Date : 20171013
Dossier : IMM-1365-17
Référence : 2017 CF 913
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2017
En présence de monsieur le juge Pentney
ENTRE :
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YOUNG-HUI HONG
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un agent d’immigration principal (l’agent) par laquelle a été rejetée la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) présentée par Young-Hui Hong (la demanderesse) au motif qu’elle ne serait pas exposée à un risque personnalisé si elle était renvoyée en Corée du Sud. L’affaire est toutefois quelque peu inhabituelle, en ce sens que les parties ne s’entendent pas sur le sens exact de la décision rendue par l’agent. Il s’agit, à certains égards, d’« erreurs d’écriture »
concurrentes.
[2]
La demanderesse affirme que la décision rendue à la suite de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) concerne sa fille, Hyoseon Hong, et elle-même. La demanderesse affirme que le fait que les renseignements sur sa fille soient indiqués à la case 15 (réservée à l’identification des membres de la famille) plutôt qu’à la case 14 (où l’on demande de fournir des détails sur les personnes à charge au Canada qui présentent une demande d’ERAR) du formulaire de demande d’ERAR ne constitue qu’une simple « erreur d’écriture ou une erreur humaine »
. La demanderesse fait référence à plusieurs documents envoyés par l’agent dans lesquels il est question de sa fille et d’elle-même, dont la lettre et le formulaire de décision. La demanderesse fait valoir que la demande d’ERAR de sa fille constitue à tous égards une demande miroir de sa propre demande et que l’agent n’a commis aucune erreur en les traitant ensemble. Elle prétend toutefois que la décision devrait être annulée, pour des motifs qui seront expliqués ci-dessous.
[3]
Le défendeur soutient que la décision relative à la demande d’ERAR de la demanderesse a été rendue adéquatement, mais que ses représentants, notamment l’agent qui a pris la décision, ont de bonne foi commis une erreur compréhensible en traitant la demande comme si elle englobait la mère et la fille. Il s’agit de l’approche habituelle adoptée dans ce genre de cas – les enfants mineurs ne présentent pas de demande distincte dans la plupart des cas et, souvent, on tient compte à la fois des intérêts du parent et de l’enfant dans une même décision.
[4]
Il ne s’agit toutefois pas d’un cas habituel. Outre la question liée au formulaire susmentionné, le défendeur renvoie à un échange de courriels, sur ce point en particulier, entre ses représentants du bureau de réduction de l’arriéré de Vancouver et l’avocat qui représentait la demanderesse à l’époque. Dans ce formulaire, on indiquait que la demande visait uniquement la demanderesse, contrairement à ce qui était indiqué dans une demande antérieure d’ERAR présentée en 2012, qui indiquait (à la case appropriée) que la demande visait à la fois la mère et la fille. Comme indiqué ci-dessus, on fait référence à la fille dans une section distincte du formulaire, où l’on demande d’indiquer des renseignements sur d’autres membres de la famille. En outre, lorsqu’il a reçu la demande d’ERAR, un représentant a écrit à l’avocat de la demanderesse afin de préciser si cette dernière [traduction] « souhaitait inclure sa fille (HONG, Hyoseon) dans sa demande subséquente d’ERAR »
. L’avocat de la demanderesse a répondu que la fille n’avait pas été incluse au départ en raison de complications d’ordre juridique (qui sont décrites de manière plus détaillée ci-dessous) et qu’il fournirait de plus amples renseignements à cet égard sous peu. Ces renseignements n’ont jamais été présentés et les arguments que l’avocat a finalement présentés au nom de la demanderesse étaient pratiquement tous axés sur la demande de cette dernière. Ils ne faisaient qu’à peine mention de ses inquiétudes à l’égard de sa fille.
[5]
Le défendeur fait valoir que, dans la demande d’ERAR, la fille a intentionnellement été exclue et qu’elle a été déposée uniquement au nom de la demanderesse. Il est devenu manifeste au cours de l’audience que cette exclusion s’explique par le fait qu’au moment où la demande d’ERAR a été déposée, des poursuites criminelles et en droit de la famille étaient en cours et que la Société d’aide à l’enfance avait la garde temporaire de la fille de la demanderesse.
