Date : 20171108
Dossier : IMM-431-17
Référence : 2017 CF 1017
[TRADUCTION FRANÇAISE]
À Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2017
En présence de monsieur le juge Boswell
ENTRE :
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MUQARAB TARIQ
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Le demandeur, Muqarab Tariq, est un citoyen du Pakistan âgé de 66 ans qui craint d’être persécuté au Pakistan par des extrémistes connus sous le nom de « Sunni Tehreek »
à la suite de sa conversion de l’islam sunnite à l’islam chiite. Après avoir été agressé trois fois à Gujranwala, une ville située dans la province du Pendjab au Pakistan, le demandeur a obtenu un visa de touriste de l’ambassade canadienne à Islamabad; il a quitté le Pakistan le 16 octobre 2014 pour se rendre au Canada. Peu après son arrivée au Canada le 18 octobre 2014, le demandeur a fait une demande d’asile. Dans une décision datée du 25 février 2015, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté sa demande d’asile, la crédibilité étant la question déterminante.
[2]
Le demandeur a interjeté appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés à la Section d’appel des réfugiés de la CISR, et dans sa décision rendue le 27 août 2015, la Section d’appel des réfugiés a renvoyé l’affaire pour réexamen par la Section de la protection des réfugiés. Dans la décision rendue le 17 juin 2016, la Section de la protection des réfugiés a encore rejeté la demande du demandeur, cette fois parce qu’il y avait possibilité de refuge intérieur dans la ville de Multan. Le demandeur a interjeté appel de la deuxième décision de la Section de la protection des réfugiés, appel rejeté par la Section d’appel des réfugiés dans une décision rendue le 3 janvier 2017. Le demandeur présente maintenant une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés relativement à sa demande d’asile, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).
I.
Contexte
[3]
Le demandeur a été élevé en tant que musulman sunnite, mais s’est converti à l’islam chiite en 2010. Au début de l’année 2014, il a été nommé secrétaire général de l’organisation des scouts de Jafria, une organisation locale chiite vouée à aider les pauvres. À la fin du mois de février ou au début du mois de mars 2014, un groupe d’individus masqués s’est rendu au domicile du demandeur, l’a agressé et lui a demandé d’arrêter de fréquenter la mosquée chiite locale, faute de quoi il le tuerait. Bien que le demandeur soit allé voir la police, cette dernière lui a dit qu’elle ne pouvait pas l’aider à moins qu’il ne puisse identifier ses agresseurs. Environ deux semaines plus tard, alors qu’il rentrait du travail, le demandeur s’est fait arrêter par deux hommes masqués, dont l’un avait une arme à feu. Les hommes ont exigé que le demandeur revienne à la religion sunnite. Le demandeur a rapporté l’incident à la police le jour suivant, mais n’a reçu aucune aide.
[4]
Environ une semaine après la deuxième agression, le demandeur a encore été agressé par un groupe d’hommes qui a menacé de le tuer s’il n’arrêtait pas immédiatement d’être chiite. Le demandeur a reconnu la voix de deux hommes de la communauté sunnite locale. Encore une fois, le demandeur a rapporté l’incident à la police, mais n’a pas reçu d’aide. Pendant tout ce temps, le demandeur et sa famille recevaient également des menaces téléphoniques de divers individus non identifiés. Après les agressions dont a été victime le demandeur, son épouse et ses enfants se sont cachés chez différents proches et le demandeur est resté au Pakistan pour s’occuper de son père malade avant son départ pour le Canada le 16 octobre 2014. Le demandeur croit que ses agresseurs étaient affiliés à l’organisation extrémiste Sunni Tehreek, connue pour sa persécution des musulmans chiites.
II.
La décision de la Section d’appel des réfugiés
[5]
Dans sa décision rendue le 3 janvier 2017, la Section d’appel des réfugiés, après avoir rappelé les faits de l’appel, a énoncé que son rôle, conformément à Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, [2016] 4 RCF 157 [Huruglica], était de réexaminer la décision de la Section de la protection des réfugiés selon la norme de la décision correcte et d’effectuer sa propre analyse du dossier pour décider si la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur. La Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il y avait un critère à deux volets pour la détermination d’une possibilité de refuge intérieur découlant de Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 1256, [1992] 1 CF 706 (CA) [Rasaratnam], qui énonce ce qui suit au paragraphe 13 de la décision : [traduction]
1) La Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge intérieur et/ou que le demandeur d’asile n’y serait pas personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels ou inusités ou au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumis à la torture.
