Dossier : T-111-13
Référence : 2017 CF 969
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2017
En présence de monsieur le juge Fothergill
ENTRE :
|
907687 ONTARIO INC.
|
S/N THE INTERNATIONAL INSTITUTE OF TRAVEL
|
demandeur
|
et
|
ABDUL SHOKOUR
|
AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE JOE SHOKOUR, UN PARTICULIER ET
|
1472359 ONTARIO LIMITED
|
S/N IBT COLLEGE BUSINESS TRAVEL &
|
TOURISM TECHNOLOGY
|
défendeurs
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Le demandeur, 907687 Ontario Inc., exerçant sous le nom d’International Institute of Travel (IIT), est un collège carrière privé mis sur pied par Rudolph Nareen en 1989 ou 1990. Il offre des certificats et des diplômes dans un éventail de domaines, dont administration des affaires, voyage et tourisme, et accueil.
[2]
Le défendeur, 1472359 Ontario Ltd, exerçant sous le nom IBT College of Business Travel & Tourism Technology (IBT), est un collège carrière privé mis sur pied par le défendeur Abdul « Joe »
Shokour en 2001. Il offre des certificats et des diplômes dans un éventail de domaines, dont administration des affaires, voyage et tourisme, et technologie de l’information.
[3]
IIT a intenté l’action en l’espèce contre M. Shokour et IBT le 15 janvier 2013. IIT allègue que M. Shokour et IBT ont utilisé de manière irrégulière des documents de cours élaborés par IIT pour inscrire IBT en tant que collège carrière et obtenir l’approbation du ministère de la Formation et des Collèges et Universités de l’Ontario (Ministère) en vue d’offrir des certificats et un diplôme en voyage et tourisme. IIT soutient que les défendeurs ont violé le droit d’auteur d’IIT à l’égard de ses documents de cours et demande des dommages-intérêts, une restitution des bénéfices et d’autres réparations.
[4]
Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’IIT ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que M. Shokour ou IBT ont utilisé d’une façon irrégulière les documents protégés par le droit d’auteur d’IIT ou qu’IIT a subi des préjudices en découlant. Je conclus également que l’action est irrecevable par application du paragraphe 43.1(1) de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C-42. L’action est par conséquent rejetée avec dépens.
II.
Contexte
[5]
Comme de nombreuses personnes et sociétés sont mentionnées dans les présents motifs, une liste des acteurs en cause pourrait donc s’avérer utile :
a) Rudolph Nareen : M. Nareen est le propriétaire et exploitant d’IIT.
b) IIT : IIT est un collège carrière privé offrant des certificats et des diplômes, entre autres, en voyage et tourisme.
c) Sam et Banoo Bharucha (les Bharucha) : les Bharucha ont acheté et exploité une franchise d’IIT auprès de M. Nareen.
d) 1200462 Ontario Ltd : 1200462 Ontario Ltd est la société par l’intermédiaire de laquelle les Bharucha exploitaient leur franchise d’IIT. Lorsqu’ils ont mis fin à la franchise, 1200462 Ontario Ltd était exploitée sous le nom d’ICM College of Business and Technology.
e) ICM College of Business and Technology (ICM) : ICM est le nom d’exploitation de 1200462 Ontario Ltd lorsqu’Abdul
« Joe »
Shokour a acquis des actions dans l’entreprise. ICM n’a jamais commencé ses activités.f) Abdul
« Joe »
Shokour : M. Shokour a travaillé pour M. Nareen chez IIT jusqu’à ce qu’il quitte l’entreprise pour travailler dans d’autres collèges carrières privés, puis a ouvert son propre collège carrière privé, Travel Technology Academy Inc.g) Travel Technology Academy Inc (TTA) : TTA était un collège carrière privé mis sur pied par M. Shakour et Suleyman Odemis. TTA n’a jamais commencé ses activités.
h) IBT : IBT est un collège carrière privé mis sur pied par M. Shokour lorsqu’il a cessé de faire affaire avec TTA. IBT offre des certificats et des diplômes, entre autres choses, en voyage et tourisme.
[6]
IIT est exploité en tant que collège carrière privé depuis 1990. En 1996, IIT a vendu une franchise aux Bharucha pour une contrepartie de 35 000 $ et de 5 % des revenus bruts. Les Bharucha ont exploité la franchise par l’intermédiaire de leur société, 1200462 Ontario Ltd.
