Date : 20170707
Dossier : DES-2-17
Référence : 2017 CF 662
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2017
En présence de monsieur le juge Mosley
ENTRE :
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QING (QUENTIN) HUANG
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT :
I.
INTRODUCTION
[1]
La Cour est saisie d’une demande présentée aux termes de l’alinéa 38.04(2)c) de la Loi sur la preuve au Canada, LRC (1985), c C-5 (LPC). Le demandeur sollicite une ordonnance autorisant la divulgation des passages caviardés d’un mandat délivré par la Cour fédérale en 2013 et de l’affidavit déposé à l’appui de la demande de mandat. Le défendeur sollicite une ordonnance confirmant l’interdiction de divulgations prévue par la loi des renseignements en cause. De façon subsidiaire, dans le cas où la Cour décide qu’il y a lieu d’ordonner la divulgation de tout ou partie des renseignements en cause dans l’intérêt public, le défendeur demande à la Cour d’assortir leur communication de conditions visant à limiter, dans la mesure du possible, tout préjudice porté à la sécurité nationale, y compris au moyen d’un résumé ou d’un exposé des faits.
II.
RÉSUMÉ DES FAITS
[2]
Le demandeur a été accusé devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario de quatre infractions criminelles conformément à la Loi sur la protection de l’information, LRC, c O-5. Les allégations et les éléments de preuve éventuels dans la procédure pénale principale sont résumés dans une décision concernant un certiorari de la Cour supérieure de justice de l’Ontario : R v Huang, 2015 ONSC 7314. Certaines de mes mentions des faits et de l’historique procédural de la présente affaire sont tirées de cette décision et des dossiers de demande des parties.
[3]
M. Huang a été arrêté et mis sous accusation le 30 novembre 2013. Une enquête préliminaire a été menée à la Cour supérieure de justice de l’Ontario, et M. Huang a été renvoyé à son procès le 15 mai 2015. Sa demande de délivrance d’un certiorari annulant le renvoi au procès a été rejetée le 17 décembre 2015. Le procès devait initialement débuter le 14 novembre 2016, mais a été reporté au début du mois de juin 2017, en raison d’un changement d’avocat. Cette date a été annulée à son tour et, au moment de rédiger les présents motifs, le procès devrait débuter le 4 juin 2018.
[4]
Une contestation d’ordre constitutionnel de la Loi sur la protection de l’information a été rejetée le 2 juin 2017 : R c Huang, 2017 ONSC 2589.
[5]
Il peut être utile de fournir une brève explication pour aider à comprendre la raison pour laquelle le demandeur a introduit la présente demande bien après que les accusations ont été portées et peu avant la nouvelle date de procès initiale.
[6]
Avant l’enquête préliminaire, le Service des poursuites pénales du Canada (SPPC) a divulgué des éléments de preuve au demandeur conformément aux obligations de la Couronne selon la norme formulée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Stinchcombe, [1991] 3 RCS 326 [Stinchcombe].
[7]
Dans le cadre de la procédure de divulgation et en réponse à la demande de l’avocat du demandeur, le SPPC a produit une copie d’un affidavit établi sous serment par un agent du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS ou le service) le 4 mars 2013 (l’affidavit de 2013) et une copie d’un mandat délivré par la Cour fédérale le 7 mars 2013 (le mandat de 2013). Une version caviardée de chacun de ces documents a été divulguée.
[8]
L’exécution du mandat de 2013 a mené le SCRS à intercepter des appels téléphoniques que M. Huang a prétendument faits à l’Ambassade de République populaire de Chine (RPC) à Ottawa. Le SCRS a fourni des transcriptions et des enregistrements du matériel intercepté à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) aux termes de l’article 19 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC, 1985, c C-23 [Loi sur le SCRS]. L’article 19 dispose que le SCRS peut communiquer les informations qu’il acquiert aux agents de la paix lorsqu’elles peuvent servir dans le cadre d’une enquête ou de poursuites relatives à une infraction présumée à une loi fédérale ou provinciale.
[9]
La lettre d’information rédigée aux termes de l’article 19 indique qu’un dénommé M. Huang [traduction] « a offert de fournir des secrets militaires canadiens au gouvernement de la RPC »
. Une enquête ultérieure de la GRC qui comportait une opération secrète d’infiltration a mené à l’arrestation de M. Huang. Les transcriptions des appels téléphoniques fournies à la GRC faisaient partie des renseignements divulgués suivant l’arrêt Stinchcombe, puisque le SPPC voulait se servir du matériel intercepté comme élément de preuve.
[10]
L’affidavit de 2013 et le mandat de 2013 divulgués au demandeur étaient, selon la description fournie par son avocat, abondamment caviardés. Le SPPC a refusé de fournir les passages non caviardés des deux documents au demandeur et à son avocat parce que leur communication correspondrait à divulguer des « renseignements potentiellement préjudiciables »
ou des « renseignements sensibles »
, au sens de l’article 38 de la LPC. Tout participant qui, dans le cadre d’une instance, est tenu de divulguer ou prévoit de divulguer ou de faire divulguer des renseignements sensibles ou des renseignements potentiellement préjudiciables est tenu d’en aviser le procureur général du Canada conformément au paragraphe 38.01(1) de la LPC.
[11]
Dans le cas présent, le procureur général du Canada n’a été avisé que vers la fin du mois de février 2017. Il ressort du dossier que l’avocat du SPPC avait compris que le demandeur n’avait pas l’intention de contester l’admissibilité des communications interceptées et croyait qu’il n’y avait aucune possibilité que les renseignements caviardés soient divulgués : lettre de Bradley Reitz, SPPC, à Frank Addario, le 28 février 2017; pièce « L »
jointe à l’affidavit de Fiona Clarke.