2) En outre, les conditions dans cette partie du pays envisagées comme possibilités de refuge intérieur doivent être telles qu’il ne serait pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont propres au demandeur d’asile, d’y chercher refuge.
[6]
En examinant la possibilité que la Section de la protection des réfugiés ait commis une erreur dans l’examen des éléments de preuve documentaire lorsqu’elle a conclu que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur viable à Multan, la Section d’appel des réfugiés a noté que, bien que les musulmans chiites aient des représentants au gouvernement, au niveau judiciaire et dans la société civile pakistanaise, ils faisaient souvent l’objet d’attaques par des groupes sunnites extrémistes. La Section d’appel des réfugiés a examiné un certain nombre de sources documentaires et a conclu que les éléments de preuve étaient mitigés en ce qui concerne les risques auxquels les musulmans chiites font face au Pakistan en général et à Multan en particulier. La Section d’appel des réfugiés a pris note de l’existence d’éléments de preuve selon lesquels des membres réputés de la communauté chiite à Multan, par exemple des médecins, des avocats et des religieux, avaient davantage de chances d’être ciblés par les extrémistes sunnites que la population en général. La Section d’appel des réfugiés a conclu que le demandeur n’avait pas le profil d’une personne qui serait vraisemblablement prise pour cible à Multan. Elle a également conclu que le demandeur « ne sera pas exposé à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté à Multan du fait de son appartenance à la foi musulmane chiite et à sa pratique de cette foi ».
[7]
La Section d’appel des réfugiés a ensuite examiné l’élément de preuve au sujet de Sunni Tehreek, notant que les éléments de preuve documentaire démontraient que c’était un groupe extrémiste qui avait été fondé en 1990. Devant la Section de la protection des réfugiés, le demandeur était d’accord avec les conclusions de la Section de la protection des réfugiés selon lesquelles le groupe avait été grandement affaibli en 2001, lorsqu’une grande partie de ses chefs avaient été tués à la suite d’une attaque à la bombe. Toutefois, devant la Section d’appel des réfugiés, le demandeur a affirmé que le groupe avait repris des forces, soulignant des incidents à l’appui; notamment l’assassinat du gouverneur de la province du Pendjab, Salman Taseer, en 2011 et l’attaque contre le chanteur pakistanais Junaid Jamshed en 2016. La Section d’appel des réfugiés a réexaminé les éléments de preuve relatifs à ces incidents et a conclu que, bien que le Sunni Tehreek ait exprimé son soutien à l’assassinat du gouverneur, les éléments de preuve ne confirmaient pas que son assassin était membre de ce groupe; de plus, il n’y avait aucune preuve que les agresseurs de Junaid Jamshed appartenaient au Sunni Tehreek, que le chanteur n’avait pas été sérieusement blessé lors de l’attaque et que le ministre de l’Intérieur du Pakistan avait dénoncé l’attaque, illustrant le soutien de l’État envers les musulmans chiites.
[8]
Le demandeur a également souligné les récentes manifestations du Sunni Tehreek dans les villes de Karachi et d’Islamabad, mais la Section d’appel des réfugiés a noté que ces manifestations n’étaient pas liées aux agressions envers les musulmans chiites. Le demandeur a également fait valoir que le Sunni Tehreek pourrait agir de concert avec la police pour le retrouver à Multan, mais la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que le Sunni Tehreek avait la capacité d’influer sur les gestes de la police au Pakistan. Après le réexamen du témoignage du demandeur devant la Section d’appel des réfugiés sur les liens entre le Sunni Tehreek et d’autres organisations sunnites radicales, la Section d’appel des réfugiés a conclu que le témoignage du demandeur à cet égard ne reposait que sur des conjectures. La Section d’appel des réfugiés a ensuite conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir que le Sunni Tehreek avait une présence opérationnelle à Multan ou qu’il avait la capacité opérationnelle ou la portée géographique de trouver le demandeur s’il s’installait à Multan. La Section d’appel des réfugiés a conclu ce qui suit dans son analyse du premier volet du critère relatif à la possibilité de refuge intérieur : [traduction]
[…] l’appelant n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve convaincants pour corroborer son hypothèse selon laquelle les membres du Sunni Tehreek qui l’ont attaqué ont la capacité de retrouver sa trace ailleurs au Pakistan. La Section d’appel des réfugiés juge donc que le problème qu’éprouve l’appelant est de nature limitée et locale.
