Date : 20171006
Dossier : IMM-1670-17
Référence : 2017 CF 894
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Vancouver (Colombie-Britannique), le 6 octobre 2017
En présence de monsieur le juge en chef Crampton
ENTRE :
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LAMBER SINGH
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
JUGEMENT ET MOTIFS
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I.
Introduction
[1]
Le demandeur, M. Singh, a saisi la Cour d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent des visas qui a rejeté sa demande de permis de travail de deux ans et de visa de résident temporaire. La décision de l’agent est fondée sur sa conclusion selon laquelle il n’était pas convaincu que M. Singh quitterait le Canada à la fin de la période de deux ans.
[2]
M. Singh prétend que la décision de l’agent était déraisonnable, puisqu’elle n’était pas correctement justifiée ou intelligible, compte tenu des éléments de preuve qui ont été présentés à l’agent. M. Singh prétend également que l’agent a déraisonnablement écarté des éléments de preuve importants. Je suis d’accord.
[3]
Pour les motifs suivants, la demande est accueillie.
II.
Résumé des faits
[4]
M. Singh est un citoyen de l’Inde âgé de 34 ans. Il est actuellement employé comme ouvrier de la construction à Singapour, où il travaille légalement depuis 2009. Avant 2009, il a travaillé cinq ans en Inde dans le secteur de l’agriculture.
[5]
En novembre 2016, M. Singh a reçu une offre d’emploi de J. Gill Enterprises Ltd. pour travailler comme ouvrier agricole polyvalent à Chilliwack, en Colombie-Britannique, pendant deux ans. Cette offre était soutenue par une étude d’impact sur le marché du travail.
[6]
Le mois suivant, M. Singh a présenté une demande de permis de travail et de visa de résident temporaire au Haut-commissariat du Canada à Singapour.
III.
La décision
[7]
En février 2017, l’agent a rejeté la demande de M. Singh au motif qu’il n’était pas convaincu que M. Singh quitterait le Canada à la fin de la période de deux ans pour laquelle il avait demandé l’autorisation de rester au pays.
[8]
Il est acquis de part et d’autre que les notes consignées par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas font partie de la décision qui fait l’objet du contrôle en l’espèce (la décision).
[9]
Pour rendre sa décision, l’agent s’est fondé principalement sur la longue absence de M. Singh auprès de sa famille en Inde, alors qu’il travaillait à Singapour; sur le fait qu’il passerait de son travail actuel dans le secteur de la construction à un emploi d’ouvrier agricole polyvalent et sur ses faibles possibilités d’emploi en Inde.
[10]
Après avoir été informé de la décision, M. Singh a fourni d’autres documents pour soutenir une demande en réexamen de la décision de l’agent. Ces documents comprenaient :
une liste de ses visites annuelles à sa famille en Inde entre 2012 et 2016, de même qu’en 2010;
des précisions sur la durée de ces visites, entre un mois et quatre mois et demi, sauf en 2016, où sa visite a duré seulement deux semaines;
des éléments de preuve étayant sa thèse selon laquelle il a travaillé comme superviseur d’une exploitation agricole en Inde de juin 2003 à janvier 2009;
les motifs pour lesquels il cherchait un emploi d’ouvrier agricole.
[11]
Après avoir pris acte des renseignements supplémentaires concernant les visites annuelles en Inde de M. Singh et de son emploi agricole antérieur dans ce pays, l’agent a maintenu sa décision initiale d’accorder peu de poids au fait que la famille de M. Singh se trouve en Inde. Pour ce motif, il a indiqué [traduction] « Décision de refus initiale maintenue »
.
[12]
Étant donné que les parties ont traité la décision initiale de l’agent et la réponse qu’il a donnée à la demande de réexamen comme une seule décision, je ferai de même.
IV.
Dispositions législatives pertinentes
[13]
Aux termes de l’alinéa 20(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, les étrangers qui cherchent à entrer au Canada ou à y séjourner et à obtenir le statut de résidents temporaires sont tenus de prouver deux éléments. Premièrement, ils doivent prouver qu’ils détiennent le visa ou tout autre document exigé par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Deuxièmement, ils doivent prouver qu’ils quitteront le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.
