Date : 20171107
Dossier : IMM-3726-16
Référence : 2017 CF 1008
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2017
En présence de madame la juge Elliott
ENTRE :
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FRANCISCO SUAREZ ABELEIRA
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de la demande
[1]
Francisco Suarez Abeleira (M. Abeleira) est un apatride âgé de 66 ans. Il sollicite un contrôle judiciaire de la décision d’un agent principal d’immigration (l’agent) de rejeter sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).
[2]
Par les motifs qui suivent, la demande est accueillie. L’agent a adopté une vue étroite des faits. Il n’a pas analysé et pris en considération plusieurs des arguments présentés par M. Abeleira. Plus précisément, l’agent n’a pas cherché à savoir si M. Abeleira pouvait effectivement être renvoyé du Canada et, le cas échéant, dans quel pays il devait l’être. L’agent a aussi commis une erreur dans son analyse des difficultés qu’éprouverait M. Abeleira s’il était renvoyé aux États-Unis ou s’il continuait de demeurer au Canada en tant qu’apatride.
II.
Parcours personnel de M. Abeleira
[3]
Il n’est pas contesté que M. Abeleira est un apatride. Il croit être né à Vigo (Espagne) le 10 août 1951. Ses parents ont fui la dictature de Franco peu de temps après sa naissance et ils ont déménagé au Mexique. L’Espagne n’a aucun certificat de naissance à son nom – peut-être n’a-t-il pas été déclaré ou peut-être le certificat a-t-il été détruit pendant l’ère Franco.
[4]
Tragiquement, M. Abeleira est devenu orphelin à l’âge de trois ans, à la suite du décès de ses parents dans un accident automobile. Il a ensuite été élevé par des voisins au Mexique jusqu’à ce qu’il s’enfuie, à l’âge de 12 ans, en raison des mauvais traitements qu’ils lui infligeaient. Il a ensuite habité près de la frontière États-Unis-Mexique et a gagné sa vie en passant en contrebande des biens à la frontière relativement non sécurisée, qu’il vendait aux États-Unis, tout en vendant des appareils électroniques et des vêtements américains au Mexique. À la fin de son adolescence, M. Abeleira a déménagé de façon permanente aux États-Unis, où il a habité en tant que sans-papiers pendant un certain temps.
[5]
En 1975, il a déménagé à New York et a acheté un certificat de naissance au nom d’Angel Lagomasini, un citoyen américain légitime qui habitait à Puerto Rico et qui est décédé en 2008. Il a utilisé ce certificat de naissance afin d’obtenir un permis de conduire, un numéro d’assurance sociale et un passeport américain.
[6]
De 1975 à 2009, M. Abeleira a habité et occupé un emploi d’enseignant aux États-Unis sous ce faux nom. Il a obtenu son diplôme d’études secondaires, obtenu un baccalauréat en éducation en 1989 et une maîtrise en sciences de l’éducation en 1995. En 1987, M. Abeleira est devenu employé du conseil scolaire de New York à titre d’aide-enseignant et a obtenu une promotion, jusqu’à ce qu’il devienne un enseignant accrédité, en 2004. M. Abeleira a cessé de travailler au conseil scolaire de New York en 2006; à ce moment-là, son salaire annuel brut s’élevait à 55 000 $ américains. M. Abeleira a aussi été marié à deux reprises, en 1993 (divorcé en 1998) et en 2004 (divorcé en 2009, lorsque sa deuxième femme a découvert qu’il vivait sous une fausse identité).
[7]
Ensuite, en mai 2009, le secret de M. Abeleira a été mis au jour. Il a été arrêté à l’aéroport international JFK de New York alors qu’il s’apprêtait à se rendre en Espagne, où il enseignait l’anglais et l’espagnol en tant qu’enseignant indépendant. Il a avoué aux agents qu’il vivait sous une fausse identité.
[8]
M. Abeleira a été accusé d’une infraction criminelle pour violation de l’article 1542 du code 18 U.S.C. – [traduction] « fausse déclaration au soutien d’une demande de passeport et de l’utilisation d’un passeport »
. Il a ensuite fait l’objet d’une ordonnance de détention dans un établissement fédéral par la US District Court. Le 8 juin 2009, M. Abeleira a plaidé coupable.
[9]
Le 21 juillet 2009, M. Abeleira a été condamné à la période déjà purgée et a fait l’objet d’une ordonnance de mise en liberté supervisée, en vertu de laquelle il devait demeurer dans le district local. Dans cette ordonnance, il était aussi indiqué qu’en cas d’expulsion, M. Abeleira ne pourrait retourner aux États-Unis sans le consentement du procureur général des États-Unis.
