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Date : 20171110


Dossier : IMM-5068-16

Référence : 2017 CF 1035

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

JAROSLAV KOKY, DARINA KOKYOVA, NORA KOKYOVA ET SOFIA KOKYOVA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs, M. Jaroslav Koky, sa femme, Mme Darina Kokyova, et leurs enfants mineurs, Nora et Sofia, appartiennent tous des Roms de la République slovaque. Ils ont présenté une demande d’asile au Canada, alléguant qu’ils craignaient devoir retourner en Slovaquie en raison de la persécution systémique dont les Roms sont victimes dans ce pays, situation aggravée par l’absence de protection que devrait leur assurer l’État. Ils ont également prétendu avoir été la cible de nombreux incidents de discrimination et de violence entre 2009 et 2015, lesquels étaient cumulativement assimilables à de la persécution.

[2]  Un tribunal de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté leur demande en raison d’un manque d’éléments de preuve crédibles et parce qu’ils n’avaient pas réussi à produire suffisamment d’éléments de preuve permettant de conclure qu’ils ne pouvaient pas bénéficier de la protection de l’État en Slovaquie. La famille Koky a interjeté appel de la décision de la SPR devant la Section d’appel des réfugiés [SAR]. Dans une décision rendue en novembre 2016 [la décision], la SAR a rejeté leur appel et a confirmé les conclusions de la SPR en ce qui concerne la crédibilité et la protection de l’État. La SAR a notamment conclu que la famille Koky n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

[3]  La famille Koky sollicite maintenant un contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Ils soutiennent que les conclusions de la SAR en ce qui a trait à la protection de l’État ne sont pas raisonnables parce que la SAR a commis une erreur dans son évaluation d’un incident de persécution qui s’est produit en 2015, n’ayant pas analysé leurs allégations de persécution de façon cumulative et ayant conclu que la protection de l’État était adéquate en Slovaquie. Ils demandent à notre Cour d’annuler la Décision et de la renvoyer afin qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision. La question quant à la possibilité de bénéficier de la protection de l’État en Slovaquie était la question déterminante à trancher par la SAR et c’est précisément sur ce point que la famille Koky a concentré sa contestation de la décision dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[4]  Après avoir examiné les éléments de preuve dont était saisie la SAR et le droit applicable, je ne trouve aucun fondement permettant d’infirmer la Décision de la SAR. Les conclusions tirées par la SAR au sujet de la protection de l’État étaient détaillées et produites en fonction des éléments de preuve, et le résultat pouvait se justifier au regard des faits et du droit. La décision appartient aux issues possibles acceptables et elle n’est pas déraisonnable. Les motifs justifiant l’intervention de la Cour sont suffisants et, par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire présentée par la famille Koky.

II.  FAITS

A.  La Décision

[5]  Dans son analyse du bien-fondé de l’appel, la SAR a brièvement traité des conclusions défavorables en matière de crédibilité qu’elle a tirées concernant les divers incidents allégués de discrimination et de persécution par la famille Koky, avant de passer à l’analyse de la protection de l’État.

[6]  La SAR a présenté un aperçu détaillé de la question de la protection de l’État avant de conclure que la famille Koky n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État. La SAR a convenu, à partir des éléments de preuve présentés, qu’il était clairement démontré que les Roms enregistrent toujours un taux de chômage plus élevé et un niveau d’éducation moins élevé en Slovaquie, et qu’ils sont exclus de la possibilité de vivre une vie normale en termes de logement et de soins de santé. Néanmoins, la SAR a estimé que la preuve documentaire indiquait également que l’État déploie des efforts considérables pour remédier à la situation, même si la situation progresse lentement. La SAR a reconnu qu’il est déraisonnable de s’attendre que ces mesures puissent prévenir ou éliminer tout racisme ou acte de violence lié à la race.

