Date : 20170925
Dossier : IMM-3-17
Référence : 2017 CF 854
Montréal (Québec), le 25 septembre 2017
En présence de monsieur le juge Shore
ENTRE :
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SHIREEN SHUBBAR FAKHRI ADHARI
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partie demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
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partie défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision rendue le 8 décembre 2016 par un agent d’immigration de l’Ambassade du Canada à Ankara, Turquie, suivant laquelle la demande de visa de résident temporaire de la demanderesse a été rejetée.
II.
Faits
[2]
La demanderesse, âgée de 34 ans, est citoyenne de l’Irak.
[3]
La demanderesse est divorcée de M. Asad Abbas, avec qui elle a eu un enfant maintenant âgé de huit ans. L’enfant est citoyen canadien et vit actuellement au Canada.
[4]
La demanderesse est devenue résidente permanente du Canada en 2007.
[5]
Le ou vers le 5 avril 2009, la demanderesse aurait obtenu l’autorisation de son mari (maintenant ex-mari) pour voyager en Irak avec leur fils, à la condition qu’elle retourne au Canada avec l’enfant au plus tard en octobre.
[6]
N’étant pas revenue au Canada avec l’enfant à temps, la demanderesse raconte que son ex-mari serait venu chercher leur fils pour retourner au Canada sans la demanderesse. D’après les dires de la demanderesse, son ex-mari aurait également pris sa carte de résidente permanente et il l’aurait menacée de mort.
[7]
La demanderesse ne serait donc pas retournée au Canada ni n’aurait tenté d’obtenir une nouvelle carte de résidente permanente de 2009 à 2015.
[8]
En décembre 2015, la demanderesse a déposé une nouvelle demande de résidence permanente, laquelle a été refusée par un agent d’immigration le 11 avril 2016 pour non-conformité à son obligation de résidence.
[9]
Cette décision est présentement en appel devant la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.
[10]
Le 4 novembre 2016, la demanderesse a déposé une demande de visa de résident temporaire dans le but de visiter son fils au Canada en plus d’entreprendre des recours légaux concernant la garde de celui-ci.
III.
Décision
[11]
Le 8 décembre 2016, en application du paragraphe 11(1) de la LIPR, l’agent a refusé la demande de visa de résident temporaire de la demanderesse en raison du fait qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le pays suite à son séjour au Canada à titre de résidente temporaire. Pour en arriver à cette conclusion, l’agent a considéré les facteurs suivants : ses liens familiaux au Canada et dans son pays de résidence, ainsi que l’objet de sa visite au Canada.
[12]
L’agent a aussi consigné les motifs de son refus dans le Système Mondial de Gestion des Cas [SMGC] :
PA was previously PR, but did not meet residency requirements (see R301087023). Letter from representative indicated that PA wants to go to CDA in order to initiate legal action regarding custody agreement child name Shireen Shubbar Fakhri DOB: 13DEC2008. PA is divorced and has very limited ties in country of residence. There is no information provided indicating any arrangement regarding the child mentioned. I do note however that the interview notes from R301087023 appear to indicate the PA would have signed a Power of Attorney document regarding her child and that she recognized having signing it. I see no information/documentation indicating the legal action have been initiated as such, nor that the PA has been requested to testify in court. I have considered the family situation in this case however, the PA is able to have legal action initiated through a representative. […] Given the limited ties in the country of residence and the strong pull factors that would be if the PA is allowed to travel to CDA, I am not satisfied that the applicant will be a genuine temporary resident who will depart CDA at the end of the authorized period of stay.
(Notes au SMGC, Dossier de l’Ambassade, à la p 3.)
[13]
C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
IV.
Question en litige
[14]
La Cour constate qu’il n’y a qu’une seule question en litige et celle-ci consiste à savoir si l’agent a erré en refusant la demande de visa de résident temporaire de la demanderesse.
[15]
La demanderesse soutient que la décision d’un agent de délivrer un visa de résident temporaire est soumise à la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 SCR 190, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]). Le défendeur est aussi d’avis qu’il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire octroyé aux agents de visa et que, conséquemment, la Cour doit faire preuve de retenue face à cette décision dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire (Ngalamulume c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1268 au para 16).
V.
Dispositions pertinentes
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Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent au présent contrôle judiciaire :
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La disposition suivante du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, est aussi pertinente :
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VI.
Observations des parties
A.
Soumissions de la demanderesse
[18]
La demanderesse prétend d’abord que l’agent a erré dans son analyse puisqu’il n’aurait pas soigneusement considéré l’intérêt supérieur de l’enfant dans sa prise de décision.
[19]
Pour appuyer cet argument, la demanderesse cite de nombreuses décisions jurisprudentielles portant sur la nécessité de prêter une attention minutieuse aux intérêts et aux besoins des enfants.
[20]
La demanderesse allègue sur ce point que les notes du Système de traitement informatisé des dossiers de l’immigration ayant mené à la décision de l’agent ne font aucunement état de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre d’une demande de visa de résident temporaire.