[10]
Après sa libération du service correctionnel américain, M. Abeleira a été confié à l’Immigration and Customs Enforcement (ICE) et est demeuré détenu dans un centre de détention de l’immigration. Le 27 juillet 2009, il a fait l’objet d’une ordonnance de renvoi des États-Unis. Il est toutefois demeuré sous la garde de l’ICE et n’a été libéré qu’en octobre 2009, lorsque l’ICE a déterminé qu’il ne pouvait pas être renvoyé. Une lettre du consulat d’Espagne confirmait qu’il n’avait aucun statut dans ce pays.
[11]
Selon M. Abeleira, on lui avait dit qu’en tant que personne sans statut aux États-Unis, on pouvait le placer de nouveau en détention à tout moment. Des avocats américains l’ont informé qu’il ne parviendrait pas à régulariser son statut aux États-Unis. On lui a dit qu’il devrait plutôt traverser la frontière et se rendre au Canada, où il pourrait tenter de régulariser son statut.
[12]
Sur recommandation des avocats américains, M. Abeleira a fui les États-Unis le 29 mars 2010 et est arrivé au Canada, où il a présenté une demande d’asile. Étant donné qu’il ne possédait aucun document sur son identité réelle et qu’il était tenu, en vertu de son ordonnance de mise en liberté, de demeurer à New York, M. Abeleira a traversé la frontière au Canada à un passage frontalier non surveillé entre le Vermont et le Québec. Il a ensuite présenté une demande d’asile à l’intérieur du pays le 9 avril 2010 en raison de son statut d’apatride.
[13]
M. Abeleira ne possède aucun document de quelque genre qui prouve son identité. Il n’existe aucun dossier de naissance. Même les documents sur son identité des États-Unis qu’il s’est procurés au moyen du faux certificat de naissance ont été confisqués par les autorités là-bas.
III.
Première demande pour motifs d’ordre humanitaire
[14]
Le 3 août 2011, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande d’asile présentée par M. Abeleira. La Section de la protection des réfugiés a accepté le fait qu’il était apatride, tout en concluant qu’il n’était pas victime de persécution pour un motif énoncé dans la Convention aux États-Unis, son pays de résidence habituelle. La Cour a rejeté une demande d’autorisation de soumettre la décision de la Section de la protection des réfugiés à un contrôle judiciaire.
[15]
Le 17 octobre 2012, M. Abeleira a présenté au Canada une demande pour motifs d’ordre humanitaire, au motif qu’il ne pouvait pas être renvoyé aux États-Unis, qu’il serait emprisonné pour absence de statut s’il était renvoyé aux États-Unis d’une façon quelconque, que son état d’apatride lui causerait des difficultés au Canada et qu’il était établi au Canada.
[16]
Le 13 mai 2014, la demande pour motifs d’ordre humanitaire présentée par M. Abeleira a été rejetée. L’autorisation de demander un contrôle judiciaire a été accordée. Le 3 décembre 2015, le juge LeBlanc a accueilli la demande de contrôle judiciaire, annulé la décision et renvoyé la demande pour motifs d’ordre humanitaire à un agent différent aux fins de réexamen. Le juge LeBlanc a conclu que la décision rendue par l’agente était déraisonnable, puisque cette dernière avait limité son examen à la question de savoir si les circonstances de M. Abeleira étaient hors de son contrôle et avait refusé de manière déraisonnable son établissement au Canada, malgré la preuve importante sur ce point. La décision du juge LeBlanc est répertoriée sous la référence 2015 CF 1340.
IV.
Ajout de renseignements supplémentaires à la demande pour motifs d’ordre humanitaire au moment du réexamen
[17]
Le 23 juin 2016, M. Abeleira a présenté des observations supplémentaires dans sa demande pour motifs d’ordre humanitaire. Dans ses observations mises à jour, il indiquait les facteurs à prendre en considération dans les demandes pour motifs d’ordre humanitaire, comme l’a précisé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]. Dans cette décision, la Cour suprême a déterminé que le « critère »
des difficultés ne s’appliquait plus aux demandeurs de demandes pour motifs d’ordre humanitaire et que ces difficultés devraient être utilisées à titre descriptif plutôt que de créer de nouveaux seuils en vertu de l’article 25 de la LIPR.
[18]
M. Abeleira a présenté de nouveaux documents à l’appui, y compris une lettre de Javan Courtney de la Toronto Community Housing Corporation (TCHC), attestant que M. Abeleira y joue un rôle, un chèque de la TCHC avec des honoraires pour son bénévolat et son aide, et la copie d’un reçu de l’Hôpital St. Michael’s en date du 23 septembre 2015 de 600 $ pour une cystoscopie payée par M. Abeleira. Il a fait valoir que ce reçu prouvait que son statut d’apatride lui avait causé des difficultés, puisqu’il devait payer des frais médicaux qui seraient couverts par le gouvernement s’il était résident permanent.
V.
