Date : 20171103
Dossier : T-659-15
Référence : 2017 CF 998
Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2017
En présence de monsieur le juge Gleeson
ENTRE :
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NORMA SHERWOOD
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demanderesse
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Mme Norma Sherwood se représente elle-même pour la présente demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 27 mars 2015 de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a rejeté la demande de permission d’en appeler d’une décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale concluant qu’une demande de prestations d’assurance-emploi ne devrait pas être antidatée puisqu’un motif valable justifiant le retard de la présentation de la demande n’a pas été démontré.
[2]
La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a déterminé que les arguments que Mme Sherwood a cherché à faire valoir à l’appel étaient essentiellement une répétition de ceux avancés devant la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale et qu’elle n’avait pas démontré une chance raisonnable de succès pour l’un des trois motifs d’appel énoncés au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 (LMEDS).
[3]
Mme Sherwood a très habilement avancé ses arguments dans sa demande et sa sincérité dans la défense de sa thèse était évidente. Toutefois, dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce, le rôle de la Cour est d’évaluer si la décision faisant l’objet d’un contrôle est raisonnable. Cela exige que la Cour se demande si les motifs de la décision découlent d’un processus décisionnel intelligible, transparent et justifiable et si les résultats appartiennent aux issues raisonnables et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En appliquant cette norme, comme je suis obligé de le faire, je ne peux constater aucune erreur commise par la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale qui justifierait mon intervention en l’espèce. La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.
II.
Résumé des faits
[4]
Mme Sherwood a travaillé pour Symcor en tant qu’opératrice à la saisie de données pendant environ 18 ans, d’octobre 1985 jusqu’à son licenciement en septembre 2003. Son licenciement est une conséquence de l’externalisation. Elle a reçu une indemnité de départ qui a couvert ses prestations jusqu’au 30 janvier 2004. Elle n’a pas présenté de demande pour les prestations régulières d’assurance-emploi au moment de son licenciement.
[5]
En novembre 2003, Mme Sherwood a reçu le diagnostic d’une maladie nécessitant plusieurs chirurgies à sa main gauche. En raison de son problème médical, sa demande de prestations de maladie a été acceptée en juillet 2004, lesquelles étaient antidatées au 16 février 2004 pour une période maximale de 15 semaines. Mme Sherwood affirme qu’au cours de l’été 2004, elle s’est informée au sujet d’autres prestations d’assurance-emploi au bureau de Service Canada de Scarborough et qu’on lui a chaque fois donné de la documentation pour présenter une demande de prestations d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). Elle a présenté une demande de prestations d’invalidité. La demande a été refusée et le refus a été maintenu par le comité d’appel en 2007.
[6]
Comme il a été indiqué plus haut, Mme Sherwood n’a pas présenté de demande de prestations d’assurance-emploi régulières au moment de son licenciement et les parties ne contestent pas le fait qu’elle n’a pas présenté de demande de prestations d’assurance-emploi reliée à la cessation de son emploi en 2003 à tout moment avant la présentation de sa demande le 13 janvier 2014. Mme Sherwood affirme qu’elle n’avait pas l’intention de le faire, mais qu’on lui a indiqué qu’elle devait présenter une demande de prestations d’invalidité du RPC. Elle soutient, en outre, que lorsque sa demande de prestations d’invalidité a été refusée en 2007, elle s’est de nouveau informée au sujet d’une demande de prestations d’assurance-emploi régulières et on lui a indiqué qu’elle n’était pas admissible.
[7]
Mme Sherwood a recommencé à travailler en 2008 par l’entremise d’une agence de placement et, en 2011, elle a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi en lien avec son emploi après 2008. Cette demande a été refusée puisqu’elle n’avait pas accumulé suffisamment d’heures d’emploi assurable au cours de la période d’admissibilité. Elle ne s’est pas informée au sujet de prestations reliées à sa cessation d’emploi de 2003, et elle n’a pas présenté de demande relative à ces prestations à ce moment-là.