[21]
Enfin, la demanderesse avance que l’agent est arrivé à une décision déraisonnable puisqu’il aurait procédé à une évaluation erronée de l’intention de la demanderesse de retourner dans son pays d’origine suite à son séjour au Canada.
B.
Soumissions du défendeur
[22]
Le défendeur, quant à lui, argue que la décision de l’agent était raisonnable puisqu’il aurait adéquatement apprécié l’ensemble de la preuve présentée devant lui.
[23]
Le défendeur soulève qu’un agent de visa n’a pas à procéder à une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre d’une demande de résidence temporaire. L’agent aurait tout de même considéré la situation familiale de la demanderesse en notant, entre autres, l’absence de preuve sur de quelconques procédures concernant la garde de l’enfant.
[24]
Le défendeur ajoute que la demanderesse n’a pas su démontrer qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour. En effet, comme la demanderesse a également présenté une demande de résidence permanente, le défendeur prétend que le meilleur moyen d’invoquer des motifs de considérations humanitaires serait par l’entremise d’une demande de résidence permanente, compte tenu du fait que la demanderesse a perdu son père (dans une société patriarcale comme l’Irak : un point essentiel à retenir).
[25]
D’après les allégations de la demanderesse, son fils est son seul point d’attache et il lui donne une raison d’être. Si cette allégation fait effectivement partie du leitmotiv de la vie de la demanderesse, il sera clair que sa raison d’être existe dans le but de vouloir vivre pour élever son enfant.
VII.
Analyse
[26]
Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans toutefois oublier que des démarches ont été prises à l’égard de l’obtention d’une résidence permanente. Les circonstances alléguées par la demanderesse pourraient aussi invoquer l’octroi des considérations humanitaires afin de donner à la demanderesse une raison d’être ou un but à sa vie, étant donné que la demanderesse a perdu son père comme mentionné précédemment.
A.
L’agent a-t-il erré en refusant la demande de visa de résident temporaire de la demanderesse?
[27]
Dans le présent cas, l’agent a refusé la demande de résidence temporaire de la demanderesse en raison de ses forts liens d’attachement au Canada, soit la présence de son enfant au Canada telle qu’alléguée par la demanderesse. Cependant, tous les faits susmentionnés peuvent avoir pour effet de changer le statut de la demanderesse au Canada suite à une décision éventuelle pour sa résidence permanente.
[28]
Si les allégations de la demanderesse s’avèrent, la Cour considère que cet enfant, citoyen canadien, aura la chance et la possibilité de vivre au Canada en paix et en sécurité, en compagnie de sa mère. L’enfant qui est déjà élevé dans ce climat de sécurité pourra continuer de vivre sain et sauf au Canada, autant que possible, et ce, sans les perturbations de vie retrouvées en Irak (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration Canada), [2014] 3 RCF 438, 2013 CF 802 au para 51).
[29]
Il appartenait à la demanderesse de réfuter la présomption légale selon laquelle toute personne qui cherche à entrer au Canada est présumée être un immigrant. La demanderesse devait convaincre l’agent qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé (Danioko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 479 au para 15; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] ACF No 1144, 2001 CFPI 791 au para 35).
[30]
Comme la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait, il était justifié que l’agent ne lui délivre pas un visa de visiteur.
[31]
En ce sens, dans l’arrêt Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 793, la Cour fédérale, sous la plume de la juge Cecily Y. Strickland, a spécifié au para 12 :
Il est de plus bien établi que l’agent doit pondérer l’importance de l’intérêt économique et des liens familiaux qu’un demandeur a au Canada et dans son pays d’origine. Le poids à attribuer à ces facteurs est à la discrétion de l’agent et il ne constitue pas un fondement pour un contrôle judiciaire (Wang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1298, aux paragraphes 9 et 10; Chhetri c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872 [Chhetri]). [La Cour souligne.]
[32]
Après avoir considéré l’ensemble de la preuve présentée devant lui, l’agent a noté que la demanderesse était auparavant une résidente permanente du Canada, qu’elle a un fils qui réside au Canada et donc qu’il serait moins propice pour elle de retourner en Irak.
[33]
De plus, bien que l’agent n’était pas dans l’obligation de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre d’une demande de résidence temporaire, il a tout de même abordé la situation familiale de la demanderesse au Canada, plus particulièrement en notant que l’objet de son séjour était de visiter son enfant et d’entreprendre des recours légaux pour obtenir la garde de son fils. Aussi, l’agent a noté que des formulaires de procuration seraient signés et respectés par la demanderesse (Farhat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1275 au para 36; Afridi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 193 au para 21).
[34]
La décision de l’agent appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, ci-dessus, au para 47).
VIII.
Conclusion
[35]
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.
« Michel M.J. Shore »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3-17
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INTITULÉ :
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SHIREEN SHUBBAR FAKHRI ADHARI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 7 septembre 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE SHORE
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DATE DES MOTIFS :
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LE 25 SEPTEMBRE 2017
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COMPARUTIONS :
Sabine Venturelli
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Pour la partie demanderesse
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Pavol Janura
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Pour la partie défenderesse
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sabine Venturelli, avocate
Montréal (Québec)
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Pour la partie demanderesse
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour la partie défenderesse
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