Date : 20171006
Dossier : T-1376-14
Référence : 2017 CF 893
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2017
En présence de monsieur le juge LeBlanc
ENTRE :
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CERTAINS SOUSCRIPTEURS DE LA LLOYD’S ET SOLINE TRADING LTD.
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demandeurs
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et
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MEDITERRANEAN SHIPPING COMPANY S.A.
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défenderesse
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et
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4103831 CANADA INC. (EXPLOITÉE ET FAISANT AFFAIRE SOUS LA RAISON SOCIALE TRANS SALONIKIOS)
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mise en cause
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
I.
Introduction
[1]
Il s’agit d’un appel interjeté en application de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), à l’égard d’une ordonnance de la protonotaire Mireille Tabib, datée du 8 mai 2017 (l’ordonnance), rejetant la requête de mise en cause déposée par l’intimée contre 4103831 Canada Inc. (Trans Salonikios), au motif que la Cour n’avait pas compétence pour entendre la requête.
II.
Contexte
[2]
La défenderesse, la Mediterranean Shipping Company S.A. (MSC), est un transporteur maritime. En juin 2013, elle a convenu par contrat, constaté par un connaissement, dans lequel la demanderesse, Soline Trading Ltd., était désignée à titre de consignataire, de transporter un conteneur censé contenir une cargaison de 1 000 cartons de crevettes surgelées depuis le port de Guayaquil, en Équateur, jusqu’au port de Montréal.
[3]
Le 26 juin 2013, le conteneur a été déchargé au port de Montréal et entreposé dans l’aire du terminal de Termont, en attendant le ramassage. Termont est une entreprise d’arrimage et un exploitant de terminal. Les principales allégations qui constituent le fondement du recours des demandeurs contre MSC ont été résumées comme suit par la protonotaire Tabib :
[4] Le jour même, Trans Salonikios, une entreprise de camionnage, s’est présentée au terminal de Termont pour ramasser le conteneur. Termont a libéré la cargaison à Trans Salonikios. Toutefois, Trans Salonikios n’était pas autorisée par la consignataire de la cargaison, la demanderesse Soline Trading Ltd., mais avait soit obtenu illégalement le code de mainlevée pour voler la cargaison ou avait été dépêchée par une ou plusieurs personnes inconnues, qui avaient obtenu illégalement le code de mainlevée. La cargaison n’a jamais été livrée au propriétaire légitime. Pour ces motifs, la demanderesse poursuit MSC, en qualité de transporteur, la tenant responsable de la livraison fautive de la cargaison.
[4]
MSC rejette toute responsabilité pour la livraison fautive de la cargaison, soutenant que le contrat de transport avait pris fin dès que la cargaison avait été libérée à Montréal et livrée à Termont. Comme il est fait allusion au début des présents motifs, MSC demande également une indemnisation à Trans Salonikios, par voie de mise en cause, dans le cas où un jugement serait prononcé contre elle et en faveur des demandeurs, au motif que la perte imputable à la livraison fautive de la cargaison résulte des actes illégaux et négligents de Trans Salonikios.
[5]
Trans Salonikios a demandé de radier la mise en cause déposée par MSC pour défaut de compétence. Elle estime que la mise en cause ne relève pas de la compétence de la Cour du fait que sa compétence en droit maritime ne s’étend pas à un transport routier de marchandises préalablement transportées par mer, surtout lorsque, comme en l’espèce, aucune partie n’allègue qu’il existe une relation contractuelle entre Trans Salonikios et l’un ou l’autre demandeur ou MSC.
[6]
Selon MSC, il n’est pas « évident et manifeste »
que la Cour n’a pas compétence pour entendre la mise en cause en raison de sa compétence générale à l’égard des recours présentés aux termes du droit maritime canadien, comme le prévoit le paragraphe 22(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7 (la Loi).
[7]
À l’appui de son argument, MSC a demandé à la protonotaire Tabib d’examiner un nombre de faits dans les interrogatoires préalables en l’espèce. La protonotaire Tabib a résumé les faits au paragraphe 9 de son ordonnance :
Trans Salonikios a reconnu avoir une obligation envers MSC, à savoir retourner le conteneur vide après sa livraison et son déchargement par le destinataire et, si elle ne le faisait pas, elle serait tenue responsable envers MSC.
Le terminal de Termont agit à titre de mandataire de MSC dans la libération de la cargaison aux camionneurs autorisés à la recevoir.
La cargaison était arrimée dans un conteneur frigorifique, que Termont devait entreposer à un endroit désigné, ainsi que le brancher et le surveiller. MSC pouvait être tenue responsable envers le propriétaire de la cargaison si Termont ne remplissait pas son obligation à cet égard.
En raison des procédés modernes de transport maritime, de la logistique liée au transit et du mouvement des cargaisons en conteneurs, il y a une forte intégration entre les opérations de Termont et celles de Trans Salonikios. Les entreprises de camionnage comme Trans Salonikios doivent être vérifiées et certifiées par Termont afin d’autoriser leur accès au système informatique du terminal pour suivre le mouvement des conteneurs. Termont doit aussi vérifier si ces entreprises disposent de matériel adéquat pour le ramassage.
