Dossier : T-2133-16
Référence : 2017 CF 971
Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2017
En présence de monsieur le juge Martineau
ENTRE : |
CAMPBELL, ORVILLE |
demandeur |
et |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Le régime disciplinaire en milieu carcéral est régi par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [Loi] et le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS 92/620 [Règlement]. En particulier, « [e]st coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui […] h) […] menace de se livrer à des voies de fait […] » (alinéa 40h) de la Loi). Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision d’un président indépendant du tribunal disciplinaire de l’établissement Donnacona déclarant le demandeur coupable d’avoir menacé un agent du Service correctionnel du Canada [Service] et lui infligeant une amende de vingt-cinq dollars et une sentence suspendue de six jours d’isolement en cas de récidive [décision contestée].
[2] L’infraction reprochée au demandeur aurait été commise le 21 août 2016 à l’établissement Donnacona. Vers 11h27, le demandeur discutait dans la cour avec d’autres détenus et aurait à cette occasion menacé un agent du Service, M. Jean-Christophe Rhéaume-Drouin [agent], qui passait par là [l’incident]. Dans son rapport d’observation daté du 22 août 2016, l’agent décrit ainsi l’incident survenu la veille :
Lorsque je me déplaçais du Pavillion I vers le secteur industrie, vers 11h27, le détenu Campbell SED290325F était dans la cour 240 et m’a crié « Hey ». Lorsque je l’ai regardé, il a mimé un pistolet avec ses mains, fait un mouvement comme s’il chargeait l’arme et m’a pointé en criant « Boom, boom, boom, boom », comme s’il déchargeait une arme sur moi.
[3] Le 24 août 2016, le demandeur a été accusé de l’infraction façon suivante : « Le précité [Campbell] est rapporté pour m’avoir fait des menaces, soit en faisant semblant de me tirer dessus », ce qui est contraire à l’alinéa 40h) de la Loi. Dans le cas d’une infraction grave, comme c’est le cas en l’espèce, l’affaire sera instruite par un président indépendant (paragraphe 27(2) du Règlement). Cette audience disciplinaire est menée comme une procédure d’enquête inquisitoire où des témoins sont entendus, et bien que le président indépendant n’ait pas à considérer toutes les défenses possibles, il se doit de considérer les deux côtés de la question après avoir entendu la preuve au dossier et considéré les représentations soumises (voir Ayotte c Canada (Procureur général), 2003 CAF 429 aux paras 9 et 10 [Ayotte]).
[4] Suite au plaidoyer de non-culpabilité enregistré par le demandeur, deux audiences disciplinaires ont été tenues les 19 octobre et 8 novembre 2016 devant Me Réjean Doyon, un avocat à la retraite agissant comme président indépendant [décideur]. À cette occasion, le Service était représenté par M. Patrick Lachance [l’assesseur] et la défense de l’accusé était assurée par Me Marie-Claude Lacroix [l’avocate du demandeur]. Les transcriptions de ces audiences se retrouvent dans le dossier de demande du demandeur. Le décideur a entendu les témoignages de l’agent, du demandeur et d’un autre détenu. Pour les fins des présentes, voici un bref résumé des trois témoignages en question.
[5] Selon le témoignage de l’agent Rhéaume-Drouin, le 21 août 2016, il passait à côté de la cour pour se rendre au secteur Industrie. Il était seul et avait terminé son quart de travail. Le demandeur aurait crié « Hey! » Croyant que ce dernier discutait avec d’autres codétenus, il l’aurait ignoré. Le demandeur aurait crié « Hey » une deuxième fois. Il s’est donc retourné. Le demandeur était à environ cinquante pieds de lui. À ce moment-là, le demandeur aurait fait semblant de charger un pistolet et de le pointer vers lui en criant « bang bang bang bang! », trois ou quatre fois, après quoi, ce dernier aurait ri en le regardant. Notons au passage que certains détails du témoignage de l’agent diffèrent de son rapport d’observation (deux « Hey! » et non un « Hey »; « Bang, bang, bang, bang! » et non « Boom, boom, boom, boom »). Le fait que l’agent ait alors levé sa main en signe d’interrogation – car il ne comprenait pas pourquoi le demandeur faisait cela – et que le demandeur se soit ensuite mis à rire, sont des faits nouveaux qui n’étaient pas mentionnés dans le rapport d’observation. L’agent précise également qu’il ne s’est pas approché pour parler au demandeur après que le geste en question ait été posé. L’agent explique que le demandeur quittait à ce moment-là la cour pour se rendre à l’intérieur de l’établissement. Il est incapable de pouvoir identifier les autres détenus qui étaient avec le demandeur (trois ou quatre semble-t-il) parce qu’il ne les aurait pas entendus. Il précise qu’aucun incident de ce genre impliquant le demandeur ne s’était produit dans le passé, qu’ils ne s’étaient jamais parlés – ni avant, ni après l’incident – et que le demandeur est un détenu tranquille.