Après avoir passé en revue et évalué la preuve, la Section d’appel des réfugiés estime que le risque de préjudice auquel l’appelant est exposé est au plus hypothétique.
[9]
Dans le cadre du deuxième volet du critère relatif à la possibilité de refuge intérieur, la Section d’appel des réfugiés a examiné si le demandeur était un membre « éminent »
de la communauté chiite de Gujranwala. En tant que secrétaire général de l’organisation des scouts de Jafria, le demandeur a témoigné devant la Section de la protection des réfugiés qu’il se rendait régulièrement dans la mosquée chiite locale et ailleurs, aidait les pauvres, assistait lors de mariages et de dons de sang, et assurait la sécurité à l’occasion de festivals religieux. Le demandeur a témoigné qu’il était « en première ligne »
, dirigeant d’autres individus pendant ces activités. La Section d’appel des réfugiés a conclu que cette description ne soutenait pas l’affirmation du demandeur selon laquelle il était un membre important de la communauté chiite. Lorsqu’on lui a demandé s’il y avait d’autres activités qui faisaient de lui un membre important de sa communauté, le demandeur a dit à la Section de la protection des réfugiés qu’il avait mené des activités similaires à la mosquée sunnite. Selon le dossier, la transcription et l’enregistrement audio de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, la Section d’appel des réfugiés a conclu que le demandeur avait été agressé non seulement parce qu’il était un membre éminent de sa communauté, mais aussi à cause de sa [traduction] « conversion du sunnisme au chiisme qui a attiré l’attention des gens de la région ».
[10]
La Section d’appel des réfugiés a ensuite examiné le caractère approprié de la possibilité de refuge intérieur à Multan. Le demandeur avait soutenu que Multan était une ville plus petite située dans la même province que Gujranwala, qu’elle avait le même profil démographique et que les membres de sa famille seraient exposés à des risques s’ils quittaient leur cachette pour aller s’installer avec lui. La Section d’appel des réfugiés a conclu que les similarités entre Gujranwala et Multan faciliteraient l’installation du demandeur à Multan. Le seul motif que le demandeur a avancé pour expliquer pourquoi il serait en danger à Multan était la possibilité qu’une ancienne connaissance le reconnaisse, un élément que la Section d’appel des réfugiés a conclu comme étant invraisemblable puisque Multan est à plus de 400 km de Gujranwala et a une population de plus d’un million d’habitants. La Section d’appel des réfugiés a noté que le demandeur avait témoigné devant la Section d’appel des réfugiés que si personne à Multan ne savait qu’il s’était converti du courant sunnite au courant chiite, il n’y aurait « aucun problème »
. La Section d’appel des réfugiés a également noté que l’utilisation par la Section de la protection des réfugiés d’un document Wikipédia lors l’audience n’a servi à formuler aucun aspect de la décision de la Section de la protection des réfugiés, si ce n’est pour déterminer la population de Multan.
[11]
La Section d’appel des réfugiés a noté que le critère dans Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1172, [1994] 1 CF 589 (CA) [Thirunavukkarasu], place la barre très haut en ce qui concerne la définition d’une possibilité de refuge intérieur déraisonnable, et a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, il n’y avait aucun obstacle sérieux d’un point de vue social, économique ou autre, empêchant le demandeur de s’installer à Multan et qu’il n’y avait aucun risque sérieux pour sa vie ou sa sécurité là-bas. La Section d’appel des réfugiés a alors conclu qu’il ne serait pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, y compris les circonstances particulières du demandeur, que le demandeur retourne au Pakistan et trouve refuge à Multan. En conséquence, la Section d’appel des réfugiés a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés et a rejeté l’appel en vertu de l’alinéa 111(1)a) de la LIPR.
III.
Questions en litige
[12]
La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :
La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans l’application du critère relatif à la possibilité de refuge intérieur?
La Section d’appel des réfugiés a-t-elle tiré des conclusions de fait déraisonnables concernant Multan?
Les procédures de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés étaient-elles équitables?
IV.
Analyse
A.