[8]
Bien que le dossier de requête ne renferme aucun élément de preuve à l’appui de ces faits, la protonotaire Tabib en a néanmoins tenu compte comme s’il s’agissait d’allégations dans les actes de procédure. Considérant que ces faits et tous les faits allégués dans les actes de procédure avaient été démontrés, elle a conclu qu’il était évident et manifeste que la Cour n’avait pas compétence pour entendre la mise en cause. Le raisonnement sous-tendant sa conclusion est exposé au paragraphe 11 de l’ordonnance :
[11] Tout recours contre Trans Salonikios en l’espèce, qu’il ait été déposé directement par les demandeurs contre Trans Salonikios ou par voie de mise en cause par MSC aux fins d’indemnisation ou de réparation, peut seulement être fondé sur la responsabilité délictuelle ou extracontractuelle. Cette responsabilité serait fondée sur le rôle de Trans Salonikios à titre d’entreprise de camionnage agissant pour le compte de voleurs en vue de ramasser la cargaison au terminal maritime ou encore à titre de voleur agissant de son propre chef pour dérober la cargaison dans le terminal. Ce genre de cause d’action n’a rien à voir avec le droit maritime canadien et ne concerne pas des questions maritimes ou d’amirauté, peu importe l’angle sous lequel ces questions sont examinées.
[9]
La protonotaire Tabib a rejeté l’argument de MSC, selon lequel son recours contre Trans Salonikios pour le vol de la cargaison dans le terminal maritime, ne se distingue pas du recours dans l’arrêt ITO–International Terminal Operators Ltd. c Miida Electronics Inc, [1986] 1 RCS 752 [ITO]. Elle a souligné que la cause d’action dans l’arrêt ITO a été opposée contre le transporteur maritime et l’exploitant de terminal et non, comme en l’espèce, contre un transporteur routier. Elle a également soutenu ce qui suit :
[14] Le recours de MSC contre Trans Salonikios ne vise pas l’exécution d’un contrat de transport maritime de marchandises ou les obligations et responsabilités de l’exploitant d’un terminal maritime. Dans son recours contre Trans Salonikios, MSC ne remet pas en question ses obligations d’exploitant de navire ni de transporteur maritime de marchandises ou encore les obligations de Termont à titre d’exploitant de terminal maritime, mais strictement les obligations de Trans Salonikios à titre d’entreprise de camionnage ou sa conduite en tant que voleur.
[10]
La protonotaire Tabib a donc estimé que les circonstances actuelles étaient beaucoup plus proches de celles des camionneurs dans les décisions Matsuura Machiner Corp. c Hapag Lloyd AG, [1997] ACF no 360; Sio Export Trading Co. c The « Dart Europe »
, [1984] 1 CF 256 [The « Dart Europe »], et Marley Co. c Cast North America (1983) Inc, (1995), 94 FTR 45 [Marley], que de celles de l’exploitant du terminal en cause dans l’arrêt ITO. Le principe qui se dégage de cette jurisprudence est que le transport routier n’est pas « si intégralement lié »
ni « étroitement lié »
à un transport par mer au point de relever du droit maritime canadien. La protonotaire a souligné le fait qu’il était nettement plus évident en l’espèce que les activités de Trans Salonikios « ne font pas partie intégrante du transport maritime et qu’une action intentée contre elle ne relève pas de la compétence maritime de la Cour »
puisque, contrairement à la cause d’action dans ces trois décisions, « il n’est pas allégué que Trans Salonikios est liée contractuellement à aucune partie du contrat de transport maritime »
(ordonnance, au paragraphe 19).
[11]
Elle s’est ensuite penchée sur deux autres arguments soulevés par MSC dans sa réponse à la requête en radiation de Trans Salonikios. Elle s’est tout d’abord arrêtée à l’argument de MSC voulant que, puisque la présente affaire porte sur la livraison fautive d’une cargaison en conteneur ainsi que sur les limites du droit maritime canadien et, partant, celles de la compétence en matière maritime de la Cour, ces questions soient réexaminées à la lumière de l’évolution de la technologie et des procédés associés à la logistique de transport et au mouvement de cargaisons en conteneurs, qui nécessitent actuellement une intégration logistique complexe entre un exploitant de terminal et une entreprise de camionnage.
[12]
Selon la protonotaire Tabib, cet argument est [traduction] « hors propos »
, car l’intégration de la logistique entre les exploitants de terminal et les entreprises de camionnage n’entraîne pas nécessairement que leurs activités relèvent de la compétence fédérale « par association »
:
[21] L’argument de MSC est hors propos. Il avait déjà été établi que les activités d’un acconier sont entièrement liées à des questions maritimes et que ses obligations envers les transporteurs maritimes et les propriétaires des cargaisons sont régies par le droit maritime canadien, ce qui comprend l’obligation d’un acconier de livrer le conteneur au bon consignataire. L’intégration logistique entre l’acconier et l’entreprise de camionnage ne fait pas en sorte que les activités du camionneur relèvent de la compétence fédérale par association. La cause d’action invoquée par MSC contre Trans Salonikios dans la présente cause découlerait du fait que l’acconier n’a pas rempli son obligation d’assurer l’exécution de la livraison, mais elle n’est pas fondée sur le manquement de l’acconier à ses obligations. Elle est fondée uniquement sur la responsabilité extracontractuelle de Trans Salonikios envers MSC, à titre d’entreprise de camionnage ou découlant du vol.