[7]
M. Shokour a travaillé pour IIT de 1990 à 1998. La relation d’emploi s’est détériorée, puis il a été congédié par M. Nareen. M. Shokour a intenté une action pour congédiement abusif et a également participé à des procédures devant la Commission de la location immobilière de l’Ontario relativement à son occupation d’un appartement appartenant à M. Nareen.
[8]
Après son départ de l’IIT, M. Shokour a travaillé pour un certain nombre de collèges carrières avant de mettre sur pied TTA avec M. Odemis en 2000. TTA a été approuvé par le ministère à titre d’école professionnelle privée et a été autorisé à offrir un programme de conseiller en voyage et tourisme de 28 semaines. MM. Shokour et Odemis ont éprouvé des difficultés dans leur relation d’emploi et TTA n’a jamais commencé ses activités.
[9]
Le 12 avril 2001, M. Shokour a constitué IBT en personne morale. Le 23 juin 2001, IBT a présenté au Ministère une première demande d’inscription pour exploiter un collège privé d’enseignement professionnel ainsi qu’une demande d’inscription pour exploiter un collège privé d’enseignement professionnel. Le lendemain, IBT a présenté une demande d’inscription d’un programme de 28 semaines intitulé Travel and Tourism Counsellor Diploma and Certificates (Diplôme et certificats de conseiller en voyage et tourisme).
[10]
Selon M. Shokour, le Ministère l’a autorisé à accélérer le processus d’approbation pour le programme de voyage et tourisme d’IBT, car le même programme avait été approuvé précédemment pour TTA. Ce fait est étayé par plusieurs annotations manuscrites sur les documents obtenus auprès du Ministère en vertu de la loi provinciale sur l’accès à l’information. M. Shokour était tenu de remplir la demande jusqu’à l’annexe « E »
et a été en mesure de se fier au programme d’études présenté précédemment par TTA. IBT s’est inscrit en tant que collège carrière privé le 16 août 2002 et a été autorisé à offrir le programme de conseiller en voyage et tourisme peu de temps après.
[11]
À la suite des attaques terroristes contre les États-Unis d’Amérique du 11 septembre 2001, la franchise IIT des Bharucha a éprouvé des difficultés financières. Ils se sont tournés vers M. Shokour pour obtenir de l’aide. Il a fait part de son intérêt d’acquérir des actions dans 1200462 Ontario Ltd, mais pas avant que les Bharucha résilient leur contrat de franchisage avec IIT. Le contrat de franchisage a été résilié en décembre 2001 et, par la suite, 1200462 Ontario Ltd a été exploitée sous le nom ICM, M. Shokour étant un actionnaire. M. Shokour a dit dans son témoignage que les Bharucha et lui avaient l’intention d’orienter l’offre de cours d’ICM sur les affaires et la technologie, plutôt que sur les voyages et le tourisme.
[12]
Selon M. Shokour, les Bharucha étaient incapables de diriger avec succès un collège carrière et ICM n’a jamais commencé ses activités. Néanmoins, ICM a présenté une demande afin de renouveler son inscription auprès du Ministère pour 2002. M. Nareen a laissé entendre que c’était afin de permettre aux étudiants d’ICM d’achever leurs études. M. Shokour était en désaccord et a affirmé qu’ICM ne comptait aucun étudiant au moment où il est devenu un actionnaire.
[13]
En janvier 2002, M. Shokour a acheté les actions restantes d’ICM et est devenu directeur et président de l’entreprise. ICM a présenté une demande de renouvellement de son inscription auprès du Ministère pour 2003. M. Nareen allègue que cela avait pour but de faciliter par M. Shokour et IBT l’utilisation irrégulière des documents protégés par le droit d’auteur d’IIT. Selon M. Shokour, ICM a présenté une demande afin de renouveler ses inscriptions dans l’espoir de vendre l’entreprise, mais cela ne s’est jamais concrétisé.
[14]
M. Nareen était de plus en plus mal à l’aise en ce qui concerne le fait que M. Shokour faisait affaire avec les Bharucha et ICM. Le 23 juillet 2002, un représentant d’IIT a communiqué avec les Bharucha afin de poser des questions à propos de l’accès éventuel de M. Shokour aux documents protégés par le droit d’auteur d’IIT. Mme Bharucha a déclaré dans une lettre datée du 24 juillet 2002 que les documents protégés par le droit d’auteur étaient [traduction]« gardés sous clé »
et que M. Shokour n’y avait jamais eu accès. Selon ses affirmations, M. Shokour a participé aux cours sur les affaires et la technologie d’ICM, mais pas au programme de voyage et tourisme.