La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire
[19]
La demande pour motifs d’ordre humanitaire mise à jour a été rejetée le 17 août 2016.
[20]
L’agent a accepté le fait que M. Abeleira était apatride. Il a examiné la Convention des Nations Unies sur l’apatridie et s’est montré sensible à la situation critique des personnes apatrides. L’agent a divisé son analyse en sections portant sur l’établissement, l’apatridie et les risques et conditions dans le pays d’origine (les États-Unis), ce qui l’a mené à sa conclusion.
[21]
En ce qui concerne l’établissement au Canada, l’agent a précisé que M. Abeleira faisait du bénévolat et a accordé une certaine importance à sa participation dans la collectivité.
[22]
En ce qui concerne l’emploi de M. Abeleira, l’agent a mentionné le fait qu’il avait travaillé, en 2012, pour le Toronto Police College et qu’il avait reçu une rétribution de la TCHC. L’agent a toutefois conclu que quiconque au Canada s’attend à tout le moins à occuper un emploi qui suffira à répondre à ses besoins essentiels et que son emploi ne représentait pas un facteur d’acceptation complet. Qui plus est, l’agent a indiqué qu’en 2012, M. Abeleira recevait de l’aide sociale pour compléter son revenu d’emploi, qui ne suffisait pas à le sevrer complètement de l’aide sociale. L’agent a donc tiré une conclusion défavorable. L’agent a aussi abordé l’allégation de M. Abeleira selon laquelle il recevrait une pension de son ancien emploi d’enseignant aux États-Unis, avant de conclure qu’elle n’était appuyée par aucune preuve. Il ne lui a donc accordé aucun poids.
[23]
En ce qui concerne l’apatridie, l’agent a mentionné l’allégation de M. Abeleira selon laquelle son statut précaire l’avait empêché d’avoir accès à des possibilités d’emploi à temps plein et à des soins de santé. L’agent a toutefois conclu que la preuve ne suffisait pas à établir que l’emploi minimal de M. Abeleira était attribuable à son statut d’apatride. L’agent a indiqué que M. Abeleira s’était vu accorder plusieurs permis de travail, dont le dernier était arrivé à échéance le 25 avril 2015. L’agent a donc rejeté l’explication de M. Abeleira selon laquelle son incapacité à travailler était attribuable à son statut d’apatride.
[24]
En ce qui a trait aux soins de santé, l’agent a conclu que M. Abeleira n’avait pas prouvé qu’il lui était impossible d’obtenir des soins médicaux de base au Canada. En fait, M. Abeleira avait profité du Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI), qui avait pris fin le 26 mai 2016. En tant que demandeur d’asile débouté, M. Abeleira avait droit à une couverture en vertu du PFSI et n’avait pas établi qu’il avait tenté de renouveler son inscription et que cette dernière avait été refusée.
[25]
En ce qui concerne les risques aux États-Unis, l’agent a conclu que M. Abeleira avait purgé sa peine d’emprisonnement pour avoir obtenu frauduleusement un passeport et qu’il n’avait donc pas réussi à prouver qu’il serait incarcéré s’il était renvoyé aux États-Unis. Étant donné que M. Abeleira ne pose aucun danger aux États-Unis, il n’avait donc aucune raison de craindre d’être incarcéré s’il était renvoyé aux États-Unis. En outre, l’agent n’a relevé aucune preuve qui démontrait que son incarcération aux États-Unis lui avait causé des dommages psychologiques ou qu’un retour aux États-Unis le placerait dans la même situation.
[26]
Pour conclure, l’agent a déterminé que la preuve ne suffisait pas à montrer que M. Abeleira était stable et indépendant sur le plan financier ou qu’il avait établi des liens solides au Canada. Il ne s’était donc pas acquitté de son fardeau de prouver que son renvoi aux États-Unis l’exposait à des risques et que sa situation ne justifiait donc pas une exception à l’exigence de présenter une demande à l’étranger.
VI.
Question en litige et norme de contrôle
[27]
Voici la question à trancher : L’agent a-t-il commis une erreur susceptible de révision en rejetant la demande de résidence permanente présentée du Canada par M. Abeleira pour des motifs d’ordre humanitaire?
[28]
L’évaluation des éléments de preuve par l’agent et la conclusion en vue de déterminer s’il convient d’accorder une exemption pour motifs d’ordre humanitaire est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable : Kanthasamy, au paragraphe 44.
[29]
Le caractère raisonnable d’une décision tient principalement à la justification de celle-ci, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).
[30]
Je suis également conscient que le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale. Les motifs de l’agent « répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision de l’agent et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables »
: Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16.
VII.