[6]
En cours de route, cependant, l’agent semble avoir traité la demande comme si elle couvrait à la fois la demanderesse et sa fille, et il fait référence aux deux à plusieurs reprises dans la décision. Cette décision comporte aussi le passage suivant [traduction] : « Par conséquent, je conclus que la demanderesse mineure n’est exposée à aucun risque, conformément aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés »
.
[7]
Le défendeur indique qu’il s’agit d’une erreur et affirme que le ministre ne devrait pas être lié par cette erreur, parce qu’il porterait ainsi préjudice aux intérêts de l’enfant, qui a toujours droit à un processus d’ERAR et à une décision distincts. Le défendeur soutient aussi que la décision touchant la demanderesse est, par ailleurs, valide, et que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.
I.
RÉSUMÉ DES FAITS
[8]
La demanderesse, qui est citoyenne de la République populaire démocratique de Corée (la Corée du Nord) et de la République de Corée (Corée du Sud) est arrivée au Canada en 2009 avec sa fille. Elle a présenté une demande d’asile sous un nom et une date de naissance différents, en indiquant n’être résidente que de la Corée du Nord. Cette demande a été refusée en raison de préoccupations à l’égard de la crédibilité de la preuve produite par la demanderesse. Elle a ensuite présenté sa première demande d’ERAR en son nom et au nom de sa fille. La demanderesse a continué d’affirmer qu’elle et sa fille étaient uniquement citoyennes de la Corée du Nord et qu’elles seraient exposées à un risque de mauvais traitement et de persécution si elles y retournaient. Cette demande d’ERAR a été accueillie en 2013.
[9]
En 2015, lorsqu’on a appris que la demanderesse et sa fille étaient en fait aussi citoyennes de la Corée du Sud, la décision relative à l’ERAR original a été annulée. La demanderesse a donc été frappée d’une mesure de renvoi, ce qui a déclenché la demande d’ERAR subséquente, présentée en 2016. Cet ERAR portait sur plusieurs allégations : la demanderesse serait victime de discrimination en raison de ses antécédents nord-coréens; elle souffrirait parce que les soins en santé mentale sont inadéquats en Corée du Sud, ce qui lui ferait courir un risque d’hospitalisation involontaire; et finalement, elle risquerait d’être ciblée par des agents nord‑coréens à la recherche de transfuges en Corée du Sud.
[10]
L’agent a examiné les antécédents de la demanderesse en matière d’immigration, et les éléments de preuve liés à chacune des allégations. L’agent a essentiellement refusé les deux dernières allégations susmentionnées après avoir examiné les éléments de preuve présentés. En ce qui concerne l’allégation relative à son état de santé mentale, l’agent a conclu que le rapport d’un psychiatre sur la santé mentale de la demanderesse se fondait principalement sur sa crainte d’être renvoyée en Corée du Nord et aucun autre élément de preuve plus récent n’a été produit à l’appui de l’allégation selon laquelle la demanderesse courait le risque d’être hospitalisée si elle retournait en Corée du Sud. L’agent a ensuite conclu que la preuve n’étayait pas l’allégation voulant que les agents de Corée du Nord posent un risque pour la demanderesse, étant donné que l’on compte environ 25 000 transfuges en Corée du Sud. En outre, il a été établi que seuls deux transfuges bien connus avaient été la cible d’assassinats commis par des agents nord-coréens. L’agent a conclu que la demanderesse n’était pas connue et qu’elle ne serait pas exposée à un risque.