[15]
Le 12 août 2002, le conseiller juridique d’IIT a envoyé une lettre à M. Shokour dans laquelle on pouvait lire :
[traduction] À la lumière de la fermeture de la franchise d’IIT de North York, Banoo a pris en charge la formation des étudiants existants. Elle a offert d’achever la formation au 50, avenue St. Clair Est, au quatrième étage, à Toronto. Il s’agit d’une installation que vous exploitez sous le nom d’IBT College. Il ne fait aucun doute que, compte tenu de ces manœuvres, il y a eu entre vous collaboration et collusion en ce qui concerne la formation d’IIT.
Par la présente, je vous informe que les documents de cours et les documents sur le fonctionnement des systèmes sont protégés par le droit d’auteur et ne peuvent être utilisés sans d’abord obtenir la permission et l’autorisation du propriétaire. Aucune permission ou autorisation n’a été demandée ou n’a été accordée.
Si l’on découvre que vous avez utilisé des documents exclusifs ou protégés par le droit d’auteur qui appartiennent à ITT conjointement au cours sur les voyages et le tourisme offert au IBT College, situé à l’angle de St. Clair et de Yonge, à Toronto, ou à tout autre emplacement sous votre égide, j’entreprendrai sans autre avis des procédures judiciaires pour vous empêcher de continuer de le faire et pour obtenir des dommages-intérêts importants, des dommages punitifs et l’ensemble des dépens indemnitaires à votre encontre.
[16]
M. Shokour a mis fin à sa relation avec les Bharucha à la fin de 2002 ou au début de 2003. ICM a ultimement été dissous. Rien n’indique qu’ICM ait généré des revenus quelconques.
[17]
En 2005, IBT a modifié le nom de son programme de diplôme et de certificats de conseiller en voyage et tourisme pour diplôme et certificats en voyage et tourisme. M. Shokour a témoigné pour dire que le mot « conseiller »
a été supprimé du nom afin d’éviter la confusion et de veiller à ce que le programme attire le plus grand éventail d’étudiants possible. Il ne voulait pas donner l’impression que le programme qualifiait les personnes uniquement en vue de travailler comme agents de voyage, alors que le diplôme pouvait mener à d’autres possibilités dans tous les aspects de l’industrie du voyage et du tourisme. M. Shokour soutient qu’il n’y avait aucun changement dans le curriculum et que le programme est toujours demeuré le même.
[18]
Selon M. Nareen, M. Bharucha est venu le voir en 2011 et a reconnu qu’ICM avait conservé les documents protégés par le droit d’auteur d’IIT, et a permis à M. Shokour de les utiliser pour inscrire des cours en voyage et tourisme. L’avocat des défendeurs s’est opposé à cette preuve en soutenant qu’il s’agissait de ouï-dire. Ni l’un ni l’autre des Bharucha n’a témoigné dans la présente instance. À la demande du conseiller juridique d’IIT, M. Bharucha a présenté une déclaration écrite le 16 octobre 2013. Celle-ci a été admise en preuve sur consentement, mais uniquement comme preuve de l’état d’esprit de M. Nareen en 2011.
III.
Questions en litige
[19]
L’affaire soulève les questions suivantes :
M. Shokour ou IBT ont-ils violé le droit d’auteur d’IIT à l’égard de ses documents de cours?
L’action intentée par IIT à l’encontre de M. Shokour et d’IBT est-elle irrecevable par application du paragraphe 43.1(1) de la Loi sur le droit d’auteur?
IV.
Discussion
A.
M. Shokour ou IBT ont-ils violé le droit d’auteur d’IIT à l’égard de ses documents de cours?
[20]
Il n’est pas contesté qu’IIT détenait le droit d’auteur à l’égard du curriculum et d’autres documents qu’il a élaborés pour inscrire ses cours en voyage et tourisme auprès du Ministère. M. Nareen a présenté une demande en vue d’obtenir un certificat de droit d’auteur pour les plans de cours, certificat qui porte la date du 10 mai 1996. Même s’il n’avait pas obtenu le certificat, les documents étaient protégés par le droit d’auteur dans la mesure où ils contenaient des expressions d’idées originales. Il est bien établi qu’un manuel de formation ou un programme de cours peut bénéficier d’une protection en vertu du droit d’auteur (École de Conduite Tecnic Aubé Inc c 1509 8858 Québec inc (1986), 12 CIPR 284 (Cour supérieure du Québec); Market Traders Institute Inc c Mahmood, [2008] OJ no 5065 (C.S. Ont)).
