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Date : 20171006


Dossier : IMM-1120-17

Référence : 2017 CF 888

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

JONATHAN CASTRO SALOMON

ANA MILENA MORENO ROMERO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  NATURE DE L’AFFAIRE

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada datée du 9 février 2017. La Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande d’asile des demandeurs.

II.  RAPPEL DES FAITS

[2]  Jonathan Castro Salomon (demandeur principal) et son épouse Ana Milena Moreno Romero (demanderesse; collectivement appelés les demandeurs) sont des citoyens de la Colombie. Ils invoquent une crainte des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

[3]  Le demandeur principal est un soudeur hautement qualifié. Il soutient avoir été menacé par les membres des FARC sur son lieu de travail en août 2016 après avoir refusé d’aider l’organisation à construire un sous-marin pour transporter des armes et de la drogue. Les demandeurs ont tenté d’obtenir la protection de la police, sans succès. Ils ont quitté la Colombie le 3 septembre 2016. Le demandeur principal est arrivé au Canada le 12 septembre 2016 et a présenté sa demande d’asile. Dans l’intervalle, il a passé sept jours à Miami, en Floride. La demanderesse est retournée en Colombie. Elle s’est de nouveau rendue aux États-Unis le 25 octobre 2016 et est entrée au Canada le 31 octobre 2016, et a présenté sa demande d’asile à la frontière canadienne. Les deux demandes ont été jointes aux fins de décision de la Section de la protection des réfugiés.

III.  DÉCISION CONTESTÉE

[4]  Les principales préoccupations de la Section de la protection des réfugiés étaient liées à la crédibilité, à l’absence d’un lien avec l’un des motifs de la Convention, au risque généralisé et à la protection de l’État. Appliquant son mandat d’évaluer la question de savoir si les demandeurs étaient ou non des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger (en application de l’article 96 ou 97 de la LIPR), la Section de la protection des réfugiés a conclu que les demandeurs ne répondaient pas aux critères requis et elle a donc rejeté les demandes.

[5]  En ce qui concerne la crédibilité, la Section de la protection des réfugiés a conclu que :

  1. Le témoignage et les allégations des demandeurs étaient très vagues et évasifs;
  2. L’explication qu’ils ont donnée du fait qu’ils sont venus au Canada plutôt que de présenter une demande d’asile aux États-Unis n’était pas raisonnable;
  3. L’explication donnée par la demanderesse concernant son retour en Colombie n’était pas raisonnable;
  4. La coïncidence du moment où les demandeurs ont obtenu des visas pour se rendre aux États-Unis et les menaces des FARC n’avait pas le moindre accent de vérité;
  5. L’explication du demandeur principal quant à la raison pour laquelle les FARC s’intéressaient à lui, mais à aucun autre de ses collègues soudeurs, n’était pas convaincante.

[6]  Même si la Section de la protection des réfugiés a fait observer qu’un grand nombre des problèmes de crédibilité susmentionnés n’étaient pas déterminants en soi, ils s’ajoutaient aux préoccupations du tribunal. Cela étant dit, il n’est pas clair qu’une seule préoccupation quant à la crédibilité ne dépend pas des autres. Ainsi, une erreur dans une conclusion relative à la crédibilité peut avoir un effet sur la conclusion globale de la Section de la protection des réfugiés sur la crédibilité.

[7]  En ce qui concerne la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle il n’y a pas de lien entre la situation des demandeurs et l’un des motifs de demande d’asile de la Convention, cette question n’est pas en litige et elle n’a pas à être examinée plus en détail.

[8]  En ce qui concerne la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle les demandeurs courent seulement un risque général, le tribunal a conclu que le risque des demandeurs en Colombie n’est pas plus élevé que celui auquel fait face toute personne qui s’y trouve. Il semble que cette conclusion repose sur le fait que le tribunal ne croyait pas que le demandeur principal était personnellement ciblé par les FARC.

[9]  Enfin, la Section de la protection des réfugiés a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau de démontrer qu’ils ne pouvaient obtenir la protection de l’État en Colombie.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[10]  Les demandeurs font valoir que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur concernant les questions suivantes :

  1. L’évaluation de la crédibilité;
  2. L’évaluation du risque général;
  3. L’évaluation de la protection de l’État.

V.  DISCUSSION

A.  Norme de contrôle

[11]  En l’espèce, nulle controverse n’est soulevée à l’égard de la norme de contrôle applicable, soit celle de la décision raisonnable, et je suis d’accord.