[11]
En ce qui concerne la question de la discrimination et de la protection de l’État, l’agent a d’abord énoncé les critères juridiques applicables, en indiquant que la Corée du Sud est une démocratie en parfait contrôle de son territoire et qu’il faut présumer que l’État est en mesure de protéger ses citoyens. Pour réfuter cette présomption, un demandeur doit fournir des éléments de preuve claire et convaincante démontrant qu’il ne peut obtenir la protection de l’État. L’agent a aussi indiqué que [traduction] : « Le fardeau de la preuve qui incombe à la demanderesse est directement proportionnel au niveau de démocratie atteint chez l’État en cause : plus ses institutions sont démocratiques, plus le demandeur devra avoir cherché à épuiser tous les recours qui s’offrent à lui »
.
[12]
Après s’être penché sur la question de la discrimination à l’égard des Nord-Coréens, l’agent a conclu à l’existence de certains éléments de preuve démontrant une certaine discrimination, mais également à l’existence de certains éléments de preuve démontrant que la Corée du Sud a pris des mesures afin d’aider les Nord-Coréens à réussir leur transition à la vie en Corée du Sud, comme en témoigne la création d’un établissement de réinstallation et de formation et la possibilité d’aide financière. L’agent a conclu que la loi interdit la discrimination fondée sur la race, le sexe, l’invalidité, l’orientation sexuelle et le statut social. Il a cependant conclu qu’il a été démontré que la loi pourrait être mieux appliquée, et qu’on a reproché à la Commission nationale des droits de l’homme de [traduction] : « mettre un accent trop important sur les problèmes liés à la Corée du Nord »
.
[13]
L’agent a conclu que les éléments de preuve ne suffisaient pas à réfuter la présomption de protection de l’État et que les exemples de mauvais traitements infligés à la demanderesse en Corée du Sud ne constituaient pas de la persécution. Ces éléments de preuve comprenaient des moments où son accent ou sa mauvaise maîtrise de la langue avaient suscité des commentaires négatifs ainsi que des moments où les membres sud-coréens de l’église qu’elle fréquentait la laissaient à l’écart. L’agent a conclu que ces exemples ne correspondaient pas au type de discrimination qui correspond à de la persécution, comme décrit dans le manuel du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
[14]
L’agent a rejeté la demande d’ERAR en application des articles 96 et 97 de la LIPR. C’est la décision qui est contestée en l’espèce.
II.
QUESTIONS EN LITIGE
[15]
L’espèce soulève les trois questions suivantes :
- L’agent a-t-il commis une erreur en traitant la demande d’ERAR comme si elle concernait à la fois la demanderesse et sa fille? Le cas échéant, quelles sont les conséquences juridiques de cette erreur?
- La décision devrait-elle être annulée, étant donné que l’agent a privé la demanderesse mineure, Hyoseon Hong, de son droit à l’équité procédurale, en ne cherchant pas à obtenir les observations d’une personne habilitée par la loi à la représenter, étant donné que les autorités d’aide à l’enfance de l’Ontario en avaient la garde temporaire à ce moment?
- Devrait-on annuler la décision parce que l’agent a commis une erreur dans l’interprétation des documents sur la situation dans le pays?
III.
DISCUSSION
A.
L’agent a-t-il commis une erreur en traitant la demande d’ERAR comme si elle concernait à la fois la demanderesse et sa fille?
[16]
Je dois d’abord trancher la question suivante : quelle est la décision qui fait réellement l’objet de l’examen? S’agissait-il d’une décision rendue à l’égard de la demanderesse et de sa fille? S’agissait-il plutôt d’une décision liée à une demande présentée au nom de la demanderesse uniquement, mais dans laquelle l’agent a également inclus la fille? S’il s’agit de cette dernière interprétation, quelles sont les conséquences juridiques de cette erreur?
[17]
Comme décrit ci-dessus, les parties interprètent de manière diamétralement opposée ce qui s’est passé; elles affirment toutes deux que des « erreurs d’écriture »
ont été commises, mais à l’effet contraire. La demanderesse prétend que le fait de ne pas inclure sa fille à la case appropriée de la demande d’ERAR constituait une erreur humaine ou une erreur d’écriture commise de bonne foi et que les représentants du défendeur ont eu raison d’examiner les deux cas ensemble, étant donné qu’ils sont interreliés.