[12]
Comme il a été mentionné ci-dessus, l’avocat du demandeur a été remplacé à l’automne 2016. Le nouvel avocat de M. Huang a demandé des renseignements supplémentaires du SPPC concernant le mandat du SCRS et a avisé le SPPC qu’il prévoyait introduire une demande d’exclusion des éléments de preuve relatifs aux communications interceptées conformément aux principes et à la procédure établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Garofoli, [1990] 2 RCS 1421 [Garofoli] (QL). Des dates d’audience pour une demande de type Garofoli ont été fixées au printemps 2017, mais annulées. L’audience d’une éventuelle demande de type Garofoli est prévue du 16 au 19 avril 2018.
[13]
Une cour supérieure saisie d’une demande de type Garofoli recherchera si la perquisition a un caractère plus envahissant que ce qui est raisonnablement nécessaire pour atteindre l’objectif : R c Rogers Communications, 2016 ONSC 70, [2016] OJ no 151, aux paragraphes 40 à 41, citant l’arrêt R c Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 RCS 657, aux paragraphes 21 et 22.
[14]
Dans ce contexte, la demande de type Garofoli viserait à obtenir une ordonnance déclarant que le mandat de 2013 est invalide, que les interceptions n’ont pas été autorisées par la loi et qu’elles violent l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c 11 (R.-U.) [LRC,1985, annexe II, no 44] [la Charte],et que les éléments de preuve des communications doivent être exclus aux termes du paragraphe 24(2) de la Charte.
[15]
Aux fins de la demande de type Garofoli, le mandat d’arrêt et la déclaration sous serment qui l’accompagne sont pertinents dans leur ensemble, mais des parties peuvent être excisées lorsque certaines informations ont été obtenues par des moyens inconstitutionnels et que les parties ne dépendent pas les unes des autres : R c Grant, [1993] 3 RCS 223, [1993] ACS no 98, aux paragraphes 47 à 50; R c Wiley, [1993] 3 RCS 263, [1993] ACS no 96, aux paragraphes 17 à 27; R c Plant, [1993] 3 RCS 281, [1993] ACS no 97, au paragraphe 26. La question a aussi été examinée dans le contexte d’un mandat d’arrêt délivré sous le régime de la Loi sur le SCRS dans l’affaire R c Jaser, 2014 ONSC 6052, [2014] OJ no 6424.
[16]
Le procureur a avisé le procureur général du Canada le 27 février 2017 de la divulgation possible des renseignements caviardés.
[17]
Le jour même, M. Huang a introduit la présente demande en vue d’obtenir ce qui suit :
1) Une décision selon laquelle la divulgation de la version non caviardée du mandat et de l’affidavit ne serait pas préjudiciable aux relations internationales ni à la défense ou à la sécurité nationales;
2) Une ordonnance pour que la version non caviardée du mandat et de l’affidavit soit fournie au demandeur/défendeur et à son avocat;
3) Une ordonnance de la Cour nommant Anil Kapoor à titre d’avocat spécial pour qu’il examine tout document auquel le demandeur n’a pas droit et qu’il représente les intérêts du demandeur dans toute instance lors de laquelle le demandeur ne peut être présent pour des raisons de sécurité nationale;
4) Une ordonnance accordant toute autre mesure de redressement que son avocat peut solliciter et que la Cour estime appropriée.
[18]
Dans son avis de demande, le demandeur prétend que le mandat de 2013 et l’affidavit de 2013 sont si abondamment caviardés qu’il lui est impossible de vérifier le caractère suffisant du mandat ou de présenter une défense pleine et entière aux accusations portées contre lui. Plus précisément, il affirme qu’il lui est impossible de vérifier ou de contester la légalité de l’interception de communications privées qui servent de fondement aux accusations criminelles qui pèsent contre lui, sans les renseignements caviardés dont il est privé.
[19]
Après la réception de l’avis du procureur, le procureur général du Canada, par l’entremise de son représentant, a pris sa décision concernant l’affidavit de 2013 et le mandat de 2013 et a décidé d’interdire la divulgation de renseignements qu’ils contiennent.
[20]
Dans un avis de demande supplémentaire déposé le 22 mars 2017, le demandeur a sollicité une ordonnance autorisant la divulgation supplémentaire de renseignements relatifs à l’interception d’appels téléphoniques à l’Ambassade de RPC à Ottawa pour la période visée par le mandat. Les renseignements en question, en supposant qu’ils existent, sont en la possession d’un tiers, le SCRS.
[21]
Au cours d’une conférence téléphonique de gestion des instances tenue le 5 avril 2017, l’avocat du demandeur a été informé que la Cour jugeait l’avis de demande supplémentaire prématuré, en l’absence d’une ordonnance de la Cour exigeant la production des renseignements recherchés aux fins de la poursuite pénale principale et d’un avis fourni au procureur général concernant ces renseignements pour qu’une procédure soit engagée aux termes de l’article 38 de la LPC. Par conséquent, la Cour estimait que le sujet de l’avis supplémentaire échappait au champ de la présente demande, dans sa version actuelle. L’audience à la Cour supérieure de justice d’une demande de production des renseignements recherchés dans l’avis de demande supplémentaire selon l’arrêt R. c O’Connor, [1995] 4 RCS 411, a maintenant été fixée au 31 août 2017.