[21]
M. Shokour affirme qu’il n’y a aucun élément de preuve selon lequel les Bharucha ou qui que ce soit d’autre lui ont jamais donné accès, à lui ou à IBT, aux documents de cours protégés par le droit d’auteur d’IIT. Il fait valoir que la lettre de Mme Bharucha du 24 juillet 2002 comprenait précisément une contestation de cette allégation :
1. Tous les accords, manuels, dossiers d’étudiants et autres dossiers liés à l’International Institute of Travel étaient gardés sous clé sous le contrôle de la soussignée en tout temps et Joe Shokour n’avait aucun accès à ceux-ci; nous ne lui avons jamais montré un seul élément lié à l’industrie du voyage.
2. La participation de Joe Shokour ne concernait que l’aspect lié à la technologie de l’information de l’entreprise et rien d’autre. De plus, il ne s’intéressait pas à l’aspect lié aux voyages de notre entreprise.
[22]
La déclaration écrite de M. Bharucha du 16 octobre 2013 indique uniquement qu’ICM [traduction] « a conservé le même système de fonctionnement »
après l’arrivée de M. Shokour au sein de l’entreprise. Cet élément de preuve est admissible uniquement afin d’illustrer l’état d’esprit de M. Nareen et pour donner un fondement à la réponse d’IIT à l’égard de la défense de prescription des défendeurs.
[23]
Compte tenu du fait qu’ICM n’a jamais commencé ses activités ou généré des revenus, il est difficile de déterminer comment on peut affirmer qu’ICM a violé le droit d’auteur d’IIT à son détriment. ICM a présenté à deux reprises une demande de renouvellement de ses inscriptions après l’arrivée de M. Shokour au sein de l’entreprise, mais M. Shokour a dit dans son témoignage que c’était uniquement afin de faciliter une vente de l’entreprise qui ne s’est jamais concrétisée. De toute façon, ICM n’est pas un défendeur en l’espèce.
[24]
L’avocat d’IIT soutient qu’il doit exister un lien entre le renouvellement des inscriptions d’ICM et la capacité d’IBT d’offrir un diplôme en voyage et tourisme. Il accorde une grande importance au changement de nom du programme d’IBT en 2005 qui est passé de diplôme et certificats de conseiller en voyage et tourisme à diplôme et certificat en voyage et tourisme. Il fait valoir qu’un programme de conseiller comprend uniquement un programme d’études et, par conséquent, qu’il diffère d’un programme menant à un diplôme.
[25]
La théorie d’IIT en l’espèce se heurte à de nombreuses difficultés. Les éléments de preuve établissent que le programme d’IBT en voyage et tourisme a toujours englobé à la fois des certificats et un diplôme. À compter du moment où il a été mis sur pied pour la première fois à l’été de 2002, le diplôme a constamment nécessité 28 semaines d’études. Le programme de cours a été approuvé par le Ministère lorsqu’il a été présenté initialement par TTA. M. Shokour a comparu, et les documents obtenus auprès du Ministère le confirment, pour dire que le programme de voyage et tourisme d’IBT a obtenu une approbation accélérée en fonction de l’approbation antérieure du même programme offert par TTA.
[26]
M. Shokour a dit dans son témoignage qu’IBT avait reçu l’approbation pour son programme de voyage et tourisme en fonction de programmes et de manuels élaborés et vendus commercialement par l’Institut canadien des conseillers en voyages [ICCV]. Les annotations manuscrites qui figurent dans les documents obtenus auprès du Ministère le confirment.
[27]
Coralie Belman, qui a travaillé comme cadre à l’ICCV pendant plus de 25 ans, a dit dans son témoignage que l’ICCV vend à la fois des programmes et des manuels qui peuvent être utilisés pour inscrire des collèges carrières privés et des cours auprès du Ministère. M. Shokour a présenté des factures pour les programmes et manuels achetés auprès de l’ICCV. Il a également été en mesure de produire le programme présenté au Ministère pour le compte de TTA, qui est différent de celui élaboré par M. Nareen pour le compte d’IIT.