[6] Dans son témoignage, le demandeur fournit une version contredisant sur des points fondamentaux celle de l’agent Rhéaume-Drouin. Ses propres souvenirs de l’incident sont donc bien différents. Il n’aurait jamais menacé l’agent en faisant semblant de tirer avec un pistolet. Il marchait dans la cour et était en compagnie d’un, et peut être, d’un deuxième codétenu. Ils parlaient d’un ami commun, du nom de Randall Palacio, qui avait été abattu en 2011 à Toronto. Le demandeur ne se souvient pas d’avoir fait semblant de pointer une arme en direction de l’agent, mais au cours de la discussion avec l’autre détenu, il a bien dit « pow », et il a pu lever la main pour imiter le geste d’un tir de pistolet. Le demandeur nie également avoir interpellé l’agent. Il dit même ne pas se souvenir d’avoir vu l’agent passer. D’ailleurs, il n’avait jamais eu de problèmes avec cet agent. Cela faisait une dizaine de jours qu’il était arrivé à l’établissement Donnacona et il a appris l’identité de l’agent seulement lors de sa première comparution devant le tribunal disciplinaire.
[7] M. Edward Steven était dans la cour lors de l’incident du 21 août 2016. Il a témoigné qu’il discutait avec le demandeur à ce moment-là. Son témoignage présente des différences factuelles mineures par rapport aux détails de l’histoire de l’ami commun ayant été tiré à Toronto, alors que dans l’ensemble, celui-ci corrobore la version des faits offerte par le demandeur. Il a bien demandé au demandeur ce qui était arrivé à un de leurs amis communs, un certain Randall, qui avait été tiré à Toronto en 2012. Il n’a pas vu le demandeur faire semblant de tirer avec un pistolet sur l’agent, du moins il s’en rappelle pas. Il se souvient cependant avoir vu un agent passer qui les aurait regardés bizarrement. Il explique que des jeunes noirs (comme le demandeur) peuvent avoir des discussions très animées et bruyantes, et donc, qu’il ne serait pas surpris que le demandeur ait fait des gestes et des bruits durant leur discussion et imité des coups de pistolet.
[8] Le 8 novembre 2016, après entendu les brèves représentations de l’assesseur (transcriptions du 8 novembre 2016 aux pp 28 et 29) et de l’avocate du demandeur (ibid aux pp 29 à 31), la déclaration de culpabilité a été prononcée sur le champ par le président indépendant. Les motifs oraux pour trouver le demandeur coupable de l’infraction reprochée sont très succincts. En bref, le décideur croit l’agent – dont le témoignage est clair (ibid aux pp 32‑33), et il ne croit pas le demandeur – qui n’est pas crédible, de sorte qu’il ne peut pas lui accorder le bénéfice du doute raisonnable (ibid à la p 33). Je reproduis ici l’essentiel du raisonnement du décideur à ce chapitre :
[traduction]
[…]
Je vous dis, Monsieur, vous avez… Je ne vous crois pas, vous n’avez aucune crédibilité à ce sujet. Je ne vous crois pas. Parce que... vous ne vous plaignez pas seulement contre une chose. Vous n’avez aucune raison de faire ça, vous n’avez aucune raison de faire ça, vous n’aviez rien contre l’agent, vous n’aviez rien contre…
Mais je peux… ce n’est pas un argument qui sera (inaudible), je vous dirai pourquoi : parce que l’agent n’avait rien contre vous non plus. Pourquoi inventerait-il ça? Qu’aurait-il… avec (inaudible) et ceci… témoigner, être témoin dans cette affaire, inventer ça.