[8]
En 2013, Mme Sherwood a eu connaissance d’une information rapportée dans les journaux qui indiquait que les enquêteurs du gouvernement chargés de détecter la fraude, dans le cadre d’une initiative plus vaste d’économie d’argent menée par le gouvernement fédéral, étaient obligés de travailler en respectant des quotas de détection de demandes frauduleuses au sein du système des services sociaux. Ce rapport a conduit Mme Sherwood à écrire à de hauts fonctionnaires concernant sa demande de prestations de maladie de l’assurance-emploi de 2003. Elle a reçu une réponse écrite lui indiquant qu’elle avait reçu le montant maximum des prestations de maladie de l’assurance-emploi. La réponse écrite indiquait également que [traduction] « lorsqu’[elle a] présenté sa première demande, [elle était] en réalité admissible à recevoir jusqu’à 50 semaines de prestations d’assurance-emploi; toutefois, peu importe si les semaines d’admissibilité ont été payées dans leur intégralité ou non, [sa] période de prestation a pris fin le 26 mars 2005 »
. La lettre de réponse précise que rien n’indique dans les dossiers qu’elle a demandé à convertir ses prestations de maladie de l’assurance-emploi en prestations régulières et que, si elle décide de demander que l’on antidate sa demande pour ces prestations régulières, elle doit [traduction] « démontrer qu’[elle avait] une bonne raison de retarder [sa] demande de conversion pendant près de neuf ans pour que la demande soit approuvée »
.
[9]
Il semble que, compte tenu de cette information, Mme Sherwood a ensuite présenté une demande de prestations d’assurance-emploi, le 13 janvier 2014, demandant que sa demande soit antidatée à 2004. Elle a présenté, à titre de motifs, sa maladie grave, le stress lié à la perte de son emploi à long terme et le fait qu’elle était troublée et qu’elle avait mal compris l’information que lui avait donnée Service Canada pour expliquer la raison pour laquelle elle avait présenté une demande de prestations de maladie de l’assurance-emploi, mais pas une demande de prestations régulières en 2004.
[10]
Sa demande a été refusée par la Commission de l’assurance-emploi du Canada et Mme Sherwood a sollicité le réexamen de ce refus. Dans sa demande de réexamen, elle a de nouveau invoqué ses circonstances médicales en 2004. Elle a également soutenu qu’elle avait été traitée de manière injuste et qu’on lui avait donné de mauvais renseignements : Service Canada lui avait remis des renseignements sur les prestations du RPC au lieu de lui fournir de l’information et de l’aide concernant les prestations d’assurance-emploi régulières.
[11]
La demande de réexamen a été refusée et Mme Sherwood a engagé une action devant la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale.
III.
Dispositions législatives applicables
[12]
Par souci de commodité, les parties pertinentes de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1985, c 23 (LAE) et de la LMEDS sont reproduites à l’annexe ci-jointe.
IV.
Norme de contrôle
[13]
Une décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale refusant la permission d’en appeler doit être révisée selon la norme de la décision raisonnable (Griffin c Canada (Procureur général), 2016 CF 874, aux paragraphes 13 et 14; Marcia c Canada (Procureur général), 2016 CF 1367, au paragraphe 23). La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale doit se voir accorder la déférence en ce qui concerne ses conclusions de fait, les questions mixtes de fait et de droit, et l’interprétation de la loi constitutive (Canada (Procureur général) c Hoffman, 2015 CF 1348, au paragraphe 33).
V.
Discussion
[14]
La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale; toutefois, pour évaluer le caractère raisonnable de cette décision, il est nécessaire d’examiner et de prendre en considération la décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale.
[15]
En refusant la demande de Mme Sherwood, la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale fait référence au paragraphe 10(4) de la LAE qui énonce qu’une demande initiale de prestations peut être considérée comme ayant été présentée à une date antérieure si : 1) le demandeur remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations à la date antérieure indiquée dans sa demande; et 2) il avait un motif valable justifiant le retard de la présentation de sa demande durant toute la période de ce retard.
[16]
La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a ensuite fait remarquer ceci : 1) il incombait à Mme Sherwood d’établir le motif valable du retard; 2) un motif valable signifiait qu’elle devait démontrer qu’elle avait agi comme le ferait une personne raisonnable et prudente dans les mêmes circonstances pour faire usage de ses droits et s’acquitter de ses obligations en vertu de la LAE; et 3) sauf dans des circonstances exceptionnelles, elle était tenue de prendre des mesures dans des délais raisonnables pour comprendre son admissibilité aux prestations et ses obligations aux termes de la LAE. La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a cité un certain nombre de décisions de la Cour d’appel fédérale à l’appui de ces principes (Mauchel c Canada (Procureur général), 2012 CAF 202; Bradford c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2012 CAF 120; Canada (Procureur général) c Albrecht, [1985] 1 CF 710 (CA); Canada (Procureur général) c Kaler, 2011 CAF 266; Canada (Procureur général) c Innes, 2010 CAF 341; Canada c Carry, 2005 CAF 367).