Norme de contrôle
[13]
La norme de contrôle applicable à la révision d’une décision de la Section d’appel des réfugiés est celle de la décision raisonnable (Huruglica, au paragraphe 35). Par conséquent, la Cour ne devrait pas intervenir si la décision de la Section d’appel des réfugiés est justifiable, transparente et intelligible; il faut alors déterminer « si la décision fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
: Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]. Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables »
(Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16 [2011] 3 RCS 708). De plus, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable »
, et « il [ne] rentre [pas] dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve »
: Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339.
[14]
Il est bien établi que les conclusions sur la disponibilité d’une possibilité de refuge intérieur sont révisées selon la norme de la décision raisonnable (voir par exemple Momodu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1365, au paragraphe 6, [2015] ACF no 1470; voir aussi Verma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 404, au paragraphe 14, [2016] ACF no 372). En outre, tel que la Cour l’a indiqué dans Lebedeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1165, au paragraphe 32, [2011] ACF no 1439, les conclusions qui touchent une possibilité de refuge intérieur « appellent la retenue de la Cour parce qu’elles concernent non seulement l’évaluation des circonstances propres au demandeur, circonstances relatées par son témoignage, mais également une compréhension intime de la situation qui règne dans le pays concerné »
.
[15]
La norme de contrôle applicable à une allégation de manquement à l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339). La question de savoir si une décision administrative était juste est en général susceptible de révision par un tribunal. Cependant, le cadre analytique n’est pas tant la norme de la décision correcte ou de la décision raisonnable, mais plutôt une question d’équité. Comme l’ont noté Jones et deVillars (Principles of Administrative Law, 6e éd. (Toronto : Carswell, 2014), page 266) : [traduction]
L’équité d’une procédure n’est pas mesurée par les normes de la « décision correcte » ou de la « décision raisonnable ». Elle est mesurée par la question de savoir si la procédure respectait le niveau d’équité requis par la loi. La confusion vient du fait que, lorsque le tribunal examine la question de savoir si une procédure est équitable, il [...] se prononce sur la question de savoir si la procédure a été rendue correctement. Il ne faut pas faire montre de retenue à l’égard de la façon de faire du tribunal. L’instance s’est déroulée de façon équitable ou non.
[16]
Lorsqu’elle applique la norme de la décision correcte, la cour de révision n’acquiesce pas au raisonnement du décideur. En cas de désaccord avec la conclusion du décideur, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose (voir l’arrêt Dunsmuir, paragraphe 50). En outre, la Cour doit s’assurer que la démarche empruntée pour examiner la décision faisant l’objet du contrôle a atteint le niveau d’équité exigé dans les circonstances de l’espèce (voir : Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115, [2002] 1 RCS 3). Au moment d’appliquer une norme de la décision correcte, il n’est pas seulement question de savoir si la décision faisant l’objet du contrôle est correcte, mais également d’établir si le processus suivi pour prendre sa décision était équitable (voir Makoundi c Canada (Procureur général), 2014 CF 1177, au paragraphe 35, 471 FTR 71).
B.
La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans l’application du critère relatif à la possibilité de refuge intérieur?
[17]
Le demandeur présente deux arguments concernant cette question : premièrement, la jurisprudence établie par la Cour concernant la possibilité de refuge intérieur est contraire à l’esprit de la Convention relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, Nations Unies, Recueil de traités, vol. 189, p. 137 [Convention]; deuxièmement, la Section d’appel des réfugiés a mal appliqué le critère relatif à la possibilité de refuge intérieur en y appliquant la mauvaise norme pour évaluer le risque auquel le demandeur est confronté.
[18]
Le demandeur souligne que le concept de la possibilité de refuge intérieur n’est pas abordé dans la Convention, mais qu’il existe en tant que déduction justifiée en droit dans la jurisprudence subséquente et qu’il ne devrait pas détourner l’esprit de la Convention. En outre, le demandeur souligne que la Convention a été créé dans le contexte de l’Europe d’après-guerre qui était divisée en différentes zones d’occupation et que la notion de la possibilité de refuge intérieur s’applique davantage à des pays majoritairement en paix ayant des conflits régionalisés plutôt qu’à des pays comme le Pakistan où les menaces sont généralisées. Le demandeur cite les Principes directeurs sur la protection internationale du HCR : « La possibilité de fuite ou de réinstallation interne »
, dans le cadre de l’application de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/GIP/03/04 23 juillet 2003, qui énoncent que le droit international des traités concernant les réfugiés doit être interprété dans un esprit libéral et humanitaire et qu’une possibilité de refuge intérieur, bien qu’elle ne soit pas mentionnée explicitement, pourrait faire partie du processus de décision. Le demandeur est d’avis que le critère relatif à la possibilité de refuge intérieur a revêtu un caractère excessivement formel qui détourne l’esprit de la Convention.