[28]
IIT a appelé Carol Brun à témoigner en qualité de témoin expert en ce qui concerne l’observation des lois provinciales régissant les collèges carrières. Mme Brun est une experte-conseil qui a été approuvée par le Ministère en qualité de surveillante de la conformité et d’évaluatrice de l’éducation des adultes. À ce titre, elle offre des évaluations indépendantes au Ministère en ce qui concerne la question de savoir si le collège ou le programme d’études proposé satisfait aux normes réglementaires.
[29]
M. Shokour et IBT ne contestent pas l’expertise de Mme Brun, mais ils ont fait valoir qu’elle ne pouvait pas être autorisée par la Cour à titre de témoin impartiale, car elle avait déjà aidé M. Nareen à inscrire un programme pour le compte d’IIT. L’avocat de M. Shokour et d’IBT n’a pas donné suite à l’objection avec beaucoup de vigueur. Ils n’ont pas non plus contesté le fond du témoignage de Mme Brun.
[30]
Les témoins experts ont une obligation envers la Cour de présenter un témoignage d’opinion équitable, objectif et impartial. Ils doivent être conscients de cette obligation et ils doivent avoir la capacité et la volonté de s’en acquitter. S’ils ne satisfont pas à ce critère minimal, alors leur témoignage ne devrait pas être admis (White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co, 2015 CSC 23, aux paragraphes 30 à 32 [White Burgess]).
[31]
Une fois que ce critère est satisfait, les doutes quant à l’indépendance ou à l’impartialité d’un témoin expert devraient être examinés à l’issue d’une pondération globale du coût et des bénéfices de son admission. Le critère d’admissibilité n’est pas particulièrement coûteux et le témoignage d’un expert proposé ne sera exclu que rarement en raison de son défaut d’y satisfaire. C’est la nature et le degré de l’intérêt ou des rapports qu’a l’expert avec l’instance qui importent, et non leur simple existence : un intérêt ou un rapport quelconque ne rend pas d’emblée le témoignage de l’expert proposé inadmissible (White Burgess, aux paragraphes 46 à 49).
[32]
Mme Brun a dit dans son témoignage qu’elle avait lu et compris le Code de déontologie régissant les témoins experts de la Cour, annexe des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Rien dans sa brève association professionnelle avec IIT ne laisse entendre qu’elle favoriserait de manière irrégulière sa position dans la présente instance. Au contraire, elle a expliqué que son rôle en qualité d’évaluatrice indépendante pour le Ministère exige qu’elle soit impartiale en tout temps.
[33]
Même si je n’ai aucune hésitation à accepter Mme Brun en tant que témoin expert, ses éléments de preuve n’ont pas aidé IIT. On a demandé à Mme Brun d’examiner une sélection de manuels de l’ICCV ainsi qu’une annexe « E » d’une demande d’inscription d’un programme de voyage et tourisme. IIT n’a pas été en mesure de produire une copie de l’annexe « E » devant la Cour; elle n’a pas été incluse dans le rapport de Mme Brun. Mme Brun a exprimé l’avis que ces documents ne suffiraient pas pour permettre à un collège carrière d’obtenir l’approbation du Ministère pour un programme de voyage et tourisme. M. Shokour et IBT n’ont pas contesté cette proposition.
[34]
Mme Brun a fondé son opinion sur les documents qui lui ont été fournis par l’avocat d’IIT. IIT a fait valoir que si les documents ne suffisaient pas à inscrire un programme de voyage et tourisme, alors M. Shokour doit avoir utilisé les documents de cours d’IIT protégés par le droit d’auteur pour inscrire son programme. Le problème avec cet argument est que Mme Brun ne semble pas avoir reçu les documents de cours qui ont été effectivement utilisés par M. Shokour et IBT pour inscrire leur programme de voyage et tourisme.
[35]
Je retiens le témoignage de M. Shokour selon lequel le programme de voyage et tourisme d’IBT a été inscrit à l’aide des programmes et des manuels achetés auprès de l’ICCV. L’argument de M. Nareen selon lequel ils doivent s’être fondés sur des documents de cours protégés par le droit d’auteur qui ont été préparés pour IIT est circonstanciel et spéculatif. Cet argument est contredit par la prépondérance de la preuve présentée en l’espèce.