[7]  Après avoir apprécié la preuve, la SAR a conclu que la prépondérance de la preuve objective, eu égard à l’état actuel des choses dans le pays, laisse croire que, bien qu’imparfaite, la protection de l’État au sein de la République slovaque est adéquate pour les victimes de crimes; que l’État déploie des efforts véritables en vue de régler les problèmes de criminalité; que ces efforts donnent lieu à des mesures et à des résultats concrets; et que les forces policières sont disposées à protéger les victimes et sont en mesure de le faire. La SAR a également indiqué que la corruption et les problèmes qui affligent les forces policières, bien que leur existence soit indéniable et ait été soulignée par la SPR, ne sont pas systémiques.

[8]  En ce qui a trait à un incident survenu en 2015 au cours duquel M. Koky aurait été victime d’une agression physique de la part de personnes d’ethnie slovaque, laquelle, par ailleurs, il aurait signalée aux policiers plus tard, la SAR a indiqué qu’il n’existait aucune preuve expliquant pourquoi les policiers avaient mis un terme à l’enquête relative à cet incident si rapidement après qu’il eut été signalé. Mais, comme l’a réitéré la SAR, les omissions locales de maintenir l’ordre d’une façon efficace n’équivalent pas à une absence de protection étatique à moins que celles-ci ne s’inscrivent dans une incapacité généralisée de l’État de fournir une protection ou à son refus de le faire (Zhuravlvev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 3 (1ère inst.)). En effet, la SAR a indiqué que même s’il est démontré que la protection offerte n’est pas parfaite, cela n’équivaut pas à une preuve démontrant de façon non équivoque et convaincante que l’État n’est pas en mesure d’assurer la protection de ses citoyens, puisqu’il est impossible pour un gouvernement d’assurer la protection de tous citoyens en tout temps (Zalzali v Canada (Minister of Employment and Immigration), [1991] 3 FC 605 (FCA)).

[9]  La SAR a également indiqué que la personne qui demande l’asile doit aller plus loin que le fait de simplement démontrer qu’elle s’est adressée à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Il incombe à la personne qui demande l’asile d’avoir cherché à épuiser les recours qui s’offrent à elle (Kadenko c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. n1376 (CAF) (QL)). Plus particulièrement, la SAR n’a pas été en mesure de conclure en l’existence d’un fondement logique pouvant expliquer pourquoi la famille Koky n’a pas signalé le premier incident de persécution, lequel se serait produit en 2009. Ce refus de le signaler ne concordait pas non plus avec une crainte légitime ou avec une tentative réelle d’obtenir la protection de l’État. En effet, la SAR a fait remarquer que, en l’absence d’une explication convaincante, le fait de ne pas solliciter la protection de l’État au sein du pays d’origine sera habituellement fatal pour une demande d’asile – du moins si, dans l’État en question, le fonctionnement de la démocratie n’est pas remis en question et si cet État est disposé à assurer un certain degré de protection à ses citoyens et possède les ressources nécessaires à cette fin (Camacho c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 830). La SAR a conclu que cet énoncé s’applique à un autre incident qui se serait produit en 2014 entre la fille de M. Koky, Nora, et un groupe de compagnons de classe antagonistes. La SAR a conclu que rien ne démontrait que l’incident avait été signalé aux autorités scolaires ou policières, ou que celui-ci avait été motivé par des considérations racistes.

[10]  Somme toute, la SAR a conclu que la preuve relative à la famille Koky n’avait pas démontré qu’elle avait tenté d’obtenir la protection de l’État en Slovaquie et que celle-ci leur avait en fin de compte été refusée. La SAR a également analysé la preuve relative à la situation générale au pays et à la capacité de l’État à protéger ses citoyens, et elle a conclu que des mesures avaient activement été prises en vue de corriger les problèmes et qu’il y avait des signes de progrès et de résultats réels. En fin de compte, la SAR a conclu que la famille Koky n’avait pas réussi à établir, selon la balance des probabilités, que la protection de l’État est inadéquate en République slovaque, et qu’il serait déraisonnable de croire qu’elle pourrait compter sur la protection de l’État.