Discussion
[31]
La Cour suprême, dans l’arrêt Kanthasamy, nous enseigne que le critère juridique qui s’applique dans l’évaluation d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire n’est pas l’un de trois seuils distincts – des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives – à prendre en considération en sus des considérations d’ordre humanitaire que prévoit déjà le paragraphe 25(1). Les termes « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives »
doivent être « considérés comme des éléments instructifs, mais non décisifs, qui permettent à la disposition de répondre avec plus de souplesse aux objectifs d’équité qui la sous-tendent »
: arrêt Kanthasamy, au paragraphe 33.
[32]
Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême confirme aussi que l’expression « motifs d’ordre humanitaire »
, est telle qu’elle a été établie dans Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A., 338 [Chirwa] :
[…] « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi sur l’immigration.»
Kanthasamy, au paragraphe 13, citant Chirwa, à la page 350.
[33]
Après l’arrêt Kanthasamy, dans une affaire mettant en cause un conscrit réfractaire qui résidait illégalement au Canada depuis quarante ans, le juge Brown a expliqué que le changement instauré par l’arrêt Kanthasamy signifie que « les cours de révision doivent [cependant] avoir une raison de croire que les agents ont fait leur travail, autrement dit, que les agents chargés des demandes pour motifs d’ordre humanitaire ont tenu compte, outre les difficultés, de facteurs humanitaires au sens plus élargi »
Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72, au paragraphe 33.
[34]
Autrement dit, les changements apportés par l’arrêt Kanthasamy exigent des agents qu’ils se concentrent en grande partie sur les facteurs d’ordre humanitaire. L’analyse vise à déterminer s’il faut accorder un redressement équitable, d’une manière qui offre une exception souple et réceptive au fonctionnement ordinaire de la LIPR afin de soulager les malheurs d’un demandeur. L’agent doit prendre cette décision après avoir entièrement pris en considération et apprécié l’ensemble des faits et des facteurs présentés par un demandeur comme un tout afin de permettre une évaluation globale.
[35]
M. Abeleira allègue que l’agent a commis plusieurs erreurs. Comme il est expliqué dans les sections suivantes, voici les trois questions qui, à mon avis, rendent la décision déraisonnable :
L’agent n’a pas cherché à savoir si M. Abeleira pouvait effectivement être renvoyé du Canada.
L’agent n’a pas abordé de manière appropriée les éléments de preuve de difficultés que M. Abeleira devra surmonter s’il est renvoyé aux États-Unis.
L’agent n’a pas abordé de manière appropriée les éléments de preuve de difficultés que M. Abeleira devra surmonter s’il devait demeurer au Canada en tant qu’apatride.
A.
L’agent n’a jamais déterminé s’il est possible de renvoyer M. Abeleira du Canada.
[36]
Contrairement à d’autres personnes apatrides, M. Abeleira n’est pas reconnu comme ancien citoyen d’un pays quelconque devenu apatride subséquemment. Il est apatride, en raison de sa naissance non enregistrée pendant la guerre civile en Espagne et du fait qu’il est devenu orphelin au Mexique à l’âge de trois ans.
[37]
Les observations formulées par M. Abeleira dans sa demande pour motifs d’ordre humanitaire se concentraient sur son apatridie et surtout sur le fait qu’il ne pouvait pas être renvoyé du Canada. L’agent n’a jamais déterminé s’il était possible de renvoyer M. Abeleira dans un autre pays afin qu’il présente une demande de résidence permanente depuis l’étranger.
[38]
Peu importe si le pays d’origine est l’Espagne, le Mexique ou les États-Unis – le pays de sa dernière résidence habituelle – selon les circonstances indiquées au dossier, M. Abeleira ne peut être renvoyé dans aucun de ces pays. Comme l’indique son avocat, M. Abeleira se trouve dans un [traduction] « vide juridique »
.
[39]
Par conséquent, les quatre seuls pays où M. Abeleira a des liens quelconques (le Canada était le quatrième de ces pays) ne veulent pas de lui parce qu’il n’a aucun statut dans ces pays. Le ministre indique pourtant que M. Abeleira n’a pas présenté de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour obtenir l’autorisation de présenter une demande de résidence permanente à partir du Canada. Il doit donc présenter sa demande en vue d’obtenir ce statut à partir d’un autre pays. Aucun autre pays ne semble disposé à l’accepter, et c’est là que réside le casse-tête. En plus de se trouver dans un vide juridique, M. Abeleira ne peut pas en sortir. Il semble prisonnier d’une boucle sans fin où on lui dit « vous devez quitter le Canada pour présenter une demande de résidence permanente »
, cependant « vous ne pouvez pas quitter le Canada parce qu’aucun pays n’est prêt à vous accepter »
.