[22]
Par ordonnance du 22 mars 2017, un calendrier a été établi pour le dépôt de documents par les parties et Anil Kapoor a été nommé amicus curiae pour aider notre Cour à s’acquitter de ses obligations aux termes de l’article 38 de la LPC. Le jour même, le dossier de demande du demandeur a été déposé. Ce dossier contenait des copies de l’acte d’accusation, de la lettre d’information adressée par le SCRS à la GRC, des versions caviardées de l’affidavit et du mandat et de la correspondance entre les parties. Le dossier public du défendeur, déposé le 4 avril 2007, contenait des renseignements supplémentaires, notamment l’affidavit public de Karen X, une agente du renseignement du SCRS. La Cour a ordonné que le dépôt de l’affidavit de Karen puisse être permis sans que son nom de famille ne soit divulgué.
III.
PREUVE
[23]
Dans son affidavit, Karen décrit les fonctions et les attributions du SCRS, la définition des « menaces envers la sécurité du Canada »
à l’article 2 de la Loi sur le SCRS, la nature des enquêtes menées par le SCRS, les autorisations de communication à d’autres organismes étrangers et internes permises par l’article 19 de la Loi sur le SCRS et les catégories de renseignements que l’on cherche à protéger. Ces catégories sont décrites de façon générale comme visant les renseignements qui :
a) révéleraient ou tendraient à révéler le fait que l’on s’intéresse à des personnes, à des groupes ou à des enjeux, notamment à l’existence ou à l’absence de dossiers ou enquêtes passés ou présents, les enquêtes poussées, ou le degré de succès ou l’absence de succès obtenu dans les enquêtes;
b) révéleraient ou tendraient à révéler les méthodes de fonctionnement et les techniques d’enquête employées par le Service;
c) révéleraient ou tendraient à révéler les relations que le Service entretient avec la police et des agences de sécurité et de renseignement et auraient pour effet de révéler des renseignements échangés à titre confidentiel avec de telles agences;
d) révéleraient ou tendraient à révéler le personnel, les procédures internes et les méthodes administratives du Service, tels les noms et les numéros de dossier et les systèmes de télécommunication utilisés par le Service;
e) révéleraient ou tendraient à révéler l’identité de personnes qui ont accepté de collaborer avec le Service ou les renseignements qui, s’ils étaient divulgués, pourraient mener à la reconnaissance des personnes.
[24]
Dans le reste de son affidavit, Karen précise les raisons pour lesquelles la communication de renseignements appartenant à ces catégories porterait atteinte à la sécurité nationale. Karen n’a aucune connaissance personnelle de l’enquête qui a mené à la délivrance du mandat, n’avait pas lu les renseignements caviardés et ne connaissait pas les raisons précises pour lesquelles le procureur général du Canada cherche à empêcher la divulgation des renseignements.
[25]
Le défendeur a déposé des affidavits classifiés et ex parte, avec pièces jointes, le 24 avril 2017. L’amicus curiae a reçu des copies de cette documentation pour son examen avant la tenue d’une audience privée. La documentation comportait des versions non caviardées des deux documents en cause dans la présente instance, dont certains passages étaient mis en surbrillance de différentes couleurs correspondant aux cinq catégories décrites dans l’affidavit de Karen. La plupart des informations font l’objet de plusieurs demandes de protection différentes et sont mises en évidence en conséquence. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
[26]
Des audiences privées ont été tenues les 2 et 3 mai 2017. À ces dates, des témoins représentant le SCRS et Affaires mondiales Canada ont été interrogés et contre-interrogés par l’avocat du procureur général du Canada et par l’amicus et questionnés par la Cour. Des pièces supplémentaires ont été admises en preuve.
[27]
Le 16 mai 2017, la Cour a entendu les observations orales de l’amicus curiae et des avocats du procureur général du Canada. Au début de l’audience tenue à cette date, on m’a fourni un tableau énumérant toutes les revendications de privilège visant les documents et des tableaux exposant les passages caviardés contestés par l’amicus. Le défendeur a présenté d’autres arguments par écrit le 31 mai 2017, et l’avocat du défendeur et l’amicus ont produit des observations orales supplémentaires le 22 juin 2017.
[28]
Au cours d’une conférence téléphonique de gestion des instances tenue le 5 avril 2017 avant les audiences privées, l’avocat du demandeur s’est vu rappeler l’existence des dispositions du paragraphe 38.11(2) de la LPC, selon lesquelles la Cour peut donner à quiconque la possibilité de présenter ses observations ex parte, de façon confidentielle. De plus, l’avocat a été informé que la date d’une audience publique pouvait aussi être fixée, sur demande, pour que des observations orales soient reçues. La Cour n’a reçu aucune demande visant la tenue d’une audience ex parte pour recevoir des observations de la part du demandeur ou d’une audience publique.
IV.
QUESTION EN LITIGE
[29]
La seule question en litige dans la présente instance est celle de savoir s’il y a lieu que la Cour confirme la décision du défendeur, le procureur général du Canada, d’interdire la divulgation des renseignements visés par des demandes formulées aux termes de l’article 38 de la LPC.
V.
PRESCRIPTION
[30]
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VI.
DISCUSSION
A.
Le contexte et les principes juridiques
[31]
Je fournirai d’emblée certains renseignements sur les mandats délivrés sous le régime de la Loi sur le SCRS au bénéfice de tout lecteur des présents motifs qui ne connaît peut-être pas bien cette procédure. Le régime des mandats que prévoit la Loi sur le SCRS découle des recommandations de la Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada (1977-1981) (la Commission McDonald), qui a recommandé notamment la création d’un service de renseignement civil et la délivrance de certificats de sécurité par le pouvoir judiciaire, plutôt que par les ministres comme cela avait été le cas auparavant. La Commission McDonald a recommandé que ce rôle soit exercé par un groupe restreint de juges de la Cour fédérale. Le législateur a adopté cette recommandation par la promulgation de la Loi sur le SCRS en 1984.