B.  La norme de contrôle

[11]  La norme de contrôle applicable relative aux questions soulevées en l’espèce a déjà été établie dans la jurisprudence. Par conséquent, il n’y a pas lieu de procéder à une analyse permettant d’arrêter la bonne norme de contrôle (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au paragraphe 62). Dans le cas de l’analyse de la persécution de façon cumulative, la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique (Galamb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1230 [Galamb], au paragraphe 12; Dubat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1061, au paragraphe 35; Smirnova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 347, aux paragraphes 19 et 25). De même, la question du caractère adéquat de la protection de l’État est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable puisqu’elle soulève des questions mixtes de fait et de droit (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Flores Carrillo, 2008 CAF 94 [Flores Carrillo], au paragraphe 36; Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171 [Hinzman], au paragraphe 38; Fares v Canada (Citizenship and Immigration), 2017 FC 797, aux paragraphes 19 à 22; Galamb au paragraphe 12). Puisque la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 est la loi habilitante que doivent appliquer les agents de la SAR, son interprétation et son application relèvent de leur domaine d’expertise fondamentale. De telles circonstances commandent un degré de retenue élevé à l’égard des conclusions de fait tirées par la SAR et de son appréciation de la preuve.

III.  Discussion

[12]  La famille Koky soutient que la SAR a commis plusieurs erreurs susceptibles de contrôle judiciaire dans son analyse de la protection de l’État. Elle soulève les trois plus importantes. Premièrement, elle soutient que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a déclaré qu’il n’existait aucun élément de preuve pouvant justifier pourquoi les policiers avaient mis un terme à leur enquête relative à l’incident impliquant M. Koky, en 2015. Deuxièmement, elle soutient que la SAR aurait dû considérer que l’effet cumulatif de la discrimination équivalait à de la persécution. Troisièmement, elle prétend que la SAR s’est uniquement concentrée sur les efforts de l’État slovaque plutôt que d’évaluer si la protection de l’État était adéquate et efficace au plan opérationnel. Elle soutient que la preuve ne permettait pas à la SAR de tirer la conclusion, comme elle l’a fait, eu égard à l’efficacité de la protection de l’État en Slovaquie.

[13]  Je ne souscris pas à cette position et ne partage pas l’avis de la famille Koky en ce qui a trait à l’évaluation de la protection de l’État effectuée par la SAR. Je conclus plutôt que, lorsqu’elle est examinée dans son ensemble, l’analyse de la SAR au sujet de la protection de l’État était compréhensible, fondée sur la preuve et tenait compte du critère qu’il convenait d’appliquer.

[14]  Il n’est pas contesté que le critère approprié dans l’analyse de la protection de l’État commande une évaluation du caractère approprié de cette protection sur le plan opérationnel (Galamb, aux paragraphes 32 à 37). Le critère utilisé pour évaluer la protection de l’État ne doit pas seulement examiner les efforts de l’État, mais également les résultats réels : « C’est la protection concrète qui est actuellement offerte qui compte » (Hercegi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 250, aux paragraphes 5 et 6 [italiques dans l’original]. L’analyse de la protection de l’État ne doit pas seulement tenir compte des aspirations du gouvernement. Il va de soi que les efforts déployés par un gouvernement en vue d’assurer la protection de l’État peuvent être pertinents pour trancher la question de savoir si l’efficacité opérationnelle a été atteinte. Quoi qu’il en soi, il ne suffira pas de déployer des efforts, aussi sérieux et considérables qu’ils soient. Il faut évaluer et démontrer les résultats véritables en ce qui a trait aux réalisations concrètes de l’État (Kovacs c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 337, aux paragraphes 71 et 72). Il faut cependant ne pas oublier que le concept de la protection de l’État est un concept relatif, en ce sens que la protection de l’État peut ne pas être parfaite et tout de même être efficace; il suffit qu’elle soit « adéquate » (Flores Carrillo, au paragraphe 30). (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, [1992] A.C.F. no 189 (CAF) (QL)