[18]
La demanderesse fait toutefois valoir ensuite que l’agent a privé l’enfant de son droit à l’équité procédurale en se fiant aux observations présentées par l’avocat de la demanderesse plutôt qu’en demandant à obtenir celles d’une personne habilitée par la loi à représenter sa fille, dont la Société d’aide à l’enfance qui en avait la garde temporaire à ce moment. Cette erreur devrait invalider la décision dans son ensemble, étant donné que la Cour a uniquement compétence pour entendre une « décision »
dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7. Je n’ai donc pas compétence pour annuler une partie de la décision seulement.
[19]
Le défendeur fait valoir que l’agent a commis une erreur de bonne foi en traitant cette demande d’ERAR au nom de la demanderesse et de sa fille. Il ressortait clairement de l’échange de courriels susmentionné que la demanderesse n’entendait pas au départ inclure sa fille dans sa demande d’ERAR. Le défendeur cherche aussi à ce que l’on veille à préserver et à protéger les droits de la fille, indépendamment de l’issue de cette instance, puisqu’il est d’avis qu’elle a encore droit à son processus d’ERAR et à une décision à cet égard.
[20]
Je dois souligner que toutes les parties s’entendent sur le fait qu’il ne faut pas reprocher aux représentants une telle erreur, vu le volume de cas, la situation factuelle inhabituelle et l’historique quelque peu complexes du cas de la demanderesse. Il n’est pas contesté entre les parties que la situation d’un enfant non canadien sous la garde des autorités provinciales d’aide à l’enfance au moment du dépôt d’une demande d’ERAR tombe dans une « zone grise ». On ignore si un parent est habilité par la loi à présenter une demande d’ERAR au nom d’un enfant dont il n’a pas la garde légale. Pour les motifs qui suivent, je n’ai pas à trancher cette question en l’espèce.
[21]
Je conclus que l’agent a commis une erreur en traitant la demande d’ERAR au nom de la demanderesse et de sa fille. L’argumentaire de la demanderesse repose sur les diverses références à sa fille qu’elle fait dans les documents. Elle fait référence à une lettre datée du 23 janvier 2017 envoyée par l’agent à l’avocat de la demanderesse, dont la ligne d’objet indique ce qui suit [traduction] : « Objet : Hong, Younghui, appelée aussi HONG, Jin Kyung, et HONG, Hyoseon, aussi appelée Kim, Seo Yun »
[Non souligné dans l’original]. La première phrase de cette lettre se lit ainsi [traduction] : « La présente fait référence à la demande d’examen des risques avant renvoi présentée par les clientes susmentionnées »
[Non souligné dans l’original]. Elle fait aussi référence à la lettre de décision et au formulaire de décision d’ERAR rempli par l’agent, qui font tous deux référence à la fille.
[22]
Il est vrai que les documents font référence à plusieurs reprises à la fille; il est tout aussi vrai, cependant, que le conseiller juridique qui représentait la demanderesse à cette époque avait explicitement indiqué que la fille n’était pas incluse dans la demande d’ERAR. Le conseiller a déposé la demande d’ERAR au nom de la demanderesse le 18 novembre 2016. Il convient de souligner que le nom de la fille n’était pas indiqué dans la case appropriée du formulaire – ce qui diffère de la demande d’ERAR présentée précédemment par la demanderesse, en 2012, qui a explicitement été produite au nom de la mère et de la fille. Le 28 novembre 2016, un représentant du défendeur du bureau de réduction de l’arriéré de Vancouver a envoyé un courriel à l’avocat de la demanderesse afin de lui demander d’indiquer si elle [traduction] : « souhaitait inclure sa fille (HONG, Hyoseon) dans sa demande subséquente d’ERAR »
. L’avocat a répondu ce qui suit le 30 novembre 2016 :
Au départ, nous n’avions pas inclus la fille de Mme Hong dans la demande subséquente d’ERAR, puisque cette dernière n’était pas nommée ou ne s’était pas vu signifier un ERAR. Nous avons été embauchés depuis peu et nous nous employons actuellement à obtenir le dossier complet. Des procédures en instance devant la cour criminelle et un tribunal de la famille, ainsi que la détention de Mme Hong, complexifient cette affaire.