B.  Crédibilité

[12]  À mon avis, la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur sur au moins deux aspects de son évaluation de la crédibilité. En particulier, je conclus qu’il était déraisonnable pour la Section de la protection des réfugiés (i) de tirer une inférence défavorable de la décision des demandeurs de se rendre des États-Unis au Canada avant de demander l’asile; et (ii) de conclure que la coïncidence du moment où les demandeurs ont obtenu des visas pour se rendre aux États-Unis avec les menaces des FARC n’avait pas le moindre accent de vérité.

[13]  Pour ce qui est de la décision des demandeurs de se rendre des États-Unis au Canada avant de demander l’asile, la Section de la protection des réfugiés a conclu que l’explication des demandeurs selon laquelle ils n’ont pas de proches aux États-Unis (contrairement au Canada) n’était pas raisonnable. Étant donné que les demandeurs se trouvaient légalement aux États-Unis en application d’un visa valide (et qu’ils ne risquaient donc pas d’être déportés de façon imminente), je suis d’avis que l’attente de la Section de la protection des réfugiés, selon laquelle les personnes qui sont véritablement à risque demanderaient nécessairement l’asile à la première occasion, est déraisonnable puisqu’elle n’est pas dûment justifiée, transparente et intelligible. Je ne comprends pas pourquoi la Section de la protection des réfugiés n’était pas convaincue par le fait que des personnes dans la situation dans laquelle les demandeurs affirmaient se trouver, puissent souhaiter venir au Canada pour demander l’asile.

[14]  En ce qui concerne la coïncidence du moment du voyage prévu des demandeurs aux États-Unis avec les menaces des FARC, le problème est que la Section de la protection des réfugiés a effectivement conclu qu’il était invraisemblable que les deux événements ne soient pas liés. Même si cette coïncidence peut en effet sembler suspecte, une conclusion d’invraisemblance devrait être formulée uniquement dans les cas les plus évidents : Valtchev c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7. Ce n’est pas le cas en l’espèce. On peut fort bien imaginer que le projet de voyage des demandeurs et les menaces des FARC n’avaient aucun lien entre eux.

[15]  À mon avis, aucune des autres préoccupations raisonnables de la Section de la protection des réfugiés en ce qui concerne la crédibilité ne suffit à maintenir sa conclusion selon laquelle les allégations de menaces des FARC du demandeur principal n’étaient pas crédibles.

C.  Risque général

[16]  La conclusion de la Section de la protection des réfugiés sur cette question ne peut être maintenue parce qu’elle était fondée sur la conclusion erronée selon laquelle le demandeur principal n’était pas directement ciblé par les FARC.

D.  Protection de l’État

[17]  À mon avis, l’évaluation par la Section de la protection des réfugiés de la protection de l’État en Colombie était tout aussi erronée. La Section de la protection des réfugiés a commis l’erreur de se concentrer sur les efforts de protection de l’État plutôt que sur le caractère adéquat de la protection qui pourrait être offerte aux demandeurs à la suite de ces efforts : Muvangua c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 542, au paragraphe 9.

[18]  Même si les demandeurs avaient le fardeau d’établir que la protection de l’État offerte en Colombie n’était pas adéquate, ils avaient le droit de bénéficier d’une évaluation raisonnable de la preuve qu’ils avaient présentée à cet égard.

VI.  CONCLUSION

[19]  Selon la discussion qui précède, je conclus que la demande devrait être accueillie.

[20]  Il n’est pas controversé entre les parties qu’aucune question grave de portée générale n’a été soulevée aux fins de certification.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1120-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’intitulé de la cause est modifié afin de refléter le bon défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

  2. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  3. La décision de la Section de la protection des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen.

  4. Aucune question grave de portée générale n’a été certifiée.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1120-17

 

INTITULÉ :

JONATHAN CASTRO SALOMON, ANA MILENA MORENO ROMERO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Lisa R.G. Winter-Card

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lisa Winter-Card

Avocate

Welland (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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