[15]  Qui plus est, il existe une présomption générale voulant que l’État est en mesure d’assurer la protection de ses citoyens, et il incombe au demandeur d’asile de réfuter la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, page 724). Il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, [1992] A.C.F. no 189 (CAF) (QL), au paragraphe 7). Comme il a été statué par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hinzman, « l’asile est censé constituer une forme de protection auxiliaire qui ne doit être invoquée que dans les cas où le demandeur d’asile a tenté en vain d’obtenir la protection de son État d’origine » (Hinzman, au paragraphe 41). Par conséquent, il s’ensuit « l’exigence fondamentale en droit des réfugiés voulant que le demandeur d’asile cherche à obtenir la protection de son pays d’origine avant de demander à l’étranger la protection offerte par le système des réfugiés » (Hinzman, au paragraphe 62). Dans le cas de démocraties bien établies (comme la situation actuelle en Slovaquie) il incombe aux demandeurs d’asile de démontrer qu’ils ont épuisé les recours de protection qui leur sont offerts dans le pays d’origine. C’est également un principe élémentaire de droit que les demandeurs d’asile ne peuvent pas simplement compter sur leur propre conviction que la protection de l’État ne sera pas offerte (Moya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 315, au paragraphe 75; Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 33). Une telle allégation doit être appuyée par la preuve.

[16]  Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans l’exposé de la SAR en matière du droit relatif à la protection de l’État, puisqu’il se fait l’écho de ces principes. Il s’agit plutôt pour la Cour de trancher la question à savoir si la conclusion tirée par la SAR selon laquelle la famille Koky n’avait pas réfuté la présomption voulant que la protection de l’État ait été raisonnable, considérant la preuve relative à la situation qui régnait dans ce pays qui s’applique à la République slovaque, ainsi que la preuve relative aux expériences personnellement vécues par la famille Koky. Je conclus qu’elle a été appuyée par la preuve.

[17]  Un examen des motifs évoqués par la SAR démontre à partir d’une trentaine de paragraphes de sa décision que la SAR a examiné avec minutie la preuve relative à la protection de l’État. Il ne fait aucun doute que la décision de la SAR a été rendue après une appréciation objective des éléments de preuve portant sur la protection de l’État, à la fois du point de vue du pays et selon l’expérience particulière de la famille Koky en ce qui a trait à l’État slovaque, avant de conclure, que bien qu’imparfaite, la protection de l’État en Slovaquie était adéquate. Je suis convaincu que, en l’espèce, la SAR a pris en compte non seulement des efforts déployés par la Slovaquie pour offrir la protection de l’État à la famille Koky, mais qu’elle a également examiné les résultats des mesures prises en matière d’enquêtes, de poursuites, d’efficacité des forces policières et de condamnations en ce qui a trait aux Roms. Il a concrètement été démontré que les forces policières avaient en fait offert une protection. Par conséquent, les renvois par la SAR à de « sérieux efforts » en tant que mesure de l’évaluation du caractère suffisant de la protection de l’État ne constituent pas une erreur susceptible de contrôle (Cina c (Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 635, au paragraphe 69; Sholla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 999, aux paragraphes 8 et 9).

[18]  Inversement, la SAR a reconnu que la preuve relative au caractère adéquat de la protection de l’État dans le pays était mitigée, et que les carences et les déficiences se traduisaient tout de même en de la discrimination contre les Roms. Néanmoins, en fin de compte, selon la preuve dont était saisie la SAR, et étant donné que la famille Koky a à maintes reprises omis de tenter d’obtenir la protection de l’État, la SAR a accordé plus de poids à la preuve documentaire relative à l’efficacité et au caractère adéquat de la protection de l’État qu’aux préoccupations soulevées par la famille Koky au sujet de la preuve documentaire relevant certaines lacunes quant aux mesures prises par l’État. Après avoir examiné la Décision et le dossier dont était saisie la SAR, je ne suis pas convaincu par le fait que cette évaluation était déraisonnable.

[19]  Lorsque le litige porte sur la protection de l’État, la véritable question à se poser doit permettre d’établir si, considérant l’ensemble de la preuve portant sur la capacité de l’État à assurer la protection de ses citoyens, les demandeurs d’asile seraient exposés à un niveau élevé de risque s’ils devaient être renvoyés dans leur pays d’origine. Prenant compte de la preuve au dossier, j’estime que la SAR pouvait raisonnablement conclure que la famille Koky n’avait pas satisfait à ce critère ni à réfuter la présomption de la protection de l’État.