Il nous est donc impossible pour l’instant d’indiquer si la fille de Mme Hong sera incluse dans sa demande d’ERAR. Nous nous efforçons d’obtenir tous les renseignements requis et pertinents et nous vous informerons de la décision le plus tôt possible.
[23]
Comme indiqué ci-dessus, dans sa correspondance suivante, l’agent indique qu’il s’agit d’une demande d’ERAR conjointe présentée au nom de la mère et de la fille et personne n’a corrigé cette erreur. Je dois donc trancher la question suivante : s’agit-il d’une erreur? Le cas échéant, quelles sont les conséquences juridiques de cette erreur?
[24]
Le processus d’ERAR est établi à la partie 3 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) et par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés DORS/2002-227 (le Règlement). Ce processus vise à protéger une composante cruciale de la protection des réfugiés – le principe du non-refoulement, enchâssé à l’article 115 de la LIPR. Il s’agit d’un concept fondamental de la protection des réfugiés. Le but de l’ERAR n’est pas contesté. On l’explique ainsi dans le Résumé d’étude d’impact de la réglementation, Gazette du Canada, partie II, volume 136 numéro spécial (14 juin 2002), à la page 274 :
La justification, au niveau des politiques, de l’examen des risques avant renvoi se trouve dans les engagements nationaux et internationaux du Canada en faveur du principe de non‑refoulement. En vertu de ce principe, les demandeurs ne peuvent être renvoyés du Canada dans un pays où ils risqueraient d’être persécutés, torturés, tués ou soumis à des traitements ou peines cruels ou inusités. Ces engagements exigent que les risques soient examinés avant le renvoi.
Voir : Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 10.
[25]
L’ERAR constitue autant une protection procédurale importante pour les demandeurs qu’une façon pour le Canada de respecter ses obligations internationales.
[26]
En pratique, c’est l’Agence des services frontaliers du Canada qui envoie les avis d’admissibilité à présenter une demande d’ERAR (article 160 du Règlement). Comme il a été indiqué plus tôt, dans les cas habituels où il y a des adultes et des enfants à charge, ce sont les parents qui présentent la demande pour eux-mêmes et leurs enfants. Dans les cas où le demandeur est un mineur non accompagné, une représentation juridique est habituellement fournie et la demande est présentée directement au nom de l’enfant. Toutefois, la LIPR et le Règlement ne permettent pas à un agent d’ajouter ou de retirer unilatéralement le nom de personnes de la demande et aucune jurisprudence n’a été citée à l’appui de cette proposition. En fait, vu la nature des intérêts des personnes impliquées dans ce processus, il serait surprenant que le législateur ait accordé de tels pouvoirs aux agents.
[27]
La demanderesse m’exhorte essentiellement en l’espèce à ne pas tenir compte du formulaire qu’elle a effectivement rempli, ainsi que de la déclaration de son conseiller juridique indiquant que l’enfant n’était pas visé par l’ERAR. On m’exhorte plutôt à conclure, après avoir examiné la correspondance et le document de décision, que l’agent a, en quelque sorte, transformé la demande en une demande conjointe au nom de la demanderesse et de sa fille. Vu que rien au dossier n’indique que la demanderesse ou son avocat ont pris une telle mesure, on me demande d’en inférer l’existence à partir de la correspondance et des indications du formulaire (qui ont toutes été rédigées par des représentants du défendeur, et en particulier par l’agent qui a décidé de l’issue de l’ERAR).