[22] L’intégration des activités et de la logistique entre Termont et Trans Salonikios, bien qu’elle fasse partie des res gestae, ne modifie nullement le caractère de la relation juridique, qui est régie par les lois provinciales, entre MSC, un transporteur maritime, et Trans Salonikios, une entreprise de camionnage.
[13]
Deuxièmement, la protonotaire Tabib s’est arrêtée à l’argument de MSC qui a invoqué le principe d’économie des ressources judiciaires et le risque de jugements contradictoires. Citant le jugement de la Cour dans la décision The «
Dart Europe »
, celle-ci a conclu que le souhait que toutes les parties concernées par l’issue de l’action – le transporteur routier, le propriétaire de la cargaison, l’expéditeur, le transporteur maritime, l’exploitant du navire et le consignataire – soient parties à l’instance ne peut conférer à la Cour une compétence qu’elle ne possède pas.
[14]
MSC a essentiellement avancé les mêmes arguments en appel.
[15]
Les demandeurs n’ont pas soulevé de thèse, à la fois devant la protonotaire Tabib et dans l’appel, mais ont fait une mise en garde à la Cour qu’elle s’abstienne de tirer une conclusion de fait qui aurait des répercussions sur leur recours contre MSC, en particulier l’argument de MSC voulant que le contrat de transport maritime, conclu avec les propriétaires de la cargaison, ait pris fin au moment où la cargaison a été libérée et livrée au terminal de Termont.
III.
Question en litige et norme de contrôle
[16]
Pour que la mise en cause de MSC soit rejetée, la protonotaire Tabib devait être convaincue que l’incompétence de la Cour était « évidente et manifeste »
ou « au-delà de tout doute raisonnable »
(Sokolowska c Canada, 2005 CAF 29, aux paragraphes 14 et 15 [Sokolowska]; Hodgson c Ermineskin Indian Band No 942, [2000] ACF no 313 (CF 1re inst.), au paragraphe 10; Dumont c Canada (Procureur général), [1990] 1 RCS 279, à la page 280).
[17]
Récemment, dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira v Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [Hospira], une formation de cinq juges de la Cour d’appel fédérale a abandonné la norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires rendues par des protonotaires, énoncée dans la décision Canada c Aqua-Gem Investments Ltd, [1993] 2 CF 425, 149 NR 273 [Aqua-Gem], et l’a remplacée par la norme applicable aux décisions de première instance établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, [2002] 2 RCS 235 [Housen].
[18]
En adoptant la norme énoncée dans l’arrêt Housen, la Cour d’appel fédérale a conclu que les ordonnances discrétionnaires des protonotaires « ne devraient être infirmées que lorsqu’elles sont erronées en droit, ou fondées sur une erreur manifeste et dominante quant aux faits »
(Hospira, au paragraphe 64). En particulier, elle a soutenu que le rôle de surveillance exercé par les juges à l’endroit des protonotaires, en application de l’article 51 des Règles, n’exige plus qu’une distinction soit faite entre les ordonnances discrétionnaires qui sont essentielles à l’issue d’une affaire et celles qui ne le sont pas, et les ordonnances considérées comme essentielles qui donnent lieu à des instructions de novo (Hospira, au paragraphe 64).
[19]
Il ne fait aucun doute en l’espèce – ce que ne contestent pas les parties – que la protonotaire Tabib a appliqué le critère juridique correct pour déterminer s’il était évident et manifeste que la Cour n’avait pas compétence pour entendre la mise en cause déposée par MSC contre Trans Salonikios (ordonnance, au paragraphe 10). Donc, la question à trancher dans le présent appel est si sa réponse à cette question peut se justifier au regard du droit. À mon avis, c’est le cas.
IV.
Discussion
[20]
La Cour fédérale a été créée aux termes de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 pour « la meilleure administration des lois du Canada »
. Contrairement à la compétence des cours supérieures provinciales, qui est inhérente et générale, la Cour fédérale tire son autorité des lois (R c Thomas Fuller Const Co (1958) Ltd, [1980] 1 RCS 695, à la page 713; Succession Ordon c Grail, [1998] 3 RCS 437, au paragraphe 46 [Succession Ordon]; Canada (Procureur général) c TeleZone Inc., 2010 CSC 62, au paragraphe 43).
[21]
Il est désormais bien établi que pour déterminer si la Cour est compétente pour une matière donnée, il faut satisfaire au critère suivant, tel qu’il a été énoncé pour la première fois par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Quebec North Shore Paper Co. c Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 RCS 1054 [Quebec North Shore], et McNamara Construction et autre c La Reine, [1977] 2 RCS 654, puis plus tard, notamment dans l’arrêt ITO :
a) Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.
b) Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du contentieux et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence; et
c) La loi invoquée dans l’affaire doit être
« une loi du Canada »
au sens où cette expression est employée à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
[22]
MSC soutient que le paragraphe 22(1) de la Loi constitue le fondement de l’attribution légale de compétence relativement à sa mise en cause, puisqu’il confère à la Cour une compétence concurrente dans les cas opposant des administrés, « où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d’une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande [...] »
. MSC estime que son recours contre Trans Salonikios est visé par la définition de « droit maritime canadien »
indiquée au paragraphe 2(1) de la Loi, qui englobe deux catégories de droit maritime canadien : (i) le droit dont l’application relevait de la Cour de l’Échiquier du Canada, en sa qualité de juridiction de l’Amirauté, aux termes de la Loi de l’Amirauté, ou de toute autre loi, et (ii) le droit qui en aurait relevé si ce tribunal avait eu, en cette qualité, compétence illimitée en matière maritime et d’amirauté (voir aussi l’arrêt ITO, à la page 769).