[20]  Dans la Décision, la SAR a reconnu que l’incident de 2015 constituait une preuve que M. Koky avait été victime de discrimination, sans pour autant estimer qu’il puisse être question de persécution, car, aux yeux du tribunal, l’incident n’indiquait pas un défaut systémique dans la capacité de l’État à assurer une protection. Comme l’a reconnu la famille Koky, ce fait n’a pas été ignoré, puisqu’en fait il a été mentionné dans les motifs de la SAR dans ses propos portant sur la preuve documentaire. À la lumière de cette analyse approfondie de plusieurs éléments de la protection de l’État en Slovaquie, et d’une quantité imposante de documents, il est raisonnable que la SAR ait tiré cette conclusion. Je ne suis également pas convaincu que la SAR ait omis de prendre en compte les effets cumulatifs de la discrimination dont la famille Koky a été victime, en général. En fait, la Décision révèle que la SAR a examiné discrimination dont sont victimes les Roms en matière de logement, d’éducation, d’emploi et de soins de santé aux plans individuel et cumulatif. En ce qui a trait à la preuve documentaire, la SAR a pris en considération une quantité importante de documents et de renseignements. Il s’est appuyé avec plus de vigueur à certains éléments de preuve documentaire, et il a préféré cette preuve aux éléments mentionnés par la famille Koky. Cet état de fait ne permet pas d’affirmer que la conclusion tirée était déraisonnable.

[21]  Lors du contrôle judiciaire d’une décision suivant la norme de la décision raisonnable, l’analyse doit tenir compte du fait que « le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », et les conclusions tirées par la SAR ne devraient pas être modifiées, pour autant que la décision « appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Lorsqu’elle effectue un examen selon la norme de la décision raisonnable de conclusions de fait, la Cour n’a pas pour mission d’apprécier de nouveau les éléments de preuve ou l’importance relative accordée par le décideur à tout facteur pertinent (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 99). Selon la norme de la décision raisonnable, tant et aussi longtemps que le processus et le résultat s’harmonisent avec les principes de justification de la décision, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, et que la décision est fondée sur des éléments de preuve acceptables qui peuvent se justifier sur les faits et en droit, une cour de révision doit se garder de substituer ses propres opinions à celles des derniers décideurs quant au résultat approprié (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], au paragraphe 17). La question n’est ni celle de savoir si la cour de révision serait arrivée à la même conclusion que le tribunal administratif, ni celle de savoir si la conclusion que le tribunal administratif a tirée est correcte t (Majlat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 965 [Majlat], aux paragraphes 24 et 25). La retenue exige plutôt que l’on accorde aux tribunaux administratifs tels que la SAR une certaine latitude pour rendre leurs décisions dans leur domaine d’expertise lorsque « leurs décisions sont confirmées par les tribunaux judiciaires lorsqu’elles sont compréhensibles et rationnelles et qu’elles correspondent à l’un des résultats possibles que l’on pourrait légitimement envisager au vu des faits et du droit applicables » (Majlat, au paragraphe 24).

[22]  Par conséquent, les arguments avancés par la famille Koky en l’espèce ne sont qu’une expression de leur désaccord à l’égard de l’évaluation relative à la protection de l’État faite par la SAR et qu’une demande présentée à la Cour afin que celle-ci préfère l’interprétation de la famille à celle de la SAR. Ainsi, elle invite la Cour à apprécier de nouveau les éléments de preuve dont a été saisie la SAR et à se substituer au décideur. Réitérons que lorsqu’elle effectue un examen selon la norme de la décision raisonnable de conclusions de fait, la Cour n’a pas pour mission d’apprécier de nouveau les éléments de preuve ou l’importance relative accordée par le décideur à tout facteur pertinent.