[40]
Même si je n’arrive pas à voir en quoi il s’agit d’une position raisonnable dans laquelle on peut placer un demandeur, je ne peux pas profiter de l’analyse de l’agent. La décision est déraisonnable parce que l’agent n’a jamais analysé ce problème. Il s’est penché sur des aspects particuliers de l’apatridie, comme les soins de santé et l’emploi, mais il n’a pas vu la situation dans son ensemble et n’a pas tenu compte des répercussions de l’apatridie de M. Abeleira à l’échelle mondiale. Plus précisément, il n’a pas déterminé s’il était possible de le renvoyer du Canada et, dans la négative, s’il était humain de le laisser dans un état indéfini de vide dans ce pays.
[41]
L’agent a reçu des éléments de preuve importants, dont il n’a pas parlé et qu’il n’a peut-être même pas pris en considération. La preuve ignorée confirme encore plus qu’il est extrêmement improbable que M. Abeleira puisse retourner aux États-Unis. Dans une lettre provenant d’un avocat à Vive, Inc. aux États-Unis, un organisme qui aide les réfugiés cherchant à obtenir le droit d’asile ou la protection des réfugiés aux États-Unis et au Canada, on indiquait ce qui suit :
[traduction] Le fait clé est que la personne (M. Abeleira) a fait l’objet d’une ordonnance d’expulsion des États-Unis par un juge d’immigration. Il a donc été établi sur le plan juridique que la personne n’a pas le droit de demeurer aux États-Unis.
[42]
L’avocat précise aussi que [traduction] l’« Arrangement de réciprocité concernant l’échange de personnes expulsées entre les États-Unis d’Amérique et le Canada »
, qui indiquait jadis que tout réfugié qui entrait au Canada en provenance des États-Unis pouvait être renvoyé aux États-Unis a été résilié et qu’il ne s’applique plus. L’opinion formulée en raison de cette résiliation indique que M. Abeleira [traduction] « ne peut pas être renvoyé aux États-Unis contre son gré ».
Je conclus que la probabilité que M. Abeleira ne donne pas son accord afin d’être ainsi renvoyé va de soi.
[43]
Le ministre affirme néanmoins que l’apatridie ne signifie pas nécessairement que M. Abeleira ne peut pas être renvoyé du Canada. En application du paragraphe 241(1) de la LIPR, si aucun des pays avec lesquels M. Abeleira a un lien ne l’autorise à entrer, le ministre peut donc le renvoyer dans un pays qui autorisera son entrée dans un délai raisonnable. Le ministre affirme aussi que les difficultés liées au renvoi ne justifient pas une décision favorable sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
[44]
À mon avis, la situation dans laquelle M. Abeleira se trouve est plus qu’une simple « difficulté »
liée au renvoi. Le fait qu’aucun des pays avec lesquels il a eu un lien quelconque ne veut l’accepter rend son renvoi impossible prima facie, et c’est exactement ce qui s’est produit lorsque les États-Unis ont tenté de l’expulser.
[45]
Le ministre n’allègue pas que le Canada pourrait effectivement renvoyer M. Abeleira dans « n’importe quel pays »
. Par conséquent, la notion selon laquelle un pays doit être disposé à accepter M. Abeleira est purement spéculative. Qui plus est, l’agent doit prendre en considération les difficultés que subira M. Abeleira s’il est expulsé dans un autre pays. Toutefois, sans connaître le pays de renvoi, l’agent ne peut pas tenir compte des conditions dans ce pays afin de déterminer si M. Abeleira subirait des difficultés là-bas. Et, si un agent ne peut pas le prendre en considération, il s’avère donc difficile de voir comment on pourrait juger que la décision est raisonnable. Par conséquent, d’ici à ce qu’un pays puisse être désigné, il semble que M. Abeleira coure un risque d’être pris dans une partie de ping-pong prolongée entre le ministre et la Cour fédérale.
B.
L’agent n’a pas abordé de manière appropriée les éléments de preuve de difficultés que M. Abeleira devra surmonter s’il est renvoyé aux États-Unis.
[46]
M. Abeleira avait affirmé, aux fins d’étude par l’agent, qu’il avait subi un traumatisme pendant sa détention par les autorités d’immigration américaines. Dans l’affidavit qu’il a présenté avec sa demande pour motifs d’ordre humanitaire, M. Abeleira affirmait que sa vie serait en danger s’il était détenu dans un centre de détention américain :
[traduction]
Le temps que j’ai passé dans le centre de détention de l’ICE s’est avéré une expérience traumatisante. J’ai vu de mes yeux un homme mourir de la tuberculose. Nous étions bien nourris, mais on ne nous traitait pas bien. J’ai vu des personnes devenir instables mentalement. Les gens craignaient pour leur vie dans leur pays d’origine et pour leur avenir après l’expulsion.
Cette expérience a été bouleversante. On m’a pris ma liberté et j’ignorais ce que l’avenir me réservait ou l’endroit où l’on m’enverrait.