[23]
Elle insiste sur le fait que le paragraphe 22(1) de la Loi doit recevoir « une interprétation large et ciblée de manière à inclure toutes les créances qui découlent d’un contrat relatif au transport de marchandises par mer »
(Pantainer Ltd v 996660 Ontario, (2000) ACF no 334 (QL), 183 FTR 211, au paragraphe 100 [Pantainer]), et que les termes « maritime »
et « amirauté »
de la définition du « droit maritime canadien »
doivent être interprétés « dans le contexte moderne du commerce et de la navigation »
(ITO, au paragraphe 774; Succession Ordon, au paragraphe 24).
[24]
MSC souligne le fait que la deuxième partie de la définition, telle qu’elle est établie dans l’arrêt ITO, « a été adoptée afin d’assurer que le droit maritime canadien comprendrait une compétence illimitée en matière maritime et d’amirauté »
(ITO, à la page 774). Donc, une matière relèvera du droit maritime canadien et, partant, de la compétence de la Cour, si elle « est entièrement liée aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale »
(ITO, à la page 774). Les activités tortueuses qui sont suffisamment liées à la navigation et au transport maritime sont un exemple de la vaste portée de la définition du droit maritime canadien (Whitbread c Walley, [1990] 3 RCS 1273, à la page 1290 [Whitbread]; Ruby Trading S.A. c Parsons, [2001] 2 CF 174 (CAF), aux paragraphes 28 et 29 [Rudy Trading]). Donc, MSC soutient que le deuxième volet du critère invoqué dans l’arrêt ITO est satisfait puisque le droit maritime canadien est essentiel à la décision relative à la mise en cause et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence.
[25]
Relativement au troisième volet du critère, MSC fait valoir que le droit maritime canadien est « une loi du Canada »
au sens de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, car il relève de la compétence législative du Parlement en matière de navigation et de marine marchande, conformément au paragraphe 91(10) de la Loi.
[26]
Selon MSC, la protonotaire Tabib a mal interprété la mise en cause comme une question de camionnage régie par les lois provinciales, plutôt qu’un vol de conteneur commis dans un port. MSC soutient que ce faisant, la protonotaire Tabib n’a pas bien compris le contexte moderne de la navigation et du transport maritime, comme le démontre le fait que les activités de Trans Salonikios visent exclusivement la logistique du mouvement et de la livraison de conteneurs dans le contexte des activités portuaires et d’expédition et qu’elles sont, par conséquent entièrement liées à l’exploitation du terminal de Termont. MSC fait valoir en outre que cela est attesté par le fait que comme toute autre entreprise de camionnage déplaçant des cargaisons préalablement entreposées dans un terminal portuaire, Trans Salonikios doit être vérifiée et certifiée par Termont avant d’avoir accès aux cargaisons entreposées dans son terminal et qu’elle est tenue en droit de retourner le conteneur vide au terminal après l’avoir livré et déchargé.
[27]
Le paragraphe 22(1) de la Loi, qui doit être lu conjointement avec la définition de « droit maritime canadien »
au paragraphe 2(1) de cette Loi, constitue le principal fondement de l’attribution législative de la compétence en matière maritime à la Cour. Le paragraphe 22(2) énumère plusieurs demandes visées par cette compétence. Toutefois, comme le laisse entendre le libellé de cette disposition, la liste de questions n’est pas exhaustive, de sorte qu’un recours peut relever de la compétence de la Cour même s’il n’y est pas expressément mentionné (voir aussi : General MPP Carriers Ltd. c SCL Bern AG, 2014 CF 571, au paragraphe 46).
[28]
Les paragraphes 22(1) et 22(2) et la définition de « droit maritime canadien »
sont rédigés ainsi :
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Il est bien établi que le droit maritime canadien : (i) vise toutes les demandes relatives à des questions maritimes et d’amirauté dans le sens moderne, c’est-à-dire que ces questions ne sont pas considérées comme figées par la Loi d’Amirauté, 1934, (ii) est restreint seulement par l’étendue de la compétence législative du Parlement (ITO, à la page 774) et (iii) englobe les règles et les principes de la common law en matière délictuelle et contractuelle qui s’appliquent aux affaires en matière d’amirauté (ITO, à la page 776).
[30]
Toutefois, pour déterminer si une demande particulière comporte une question maritime ou d’amirauté, la Cour « doit éviter d’empiéter sur ce qui constitue, de par son caractère véritable, une matière d’une nature locale mettant en cause la propriété et les droits civils ou toute autre question qui relève essentiellement de la compétence exclusive de la province en vertu de l’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 »
(ITO, à la page 774). Le critère à appliquer pour parvenir à cette décision, comme il a été mentionné précédemment, consiste à savoir si la question est entièrement liée aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale, selon la répartition constitutionnelle des compétences (ITO, à la page 774; Monk Corp. c Island Fertilizers Ltd, [1991] 1 RCS 779, à la page 795).