[23]  Par ailleurs, je ne suis pas non plus convaincu par la position de la famille Koky, qui soutient également que la SAR n’a pas apprécié tous les éléments de preuve présentés qui militeraient en faveur d’une conclusion selon laquelle elle aurait fait l’objet de persécution. Il est bien établi en droit qu’il existe une présomption selon laquelle les décideurs ont apprécié tous les éléments de preuve dont ils ont été saisis; le fait de ne pas mentionner chaque élément de preuve, comme les rapports d’Amnesty International, ne constitue pas en soi une erreur (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16; Cepeda-Gutierrez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998] A.C.F. no 1425 (CF, 1re instance) (QL) [Cepeda-Gutierrez], aux paragraphes 16 et 17). Ce n’est que lorsque le décideur ne se prononce pas sur des éléments de preuve qui, sans équivoque, vont dans le sens contraire de la décision rendue, que la Cour peut intervenir et inférer que le décideur n’a pas apprécié une preuve contraire lorsqu’il a examiné les faits (Ozdemir c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), 2001 CAF 331, aux paragraphes 9 et 10; Cepeda-Gutierrez, aux paragraphes 16 et 17). Néanmoins, la décision Cepeda-Gutierrez ne permet pas d’affirmer que la simple omission de la part du décideur de faire référence à un important élément de preuve favorisant la position contraire à la conclusion tirée par le décideur rend la décision déraisonnable et entraîne son annulation. Au contraire, ce n’est que lorsque les éléments de preuve non mentionnés sont cruciaux et qu’ils vont totalement dans le sens contraire de la conclusion tirée par le décideur que la cour de révision peut décider que cette omission démontre que le décideur n’a pas apprécié les éléments dont il était saisi.

[24]  En l’espèce, la SAR a mené une vaste analyse détaillée de la preuve documentaire dont elle était saisie. La SAR a analysé la preuve, a consulté plusieurs rapports, était consciente des incidents visant la famille Koky et était au courant des contradictions et des lacunes matière de protection de l’État en Slovaquie. Le décideur n’a pas ignoré la preuve ni omis de la prendre en considération, il a plutôt conclu que la protection de l’État était adéquate, après avoir pesé toute la preuve au dossier. À titre d’exemple, la SAR a fait allusion au cadre juridique applicable en Slovaquie, à des cas où des agents de police ont été congédiés à la suite d’incidents visant des Roms, à la Stratégie nationale d’intégration des Roms et à ses résultats en matière d’éducation, d’emploi, de soins de santé et de logement, aux subventions gouvernementales accordées en vue d’améliorer les conditions de vie des Roms, à l’accès à un processus de plaintes relatives à la conduite des policiers, et aux améliorations en ce qui a trait à la réaction des policiers et à des exemples concrets démontrant l’appui des policiers à cet égard. Plusieurs exemples concrets de protection efficace de l’État au niveau opérationnel ont été observés. La SAR n’a pas omis d’intégrer des éléments de preuve contradictoires à son analyse, au contraire, la SAR a reconnu, à diverses étapes, les difficultés auxquelles la communauté rom est constamment confrontée en Slovaquie, les éléments contradictoires et les défis tenaces dont font l’objet les politiques et les programmes qui sont mis en œuvre. Les éléments de preuve mentionnés n’ont pas été triés sur le volet dans le but de soutenir une conclusion favorable à l’existence de la protection de l’État. Au contraire, il semble que la SAR ait pris en considération l’ensemble de la preuve, mais que celle-ci n’ait pas suffi pour réfuter la présomption de la protection de l’État. Je conclus que le raisonnement de la SAR est nuancé et transparent, et qu’il soutient la conclusion selon laquelle la protection de l’État, bien qu’imparfaite, était tout de même « adéquate », ce qui demeure la norme acceptable (Flores Carrillo, au paragraphe 30).