(Affidavit de M. Abeleira, aux paragraphes 56 et 57)
[47]
M. Abeleira a présenté avec sa demande pour motifs d’ordre humanitaire un article du New York Times intitulé «
Officials Hid Truth of Immigrant Deaths in Jail »
(Des responsables ont caché la vérité sur les décès d’immigrants en prison), qui exposait les faits entourant plusieurs décès de détenus liés à l’immigration et des stratégies auxquelles le personnel de diverses sphères professionnelles, comme le personnel médical, recourait pour couvrir ces décès.
[48]
L’agent a conclu à tort que M. Abeleira ne serait pas incarcéré aux États-Unis, puisqu’il avait purgé sa peine criminelle et qu’il ne représentait pas une menace à la sécurité publique aux États-Unis. Il n’a donc accordé aucune importance à la crainte d’incarcération exprimée par M. Abeleira.
[49]
Selon la preuve, M. Abeleira a été détenu dans un centre de l’ICE pendant trois mois, de juillet à octobre 2009, après avoir purgé sa peine criminelle d’emprisonnement. Il était sorti de prison parce qu’il ne représentait pas un risque à la sécurité publique. Sa libération à la suite de sa mise en détention par l’Immigration se fondait sur l’absence de pays où le renvoyer.
[50]
L’agent a commis une erreur en concluant à tort que M. Abeleira ne s’exposait pas à un risque d’être incarcéré s’il retournait aux États-Unis, puisqu’il avait purgé sa peine criminelle originale. Le risque d’incarcération auquel M. Abeleira était exposé était issu de sa fuite des États-Unis, en contravention de l’ordonnance de mise en liberté supervisée (l’ordonnance) qui lui interdisait de quitter New York pendant trois ans et qui lui imposait, s’il était expulsé, d’obtenir la permission du procureur général des États-Unis avant de rentrer au pays.
[51]
La conclusion tirée par l’agent, selon laquelle M. Abeleira ne s’exposait à aucun risque d’incarcération supplémentaire puisqu’il avait purgé sa peine criminelle est infondée. Cela est contraire à la preuve selon laquelle il pourrait être de nouveau détenu par l’ICE et donc inintelligible. Cette conclusion empêchait aussi l’agent de se pencher sur les difficultés qu’éprouverait M. Abeleira s’il était renvoyé aux États-Unis et incarcéré. La décision est donc déraisonnable pour ce motif.
C.
L’agent n’a pas abordé de manière appropriée les éléments de preuve de difficultés que M. Abeleira devra surmonter s’il demeure au Canada en tant qu’apatride
[52]
Lorsque M. Abeleira habitait aux États-Unis, il avait la fausse identité d’un citoyen. Il avait donc tous les droits et les avantages que ce statut confère. Il avait un bon emploi, qui lui permettait d’accumuler une pension. Il pouvait voyager à l’extérieur des États-Unis et y revenir, ce qu’il faisait. Aucune de ces possibilités ne s’offre à lui en tant qu’apatride au Canada.
[53]
L’agent a indiqué qu’il était sensible à [traduction] « la situation critique dans laquelle se trouvent les apatrides, particulièrement M. Suarez Abeleira ».
L’agent n’a articulé aucune de ces sensibilités. En fait, il n’a ni abordé ni rejeté bon nombre des facteurs présentés par M. Abeleira.
[54]
Le dossier soutient les facteurs défavorables liés à l’apatridie cernés par M. Abeleira. Dans une lettre de cinq pages en date du 9 juillet 2013 envoyée par Amnistie internationale (Amnistie), on abordait précisément la situation de M. Abeleira en tant qu’apatride au Canada. Elle présentait un résumé de rapports d’Asylum Aid et du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCNUR) sur la précarité de l’apatridie. On précise que le HCNUR fait de l’apatridie une question relative aux droits de la personne. On y explique qu’une personne apatride n’ayant pas le statut de réfugié au Canada subit ce qui suit :
- elle se trouve en situation de vide juridique;
- elle se trouve dans une situation extrêmement précaire : vulnérable et marginalisée;
- elle ne peut pas quitter le Canada pour se réinstaller de façon permanente ailleurs;
- elle n’a pas le droit d’entrer dans un autre pays;
- si elle parvient à quitter le Canada, l’apatride n’a aucun droit d’y retourner;
- elle est assujettie à un renvoi du Canada et peut être détenue en attendant d’être renvoyée;
- on peut conclure qu’il est impossible de la renvoyer et une détention à court terme peut devenir indéfinie.
[55]
L’agent n’a ni reconnu ni abordé les renseignements qu’Amnistie internationale lui avait présentés sur l’incidence de l’apatridie au Canada, qui s’appliquerait tout autant aux États-Unis. L’agent a indiqué avoir consulté la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Il n’a cependant jamais expliqué ce qu’il pensait du statut d’apatride de M. Abeleira aux États-Unis ou au Canada et pourquoi cette pensée n’avait pas éveillé en lui le désir de soulager M. Abeleira de ses malheurs.