[31]
MSC reconnaît que son recours contre Trans Salonikios ne correspond pas à l’une des catégories de demandes exposées au paragraphe 22(2) de la Loi. Elle ne soutient pas d’ailleurs qu’il soit visé par l’article 23 de la Loi à titre de requête appartenant à la catégorie de sujets en matière « d’ouvrages reliant une province à une autre ou s’étendant au-delà des limites d’une province »
.
[32]
Par conséquent, la question en litige est celle de savoir si la mise en cause constitue une demande de réparation déposée en vertu du « droit maritime canadien »
, de la manière définie au paragraphe 2(1) et interprétée par les tribunaux.
[33]
Dans la mesure où l’activité sous-jacente, qui ferait intervenir le droit maritime canadien en l’espèce, est le transport routier, il semble y avoir peu d’appui, sinon aucun, dans la jurisprudence pour la thèse de MSC.
[34]
Comme l’a souligné la protonotaire Tabib, l’arrêt ITO avait trait à la négligence dont avait fait preuve un acconier, ou un exploitant de terminal, dans l’entreposage à court terme de marchandises dans la zone portuaire avant leur livraison au consignataire. La Cour suprême a soutenu que cet « entreposage accessoire »
par le transporteur maritime, ou par un tiers lié par contrat au transporteur, était une affaire d’intérêt maritime à cause du « rapport étroit existant en pratique entre le transit et l’exécution du contrat de transport »
. Elle a insisté sur le fait que la nature maritime de l’affaire dépendait de trois facteurs « importants »
: (i) les activités d’acconage se déroulant à proximité de la mer, c’est-à-dire dans la zone qui constitue le port de Montréal; (ii) le rapport qui existe entre les activités de l’acconier dans la zone portuaire et le contrat de transport maritime; et (iii) le fait que l’entreposage était à court terme en attendant la livraison finale au consignataire (ITO, aux pages 775 et 776).
[35]
En l’espèce, il n’y a pratiquement aucune proximité entre les activités de Trans Salonikios et la mer. Mis à part le ramassage occasionnel de marchandises, Trans Salonikios n’est pas exploitée dans une zone portuaire, comme c’est le cas d’un exploitant de terminal. S’il existe une proximité, c’est avec la terre. En outre, il n’y a aucun lien entre Trans Salonikios et le contrat de transport maritime en l’espèce puisque, comme l’a signalé la protonotaire Tabib, il n’est pas allégué que Trans Salonikios soit lié par contrat à une partie quelconque à ce contrat.
[36]
Je note que dans Reference re Industrial Relations and Disputes Act, [1955] RCS 529, à laquelle l’arrêt ITO renvoie, la fonction de manutention, qui a été considérée comme « partie intégrante de l’exercice de l’activité de transport maritime »
, a été considérée comme incluant le travail des « entreposeurs »
, c’est-à-dire de ceux qui « livrent la marchandise des hangars aux hayons des camions ou aux portes des wagons de chemin de fer ou [...] reçoivent les marchandises en ces lieux et la placent dans les hangars et parfois la déplacent dans les hangars »
(OTI, à la page 775). [Non souligné dans l’original.] L’arrêt ITO n’indique pas que les activités de livraison de cargaisons au-delà de ces lieux – les hayons des camions ou les portes des wagons de chemin de fer – sont étroitement liées à l’exécution de l’activité d’expédition par mer, au sens du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867.
[37]
MSC invoque également Colombie-Britannique (Procureur général) c Lafarge Canada Inc., 2007 CSC 23 [Lafarge]. Toutefois, cet arrêt discute de l’inapplicabilité constitutionnelle des règlements municipaux de zonage et d’aménagement foncier à la construction d’une installation intégrée de déchargement de navires et de centrale à béton sur des terrains portuaires fédéraux gérés par l’Administration portuaire de Vancouver, et non du lien entre le droit maritime et le transport routier de cargaisons après leur déchargement d’un navire dans un terminal portuaire.
[38]
L’installation en cause dans l’arrêt Lafarge était conçue pour mélanger des agrégats transportés par barge par voie maritime, déchargés et stockés temporairement dans des silos au bord de l’eau avec du ciment afin de les expédier vers divers chantiers de construction au centre-ville de Vancouver (Lafarge, au paragraphe 2). Cette installation a été jugée intégrée au transport maritime en tant qu’« entreprise accessoire de développement portuaire »
et donc relevant de la compétence fédérale en vertu du chef de la compétence en matière de navigation et de transport maritime, bien qu’elle ait été jugée « certainement [située] au-delà du cœur de l’article 91(10) »
(Lafarge, au paragraphe 72).
[39]
Le transport terrestre d’une cargaison déchargée d’un navire dans un terminal portuaire afin de l’amener à sa prochaine – ou dernière – destination ne peut, à mon sens, être considéré comme une activité de développement portuaire au sens de l’arrêt Lafarge. [Non souligné dans l’original.]
[40]
Je note également qu’en commentant l’arrêt ITO, la Cour semble avoir estimé que le chargement de camions pour l’enlèvement de la cargaison du port afin d’éviter que les quais ne soient encombrés au point de cesser de fonctionner, était une extension logique des activités de déchargement et de stockage à quai qui étaient considérées, dans l’arrêt ITO, comme faisant partie intégrante du transport maritime (Lafarge, au paragraphe 35). [Non souligné dans l’original.] Toutefois, elle n’a pas donné à entendre que le transport routier de marchandises, après leur chargement dans des camions pour leur transport depuis le port jusqu’aux consignataires, fait aussi partie intégrante du transport maritime.
