du ministère de la Justice, s’est engagé envers l’avocat du demandeur qu’avant que l’affaire soit réexaminée, le demandeur recevrait une lettre relative à l’équité procédurale et de plus, le demandeur disposerait de 45 jours pour répondre (l’engagement).
[13]
L’avocat du demandeur a confirmé l’engagement par une lettre dans laquelle il était indiqué, en autres :
[traduction] Nous confirmons qu’une lettre relative à l’équité procédurale ainsi qu’une période de 45 jours pour présenter des observations constituent un engagement acceptable, et notre client est disposé à accepter l’offre de règlement suivant ces modalités.
[14]
Le ministère client a confirmé l’engagement dans une communication interne :
[traduction] Il a été accepté que le demandeur disposerait de 45 jours pour répondre à une lettre relative à l’équité procédurale.
[15]
Il ne fait aucun doute que l’engagement a été pris. Qui plus est, il n’est pas contesté que ce qui a été promis n’a jamais été réalisé.
[16]
Plutôt que de respecter l’engagement, le défendeur a convoqué le demandeur en entrevue. Il n’est pas contesté que le demandeur n’a reçu aucune lettre que ce soit relative à l’équité procédurale. Il n’est également pas contesté qu’il n’a pas disposé de 45 jours pour présenter ses observations écrites. Par conséquent, force est de constater qu’aucun des éléments de l’engagement n’a été respecté. Rien ne laisse croire que le demandeur a consenti à prendre part au processus adopté de manière arbitraire par le défendeur.
[17]
À mon humble avis, le fait que le défendeur n’a pas respecté l’engagement constituait un manquement au principe d’équité procédurale qui, en l’espèce, s’est avéré fatal. L’entrevue, sans une lettre relative à l’équité procédurale, ne pouvait remplacer, et n’a aucunement constitué une solution de remplacement à la lettre relative à l’équité procédurale et à la période de 45 jours promises, comme le prévoyait l’engagement.
[18]
Selon l’information au dossier, il ne fait aucun doute que la conclusion relative à la criminalité organisée, c’est-à-dire, le recyclage de produits de la criminalité, tirée en application de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR dérive entièrement de ce processus inéquitable sur le plan de la procédure. Il en va de même de la conclusion relative à la fausse déclaration tirée en application de l’alinéa 40(1)b) de la LIRP. Par conséquent, les deux éléments de la décision qui sont visés par le contrôle judiciaire doivent être annulés et renvoyés aux fins de réexamen conformément à l’engagement.
[19]
Dans les circonstances, je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si les rapports de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) trouvés dans le dossier certifié du tribunal (DCT) auraient dû être divulgués en raison de la présomption selon laquelle l’engagement n’avait pas été pris. En effet, le présent jugement est fondé sur le non-respect de l’engagement; bien que de nombreux faits et questions d’ordre juridiques supplémentaires aient fait l’objet de débat, je m’abstiendrai de les commenter.
VI.
Procédure engagée au titre de l’article 87
[20]
Pour ajouter à l’historique des procédures, le dossier certifié du tribunal initial contenait plusieurs documents. En application de l’article 87 de la LIPR, le demandeur a présenté une requête en non-divulgation des renseignements expurgés. J’ai convoqué une audience publique durant laquelle l’avocat du demandeur a précisé les renseignements qui devraient faire l’objet d’un examen en vue d’une éventuelle divulgation et il a également précisé les documents expurgés ne faisant l’objet d’aucune contestation. Les deux parties ont présenté leurs observations lors de cette audience publique. Par la suite, j’ai tenu une audience à huis clos, en absence de l’avocat du demandeur, à la suite de laquelle le défendeur a consenti à ce que soit divulgué l’ensemble des documents qui avaient été antérieurement retenus. J’ai rendu une ordonnance de non-divulgation de certains documents qui n’avaient pas été contestés par le demandeur. J’ai conclu qu’il n’y avait pas lieu de désigner un avocat spécial.
VII.
Question certifiée
[21]
Aucune question sérieuse d’importance générale n’a été proposée aux fins de certification et aucune ne se pose.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
La décision de l’agent des visas est annulée et est renvoyée à un autre décideur pour réexamen.
Aucune question de portée générale n’est certifiée.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Henry S. Brown »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 4e jour d’octobre 2019
Lionbridge
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-4953-16
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INTITULÉ :
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NASSER TARABEIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 27 novembre 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE BROWN
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DATE DES MOTIFS :
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Le 4 décembre 2017
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COMPARUTIONS :
Lorne Waldman
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Pour le demandeur
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Kristina Dragaitis
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Waldman and Associates
Avocats
Toronto (Ontario)
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Pour le demandeur
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Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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