[25]  Les motifs doivent être interprétés dans leur ensemble à la lumière du dossier (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 53; Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, au paragraphe 3). Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il faut s’abstenir de « faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54). En ce qui a trait aux motifs, la Cour devrait plutôt les lire en essayant de les « comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Ragupathy, 2006 CAF 151, au paragraphe 15). Lorsqu’interprétée dans son ensemble, la décision de la SAR démontre que le tribunal a adéquatement évalué tous les facteurs nécessaires et a produit une analyse de la preuve présentée. Ainsi, il n’est pas justifié que la Cour intervienne.

[26]  Je rappelle avant d’aller plus loin qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une situation où le décideur a assimilé la protection offerte par une institution autre que la police à une protection adéquate de l’État, comme c’était le cas dans Csoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1220. Dans le cas présent, la preuve d’une protection étatique en Slovaquie s’appuyait principalement sur les activités policières.

[27]  J’ajouterais enfin que la position de la famille Koky voulant que la SAR ait dû suivre la décision Stojkova v Canada (Citizenship and Immigration), 2017 FC 77 [Stojkova] n’est pas fondée. Selon un principe général bien établi, chaque cas est un cas d’espèce. Il existe plusieurs autres décisions où cette Cour a rejeté des demandes de contrôle judiciaire et a confirmé les décisions relatives à la protection de l’État à l’égard des Roms de la Slovaquie et d’autres pays (Galamb, aux paragraphes 28 à 54; Conka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 596, aux paragraphes 29 à 31; Balaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 537, aux paragraphes 16 à 23). Comme il a été souligné dans Kocko v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2017 FC 803, aux paragraphes 29 et 30, la preuve documentaire démontrant que les Roms sont victimes de discrimination et de violence en Slovaquie ainsi que le mauvais traitement réservé aux suspects et détenus roms par les forces policières dont a été saisie la Cour dans Stojkova est sans pertinence. La décision Stojkova est fondée sur une preuve particulière dont la Cour était alors saisie. Dans chaque cas, le témoignage personnel des demandeurs d’asile relatif à la persécution doit être lié à la preuve relative aux conditions dans le pays en question, et chaque affaire doit être examinée au mérite selon les documents relatifs aux conditions personnelles et à celles du pays en cause.

[28]  Somme toute, je conclus que les motifs évoqués par la SAR en l’espèce exposent une analyse exhaustive des documents relatifs à la protection de l’État. En plus d’être exhaustive, cette analyse est compréhensible. Le fondement de la conclusion de la SAR est intelligible, en raison de l’examen qui y est fait des principes juridiques relatifs la protection de l’État, sa reconnaissance de la persécution généralisée des Roms mis au jour au moyen de la preuve documentaire, son évaluation des expériences personnelles de la famille Koky et des mesures mises en œuvre par l’État de la Slovaquie, et du peu d’information communiquée par la famille Koky en ce qui a trait aux efforts qu’elle aurait déployés en vue d’obtenir la protection de l’État. J’estime que cette analyse est transparente et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables à partir desquelles est définie la norme de la décision raisonnable.

IV.  Conclusion

[29]  Pour les motifs présentés ci-dessus, la Décision de la SAR représente une issue raisonnable pouvant se justifier au regard du droit et de la preuve dont elle était saisie. J’estime que la SAR a raisonnablement conclu que la famille Koky pouvait se prévaloir de la protection de l’État et qu’elle n’a pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État. Quant à la norme de la décision raisonnable, il suffit que la décision visée par le contrôle judiciaire ait les attributs requis de la justification de la décision, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel. C’est effectivement le cas en l’espèce. Par conséquent, je ne peux annuler la Décision de la SAR et je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[30]  Aucune des parties n’a proposé que soit certifiée une question de portée générale, et aucune question n’est énoncée.


JUGEMENT dans IMM-5068-16

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

  3. L’intitulé est modifié pour remplacer le nom de Sofia Kokyyova par Sofia Kokyova.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5068-16

 

INTITULÉ :

JAROSLAV KOKY, DARINA KOKYOVA, NORA KOKYOVA ET SOFIA KOKYOVA C. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 NOVEMBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Maureen Silcoff

 

Pour les demandeurs

 

Me Suran Bhattacharyya

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Silcoff, Shacter

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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