Votre avocate soutient habilement, parce que vous le lui avez dit, que vous n’aviez … rien contre l’agent Rhéaume, vous n’avez jamais parlé… ne lui avez jamais parlé, et vous n’aviez rien contre lui, mais il n’avait rien contre vous, lui non plus. Alors, pourquoi inventerait-il ça? Vos explications ne me convainquent pas parce que l’agent n’aurait pas inventé tout ça. Et je ne vous crois pas.
Je pense, comme l’a dit M. Lachance, qu’il est un peu tard, mais, maintenant, on s’en rend bien compte, et je sais que vous… pareille situation ne vous arrivera plus parce que vous vous êtes rendu compte trop tard que vous avez posé un geste et que vous avez émis un son menaçant, une menace en fait. Ce genre de comportement n’est pas permis ici, c’est interdit par la loi et on ne peut le tolérer. Je ne peux vous accorder le bénéfice du doute parce que je ne crois pas votre témoignage.
Ça m’apparaît invraisemblable. Je ne peux pas y croire parce qu’il faudrait que je (inaudible) que l’agent passait par là, vous a regardé directement dans les yeux, alors qu’il ne vous jamais adressé la parole, et aurait inventé tout le reste.
Ça n’a aucun sens et ça vous pousse maintenant à mentir pour vous sortir de ce pétrin, et je pense en effet que vous ne dites pas la vérité et que vous devez être puni pour cette raison. Je pense que vous avez une leçon à tirer de tout ça. Vous êtes en prison, les règlements sont très stricts et ils doivent être suivis. Vous ne pouvez pas agir comme si vous étiez dans le monde extérieur où vous pouvez agir ainsi. En fait, ces gestes, s’ils sont posés avec sérieux, ne sont même pas permis.
Je vous déclare donc coupable […]
[Je souligne]
[9] Le décideur trouve donc le demandeur coupable de l’infraction disciplinaire qui lui est reprochée. Après avoir entendu les représentations respectives de l’assesseur et de l’avocate du demandeur sur la peine (transcriptions du 8 novembre 2016 aux pp 34 à 36), le décideur inflige au demandeur une amende de 25 $ et une sentence suspendue de six jours d’isolement au cas de récidive dans les 90 jours (ibid aux pp 36-37).
[10] Les parties conviennent que la décision contestée est révisable selon la norme de la décision raisonnable. Je suis d’accord également (voir Dutiaume c Canada (Procureur Général), 2008 CF 990 aux paras 27-28).
[11] Selon le demandeur, la décision contestée est déraisonnable. D’une part, le décideur a erré en droit en assimilant l’absence de crédibilité du demandeur à la preuve hors de tout doute de sa culpabilité. D’autre part, confronté à des témoignages contradictoires, le décideur ne pouvait, sans analyser l’ensemble de la preuve, se contenter d’affirmer gratuitement qu’il ne pouvait pas croire le demandeur, puisque cela signifiait que l’agent aurait menti. En l’espèce, le décideur n’a pas procédé à une analyse sérieuse de la preuve au dossier. Son analyse superficielle des témoignages du demandeur et de l’agent est biaisée et ne tient pas compte du reste de la preuve. D’ailleurs, le décideur n’a fait aucune référence au témoignage du codétenu Steven – qui pourtant allait dans le même sens que celui du demandeur. De plus, l’agent et le demandeur ne se connaissaient pas avant l’incident; il n’y a eu aucun échange verbal, ni aucun contact physique. Aussi, l’agent a bien pu se tromper sur la signification du geste du demandeur, compte des éléments contextuels de l’incident. Il était également essentiel de considérer l’absence d’intention coupable. Vu la présomption d’innocence, il subsiste un doute raisonnable.