[32]
Le régime des mandats que prévoit la Loi sur le SCRS n’a pas été conçu pour la collecte d’éléments de preuve servant à enquêter sur des infractions, mais plutôt pour la collecte d’informations et de renseignements en vue de conseiller le gouvernement du Canada sur l’existence de menaces envers la sécurité du Canada. Cela appuie le mandat principal du Service, qui est énoncé à l’article 12 de la Loi sur le SCRS. Le terme « menaces envers la sécurité du Canada »
est défini à l’article 2 de la Loi sur le SCRS. Ces dispositions sont rédigées ainsi :
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[33]
Comme il ressortira de ce texte législatif, les enquêtes du SCRS liées à la menace, selon l’effet combiné de ces dispositions, portent principalement sur les activités qui mettent en danger la sécurité du Canada et non pas sur des crimes donnés commis par des personnes nommées.
[34]
Une disposition distincte portant sur les domaines de la collecte d’informations et de renseignements relativement à la défense du Canada et de la conduite des affaires internationales aux termes de l’article 16 de la Loi sur le SCRS n’est pas pertinente à la présente instance.
[35]
Les exigences à remplir pour que la Cour délivre un mandat relativement à la collecte d’informations et de renseignements aux termes de l’article 12 sont énoncées à l’article 21 de la Loi sur le SCRS. La Cour peut délivrer un mandat autorisant l’interception de communications ou la recherche et la saisie de renseignements si elle est convaincue que le demandeur s’appuie sur des faits dans l’affidavit présenté à l’appui de la demande de mandat pour avoir des motifs raisonnables de croire que 1) le mandat est nécessaire pour faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada, 2) la menace, au sens de l’article 2 de la Loi sur le SCRS existe, et (3) que d’autres moyens d’enquête ont été essayés en vain, ou semblent avoir peu de chances de succès.
[36]
Un processus étendu est entrepris avant la présentation d’une demande de mandat à la Cour fédérale. Il nécessite que les éléments de preuve requis soient rassemblés par le déposant, qui est habituellement un agent du renseignement chevronné, un analyste et un avocat du ministère de la Justice membre de l’unité de services juridiques du Service. De plus, la demande doit passer par plusieurs échelons d’approbation au Service, et des avocats du ministère de la Justice qui n’ont pas directement conseillé le Service sur ces questions doivent procéder à l’examen des faits et des moyens invoqués.
[37]
La validité constitutionnelle du régime des mandats de la Loi sur le SCRS en ce qui concerne l’article 8 de la Charte a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Atwal c Canada [1988] 1 CF 107, [1987] ACF no 714 (CAF) (QL) [Atwal]. En comparant le régime des mandats de la Loi sur le SCRS avec l’autorisation d’interception conformément à la partie VI du Code criminel, LRC,1985, c C-46, la Cour d’appel fédérale a reconnu que « les autorisations d’interception de communications privées fondées sur la [Loi sur le SCRS] seront, en pratique, plus difficilement précises à l’avance que les autorisations prévues au Code criminel »
: Atwal, précité, à la page 16. Il en était ainsi, la Cour a-t-elle observé, parce que [traduction] « [l]’interception est envisagée dans le Code comme un moyen d’enquête avant ou après le fait, alors que la [Loi sur le SCRS] vise principalement la collecte d’informations pour tenter de prévoir les futures occurrences »
: arrêt Atwal, précité, à la page 16.
[38]
Le régime législatif institué à l’article 38 de la LPC était aussi le résultat des recommandations de la Commission McDonald. Le législateur a confié aux juges de la Cour fédérale la responsabilité d’examiner, sur demande, les renseignements potentiellement préjudiciables ou les renseignements sensibles à l’égard desquels est invoquée la sécurité nationale, puis de décider si ces renseignements doivent être divulgués et, dans l’affirmative, à quelles conditions. Le juge qui préside un procès criminel ne peut pas ordonner la divulgation à l’accusé des renseignements refusés.
[39]
La Cour suprême du Canada a confirmé la constitutionnalité de ce régime dans l’arrêt R c Ahmad, 2011 CSC 6, [2011] 1 RCS 110 [Ahmad]. En parvenant à cette conclusion, la Cour suprême a constaté, au paragraphe 44, que l’article 38 institue un régime que le législateur a voulu empreint de souplesse. Le régime contient diverses dispositions qui autorisent une divulgation conditionnelle, partielle ou encore limitée et préserve les pouvoirs du juge présidant le procès criminel de délivrer toute ordonnance, sauf une ordonnance de divulgation, que la cour juge nécessaire pour protéger le droit de l’accusé à un procès équitable, y compris son pouvoir d’ordonner l’arrêt des procédures.
[40]
La Cour suprême a donné l’exemple, tiré de la décision Canada (Procureur général) c Khawaja, 2007 CF 490, [2007] ACF no 622, dans lequel notre Cour a communiqué aux avocats des parties un résumé des renseignements dont la divulgation avait été interdite en application de l’article 38 de la LPC, et ordonné qu’il soit mis à la disposition du procureur de la poursuite et du juge qui préside au cas où il deviendrait nécessaire que ce dernier détermine s’il y avait eu atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable.
[41]
Le critère qui s’applique à une procédure visée à l’article 38 de la LPC a été élaboré par la Cour fédérale et par la Cour d’appel fédérale dans la décision Ribic c Canada (Procureur général), 2003 CFPI 10, [2003] ACF no 1965 (CF), confirmée par 2003 CAF 246, [2003] ACF no 1964 (CAF) [Ribic (CAF)].
[42]
Une demande visée à l’article 38 n’est pas un contrôle judiciaire de la décision du procureur général de ne pas autoriser la divulgation. Le juge désigné doit plutôt décider si l’interdiction de divulgation des renseignements que l’on cherche à protéger, qui est prévue au paragraphe 38.02(1), devrait être confirmée ou non. À cette fin, il doit procéder à un examen en trois étapes des renseignements.