[36]
Les seuls éléments de preuve admissibles qui appuient éventuellement l’argument d’IIT selon lequel IBT s’est fondé sur ses documents protégés par le droit d’auteur pour inscrire son programme de diplôme en voyage et tourisme sont un affidavit souscrit par M. Shokour dans le cadre de la présente instance le 8 juillet 2015, en réponse à une requête présentée par IIT concernant la production d’autres documents. Dans l’affidavit, il a affirmé ce qui suit :
[traduction] Je n’ai aucune copie du curriculum élaboré à l’origine par IBT. Ce document n’existe pas. Le Ministère n’a pas exigé un programme d’IBT, car IBT a toujours utilisé des programmes approuvés de l’ICCV.
[...] Le plan de module a été préparé pour un programme de voyage préparé à l’origine par « Travel Technology Academy ». J’ai préparé personnellement ce plan de module. […] IBT n’a jamais utilisé le plan de module. Au moment où j’ai lancé IBT, j’ai commencé à utiliser les documents de programme de l’ICCV, ce qui a été confirmé par le ministre.
[37]
M. Shokour a été contre-interrogé à l’égard de cette déclaration prêtant à confusion et éventuellement incohérente. Il a indiqué qu’il n’a pas pensé à mentionner dans son affidavit le fait qu’IBT s’était appuyé sur le curriculum de TTA pour inscrire son programme de voyage et tourisme. L’avocat d’IIT n’a pas donné suite à cette question et n’y a pas eu recours dans ses observations finales.
[38]
IIT s’appuie plutôt fortement sur la modification du nom du programme d’IBT en 2005 qui a supprimé le mot « conseiller »
. Cependant, depuis sa création en 2002 jusqu’à aujourd’hui, le programme d’IBT a toujours exigé 28 semaines d’études pour un diplôme et a toujours offert l’option de certificats pour avoir terminé des cours particuliers ou un diplôme pour avoir suivi le programme dans son intégralité.
[39]
Je ne suis pas convaincu, dans le contexte de la présente instance, qu’un programme de conseiller correspond à un cours unique et qu’un programme de diplôme est nécessairement quelque chose de différent. Il semble que le diplôme en voyage et tourisme offert par IBT a été approuvé par le Ministère lorsqu’il a été présenté pour la première fois par TTA en 2000. C’était avant que M. Shokour entame une relation d’affaires avec ICM et les Bharucha.
[40]
Je conclus donc qu’IIT ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que M. Shokour ou IBT ont utilisé d’une façon irrégulière les documents protégés par le droit d’auteur d’IIT ou qu’IIT a subi des préjudices en découlant.
B.
L’action intentée par IIT à l’encontre de M. Shokour et d’IBT est-elle irrecevable par application du paragraphe 43.1(1) de la Loi sur le droit d’auteur?
[41]
Le paragraphe 43.1(1) de la Loi sur le droit d’auteur dispose qu’une procédure engagée pour violation du droit d’auteur doit l’être dans les trois ans qui suivent le moment où le demandeur a eu connaissance d’un acte ou d’une omission contraire à la Loi ou qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il en ait eu connaissance. La découverte de faits importants repose sur un exercice de diligence raisonnable (Central Trust Co c Rafuse, [1986] 2 RCS 147, à la page 224). La découverte subséquente d’éléments de preuve supplémentaires qui appuient une prétention ne proroge pas le délai de prescription (Lindhorst c Cornwall, 2010 ONSC 3882, au paragraphe 33).
[42]
La lettre envoyée par le conseiller juridique d’IIT à M. Shokour le 12 août 2002 établit qu’IIT avait connaissance que M. Shokour faisait affaire avec ICM et les Bharucha à l’époque. La lettre confirme également la préoccupation relative à l’accès éventuel de M. Shokour à des documents d’IIT protégés par le droit d’auteur et à leur utilisation non autorisée par ce dernier.
[43]
IIT fait valoir que le délai de prescription a commencé à courir uniquement en 2011, lorsque M. Bharucha a prétendument informé M. Nareen qu’ICM avait continué à utiliser les documents protégés par le droit d’auteur dans le cadre de ses activités après l’arrivée de M. Shokour au sein de la société. IIT soutient qu’avant que M. Bharucha admette la vérité, il n’y avait que des soupçons. De simples soupçons n’équivalent pas à une connaissance réelle (citant Central-Epicure Food Products Ltd c Weinberg, 2015 ONSC 5539, aux paragraphes 20 et 21).