[56]
Je conclus que la décision est déraisonnable pour ce motif également.
VIII.
Conclusion
[57]
M. Abeleira est un apatride qui ne peut pas présenter de demande de résidence permanente au Canada depuis l’étranger et il ne peut être renvoyé dans aucun pays. Il se trouvera pendant une période indéterminée dans une situation de vide juridique au Canada. Même si cette situation peut justifier ou pas des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire, l’agent ne l’a pas examinée. Il s’est plutôt penché sur des questions individuelles d’établissement et de difficultés ou de risques, sans voir l’éléphant dans la pièce – il est probablement impossible d’expulser M. Abeleira.
[58]
Dans l’ensemble, il n’est aucunement évident que l’agent a réellement analysé la demande pour motifs d’ordre humanitaire de M. Abeleira et qu’il y a réfléchi comme elle exigeait de le faire. Comme le juge Brown l’indique dans la décision Marshall, je conclus que je n’ai aucun motif de croire que l’agent a pris en considération, en plus des difficultés, des facteurs d’ordre humanitaire au sens large. Je suis d’avis que l’agent n’a pas pris en considération des facteurs importants, qu’il a négligé des éléments de preuve fondamentaux et qu’il a tiré des conclusions contraires à la preuve.
[59]
Pour les motifs qui précèdent, la décision est déraisonnable. Elle doit être annulée et l’affaire doit être renvoyée de nouveau aux fins de réexamen par un agent différent.
[60]
Les parties affirment que cette affaire en raison de sa nature très factuelle ne soulève aucune question grave de portée générale et je suis d’accord.
IX.
Demande de directives de la Cour par M. Abeleira
[61]
À la fin de l’audience, l’avocat de M. Abeleira a demandé à la Cour de formuler des directives précises selon lesquelles tous les éléments de preuve doivent être pris en considération au moment du réexamen. Même si l’avocat affirme qu’il ne demandait pas à obtenir une directive visant à accueillir la demande pour motifs d’ordre humanitaire, il a néanmoins indiqué qu’il cherchait à obtenir l’une de deux directives possibles :
Ordonner que le réexamen soit mené au cours d’une période donnée; ou
Indiquer qu’il s’agit d’une affaire impérieuse et que rien n’empêche de rendre une décision favorable sur la demande pour motifs d’ordre humanitaire.
[62]
Dans les observations écrites que j’ai demandées après l’audience, l’avocat de M. Abeleira a revu sa position et a demandé à ce que la directive ordonne à l’agent suivant d’accueillir la demande, parce qu’à son avis, les faits et les circonstances incontestés de l’espèce indiquent clairement que les difficultés subies suffisent à répondre aux exigences prévues à l’article 25 de la LIPR et qu’ils sont suffisamment impérieux pour justifier une telle directive.
[63]
Autrement, l’avocat demande à la Cour d’indiquer que les faits établissent que l’affaire est extrêmement impérieuse et qu’il faut prendre en considération les opinions présentées en l’espèce sur le bien-fondé au moment du réexamen.
[64]
À l’appui de ces arguments, l’avocat renvoie à deux décisions rendues par la Cour : Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1249 [Tran], une décision de la juge Simpson, et Kargbo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 469 [Kargbo], une décision du juge Russell.
[65]
Le ministre s’est opposé à tout redressement ordonné à l’audience et dans les observations écrites après l’audience au motif qu’il limiterait l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent. Le ministre s’appuie sur la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale, selon laquelle le fait de donner des directives quant à la nature de la décision est un pouvoir exceptionnel ne devant être exercé que dans les cas les plus clairs et que ce pouvoir doit rarement être exercé dans les cas où la question en litige est de nature essentiellement factuelle : Canada (Ministre du développement des ressources humaines) c Rafuse, 2002 CAF 31, au paragraphe 14 [Rafuse].
[66]
Comme il est indiqué dans la décision Rafuse, l’hésitation de la cour de révision à diriger une décision lorsqu’elle renvoie l’affaire réside dans le fait que, si un tribunal a omis de tirer une conclusion de faits, notamment une inférence factuelle, l’affaire devrait normalement lui être renvoyée pour lui permettre de terminer son travail : Rafuse, au paragraphe 13.
[67]
Peu de temps avant l’audience sur la demande en l’espèce, la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Yansané, 2017 CAF 48 [Yansané], dans laquelle elle a répondu à une question certifiée qui a une influence directe sur l’étude liée à la demande de « verdict »
dirigé. Au paragraphe 27, la Cour d’appel fédérale a répondu ainsi à la question reformulée :
Question : En l’absence d’un verdict dirigé, quel est l’impact des directives de la Cour fédérale sur un décideur administratif appelé à trancher l’affaire de nouveau?