[41]
L’arrêt Whitbread, qu’invoque également MSC, traitait de l’applicabilité constitutionnelle des dispositions de la Loi sur la marine marchande du Canada limitant la responsabilité des intimés dans cette affaire, qui ont été poursuivis en dommages-intérêts pour une blessure grave qu’a subie l’appelant alors qu’il conduisait un bateau de plaisance, à partir de son point d’ancrage à Coal Harbour dans le port de Vancouver, et qui a heurté des rochers dans des eaux de marée au nord de la ville. La Cour suprême a jugé que ces dispositions législatives étaient valides au regard du droit maritime canadien, qu’elles s’appliquaient à des accidents impliquant non seulement des navires marchands, mais aussi des embarcations de plaisance, et que leur application sur le plan territorial ne se limitait pas uniquement aux délits commis en haute mer ou à l’intérieur de l’aire de flux et de reflux, mais s’étendait aux délits commis dans les voies navigables intérieures du Canada.
[42]
La Cour, dans l’arrêt Whitbread, a insisté sur la nécessité d’une uniformité juridique dans le domaine de la responsabilité délictuelle à l’égard de collisions et d’accidents survenant durant la navigation. Au nom d’une Cour unanime, le juge Laforest a tenu les propos suivants sur ce point :
[...] Au Canada, les voies navigables intérieures et les mers traditionnellement reconnues comme relevant du droit maritime font partie du même réseau de navigation, lequel devrait, selon moi, être assujetti à un régime juridique uniforme.
J’estime qu’il est évident que cette nécessité d’une uniformité juridique est particulièrement pressante dans le domaine de la responsabilité délictuelle pour abordages et autres accidents de navigation. Comme il ressort clairement même d’un examen rapide des textes de base sur les expéditions par eau ou le droit maritime, l’existence et l’étendue d’une telle responsabilité doivent être déterminées selon « les règles d’une bonne navigation » lesquelles, à leur tour, sont jugées par renvoi aux « règles de barre et de route » pour la navigation qui sont codifiées depuis longtemps [...] [références omises]. Il me semble évident que le palier de gouvernement habilité à édicter et à modifier ces « règles de barre et de route » pour la navigation doit aussi être compétent à l’égard de la responsabilité délictuelle à laquelle ces règles sont si intimement liées. Que je sache, le pouvoir du Parlement de prendre un règlement sur les abordages n’a jamais été contesté et, à ma connaissance, on n’a jamais prétendu que ce règlement ne s’appliquait pas aux bâtiments qui empruntent les voies navigables intérieures. En fait, ses dispositions servent de façon régulière à déterminer la responsabilité délictuelle de ces bâtiments [...] [référence omise]. Il s’ensuit que la responsabilité délictuelle des propriétaires et exploitants de ces navires devrait être considérée comme une question de droit maritime relevant de la compétence du Parlement en matière de navigation et d’expéditions par eau.
(Whitbread, aux pages 1295 et 1296)
[43]
Dans l’arrêt Succession Ordon, où il a été soutenu que les lois provinciales d’application générale, ayant pour effet de modifier les règles de droit maritime en matière de négligence, étaient constitutionnellement inapplicables au domaine maritime, la Cour suprême du Canada a souligné la nécessité d’une uniformité juridique dans ce domaine, ce qui s’expliquait principalement par les origines historiques et le caractère particulier du droit maritime canadien :
92. De plus, à la différence de la plupart des autres champs de compétence fédérale exclusive, le droit maritime est historiquement un domaine de droit spécialisé, ressortissant de tribunaux distincts qui appliquent des principes et des règles de droit ne découlant pas uniquement des sources législatives et de common law traditionnelles. La multiplicité des sources juridiques, dont les sources internationales, qui constituent le fondement du droit maritime canadien, en font un ensemble de règles de droit dont il convient tout spécialement d’assurer l’uniformité. Permettre que les lois provinciales empiètent sur des aspects essentiels du droit maritime canadien, telles les règles relatives à la négligence, serait nier ses racines historiques et son caractère tenu, à juste titre, pour particulier.
93. Les observations qui précèdent nous amènent à conclure que l’une des principales raisons qui ont motivé l’attribution au Parlement de la compétence exclusive en matière maritime est le souci d’assurer l’uniformité du droit maritime canadien en ce qui a trait à des questions essentielles présentant un intérêt fondamental sur les plans international et interprovincial. Bien que cette raison ne soit pas particulière à la compétence fédérale en matière de navigation et d’expéditions par eau (en ce sens que d’autres chefs de compétence ont été attribués au Parlement pour assurer l’uniformité), elle revêt une importance particulière en vertu du par. 91(10) étant donné que les questions maritimes, de par leur nature, font intervenir une multiplicité d’autorités législatives, en particulier dans le cadre des actions dirigées contre des navires ou leurs exploitants. Ce souci d’uniformité est l’un des motifs pour lesquels l’application des lois provinciales de portée générale dans le cadre d’une action pour négligence en matière maritime ne saurait être permise.
[44]
En l’espèce, je ne vois pas comment ce qui sous-tend la nécessité d’une uniformité juridique dans le domaine de la responsabilité délictuelle pour des collisions et autres accidents survenus durant la navigation s’applique au domaine de la responsabilité de transporteurs routiers qui n’auraient pas livré au consignataire légitime la cargaison ramassée à un terminal portuaire. Cette démonstration n’a pas été faite.