[44]
Même si IIT n’a pas eu une connaissance réelle de la violation présumée avant 2011, la question demeure quant à savoir si les faits importants auraient pu être découverts plus tôt en faisant preuve de diligence raisonnable. La possibilité de découverte est une question de fait (Pooni c Aziz, [1999] OJ no 3864 (Cour suprême), au paragraphe 10).
[45]
Ce qui constitue une diligence raisonnable dépend des circonstances de l’affaire. M. Shokour et IBT affirment qu’IIT aurait pu prendre plusieurs mesures raisonnables en 2002 pour déterminer la nature des certificats et du diplôme d’IBT en voyage et tourisme : il aurait pu se procurer un dépliant, envoyer une personne s’inscrire au programme d’IBT ou présenter une demande au Ministère en application de la loi sur l’accès à l’information, comme il l’a fait de nombreuses années plus tard. M. Nareen a dit dans son témoignage qu’il n’avait pas demandé la divulgation au Ministère en 2002, car, malgré le fait qu’il était représenté par un avocat, il n’était pas au courant de cette option à l’époque.
[46]
IIT affirme également qu’il avait le droit de se fier à la déclaration de Mme Bharucha en 2002 selon laquelle M. Shokour n’avait pas obtenu accès aux documents protégés par le droit d’auteur. Le recours à la bonne foi d’une partie a été reconnu dans les affaires de fraude (Faye c Roumegous (1918), 42 DLR 533, à la page 543 (CA Ont), citant Betjemann c Betjemann, [1895] 2 Ch 474 (CA)), et lorsqu’il y a une preuve de dissimulation volontaire (Underwriters’ Survery Bureau Ltd c Massie & Renwick Ltd, [1938] 2 DLR 31, à la page 51 (CFPI)). Cependant, il n’y a aucun élément de preuve en l’espèce selon lequel M. Shokour ou IBT a sciemment dissimulé des faits ou a commis une fraude.
[47]
Lorsqu’on soulève une défense fondée sur la prescription, le demandeur a le fardeau de prouver qu’une cause d’action a pris naissance à l’intérieur du délai de (Clemens c Brown (1958), 13 DLR (2d) 488, à la page 491 (CA Ont)). Je ne suis pas convaincu qu’IIT se soit acquitté de ce fardeau. La preuve présentée en l’espèce, notamment la lettre de demande du 12 août 2002, rédigée en termes très catégoriques, démontre que les faits importants auraient pu être découverts en faisant preuve de diligence raisonnable en 2002. Par conséquent, la présente action est frappée de prescription.
V.
Conclusion
[48]
L’action est rejetée avec dépens. Si les parties sont incapables de s’entendre sur les dépens, elles peuvent déposer des observations écrites d’au plus cinq pages dans les 10 jours suivant la date de la présente décision. Le demandeur peut présenter, en réponse, des observations écrites d’au plus cinq pages dans les 10 jours par la suite.
JUGEMENT
LA COUR rejette la présente action avec dépens. Si les parties sont incapables de s’entendre sur les dépens, elles peuvent déposer des observations écrites d’au plus cinq pages dans les 10 jours suivant la date de la présente décision. Le demandeur peut présenter, en réponse, des observations écrites d’au plus cinq pages dans les 10 jours par la suite.
« Simon Fothergill »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 29e jour de novembre 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-111-13
|
INTITULÉ :
|
907687 ONTARIO INC, S/N THE INTERNATIONAL INSTITUTE OF TRAVEL c ABDUL SHOKOUR, AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE JOE SHOKOUR, UN PARTICULIER ET 1472359 ONTARIO LIMITED, S/N IBT COLLEGE BUSINESS TRAVEL & TOURISM TECHNOLOGY
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Les 16, 17 et 18 octobre 2017
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE FOTHERGILL
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 31 octobre 2017
|
COMPARUTIONS :
David M. Goodman
|
Pour le demandeur
|
Bruce N. Baron
|
Pour les défendeurs
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Goodman, Solomon & Gold
Avocats
Toronto (Ontario)
|
Pour le demandeur
|
Gaertner Baron Professional Corporation
Avocats
Toronto (Ontario)
|
Pour les défendeurs
|