Réponse : Le décideur administratif à qui est retourné un dossier doit toujours se conformer aux motifs et aux conclusions du jugement accueillant le contrôle judiciaire, ainsi qu’aux directives ou instructions explicitement formulées par la Cour fédérale dans le dispositif de son jugement.
[68]
La question reformulée tronquait la question certifiée originale, qui indiquait « directives »
plutôt que [traduction] « conclusions de fait et directives ».
[69]
La Cour renvoie souvent des affaires à un tribunal en lui indiquant de procéder à un réexamen « conformément à ces motifs »
. Le juge de Montigny, dans la décision Yansané, a conclu que le renvoi à un agent d’immigration aux fins de réexamen « conformément à ces motifs »
ne donne pas de directives au nouvel agent. En fait, cette expression ne fait que réitérer le principe reconnu selon lequel un décideur administratif doit respecter la décision d’une juridiction supérieure en appliquant le principe de stare decisis.
[70]
Plus précisément, il a été jugé au paragraphe 25 qu’« il importe peu que le jugement accueillant une demande de contrôle judiciaire comporte une telle précision; il va de soi qu’un tribunal administratif auquel on renvoie un dossier doit toujours tenir compte de la décision et des conclusions de la cour de révision, à moins que de nouveaux faits ne puissent justifier une analyse différente ».
[71]
Ce qui est précisé par Yansané, c’est que « seules les instructions explicitement énoncées dans le jugement lient le décideur subséquent; autrement, les commentaires et les recommandations formulés par la Cour dans ses motifs seraient considérés comme de simples remarques incidentes, et le décideur serait avisé de les prendre en compte, mais non tenu de les respecter ».
Yansané, au paragraphe 19 [Non souligné dans l’original].
[72]
Cette approche restrictive et cette mise en garde s’expliquent par le fait que l’émission de directives ou d’instructions déroge à la logique du contrôle judiciaire, et qu’elles peuvent aller à l’encontre de la volonté du législateur de confier à des tribunaux administratifs spécialisés le soin de se prononcer sur des questions, surtout en ce qui concerne l’admissibilité et l’appréciation des preuves : Yansané, au paragraphe 18.
[73]
Même si je garde bien à l’esprit le vide juridique dans lequel se trouve M. Abeleira et que je compatis avec lui, je suis convaincu que cette affaire reposera sur les faits lorsqu’ils auront été pris en considération de manière appropriée. Il n’appartient pas à la Cour de substituer ses opinions à l’égard des faits et de diriger une décision lorsqu’il demeure des faits à établir dans un dossier de preuve complet.
[74]
J’incite toutefois vivement le ministre à faire face au problème qui consiste à déterminer s’il existe un pays où il serait possible d’expulser M. Abeleira en vertu du paragraphe 241(1) de la LIPR afin qu’il ne soit pas nécessaire d’émettre des hypothèses au moment du réexamen. Si un tel pays n’existe pas, j’incite donc vivement le ministre et M. Abeleira à tenir des discussions utiles pour trouver une façon de traiter sa demande sans que la Cour n’ait toujours à intervenir.
[75]
Qui plus est, la Cour ne se trouve pas en position de dicter le moment où le réexamen devrait avoir lieu, puisqu’il s’agit d’une question de calendrier pour les parties en général, qui exige aussi de prendre en considération la charge de travail des agents d’immigration. Je reconnais que dans la décision Kargbo, le juge Russell a fixé un court délai (sept jours suivant la date de son jugement); dans cette affaire, toutefois, le ministre était d’accord sur le fait qu’aucun facteur n’empêchait de rendre une décision favorable. Ce n’est malheureusement pas le cas actuellement pour M. Abeleira.
[76]
Le dernier réexamen de cette affaire a eu lieu dans les huit mois et demi suivant la date de la décision du juge LeBlanc. Je m’attendrais donc à ce qu’il soit raisonnable que le réexamen suivant soit mené à l’intérieur d’un délai semblable.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3726-16
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
- La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée aux fins de réexamen par un autre agent qui prendra particulièrement en note le paragraphe 70 des présents motifs.
- Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.
« E. Susan Elliott »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 12e jour de février 2020
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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Dossier :
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IMM-3726-16
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INTITULÉ :
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FRANCISCO SUAREZ ABELEIRA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 3 mai 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE ELLIOTT
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DATE DES MOTIFS :
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Le 7 novembre 2017
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COMPARUTIONS :
Daniel Radin
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Pour le demandeur
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Aleksandra Lipska
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Daniel Radin
Avocat
Toronto (Ontario)
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Pour le demandeur
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Sous-procureur général
du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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