[45]
Le MSC soutient que les demandes de dommages-intérêts liées au vol de marchandises stockées dans un entrepôt en attendant leur livraison finale au destinataire ont été considérées comme relevant de la compétence de la Cour dans des décisions telles que Prudential Assurance co c Canada, [1993] 2 RCF 293 (CAF) [Prudential]; Pantainer; et Town Shoes Ltd c Panalpina Inc, 169 FTR 267 (CF) [Town Shoes]. J’estime cependant que l’importance qu’accorde MSC à l’arrêt Prudential et les décisions Pantainer et Town Shoes est déplacée, car ces trois décisions se distinguent nettement de la présente affaire.
[46]
Premièrement, l’arrêt Prudential porte sur un régime législatif tout à fait différent de la question à l’étude, c’est-à-dire le droit aérien et non le droit maritime. L’attribution de compétence à la Cour était fondée sur l’article 23 de la Loi et la question en cause puisait sa source dans la Loi sur le transport aérien et la Convention de Varsovie de 1929 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien et le Protocole d’amendement de 1955, qui ont tous deux été intégrés à la Loi. La Cour a conclu que l’article 18 de la Convention visait « expressément la perte des marchandises en l’espèce »
(Prudential, à la page 301).
[47]
Deuxièmement, à l’opposé de Trans Salonikios, les parties dans les décisions Pantainer et Town Shoes étaient liées par une relation contractuelle. Ainsi, leur responsabilité découlait d’obligations contractuelles et non des principes de la responsabilité délictuelle. De plus, la question à trancher dans la décision Pantainer était de savoir si la Cour avait compétence pour entendre la demande reconventionnelle en dommages-intérêts déposée par le défendeur relativement à des marchandises endommagées durant leur transport de l’Italie au Canada et après leur arrivée au Canada, aux termes du contrat de transport maritime conclu par les parties. La décision ne mettait pas en cause la responsabilité du transporteur routier, dont les actes auraient endommagé la cargaison transportée précédemment par mer. Dans la décision Town Shoes, la Cour devait déterminer si la réclamation pour perte de cargaison présentée par le demandeur devait être suspendue pour que le recours des parties soit jugé exclusivement par une cour allemande, conformément au droit allemand, comme il était stipulé dans les conditions du connaissement, sur lesquelles le demandeur s’était fondé. La décision Town Shoes n’était donc pas, à proprement parler, une affaire mettant en cause la compétence de la Cour.
[48]
Je reconnais que la situation de Trans Salonikios est beaucoup plus proche de celle des transporteurs terrestres dans les décisions The «
Dart Europe »
et Marley, où la Cour a estimé qu’elle n’était pas compétente, ni sur le plan contractuel ni sur le plan délictuel, pour connaître des plaintes pour négligence déposées contre un camionneur (The «
Dart Europe »
) et un transporteur ferroviaire (Marley) pour des dommages causés à des marchandises transportées par mer dans un cas et transportées par mer des États-Unis aux Pays-Bas par le port de Montréal dans l’autre. Discutant des deux affaires, la protonotaire Tabib a fait les observations suivantes :
[17] Dans The « Dart Europe », il est aussi allégué que le transporteur terrestre a fait preuve de négligence. Dans cette décision, le conditionnement d’une machine, transportée dans un conteneur à toit ouvert, avait été endommagé durant le transport par mer. Le transporteur maritime avait pris des dispositions pour faire transporter la machine et le conteneur à un atelier de réparation à Dorval, pour qu’elle soit reconditionnée et arrimée avant de donner suite au contrat de transport. La machine a été endommagée durant son transport de l’atelier de réparation vers le port de Montréal par un camionneur engagé par le transporteur maritime. La Cour fédérale a jugé que [traduction] « le transport routier effectué par Godin entre l’atelier de réparation à Dorval et le port de Montréal ne peut être considéré comme “étroitement lié” au transport par mer, de façon à faire “partie intégrante” des activités maritimes essentielles au transport de marchandises par mer ».
[18] Enfin, dans Marley Co, où la négligence d’un transporteur ferroviaire a causé des dommages à une cargaison en transit, aux termes d’un connaissement direct, la Cour a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre la requête contre le transporteur ferroviaire.
[19] […] Ce n’est pas parce qu’un contrat de transport ferroviaire ou routier est conclu au moyen d’un connaissement, qui prévoit en partie un transport par mer, que les contrats antérieurs relèvent nécessairement de la compétence de la Cour. Je ne suis certes pas disposée à accepter qu’un contrat de transport ferroviaire ou routier de marchandises aux États-Unis, au Canada ou en Europe relève de la compétence maritime de la Cour, du simple fait que le transport s’inscrit dans le mouvement continu d’un conteneur depuis Shiller Park, en Illinois, jusqu’à Tiel, en Hollande.
[…]
21. À mon avis, il est impossible de soutenir que les activités de Soo Line font partie intégrante d’un contrat de transport par mer, au même titre que les activités de l’acconier dans ITO.