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Cette dernière obligation est renforcée par l’alinéa 200(1)b) du Règlement, rédigé ainsi :
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V.
Norme de contrôle
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L’examen d’une demande de permis de travail temporaire par un agent des visas est de nature hautement factuelle et il demande d’exercer un grand pouvoir discrétionnaire dans l’appréciation de nombreuses considérations. De telles décisions sont susceptibles de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53 [Dunsmuir]; Choi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 577, au paragraphe 12); Momi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 162, au paragraphe 14 [Momi]).
[16]
Le rôle de la Cour consiste à examiner si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
. À l’occasion de cet examen, la Cour doit rechercher si la décision est correctement justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).
VI.
Discussion
[17]
M. Singh prétend que la décision n’était pas suffisamment justifiée ou intelligible pour appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Je suis d’accord.
[18]
L’agent a énoncé la principale conclusion de sa décision dans la seule phrase suivante : [traduction] « Même si [M. Singh] a de la famille et des biens [en Inde], je ne suis pas convaincu de son établissement et de ses liens [dans ce pays] »
.
[19]
Pour étayer cette conclusion, les notes de l’agent dans le Système mondial de gestion des cas indiquent qu’il a accordé peu de poids à la déclaration de M. Singh selon laquelle il retournerait en Inde à la fin de son séjour de deux ans au pays, puisqu’il avait quitté l’Inde et sa famille depuis huit ans. Cependant, l’agent semble ne pas avoir accordé de poids aux faits suivants ou les avoir examinés avec attention :
M. Singh avait rendu visite à sa conjointe et à ses trois filles chaque année depuis 2010 (sauf en 2011), et ces visites étaient d’une durée habituellement longue;
il comptait de nombreux autres membres de sa famille en Inde et absolument aucun au Canada;
son père lui avait récemment transféré une terre en Inde;
il possédait bon nombre d’autres actifs en Inde, y compris d’importantes économies, une maison familiale, une voiture et un tracteur de ferme.
[20]
En résumé, les éléments qui précèdent étaient d’une telle importance qu’ils auraient dû être abordés explicitement dans l’examen par l’agent de la solidité relative de l’établissement et des liens de M. Singh en Inde et au Canada, respectivement. Le défaut par l’agent d’expliquer pourquoi ces éléments, collectivement, ne lui ont pas permis de conclure à un niveau important d’établissement en Inde rend sa décision difficile à comprendre et insuffisamment justifiée.
[21]
Le défendeur fait valoir que l’agent était autorisé à examiner la totalité des circonstances relatives au dossier de M. Singh et que le poids accordé aux éléments pertinents relevait de son pouvoir discrétionnaire. Je suis d’accord, dans la mesure où le processus suivi par l’agent pour formuler les motifs et l’issue générale de l’affaire cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité. Cependant, la décision est insuffisante à ces deux égards.
[22]
Le défendeur s’appuie sur la décision Sadiq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 955 [Sadiq], pour soutenir la thèse selon laquelle la présence de la famille d’un demandeur dans son pays d’origine ne peut être invoquée pour démontrer que le demandeur y retournera à l’expiration d’un permis de travail temporaire. Cependant, les faits de cette affaire se distinguent des faits de l’espèce. Plus précisément, dans cette affaire, la Cour a conclu que rien n’indiquait que M. Sadiq entretenait des relations avec son père et ses quatre frères et sœurs qui vivaient au Pakistan (Sadiq, précitée, au paragraphe 22). En revanche, les éléments de preuve en l’espèce veulent que M. Singh entretienne une relation significative avec sa conjointe et ses trois filles en Inde, de même que d’autres liens importants dans ce pays.