[19]
Le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés a mal appliqué le critère relatif à la possibilité de refuge intérieur. Selon le demandeur, la norme de la « possibilité sérieuse »
du critère relatif à la possibilité de refuge intérieur est inférieure à la prépondérance des probabilités ou aux normes des « probabilités »
ou des « probabilités raisonnables »
, et requiert une menace articulée qui n’est pas légère ou négligeable; la menace ne doit pas atteindre le niveau « probable »
ou « vraisemblable »
. Le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés a mal appliqué le critère relatif à la possibilité de refuge intérieur en exigeant qu’il démontre qu’il serait « impossible »
pour lui de se prévaloir d’une possibilité de refuge intérieur, plutôt que de décider s’il existe une « possibilité sérieuse »
qu’il soit persécuté là-bas. Le demandeur affirme que les faits dans Thirunavukkarasu, où il a été conclu qu’aucune possibilité de refuge intérieur n’était disponible, sont comparables à l’affaire en l’espèce et que cette affaire devrait être suivie en l’espèce parce que, malgré la persécution subie au nord du Sri Lanka, le demandeur dans Thirunavukkarasu, était confronté à une menace généralisée de la part du groupe militant appelé Tigres de libération de l’Eelam Tamoul dans l’ensemble du Sri Lanka.
[20]
Le défendeur soutient que le concept d’une possibilité de refuge intérieur est entièrement cohérent avec l’esprit de la Convention et qu’il est « inhérent »
à la définition de réfugié au sens de la Convention. Il incombait au demandeur, a dit le défendeur, d’établir qu’une possibilité de refuge intérieur n’est pas raisonnable. Selon le défendeur, la Section d’appel des réfugiés a établi et appliqué correctement le critère relatif à la possibilité de refuge intérieur, y compris l’exigence qu’il n’y ait aucune possibilité sérieuse de persécution dans la possibilité de refuge intérieur. De l’avis du défendeur, la Section d’appel des réfugiés n’a pas exigé du demandeur qu’il prouve qu’il était « impossible »
qu’il soit victime de persécution, mais elle a simplement fait remarquer qu’il n’était pas impossible pour un individu persécuté par des groupes militants de trouver une possibilité de refuge intérieur viable. Le défendeur affirme que la Section d’appel des réfugiés a conclu raisonnablement que le demandeur ne serait pas exposé « à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté à Multan »
.
[21]
Le concept d’une possibilité de refuge intérieur est bien établi en droit et cohérent avec la définition de réfugié comme étant un individu qui ne peut pas se prévaloir de la protection de l’État dans son pays d’origine. L’observation du demandeur selon laquelle le critère relatif à la possibilité de refuge intérieur a revêtu un caractère excessivement formel qui détourne l’esprit de la Convention n’est pas convaincante et va à l’encontre de décennies de jurisprudence. À cet égard, les observations du juge Linden dans Thirunavukkarasu sont à noter :
2 Malgré l’arrêt Rasaratnam [...] de cette Cour, il existe encore une certaine confusion au sujet de la nature de “la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays” dans les cas de revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Je dois tout de suite signaler que la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays n’est pas une défense légale. Ce n’est pas non plus une théorie juridique. C’est simplement une expression commode et concise qui désigne une situation de fait dans laquelle une personne risque d’être persécutée dans une partie d’un pays, mais pas dans une autre partie du même pays. Le concept de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est “inhérent” à la définition de réfugié au sens de la Convention (voir les motifs du juge Mahoney dans l’arrêt Rasaratnam [...] à la page 710); il ne lui est pas du tout distinct. Selon cette définition, les demandeurs du statut doivent craindre avec raison d’être persécutés et, du fait de cette crainte, ils ne peuvent ou ne veulent retourner dans leur pays d’origine. S’il leur est possible de chercher refuge dans leur propre pays, il n’y a aucune raison de conclure qu’ils ne peuvent ou ne veulent pas se réclamer de la protection de ce pays. Comme l’a dit le juge Mahoney dans l’arrêt Rasaratnam [...] à la page 710 :
[L]a Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge.