[12] De son côté, le défendeur soumet que la décision contestée est raisonnable. Le fait que les motifs oraux du décideur ne soient pas exhaustifs ne devrait pas affecter leur validité ni la déclaration de culpabilité (voir Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16 [Newfoundland Nurses]). La version de l’agent est claire et sans équivoque, alors que celles du demandeur et du codétenu sont vagues et alambiquées. Qui plus est, les deux versions du demandeur et de l’agent sont mutuellement exclusives. Le décideur est présumé connaître les principes de droit applicable, en matière de preuve hors de tout doute raisonnable, et il faut également présumer qu’il a considéré l’ensemble de la preuve – dont le témoignage du codétenu Steven. Le décideur n’était pas obligé de traiter spécifiquement dans ses motifs de l’élément intentionnel (mens rea), car celui-ci pouvait être implicitement inféré une fois l’élément matériel prouvé (actus reus) (voir R v Roedling, 2001 MBQB 89 aux paras 18-20). Le défendeur soumet que, dans ce contexte, il ne pouvait subsister de doute raisonnable dans l’esprit du décideur si rien ne lui permettait de mettre de côté le témoignage de l’agent et qu’il trouvait le témoignage du demandeur non crédible.
[13] Il y a lieu d’intervenir en l’espèce car la décision contestée est déraisonnable.
[14] D’emblée, je ne peux souscrire aux prétentions du défendeur quant à la suffisance des motifs. D’un côté, il est vrai qu’une analyse de la raisonnabilité d’une décision doit se concentrer sur la conclusion, et examiner si celle-ci est raisonnable eu égard à la preuve au dossier et au droit applicable, et que des motifs succincts et transparents peuvent être adéquats dans certaines situations (voir Newfoundland Nurses au para 16). Il n’empêche, tel que le rappelle également la Cour suprême dans Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61 au paragraphe 54, « [l]’invitation à porter une attention respectueuse aux motifs ‘qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision’ ne confère pas à la cour de justice le [traduction] ‘pouvoir absolu de reformuler la décision en substituant à l’analyse qu’elle juge déraisonnable sa propre justification du résultat’ [référence omise] ».
[15] En l’espèce, les motifs ne me permettent pas de conclure que le décideur a compris et a appliqué les principes de l’arrêt R c W(D), [1991] 1 RCS 742, 122 NR 277 [W(D) avec renvois aux RCS] et qu’il a autrement considéré l’ensemble de la preuve et du contexte de l’affaire pour trouver le demandeur coupable de l’infraction.
[16] Rappelons tout d’abord qu’en vertu du paragraphe 43(3) de la Loi, « [le président indépendant] ne peut prononcer la culpabilité que si [il] est [convaincu] hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l’infraction reprochée ». À ce chapitre, lorsqu’il s’agit d’établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable d’un détenu, le président indépendant doit suivre les principes établis dans W(D) (voir Ayotte aux paras 12 à 16). Cette démarche se fait en trois étapes (voir W(D) à la p 758):
Premièrement, si vous croyez la déposition de l'accusé, manifestement vous devez prononcer l'acquittement.
Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement.
Troisièmement, même si n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l'accusé.
[17] Bien que le décideur ne soit pas tenu de « suivre servilement » les étapes de W(D), ce cadre d’analyse vise néanmoins à garantir que le décideur concentre son attention sur le principe du doute raisonnable, et non sur une simple analyse de la crédibilité de l’accusé et/ou témoins de la poursuite (voir R c CLY, 2008 CSC 2 aux paras 7 et 8 [CLY]). Par conséquent, le décideur ne peut se contenter de faire une équation entre culpabilité et absence de crédibilité du détenu (voir Ayotte au para 22). Comme le souligne la Cour suprême dans CLY au para 8 :
[…] le verdict ne doit pas être fondé sur un choix entre la preuve de l’accusé et celle du ministère public, mais plutôt sur la question de savoir si, compte tenu de l’ensemble de la preuve, il subsiste dans leur esprit un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé.
[18] Accepter ou non la version donnée par l’accusé ne met pas un terme aux délibérations car le fardeau de la preuve n’est jamais renversé en matière criminelle (voir Chshukina c Canada (Procureur général), 2016 CF 662 au para 30). Aussi, le défaut pour le décideur de comprendre ou d’appliquer les principes découlant de l’obligation d’être convaincu hors de tout doute de la culpabilité du détenu porte une atteinte irrémédiable à l’équité de l’audition (voir Ayotte au para 16). Il s’agit d’une erreur de droit déterminante viciant l’ensemble de la décision (voir W(D) et Zanth c Canada (Procureur général), 2004 CF 1113 au para 16). C’est l’erreur qu’a commise le décideur dans la présente affaire.