[28]
En concluant de la sorte, je reconnaîtrais un pouvoir ou une compétence extraordinaires à un agent d’immigration. En conséquence, ce pouvoir jusqu’ici inconnu aurait des répercussions considérables sur les droits d’un demandeur, en l’espèce un enfant mineur qui n’était pas sous la garde de sa mère à ce moment et qui avait donc droit à une représentation juridique distincte afin de garantir la protection de ses droits et de ses intérêts distincts et uniques. Je ne suis pas prêt à accepter une issue aussi extraordinaire.
[29]
C’est totalement différent de la pratique qui consiste à traiter ensemble des demandes semblables présentées par plusieurs membres d’une famille ou de traiter une demande conjointe déposée au nom de parents et d’enfants ensemble. Les décisions portant sur des demandes distinctes présentées par des membres d’une famille qui ont été traitées ensemble ne s’appliquent pas aux faits de l’espèce; voir, par exemple, Mofrad c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 901.
[30]
Qui plus est, en l’existence d’un pouvoir administratif permettant de « corriger »
ou de modifier une demande d’ERAR afin d’ajouter ou de retirer des personnes de la demande, il faudrait le faire uniquement, par souci d’équité, avec le consentement de la personne visée. Dans le cas qui nous occupe, dans son courriel envoyé à l’avocat, le représentant du défendeur voulait préciser l’intention de la demanderesse. On peut supposer qu’en cas de réponse positive, le défendeur aurait traité la demande comme une demande conjointe au nom de la mère et de la fille, en tant que pratique administrative.
[31]
Au vu du dossier dont je suis saisi, je conclus que la demanderesse n’entendait pas déposer et n’a en fait pas déposé une demande d’ERAR au nom de sa fille en 2016. Je constate que les observations présentées en appui à l’ERAR portent seulement sur la situation de la mère; on fait vaguement référence aux préoccupations de la mère à l’égard de sa fille. Je constate aussi que la décision de l’agent se fonde presque entièrement sur les allégations de la mère. Seuls les derniers paragraphes d’une décision longue et détaillée font état des préoccupations exprimées à l’égard de la fille.
[32]
Je conclus que l’erreur commise par l’agent n’était que cela – une erreur de bonne foi, qui a donné lieu au regroupement de cette affaire avec de nombreuses autres que les agents avaient sans doute à traiter à ce moment et à son traitement en tant que demande conjointe. Je conclus qu’il s’agit d’un acte d’aucune valeur sur le plan juridique. Il ne peut pas lier la fille, qui a droit à son processus d’ERAR et à une décision distincts, si elle souhaite y recourir, au cas où elle serait frappée d’une mesure de renvoi.
[33]
Je conclus aussi que cette erreur n’a eu aucune répercussion importante sur les droits de la demanderesse dans le contexte de sa demande d’ERAR et de la présente demande de contrôle judiciaire. L’erreur commise à l’égard de la fille ne constitue pas en soi un motif d’annulation de la décision d’ERAR de la mère. Je n’ai pas réussi à trouver de décision où l’on abordait directement ce point. J’ai toutefois recensé plusieurs décisions où une erreur d’écriture ou une erreur factuelle avait été découverte. Dans ce genre de cas, le critère appliqué visait à déterminer si l’erreur avait une incidence importante sur l’issue ou, en d’autres termes, si l’issue aurait été différente si aucune erreur n’avait été commise. (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Rahman, 2013 CF 1274, au paragraphe 55; Hussain c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1298, au paragraphe 53; Romero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 265, au paragraphe 28; Sakibayeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1045, aux paragraphes 13 et 14.)