[22]
Quant à l’observation du demandeur selon laquelle la Section d’appel des réfugiés a mal appliqué le critère relatif à la possibilité de refuge intérieur en exigeant qu’il démontre qu’il serait « impossible »
pour lui de se prévaloir d’une possibilité de refuge intérieur, plutôt que de décider s’il existe une « possibilité sérieuse »
qu’il soit persécuté là-bas, cette observation est sans fondement. Lorsqu’elle est interprétée dans son contexte, la décision de la Section d’appel des réfugiés fait simplement remarquer qu’il n’était pas impossible qu’un individu qui est persécuté par des groupes de militants armés qui auraient une grande portée géographique puisse trouver une possibilité de refuge intérieur viable. La Section d’appel des réfugiés n’a pas demandé au demandeur de prouver que la persécution serait « impossible »
dans la possibilité de refuge intérieur. La Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur dans son identification et son application du critère relatif à la possibilité de refuge intérieur. En l’espèce, la Section d’appel des réfugiés a raisonnablement conclu que le demandeur ne serait confronté qu’à la simple possibilité d’être persécuté ou de subir un préjudice à Multan.
C.
La Section d’appel des réfugiés a-t-elle tiré des conclusions de fait déraisonnables?
[23]
Le demandeur prétend que la Section d’appel des réfugiés a tiré des conclusions de fait déraisonnables sur trois points : Multan en tant que possibilité de refuge intérieur viable; le statut du demandeur en tant que membre « éminent »
de la communauté; et la capacité de Sunni Tehreek ou d’autres organisations extrémistes de le trouver à Multan. Le défendeur soutient que la Section d’appel des réfugiés a raisonnablement conclu que la preuve mitigée quant au risque généralisé pour les musulmans chiites à Multan n’avait soulevé que la simple possibilité de persécution ou de préjudice; que le demandeur ne possédait pas le profil d’un chef communautaire qui serait confronté à un risque accru; qu’il n’y avait aucune preuve que le Sunni Tehreek retrouverait la trace du demandeur dans un endroit où il ne se trouvait pas autrement.
[24]
À mon avis, la Section d’appel des réfugiés a agi raisonnablement dans son rôle de recherche de faits pour résoudre les ambiguïtés des éléments de preuve et est parvenue à une conclusion appartenant aux issues possibles et acceptables. Bien que le demandeur puisse être en désaccord avec les décisions et les conclusions rendues par la Section d’appel des réfugiés, ces décisions et conclusions étaient raisonnablement disponibles et ont été prises par la Section d’appel des réfugiés selon les éléments de preuve qui lui ont été présentés et la loi. Il n’incombe pas à la Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, de réexaminer la preuve devant un décideur administratif comme la Section d’appel des réfugiés et la Cour n’interviendra pas simplement ou uniquement parce que le demandeur n’est pas d’accord avec les conclusions de fait de la Section d’appel des réfugiés.
D.
Les procédures de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés étaient-elles équitables?
[25]
Le demandeur affirme que l’équité procédurale exige qu’un décideur avertisse le demandeur qu’une possibilité de refuge intérieur serait soulevée, et ce, afin que le demandeur puisse préparer les arguments et les éléments de preuve en guise de réponse. Selon le demandeur, cette obligation de donner un avis comprend l’obligation d’informer le demandeur qu’une possibilité de refuge intérieur particulière était considérée, puisque cet avis n’a aucun sens autrement étant donné le grand nombre de possibilités de refuge intérieur potentielles dans un pays comme le Pakistan. Le demandeur soutient qu’il était injuste de l’obliger à présenter des arguments pour lesquels il n’était pas possible d’obtenir des éléments de preuve; il affirme qu’il n’est pas un expert concernant le terrorisme au Pakistan et ne peut pas faire appel à des membres d’une organisation extrémiste pour témoigner des liens entre les diverses organisations.
[26]
Le défendeur admet qu’il y a une obligation générale d’équité procédurale de donner un avis concernant une possibilité de refuge intérieur. Selon le défendeur, si un avis est clairement donné pendant une audience et que le demandeur a la chance d’y répondre, l’obligation a été respectée. Le défendeur affirme qu’il n’y a aucune preuve que la Section de la protection des réfugiés n’a pas donné d’avis concernant la possibilité de refuge intérieur potentielle à Multan ou que le demandeur n’a pas eu la chance d’y répondre. Quant à l’argument du demandeur selon lequel il avait été tenu de fournir des éléments de preuve dont il ne pouvait pas disposer, le défendeur cite Thirunavukkarasu (au paragraphe 9), où le juge Linden a fait observer que lorsqu’un demandeur n’a pas personnellement connaissance d’une possibilité de refuge intérieur potentielle, des éléments de preuve documentaire suffisent.