[43]
Premièrement, il doit décider si les renseignements en cause sont pertinents quant aux fins de l’instance principale. Si le juge estime que les renseignements sont pertinents, il doit décider si la divulgation porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, comme le prévoit l’article 38.06 de la LPC. Si le procureur général peut établir la preuve des motifs raisonnables qui l’amènent à croire que la divulgation des renseignements porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, le juge doit ensuite déterminer si les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation.
[44]
Ce critère, qui est décrit par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 17 de l’arrêt Ribic, n’est pas très exigeant. En matière pénale, il correspond au critère de divulgation établi dans l’arrêt Stinchcombe. Si les renseignements en cause peuvent ne pas être raisonnablement utiles à la défense, ils ne sont pas pertinents et il n’est pas nécessaire d’aller plus loin.
[45]
Deuxièmement, le juge doit examiner si les renseignements que l’on cherche à protéger sont préjudiciables. En décidant si la communication de ces renseignements porterait préjudice aux intérêts nationaux protégés, le juge doit alors accorder beaucoup d’importance aux prétentions du procureur général, vu l’expertise et les renseignements particuliers auxquels ce titulaire de charge a accès en matière de sécurité nationale et de relations internationales. Il ne suffit pas cependant de dire qu’un préjudice sera causé pour qu’il soit conclu que la divulgation causera effectivement un préjudice. Il incombe au procureur général d’établir, selon la norme de la décision raisonnable, les faits sur lesquels il fonde ses allégations de préjudice probable : Canada (Procureur général) c Khawaja, 2007 CAF 388, [2007] ACF no 1635, aux paragraphes 40 à 42.
[46]
Si le procureur général peut établir la preuve des motifs raisonnables qui l’amènent à croire que la divulgation des renseignements porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, le juge doit passer à la dernière étape de l’examen. À ce stade, le juge doit déterminer si les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non-divulgation.
[47]
Si le juge décide qu’il y a lieu de divulguer tout ou partie des renseignements, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire de divulguer les renseignements de la manière ou sous réserve des conditions les plus susceptibles de limiter le préjudice porté, conformément au paragraphe 38.06(2) de la LPC. Cela peut inclure l’usage d’un résumé ou d’un aveu écrit des faits. Cette pratique est analogue à l’usage de résumés judiciaires autorisé par la Cour suprême au paragraphe 79 de l’arrêt Garofoli, précité, pour permettre qu’une divulgation suffisante soit accordée à l’accusé tout en protégeant les renseignements confidentiels.
[48]
La partie qui demande la divulgation des renseignements doit apporter la preuve que l’intérêt public milite en sa faveur : arrêt Ribic (CAF), précité, au paragraphe 21. Bien sûr, cela est difficile à établir lorsque cette partie – en l’occurrence, M. Huang – ne peut pas voir les renseignements et juger de lui-même, avec l’aide d’un avocat, quelle utilité ils pourraient avoir pour sa défense. Il est utile de mentionner que la législation ne prévoit pas la nomination d’un avocat spécial à titre d’avocat substitut dans une instance visée à l’article 38 de la LPC. La Cour a pris l’habitude de nommer des amici curiae, mais ils ne peuvent jouer qu’un rôle limité pour aider la Cour à examiner les demandes de protection de renseignements.
[49]
L’intérêt public pour le maintien de la confidentialité des renseignements touchant la sécurité nationale et la défense et les relations internationales a longtemps été reconnu : arrêts Carey c Ontario, [1986] 2 RCS 637, aux paragraphes 49 et 59 (QL), et Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Chiarelli, [1992] 1 RCS 711, aux paragraphes 48 et 49 (QL).
[50]
Les facteurs qui doivent être pris en compte pour déterminer si l’intérêt public est mieux servi par la divulgation ou par la non-divulgation varieront d’une affaire à l’autre. Le juge doit soupeser les facteurs qui, selon lui, sont nécessaires pour établir l’équilibre délicat entre les raisons d’intérêt public justifiant la divulgation et celles justifiant la non-divulgation : Khadr c Canada (Procureur général), 2008 CF 549, [2008] ACF no 770, aux paragraphes 36 à 39.
[51]
Ces facteurs comprennent notamment les suivants : la nature de l’intérêt public que l’on tente de protéger par le secret; la question de savoir si un fait crucial pour la défense sera probablement ainsi établi; la gravité de l’accusation ou des questions concernées; l’admissibilité des documents et leur utilité; la question de savoir si les requérants ont établi qu’il n’existe pas d’autres moyens raisonnables d’obtenir les renseignements; et la question de savoir si les demandes de divulgation de renseignements visent la communication de certains documents ou constituent des interrogatoires à l’aveuglette : arrêt Ribic (CAF), précité, au paragraphe 22.
[52]
L’intérêt public dans la divulgation visée à l’article 38.06 de la LPC déborde du droit de la personne concernée à un procès équitable. Il englobe d’autres intérêts, tels que le principe de la publicité des débats judiciaires, la liberté de la presse et le droit du public à l’information. Voir, par exemple, la décision Canada (Procureur général) c Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar), 2007 CF 766, [2007] ACF no 1081.