[19] S’il est vrai que le processus disciplinaire en matière carcérale requiert souplesse et efficacité, cette souplesse et cette efficacité ne peuvent se faire au détriment de l’équité procédurale ou des dispositions impératives de la Loi – pensons ici aux exigences du paragraphe 43(3) de la Loi et au respect des principes établis dans W(D) (voir Ayotte aux paras 11 et 22). Dans ses brefs motifs oraux, le décideur dit essentiellement qu’il ne croit pas la version du demandeur car il ne le trouve pas crédible. Selon lui, le demandeur ne peut dire la vérité car cela signifierait que l’agent a menti – ce qui lui paraît impensable ou improbable. Pour ces raisons, il affirme ne pas pouvoir accorder au demandeur le « bénéfice du doute raisonnable ». Or, l’infraction reprochée au demandeur comprend tant un élément matériel (menace de voies de fait) qu’un élément intentionnel (intention de faire une telle menace). Comme le rappelle la Cour d’appel fédérale dans l’affaire McCoy c Canada (Procureur Général), 2003 CAF 118 au paragraphe 14, la Cour suprême a jugé qu'il était nécessaire, aux fins de faire la preuve d'une menace, d'établir si l'accusé avait l'intention d'intimider ou si les termes employés visaient à être pris au sérieux. Tout le contexte carcéral, de même que les circonstances particulières du geste reproché et de l’interprétation pouvant lui être donné doivent être considérés par le décideur (voir Boucher-Côté c Canada (Procureur général), 2014 CF 1065 aux paras 34 et 42 [Boucher-Côté]; voir aussi Swift c Canada (Procureur général), 2014 CF 1143 au para 75; Alix c Canada (Procureur général), 2015 CF 1051 au para 39). Manifestement, cela n’a pas été fait ici et il n’appartient pas à cette Cour de me substituer au décideur pour combler les lacunes d’un raisonnement incorrect et incomplet, ce qui est le cas en l’espèce.
[20] Le présent dossier se distingue également des affaires citées par le défendeur. Au passage, dans Boucher-Côté, notre Cour a refusé d’intervenir car le décideur avait dans un premier temps expliqué pourquoi il ne croyait pas la version du demandeur. Il s’était ensuite penché sur les autres éléments de preuve, notamment sur le témoignage de l’agente et sur celui du codétenu, avant de conclure que rien dans la preuve ne soulevait, dans son esprit, un doute raisonnable. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Plusieurs questions ayant trait à l’intention coupable demeurent sans réponse et des éléments de preuve pertinents ont été ignorés ou autrement écartés arbitrairement par le décideur sans une analyse objective de l’ensemble de la preuve, en fonction du geste posé et du contexte dans lequel il s’inscrivait. Pensons, par exemple, au fait qu’une distance de cinquante pieds séparait l’agent Rhéaume-Drouin du demandeur, que l’agent Rhéaume-Drouin ait levé la main en signe d’interrogation, que le demandeur se soit mis à rire, qu’ils n’avaient jamais eu de contacts auparavant, qu’ils ne se sont pas parlés lors de l’incident, que le demandeur n’avait pas l’intention ni aucune raison de faire des menaces, etc. Même s’il ne croyait pas le demandeur (et le codétenu Steven), le décideur ne pouvait pas passer sous silence ou autrement écarter sans motif valable ces éléments non contestées au niveau de l’analyse de la culpabilité, hors de tout doute, du demandeur. Dans son ensemble, la décision contestée est déraisonnable.
[21] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision contestée est cassée et le dossier est renvoyé pour une nouvelle audition devant un autre président indépendant du tribunal disciplinaire de l’établissement Donnacona. Le tout sans frais.
JUGEMENT au dossier T-2133-16
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue le 8 novembre 2016 est cassée et le dossier est renvoyé pour une nouvelle audition devant un autre président indépendant du tribunal disciplinaire de l’établissement Donnacona. Le tout sans frais.
« Luc Martineau »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-2133-16
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INTITULÉ : |
CAMPBELL, ORVILLE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 23 octobre 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE MARTINEAU
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DATE DES MOTIFS : |
LE 31 octobre 2017
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COMPARUTIONS :
Me Marie-Claude Lacroix
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Pour le demandeur |
Me Pavol Janura
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Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Simao Lacroix, s.e.n.c.r.l. Montréal (Québec)
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Pour le demandeur |
Procureur général du Canada
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Pour le défendeur |