[27]
La jurisprudence établit généralement que si un décideur soulève une possibilité de refuge intérieur potentielle pendant une audience et donne à l’autre partie une chance d’y répondre, un avis suffisant a été donné. Ceci a été établi par le juge Mahoney dans Rasaratnam qui écrit (au paragraphe 12) : « La question doit être expressément soulevée lors de l’audience par l’agent d’audience ou par la Commission, et le demandeur doit avoir l’occasion d’y répondre en présentant une preuve et des moyens. »
Ce passage a été cité dans l’affaire subséquente de Thirunavukkarasu où le juge Linden a écrit (au paragraphe 10) qu’« il appartient au ministre ou à la Commission d’avertir le demandeur si la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays doit être soulevée […] il n’est pas permis au ministre ou à la Commission d’alléguer à l’improviste contre le demandeur la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays sans lui donner avis que cette question sera soulevée à l’audience ».
[28]
Malgré le passage précité extrait de Rasaratnam et cité dans Thirunavukkarasu, une ambiguïté demeure entre les deux passages à savoir si un avis pendant l’audience respecte l’exigence d’équité procédurale ou si un avis doit être fourni avant l’audience. La jurisprudence subséquente est allée dans des directions différentes à cet égard. Par exemple, dans Ay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 671 au paragraphe 45, 192 ACWS (3d) 259 [Ay], le juge Boivin a cité Thirunavukkarasu pour la proposition « qu’un avis valable était donné uniquement lorsque le demandeur était informé à l’avance que la question de la possibilité de refuge intérieur serait examinée à l’audience, de manière à disposer du temps nécessaire pour produire une preuve démontrant l’inexistence d’une véritable PRI ».
Toutefois, dans Figueroa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 521, 266 ACWS (3d) 435, la juge Strickland a examiné Ay et a noté (aux paragraphes 27 et 28) que, bien que Ay cite Thirunavukkarasu, il omet la citation de Rasaratnam. La juge Strickland a également noté que la transcription de la décision rendue dans Ay démontrait que la possibilité de refuge intérieur n’avait pas été soulevée clairement à l’audience. En conséquence, elle a conclu ainsi (au paragraphe 56) : « Bien qu’il aurait été préférable que la Section de la protection des réfugiés donne un avis avant l’audience, la jurisprudence laisse entendre qu’un avis donné pendant l’audience, dans la mesure où il est clair et que les demandeurs ont l’occasion de répondre, est également suffisant. »
[29]
Quoi qu’il en soit, en l’espèce, la Section de la protection des réfugiés a clairement proposé Multan comme étant une possibilité de refuge intérieur potentielle pendant l’audience. Le demandeur a, par conséquent, été informé de la question d’une possibilité de refuge intérieur à Multan devant la Section de la protection des réfugiés et aurait pu fournir des éléments de preuve à la Section d’appel des réfugiés pour démontrer pourquoi cette possibilité de refuge intérieur ne convenait pas ou, à tout le moins, soulever toute question de manquement à l’équité procédurale devant la Section d’appel des réfugiés quant à la façon dont il avait été informé de la possibilité de refuge intérieur potentielle.
V.
Conclusion
[30]
Pour les motifs établis ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. En l’espèce, la décision de la Section d’appel des réfugiés est raisonnable parce qu’elle est transparente et intelligible et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[31]
Puisqu’aucune des parties n’a proposé de question à certifier d’importance générale, aucune question n’est certifiée.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-431-17
LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire et elle ne certifie aucune question d’importance générale.
« Keith M. Boswell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 20e jour de décembre 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-431-17
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INTITULÉ :
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MUQARAB TARIQ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Regina (Saskatchewan)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 14 septembre 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE BOSWELL
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DATE DES MOTIFS :
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Le 8 novembre 2017
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COMPARUTIONS :
Max Bilson
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Pour le demandeur
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Don Klaassen
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Max Bilson
Avocat
Regina (Saskatchewan)
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Pour le demandeur
|
Procureur général du Canada
Saskatoon (Saskatchewan)
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Pour le défendeur
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