[49]
Je reconnais également que l’intégration de la logistique entre un exploitant de terminal et une entreprise de camionnage, comme en l’espèce d’après MSC, n’entraîne pas que les activités d’une entreprise de camionnage relèvent de la compétence fédérale. Comme l’a souligné la protonotaire Tabib, la cause d’action contre Trans Salonikios est avancée parce que le terminal de Termont a manqué à ses obligations d’assurer l’exécution de la livraison. Toutefois, cette cause d’action est fondée non pas sur les obligations de Termont envers MSC, mais plutôt sur la responsabilité extracontractuelle de Trans Salonikios, en tant que camionneur ou voleur, envers MSC. Au même titre que la protonotaire Tabib, je suis d’avis que cette intégration, bien qu’elle fasse partie de la res gestae de l’affaire, ne modifie pas le caractère essentiel de la relation juridique, régie par le droit provincial, entre MSC, en tant que transporteur maritime, et Trans Salonikios, en tant que camionneur.
[50]
L’importance de la transformation, de l’intégration et de l’harmonisation des marchés des capitaux au Canada, découlant notamment de l’évolution et de changements technologiques, n’a pas été considérée comme suffisante pour retirer la compétence aux provinces dans ce domaine afin de l’attribuer au Parlement en ce qui a trait aux chefs de compétence en matière de trafic et de commerce (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66). Dans le même ordre d’idées, le fait que Trans Salonikios doit être vérifiée et certifiée par Termont pour avoir accès aux cargaisons entreposées dans son terminal, lequel accès se fait au moyen de codes informatiques, et que Trans Salonikios est tenue de retourner le conteneur vide au terminal après sa livraison et son déchargement, ne fait pas en sorte que la présente affaire relève de la compétence de la Cour. J’estime qu’on ne peut soutenir que les activités de Trans Salonikios à titre d’entreprise de camionnage, bien qu’elles soient liées dans une certaine mesure au domaine maritime, sont « entièrement liée[s] aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale »
(ITO, à la page 774).
[51]
Trans Salonikios demeure fondamentalement une entreprise de camionnage régie par les lois provinciales et il n’a pas été démontré, comme je l’ai déjà indiqué, que les origines historiques et le caractère particulier du droit maritime canadien nécessitent une uniformité juridique, comme dans le domaine de la responsabilité délictuelle à l’égard d’accidents survenant durant la navigation, ainsi que la responsabilité délictuelle des transporteurs routiers qui n’auraient pas livré la cargaison à son propriétaire légitime après l’avoir ramassée dans un terminal portuaire. Je répète, pour déterminer l’étendue de la compétence du Parlement en matière de navigation et de marine marchande, les cours doivent éviter d’empiéter sur ce qui constitue, « de par son caractère véritable »
, une matière de nature locale qui relève essentiellement de la compétence exclusive des provinces.
[52]
Enfin, comme l’a signalé la protonotaire Tabib, l’argument soulevé par MSC que la Cour devrait entendre sa mise en cause contre Trans Salonikios, par souci d’économie des ressources judiciaires, a déjà été considéré et rejeté dans la décision The « Dart Europe ». Je ne vois aucun motif pour déroger à cette conclusion en l’espèce.
[53]
Pour ces motifs, il est évident et manifeste, à mon avis, que la Cour n’a pas compétence pour entendre la mise en cause déposée par MSC contre Trans Salonikios. Par conséquent, l’appel interjeté par MSC à l’encontre de l’ordonnance de la protonotaire Tabib est rejeté, avec dépens payables à Trans Salonikios, quelle que soit l’issue de la cause.
[54]
Les dépens seront taxés selon la colonne IV du tarif B. MSC a seulement déposé et signifié son dossier de requête le jour avant l’audience, soit au milieu de l’après-midi, ce qu’elle a fait sans raison valable et sans se conformer au paragraphe 364(3) des Règles et à la directive donnée par la Cour cinq jours avant l’audience. Plus particulièrement, après le rejet de sa troisième requête pour ajourner l’audition de l’appel, à la dernière minute, MSC a inexplicablement demandé que sa requête soit considérée comme une requête écrite, en application de l’article 369 des Règles, ce qui a été refusé. Quoi qu’il en soit, MSC avait encore le temps de déposer et de signifier un dossier de requête dans les délais prescrits par les Règles. Là encore, elle s’est soustraite à cette obligation sans raison valable. À mon avis, cela exige une ordonnance de dépens selon une échelle élevée.
ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-1376-14
LA COUR ORDONNE ce qui suit :
1.
La présente requête est rejetée.
2.
Les dépens en faveur de la mise en cause sont payables quelle que soit l’issue de la cause et sont taxés selon la colonne IV du tarif B.
« René LeBlanc »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 19e jour de mai 2020
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-1376-14
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INTITULÉ :
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CERTAINS SOUSCRIPTEURS À LA LLOYD’S ET SOLINE TRADING LTD. c MEDITERRANEAN SHIPPING COMPANY S.A. ET 4103831 CANADA INC. (EXPLOITÉE ET FAISANT AFFAIRE SOUS LA RAISON SOCIALE TRANS SALONIKIOS)
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 11 juillet 2017
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :
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LE JUGE LEBLANC
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DATE DES MOTIFS :
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LE 6 octobre 2017
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COMPARUTIONS :
Giovanni De Sua
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Pour la défenderesse
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Jordi Monblanch
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Pour la mise en cause
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Astell Lachance Du Sablon De Sua
Sous-procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour la défenderesse
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Robinson Sheppard Shapiro
Avocats
Montréal (Québec)
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Pour la mise en cause
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