[34]
Il n’est pas contesté entre les parties que cette situation tombe dans une « zone grise »
, ce qui pourrait avoir contribué à l’erreur qui a été commise. Au vu du dossier dont je suis saisi, il subsiste de nombreuses questions en suspens; comment la demande d’ERAR a-t-elle été transformée en demande conjointe et pourquoi cette erreur n’a-t-elle pas été détectée ou corrigée? Il est évident, selon moi, qu’aucune demande n’a été présentée au nom de la fille, qu’aucune personne légalement autorisée à le faire n’a présenté d’observations en son nom et que les références erronées à sa situation ne peuvent avoir aucune conséquence juridique. Le défendeur prétend que la fille a tout de même droit à un processus distinct d’ERAR et qu’aucune des interventions de l’agent ne change quoi que ce soit. Les conclusions auxquelles l’agent est parvenu concernant le cas de la fille sont erronées, attendu qu’aucune demande ou observation n’a été présentée en son nom. Il convient de traiter ces conclusions pour ce qu’elles sont – le résultat d’une erreur de bonne foi – qui n’a aucune conséquence.
[35]
Le défendeur indique que les autorités appropriées ont été informées du statut d’immigration de la fille et du besoin de prendre des mesures afin de tenir compte de ses intérêts, non seulement ceux liés aux questions touchant à la protection de l’enfance ou à la garde, mais aussi ceux liés à son statut en matière d’immigration. Il s’est aussi engagé à s’assurer que la décision que je rends dans la présente affaire sera communiquée aux autorités provinciales appropriées. Il ressort clairement que la fille a droit à un ERAR avant son renvoi du Canada et qu’elle doit se voir signifier un avis de ce droit et avoir l’occasion de présenter des observations si elle est frappée d’une mesure de renvoi, comme prescrit par l’article 112 de la LIPR et conformément à l’article 160 du Règlement. Le défendeur l’a reconnu et il s’est engagé à agir en conséquence. Il n’y a rien d’autre à faire pour protéger les intérêts de la fille pour le moment.
B.
La fille a-t-elle été privée de son droit à l’équité procédurale?
[36]
Vu mes conclusions sur la première question, je n’ai pas à trancher cette deuxième question. Il n’est pas contesté entre les parties que la présente affaire se situe dans une « zone grise »
. Je n’ai donc pas à me pencher plus longuement sur les enjeux ou les arguments liés à cette question, étant donné qu’aucune demande n’a été déposée au nom de la fille devant notre Cour. Je laisserai cette question à trancher lorsqu’elle sera amenée à la Cour à la lumière des faits qui la sous-tendent.
C.
L’officier a-t-il interprété la preuve de façon erronée?
[37]
Comme la Cour suprême du Canada l’enseigne par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] RCS 9, au paragraphe 57, il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle lorsque la question est établie par la jurisprudence, ce qui est le cas en l’espèce (Haaq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 370, au paragraphe 15; Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 59, au paragraphe 4). Les décisions de notre Cour indiquent clairement que la norme de contrôle qui s’applique aux décisions rendues par les agents chargés de l’ERAR dans leur ensemble est celle de la décision raisonnable (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 799, au paragraphe 11; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 702, au paragraphe 13) et qu’il convient de faire preuve de retenue à l’égard de l’analyse par l’agent chargé de l’ERAR des éléments de preuve au dossier (Belaroui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 863, aux paragraphes 9 et 10).
[38]
L’argument de la demanderesse est essentiellement que la décision n’est pas raisonnable parce qu’elle a en essence fait une mauvaise appréciation de son allégation de discrimination à l’égard des Nord-Coréens en Corée du Sud et quant à la protection inadéquate de l’État. La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur cruciale en rendant une décision défavorable en ce qui concerne les risques auxquels elle était exposée, en interprétant mal le fondement de son allégation qu’il a liée à la « race »
plutôt qu’à l’« ethnie »
, et en n’interprétant pas adéquatement les éléments de preuve quant à la protection adéquate de l’État contre la discrimination en Corée du Sud.
[39]
Dans ses observations touchant la demande d’ERAR, la demanderesse a produit de nombreux éléments de preuve de discrimination à l’égard des Nord-Coréens lorsqu’ils déménagent en Corée du Sud. Il s’agit, selon son allégation, d’un enjeu de discrimination fondé sur l’« origine ethnique »
. La demanderesse soutient que les différences sur le plan de la culture, de la langue et du mode de vie après la division du pays entre les habitants du Nord et du Sud équivalent à la création de deux « ethnies »
différentes. Et c’est ce qui constitue le fondement des mauvais traitements infligés aux personnes ayant émigré de la Corée du Nord à la Corée du Sud.