1)
Application de ces principes en l’espèce
a)
Pertinence
[53]
Dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour doit être particulièrement consciente de la valeur éventuelle des renseignements caviardés pour le droit du demandeur de présenter une pleine défense aux allégations portées contre lui. Comme la Cour suprême du Canada l’a affirmé au paragraphe 7 de l’arrêt Ahmad, précité, « [d]ans les affaires criminelles, il est à plus forte raison essentiel que le tribunal veille à l’équité du procès »
. La Cour suprême a toutefois fait les observations supplémentaires suivantes, au paragraphe 30 :
L’absence de divulgation dans le contexte qui nous intéresse ne se traduit pas nécessairement par une privation du droit à une défense pleine et entière entraînant un procès inéquitable. En effet, dans bien des cas la non-divulgation de renseignements protégés n’aura aucune incidence sur l’équité du procès, ou alors des mesures autres que la divulgation totale pourront garantir que l’équité du procès n’est pas compromise par l’absence de divulgation totale.
[54]
Selon le libellé de la demande de M. Huang contenue dans le dossier de demande, il cherche à obtenir les renseignements caviardés pour évaluer s’il contestera ou non l’admissibilité des éléments de preuve interceptés contre lui dans le cadre d’une demande de type Garofoli. Le SPPC a concédé que les renseignements caviardés sont au moins présumés pertinents quant à cette fin. À ce stade, il n’est toutefois pas évident que le demandeur pourra démontrer qu’il existe une probabilité raisonnable que les dossiers demandés aient une valeur probante quant aux questions que soulève la demande de type Garofoli : Groupe de la Banque mondiale c Wallace, 2016 CSC 15, [2016] 1 RCS 207, au paragraphe 132 [Wallace].
[55]
Le procureur général soutient que les renseignements caviardés sont pertinents, puisque l’affidavit de 2013 et le mandat de 2013 portent en grande partie sur la cible |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| sans lien avec le matériel intercepté qui sert de fondement aux accusations portées contre le demandeur. Elle prétend que les renseignements caviardés ne sont pas en la possession de la Couronne aux fins de divulgation suivant l’arrêt Stinchcombe et qu’une grande partie de l’affidavit de 2013 peut être retranchée des parties qui sont pertinentes quant à la poursuite principale.
[56]
Je mentionnerais aussi qu’il ressort clairement du texte non caviardé de l’affidavit de 2013 divulgué au demandeur que la demande visait l’exercice de pouvoirs intrusifs |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| Une grande partie de l’affidavit de 2013 n’a aucun lien avec les communications interceptées en cause dans l’instance principale et n’est pas pertinente quant aux fins de la présente demande présentée aux termes de l’article 38 de la LPC.
[57]
L’affidavit de 2013 et le mandat de 2013 ne sont pas un mandat et une dénonciation typiques comme on en verrait habituellement dans un dossier criminel. Les mandats criminels ont une durée limitée et visent à enquêter sur des personnes, lieux et crimes précis. L’affidavit de 2013 et le mandat de 2013 couvraient un large éventail d’activités liées à la menace considérées comme se produisant au Canada de façon continue.
[58]
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
[59]
Je conclus que les renseignements contenus dans l’affidavit de 2013 et dans le mandat de 2013 concernant |||||||||| |||||||||||| ne seraient pas raisonnablement utiles à la défense dans la procédure pénale principale, au sens de la pertinence dans l’arrêt Stinchcombe. Bien que je comprenne que l’affidavit dans son ensemble serait normalement examiné dans le cadre d’une demande de type Garofoli, sous réserve de retranchements, il n’est pas évident que les renseignements caviardés sans lien avec les conversations téléphoniques interceptées de M. Huang seraient pertinents quant à une contestation de l’autorisation accordée par le mandat de 2013.
[60]
Aux paragraphes 120 à 122 de l’arrêt Wallace, précité, la Cour suprême a discuté des deux moyens de contestation d’une autorisation : 1) le dossier dont disposait le juge qui a accordé l’autorisation ne permettait pas d’établir l’existence des conditions légales préalables; et 2) le dossier ne représentait pas fidèlement ce que le déposant savait ou aurait dû savoir et, s’il avait constitué un reflet fidèle, n’aurait pas justifié l’autorisation. Il me semble qu’une grande partie des renseignements caviardés de l’affidavit de 2013 et du mandat de 2013 n’est pertinente quant à ni l’un ni l’autre de ces moyens. L’affidavit de 2013 traite à fond de chacune des conditions légales préalables à la délivrance d’un mandat, et rien n’a été soumis à mon examen qui laisse entendre que les renseignements contenus dans l’affidavit sont inexacts. Bien qu’il n’appartienne pas à notre Cour de décider de l’admissibilité des éléments de preuve, aucun des renseignements caviardés contenus dans les documents ne permettrait, à mon avis, de conclure que le mandat n’aurait pas dû être délivré.
b)
Préjudice
[61]
L’affidavit de 2013 débute par une description des antécédents du déposant qui comprend la description de ses antécédents professionnels et de ses compétences. Même si le nom du déposant pouvait être noirci par l’usage d’un pseudonyme ou d’initiales, la divulgation de ses antécédents professionnels pourrait porter préjudice à la sécurité nationale du Canada, puisque certains détails de l’organisation interne et des structures de gestion du SCRS seraient ainsi révélés. Tout renseignement qui nommerait le déposant ou qui permettrait de découvrir son identité comporterait un risque de préjudice à lui et à sa famille et l’empêcherait de travailler comme agent secret. Pour ce motif, je suis convaincu que la suppression du texte dans les trois premières pages de l’affidavit a été faite correctement.
[62]
La partie suivante de l’affidavit de 2013 décrit la nature des menaces envers la sécurité du Canada à l’égard desquels des pouvoirs d’enquête invasifs sont demandés. Une grande partie de ces renseignements apparaît clairement. L’affidavit décrit la personne ciblée |||||||||||||||||||||||||||||| et les pouvoirs particuliers demandés. Il explique aussi les mesures prises pour mener des enquêtes et les raisons pour lesquelles elles avaient échoué, ou seraient vouées à l’échec, sans l’exercice de pouvoirs intrusifs. Cette partie de l’affidavit est largement caviardée. Comme il a été indiqué ci-dessus, j’estime qu’une grande partie de ces passages n’est pas pertinente quant à la procédure pénale principale.