[17]
Lorsqu’il a évalué la demande en tenant compte des principes mentionnés plus haut, la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a reconnu que Mme Sherwood avait traversé une période très difficile en 2004, mais a indiqué qu’elle n’était pas convaincue que cela fournissait une explication pour toute la période du retard, d’une durée de dix ans. La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a également reconnu la preuve de Mme Sherwood quant au fait que des employés de Service Canada lui avaient remis de l’information sur les prestations d’invalidité du RPC alors qu’ils auraient dû reconnaître son admissibilité aux prestations d’assurance-emploi, mais a fait remarquer que cela ne la dispensait pas de son obligation de vérifier ses droits aux termes de la LAE.
[18]
La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a conclu qu’une personne raisonnable et prudente n’aurait pas attendu aussi longtemps que l’a fait Mme Sherwood pour faire usage de ses droits et s’acquitter de ses obligations et a conclu qu’un retard de dix ans pour réclamer ses prestations justifiées au motif que la demanderesse n’était pas au courant de ses droits ne constitue pas des circonstances exceptionnelles. La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a conclu qu’un « motif valable »
pour justifier l’ensemble de la période du retard n’avait pas été démontré.
[19]
La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a déterminé en tant que question pour laquelle elle avait été saisie « la chance raisonnable de succès de l’appel »
. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a précisé les moyens d’appel tels qu’ils sont énoncés au paragraphe 58(1) de la LMEDS : 1) la Division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence; 2) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit; 3) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
[20]
La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a ensuite fait remarquer que Mme Sherwood lui demandait essentiellement d’apprécier de nouveau les éléments de preuve et que cette demande ne reposait pas sur l’un des motifs d’appel énumérés. Dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale, Mme Sherwood s’est de nouveau appuyée sur les circonstances entourant sa maladie en 2004 et sur le fait que Service Canada avait omis de reconnaître ses droits aux prestations d’assurance-emploi.
[21]
Après avoir examiné les observations écrites et verbales de Mme Sherwood, je formulerais son argument de la façon suivante – la décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale reposait sur des constatations erronées qui ne correspondent pas aux éléments de preuve qu’elle a présentés et la conclusion de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale, quant au fait qu’elle n’avait pas établi une chance raisonnable de succès de l’appel, était déraisonnable. Malgré les observations respectueuses et déterminées de Mme Sherwood, je ne peux souscrire à cet argument.
[22]
La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a, à juste titre, fait remarquer qu’il incombait à Mme Sherwood d’établir un « motif valable »
pour toute la période du retard de la présentation de sa demande de prestations d’assurance-emploi. Dans le dossier, je vois que certains éléments de preuve montrent que des employés de Service Canada ont indiqué à Mme Sherwood qu’elle n’était pas admissible aux prestations en réponse aux demandes de renseignements qu’elle a faites. Mme Sherwood s’appuie sur ces éléments de preuve pour expliquer la raison pour laquelle elle n’a pas présenté de demande de prestations à ce moment-là ni à tout autre moment avant 2014.
[23]
La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale n’a pas sous-estimé ou négligé cette preuve. La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a plutôt répondu directement à cette preuve. La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a fait remarquer que Mme Sherwood avait fourni peu de précisions concernant ses visites au bureau de Service Canada et a indiqué qu’elle avait une obligation formelle de vérifier ses droits. En tirant cette conclusion, la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale savait également que Mme Sherwood avait présenté une demande de prestations d’assurance-emploi en 2011 où de nouveau, elle a eu l’occasion de présenter une demande de prestations reliée à la cessation de son emploi en 2004, mais qu’elle ne l’a pas fait. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle ne l’avait pas fait, elle a répondu [traduction] « qu’elle n’y avait pas songé »
. Bien que Mme Sherwood soit en désaccord avec la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale, il n’était pas déraisonnable que la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale conclue que Mme Sherwood n’avait pas démontré une chance raisonnable de succès de l’appel au motif que la conclusion de fait était erronée et tirée d’une manière arbitraire ou abusive.
VI.
Conclusion
[24]
La décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale n’est pas la décision que Mme Sherwood aurait aimé entendre; toutefois, comme il a été indiqué plus haut, la décision n’est ni déraisonnable ni fondée sur une erreur de droit qui justifierait l’intervention de la Cour. La demande est donc rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.
JUGEMENT
LA COUR rejette la présente demande. Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Patrick Gleeson »
Juge
Ce 27e jour d’avril 2020
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-659-15
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INTITULÉ :
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NORMA SHERWOOD c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 14 juin 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE GLEESON
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DATE DES MOTIFS :
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Le 3 novembre 2017
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COMPARUTIONS :
Norma Sherwood
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Pour la demanderesse
(POUR SON PROPRE COMPTE)
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Vanessa Luna
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Gatineau (Québec)
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Pour le défendeur
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ANNEXE A
Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 :
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Loi sur l’assurance-emploi, LC 1985, c 23 :
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