[40]
La demanderesse fonde sa thèse sur l’argument voulant que l’agent ait commis une erreur en concluant que les lois de la Corée du Sud prohibant la discrimination étaient adéquates, à la lumière du fait qu’il n’existe aucune protection contre la discrimination fondée sur l’« origine ethnique »
. Dans ses observations sur l’ERAR, la demanderesse fait référence à un article en ligne qui indique ce qui suit [traduction] : « Il n’y a aucune loi antidiscriminatoire en Corée du Sud et cette discrimination est pratiquement légale »
. L’agent conclut que cela est tout simplement faux, et cite un rapport du Département d’État des États-Unis, qui indique que [traduction] : « la loi interdit la discrimination fondée sur la race, le sexe, l’invalidité, l’orientation sexuelle et le statut social »
.
[41]
L’agent fait ensuite référence à des éléments de preuve indiquant que le gouvernement sud-coréen a pris de nombreuses mesures pour soutenir la transition des migrants du Nord, notamment des programmes gouvernementaux et un soutien financier. La demanderesse a affirmé dans son témoignage qu’elle avait bénéficié de ce soutien à la transition : elle avait notamment suivi des ateliers sur la façon de s’adapter à la vie en Corée du Sud et avait reçu de l’argent en guise de soutien pour se réinstaller et se loger. Elle a utilisé cet argent pour se rendre au Canada.
[42]
L’agent conclut que les Nord-Coréens sont victimes d’un certain niveau de discrimination en Corée du Sud, tout en indiquant que les difficultés auxquelles ils sont exposés ne sont pas uniquement attribuables à la discrimination. Selon les éléments de preuve, un éventail de facteurs contribue à cette discrimination, y compris les lacunes en matière d’éducation, les antécédents professionnels différents et le défi d’adaptation en général. L’agent conclut aussi que le gouvernement de Corée du Sud a pris des mesures afin d’aider les Nord‑Coréens à faire cette transition.
[43]
L’agent fait en outre référence aux éléments de preuve produits par la demanderesse quant aux types de mauvais traitements qu’elle a subis lorsqu’elle vivait en Corée du Sud. Il a conclu qu’aucun de ces exemples n’atteignait le niveau de la persécution. Après un examen des éléments de preuve, l’agent arrive à la conclusion qui suit [traduction] : « [… ] Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, les éléments de preuve produits par la demanderesse ne suffisent pas à réfuter la présomption de protection de l’État »
.
[44]
Je conclus que l’agent n’a commis aucune erreur sur ce point dans sa décision. L’agent a appliqué les critères juridiques appropriés relatifs à la protection de l’État et il a examiné tous les éléments de preuve et les arguments présentés par la demanderesse. Il faut faire preuve de retenue à l’égard des décisions prises par les agents chargés de l’ERAR, puisqu’elles relèvent de leur expertise particulière sur la situation prévalant dans le pays d’origine. Je conclus que l’agent a pris une décision raisonnable, qui correspond à l’éventail des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
.
IV.
CONCLUSION
[45]
Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Les parties n’ont présenté aucune question aux fins de certification.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1365-17
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La décision relative à l’examen des risques avant renvoi pour Hyoseon Hong a été prise par erreur et n’a aucune validité sur le plan juridique.
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« William F. Pentney »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 16e jour de janvier 2020
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-1365-17
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INTITULÉ :
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YOUNG-HUI HONG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 4 octobre 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE PENTNEY
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DATE DES MOTIFS :
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Le 13 octobre 2017
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COMPARUTIONS :
Nikolay Y. Chsherbinin
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Pour la demanderesse
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Nadine Silverman
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Chsherbinin Litigation Professional Corporation
Avocats
Toronto (Ontario)
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Pour la demanderesse
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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