[63]
Le fait que le Service savait que le matériel intercepté à l’Ambassade de RPC serait probablement rendu public une fois que la décision a été prise de communiquer ces renseignements à la GRC aux fins d’une enquête pénale constitue un facteur important pour apprécier la teneur et l’étendue du préjudice que peut entraîner la divulgation des renseignements caviardés. Cette communication a été faite en toute connaissance du fait que le dévoilement de ces activités d’interception porterait probablement préjudice aux intérêts nationaux du Canada. Le procureur général tente maintenant de réduire au minimum l’effet préjudiciable possible de la divulgation supplémentaire de renseignements.
[64]
J’accepte que, dans l’ensemble, le procureur général se soit acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir que la divulgation d’une grande partie des renseignements caviardés porterait préjudice à la sécurité nationale et aux relations internationales du Canada.
[65]
En examinant les éléments de preuve concernant le préjudice, j’ai pris en compte ce qui est souvent appelé le principe de l’ » effet de mosaïque ». Selon ce principe, des renseignements distincts qui semblent inoffensifs à première vue peuvent, s’ils sont regroupés avec d’autres renseignements, brosser un tableau qui porterait atteinte à la sécurité du Canada. Bien que j’aie exprimé un certain scepticisme à l’égard de ce principe dans des jugements antérieurs, j’accepte qu’il s’agisse d’un facteur à prendre en considération en ce qui concerne ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, un État-nation avancé. C’est particulièrement le cas à l’ère moderne lorsque des systèmes informatiques surpuissants peuvent servir à évaluer les bribes d’information regroupées.
[66]
Bien que le procureur général se fonde principalement sur la sécurité nationale pour demander la protection des renseignements qui font l’objet de la présente demande, cette affaire soulève aussi des questions délicates concernant les relations internationales du Canada.
[67]
Il ne fait pas de doute que la confidentialité est fondamentale à la collecte de renseignements et à l’échange de renseignements entre les États. L’usage international exige la protection de la confidentialité des communications et des missions diplomatiques. Il est toutefois essentiel que les nations reçoivent des renseignements sensibles concernant les activités et les intentions d’autres pays. La collecte de renseignements a longtemps fait partie de la diplomatie internationale. Quiconque connaît l’histoire des relations étrangères et des divulgations publiques des dernières années ne serait pas surpris que des méthodes cachées soient souvent employées pour parvenir à ces fins. Ces méthodes sont bien connues et sont décrites dans de nombreuses publications qui relèvent du domaine public. La nature et la méthode d’emploi précises de ces moyens de collecte constituent toujours des renseignements très sensibles et protégés dans chaque pays.
[68]
Pour ce motif, j’ai accepté de façon générale les éléments de preuve présentés selon lesquels la divulgation d’une partie des passages caviardés de l’affidavit de 2013 et du mandat de 2013 porterait préjudice aux relations internationales du Canada. Je les ai acceptés malgré le fait, comme on l’a volontiers concédé à huis clos, que le gouvernement du Canada, en décidant de divulguer par l’entremise du SCRS le matériel intercepté à la GRC aux fins d’enquête pénale, était disposé à assumer un certain risque de préjudice afin de poursuivre M. Huang. Le fait que le matériel intercepté en cause consistait en des appels téléphoniques à l’Ambassade de RPC a été rendu public dans le cadre de la poursuite pénale et dans un article de presse sur la présente instance. C’est là un facteur que j’ai pris en compte en décidant si la divulgation de renseignements supplémentaires ajouterait au préjudice.
[69]
Lorsque des organismes étrangers fournissent des renseignements, ils le sont souvent avec des restrictions explicites ou implicites concernant leur utilisation et leur diffusion. Le respect de ces restrictions est connu sous le nom de « règle des tiers »
. De façon générale, cela signifie que l’État qui reçoit les renseignements ne s’en servirait à aucune fin que la fin limitée à laquelle il les a reçus, habituellement le renseignement, sans le consentement de l’organisme international qui les a fournis.
[70]
La Cour suprême du Canada a reconnu le droit important et légitime de l’État de protéger les renseignements de source étrangère obtenus à titre confidentiel : Ruby c Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 RCS 3, aux paragraphes 43 et 46. La Cour suprême a aussi reconnu que le Canada est un importateur net de renseignements sur la sécurité, que ces renseignements sont essentiels pour la sécurité et la défense du Canada et que des considérations peuvent limiter l’étendue de la divulgation de renseignements à l’intéressé : Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 RCS 350, aux paragraphes 48 et 59.
[71]
En général, j’ai accepté qu’un préjudice a été établi en ce qui concerne la divulgation des intérêts des enquêteurs du SCRS. Le demandeur, M. Huang, n’était pas ciblé par l’affidavit de 2013 et le mandat de 2013. Il a été couvert par le mandat de 2013 parce qu’il a prétendument fait des appels téléphoniques à l’Ambassade de RPC, un lieu visé par le mandat. La divulgation du |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| décrit dans l’affidavit de 2013 et dans le mandat de 2013 porterait atteinte dans une certaine mesure à la sécurité nationale du Canada et à l’intérêt public, et la protection de ces renseignements l’emporte sur tout intérêt dans leur divulgation.