[23]
En plus des lacunes dans l’examen par l’agent de la force de l’établissement de M. Singh en Inde, l’agent a déraisonnablement rejeté les éléments de preuve du transfert foncier du père de M. Singh en faveur de ce dernier. À cet égard, il a souligné, précédemment dans ses notes, qu’il n’est pas [traduction] « clair si [M. Singh] est le seul propriétaire de ce bien, puisque je note qu’[il] a trois frères et sœurs en Inde (dont deux sont fermiers) et que selon le droit successoral, il serait inhabituel qu’un seul enfant hérite du bien »
. Toutefois, l’acte translatif de propriété dans le dossier certifié du tribunal indique très clairement que la terre a été transférée à M. Singh seulement et que, en conséquence d’un tel transfert, ni son père ni ses [traduction] « héritiers »
n’ont d’autres intérêts ou liens relatifs à la terre.
[24]
De plus, en concluant que M. Singh ne retournerait probablement pas en Inde à la fin de son séjour de deux ans au Canada, l’agent n’a pas tenu compte de l’importance du fait que rien n’indiquait qu’il avait déjà omis de se conformer aux lois sur l’immigration de Singapour depuis son déménagement dans ce pays en 2009 (Momi, précitée, aux paragraphes 20 et 25). Je ne sous-entends pas qu’un défaut d’examiner ce critère seul devrait constituer un motif pour conclure qu’une décision est déraisonnable. Toutefois, eu égard aux faits propres à l’espèce, cette omission constituait une autre lacune qui, prise avec les autres collectivement, rendait la décision déraisonnable.
[25]
L’agent a également indiqué ce qui suit dans ses notes : [traduction] « il n’est pas logique que [M. Singh] passe maintenant d’un travail dans le domaine de la construction à un travail d’ouvrier agricole pour un salaire comparable à celui qu’il gagne déjà à Singapour »
. Cependant, compte tenu des éléments de preuve selon lesquels M. Singh avait déjà travaillé dans le secteur agricole en Inde, du milieu de 2003 au début de 2009, il n’était pas du tout difficile de concevoir qu’il puisse occuper un poste d’ouvrier agricole. Cela est particulièrement vrai compte tenu des autres éléments de preuve portant qu’il y a peu d’emplois dans le secteur agricole à Singapour, ce qui expliquait pourquoi il y avait accepté un emploi d’ouvrier en construction. Comme M. Singh l’a indiqué dans sa lettre demandant un réexamen du rejet initial de sa demande par l’agent, il [traduction] « retournait essentiellement au premier secteur où il avait acquis de l’expérience »
. Ce fait, qui répondait à une préoccupation de l’agent, n’a aucunement été traité dans sa réponse à la demande de réexamen de la décision de M. Singh.
VII.
Conclusion
[26]
Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision était déraisonnable. En résumé, elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
(Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Il en est ainsi parce qu’elle n’est pas correctement justifiée et qu’elle écarte déraisonnablement des éléments de preuve, y compris en ce qui concerne le transfert d’une terre à M. Singh et la raison qu’il a donnée pour vouloir changer de travail.
[27]
Je suis d’accord avec les parties qu’aucune question sérieuse d’importance générale ne ressort des faits de la présente demande. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée aux termes de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La présente demande est accueillie.
La décision de l’agent des visas datée du 7 février 2017, comme confirmée dans la réponse de l’agent datée du 16 mars 2017 à la demande de réexamen de M. Singh, est annulée et renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il la réexamine conformément aux présents motifs.
Aucune question n’est soumise pour être certifiée.
« Paul S. Crampton »
Juge en chef
Traduction certifiée conforme
Ce 23e jour d’octobre 2019
Lionbridge
ANNEXE 1 – Lois applicables
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Dossier :
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IMM-1670-17
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INTITULÉ :
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LAMBER SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 5 OCTOBRE 2017
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
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LE JUGE EN CHEF CRAMPTON
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DATE DES MOTIFS :
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LE 6 OCTOBRE 2017
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COMPARUTIONS :
Richard Kurland
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POUR LE DEMANDEUR
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Trevor Martin
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Kurland, Tobe
1111, rue Melville, bureau 950
Vancouver (Colombie-Britannique) V6E 3V6
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POUR LE DEMANDEUR
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Ministère de la Justice
840, rue Howe, bureau 900
Vancouver (Colombie-Britannique) V6Z 2S9
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POUR LE DÉFENDEUR
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