[72]
Le fait que certaines techniques ou méthodes ont été employées contre une cible particulière ou un lieu particulier peut être soupçonné, mais n’est pas connu du public. La communication de renseignements à ce sujet compromettrait donc les capacités opérationnelles du SCRS. La divulgation de renseignements concernant la nature et l’étendue des connaissances du SCRS quant à la structure des services du renseignement étrangers compromettrait aussi la sécurité nationale du Canada. En l’absence de preuve du contraire, la Cour doit faire preuve de retenue envers la thèse du procureur général selon laquelle la divulgation de tels renseignements serait préjudiciable.
[73]
Dans le présent contexte, la |||||||| ligne téléphonique |||||||||| directement pertinente quant au dossier contre M. Huang |||||||||||||||||||||||||| a été rendue publique. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
[74]
L’article 18 de la Loi sur le SCRS interdit la communication de l’identité d’un employé du Service qui a participé, participe ou participera à des activités cachées. Bien que cette disposition demeure applicable sous réserve de l’article 38 de la LPC, sa mise en œuvre indique que le législateur considère que la protection de ces renseignements revêt une importance particulière. La Cour doit être consciente des éventuelles menaces personnelles auxquelles font face les employés du SCRS qui font ce travail et de la menace de préjudice envers l’intérêt public découlant du dévoilement de leur identité. Pour ce motif, j’ai confirmé la protection de ces renseignements chaque fois qu’ils apparaissent dans les documents.
[75]
Dans un même ordre d’idées, je ne vois aucune raison d’ordonner la divulgation de renseignements relatifs à |||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| dans le cadre de leurs enquêtes. Dans le contexte de la présente affaire, ces renseignements ne seraient d’aucune utilité au demandeur, et leur divulgation en dissuaderait d’autres d’aider le Service.
[76]
Les renseignements relatifs aux procédures administratives internes ou les renseignements tels les noms et les catégories de dossiers, les numéros de téléphone et les adresses Internet sont couramment protégés aux termes de l’article 38 comme étant peu pertinents ou susceptibles de porter préjudice. La divulgation de tels renseignements aurait pour seule valeur d’aider ceux qui pourraient les utiliser pour déceler la façon dont le Service gère ses enquêtes et son fonctionnement interne.
VII.
CONCLUSION
[77]
Afin de parvenir à une conclusion sur chacune des revendications du privilège d’intérêt public à l’égard des renseignements en cause, j’ai recouru à des tableaux préparés par l’avocat du procureur général en consultation avec l’amicus. Les tableaux ont limité le nombre de revendications formulées à celles qui demeuraient en litige après les audiences privées. Pour être précis, j’ai lu le texte sous chaque passage caviardé faisant l’objet d’une revendication de privilège aux termes de l’article 38 de la LPC dans une version transparente et tiré une conclusion quant à savoir si la divulgation des renseignements était possible en application du critère formulé dans l’arrêt Ribic.
[78]
Un tableau indiquant mes conclusions relatives à chaque revendication aux termes de l’article 38 qui est contestée est joint en tant qu’annexe au jugement privé qui sera délivré en même temps que les présents motifs exposant les décisions détaillées que j’ai prises en application de l’article 38.06 de la LPC. Le procureur général dispose de dix jours à partir de la délivrance de ce jugement pour interjeter appel à la Cour d’appel fédérale aux termes de l’article 38.09 de la LPC. En l’absence de tout appel, le jugement prendra effet à l’unique condition que le procureur général du Canada délivre personnellement le certificat visé à l’article 38.13 de la LPC interdisant la divulgation des renseignements.
[79]
Comme il a été mentionné ci-dessus à la rubrique « Prescription » du jugement privé et de l’annexe I, |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
[80]
En ce qui concerne une grande partie des renseignements en cause dans la présente instance, je suis convaincu qu’ils ne sont pas pertinents ou que le procureur général a établi la menace de préjudice et que les raisons d’intérêt public qui justifient la non-divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation. L’interdiction de divulgation est confirmée relativement aux renseignements indiqués dans le jugement privé et l’annexe.
[81]
Dans certains cas, le procureur général ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir que la divulgation de renseignements pertinents entraînerait un préjudice. J’ordonnerai la divulgation de ces renseignements dans le jugement privé et l’annexe.
[82]
Dans les cas où je conclus à l’établissement d’un préjudice, j’ai examiné si le demandeur s’était acquitté du fardeau de démontrer que les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non-divulgation. Dans les cas où j’en arrive à la conclusion que le fardeau a été satisfait, j’ai considéré s’il y avait lieu que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire aux termes du paragraphe 38.06(2) de la LPC d’autoriser la divulgation des renseignements pertinents, en tout ou en partie, sous la forme d’un résumé ou d’un aveu écrit des faits ou sous réserve de certaines conditions de sorte à limiter tout préjudice porté aux intérêts nationaux protégés.
[83]
Le dossier de demande, déposé initialement au greffe public de la Cour, le dossier du défendeur et les éléments de preuve et les observations reçus dans les instances à huis clos seront conservés au greffe des instances désignées de la Cour fédérale.
« Richard G. Mosley »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 30e jour d’avril 2020
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
DES-2-17
|
INTITULÉ :
|
QING (QUENTIN) HUANG c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Ottawa (Ontario)
|
DATE DE L’AUDITION :
|
LES 2, 3 ET 16 MAI ET LE 22 JUIN 2017
|
JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS :
|
LE JUGE MOSLEY
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 7 juillet 2017
|
COMPARUTIONS :
Andre Seguin
Brenda Price
|
Pour le défendeur
|
Anil Kapoor
|
Amicus curiae
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Frank Addario
Addario Law Group LLP
Toronto (Ontario)
|
Pour le demandeur
|
Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
Toronto (Ontario)
|
Pour le défendeur
|
Anil Kapoor
Kapoor Barristers
Toronto (Ontario)
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AMICUS CURIAE
|