Date : 20170908
Dossier : IMM-1040-17
Référence : 2017 CF 812
Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2017
En présence de monsieur le juge Locke
ENTRE : |
CARMEN GRISELDA CUBAS LOPEZ ELMER EDGARDO LOPEZ SOLIZ KEVIN JOSUE LOPEZ CUBAS GRACE CAROLINA LOPEZ CUBAS DANIEL ALEJANDRO LOPEZ CUBAS |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Nature de l’affaire
[1] Il s’agit d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], d’une décision rendue le 8 février 2017 par la Section de la protection des réfugiés (SPR ou tribunal) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés aux termes des articles 96 et 97(1) de la LIPR. Les motifs de persécution établis par la LIPR n’ont pas été satisfaits.
[2] Pour les raisons qui suivent, je suis de l’avis que la présente demande doit être rejetée.
II. Faits
[3] Le demandeur principal, monsieur Elmer Edgardo Lopez Soliz, son épouse madame Carmen Griselda Cubas Lopez (collectivement nommés « les demandeurs »), et leurs trois enfants Kevin Josue Lopez Cubas, Grace Caroline Lopez Cubas et Daniel Alejandro Lopez Cubas sont citoyens honduriens.
[4] Le demandeur principal est membre de l’église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours (Église Mormone) depuis 1991. Il occupe un poste important au sein de l’église et est aussi chargé des finances de celle-ci. Son travail au sein de l’église implique des interventions auprès de jeunes délinquants dans certains quartiers dangereux.
[5] En début 2016, le demandeur principal conseillait la conjointe d’un des leaders de l’organisation criminelle Mara 18, Alejandro Flores, surnommé « El Zarco ». Celle-ci était enceinte et fortement battue par El Zarco. Le 8 septembre 2016, elle appelle le demandeur principal pour l’informer qu’elle quitte El Zarco, tel qu’il lui avait conseillé.
[6] Le 10 septembre 2016, le demandeur principal reçoit un appel d’El Zarco lui reprochant le départ de sa conjointe et exigeant une forte rançon. Le demandeur principal n’informe pas son épouse de cet appel, mais en parle à son supérieur. Aussi, il change l’itinéraire du chemin qu’il emprunte quotidiennement pour se rendre au travail.
[7] Le 18 septembre 2016, l’épouse du demandeur principal reçoit un appel téléphonique à la maison insistant sur la rançon dans les plus brefs délais. De plus, on l’informe que l’on connaissait les allées et venues des membres de sa famille.
[8] Le 19 septembre 2016, le demandeur principal dépose une plainte auprès de la police locale qui refuse de l’accepter. La journée même, le demandeur principal et sa famille abandonnent leur maison pour se cacher chez un ami. Le lendemain, le demandeur principal reçoit un autre appel téléphonique d’El Zarco l’informant que le délai pour la rançon était expiré. El Zarco menace de le retrouver et de l’assassiner ainsi que sa famille.
[9] Les demandeurs quittent le pays le 11 octobre 2016. Ils arrivent au Canada le 13 octobre 2016, via les États-Unis, et y déposent une demande d’asile.
[10] Un dernier détail pertinent est le fait que le fils majeur des demandeurs est actuellement en mission religieuse aux États-Unis. Il détient un visa temporaire de deux ans et n’est pas impliqué dans la demande d’asile au Canada. Les demandeurs ne l’ont pas informé des menaces qui se sont produites et ne l’ont pas encouragé d’initier sa propre demande d’asile.
III. Décision
[11] La SPR a rejeté la demande d’asile au motif de l’absence de crédibilité des demandeurs. La SPR a cité plusieurs incompatibilités et contradictions dans la preuve :
- Le demandeur principal n’a pas avisé son épouse de l’appel initial d’El Zarco, malgré qu’il connaissait que ce dernier était un des leaders de la Mara 18, qu’il était dangereux et très connu dans la région, et que la Mara 18 est très organisée et violente et met à exécution ses menaces;
- Le demandeur principal a indiqué qu’après l’appel initial d’El Zarco, il était satisfait qu’un changement d’itinéraire suffisait parce qu’il pensait que ce dernier ne pouvait pas l’identifier, malgré qu’El Zarco connaissait déjà son nom et numéro de téléphone;
- Les demandeurs n’ont pas avisé leur fils majeur aux États-Unis des menaces auxquelles ils faisaient face au Honduras puisqu’il était loin du risque, et puisqu’il était en mission religieuse qui ne pouvait pas être interrompue par une demande d’asile; la SPR ne voyait aucune raison de ne pas aviser le fils majeur aux États-Unis; la SPR n’était pas satisfaite qu’une demande d’asile l’aurait forcé à interrompre sa mission religieuse;
- Le demandeur principal a omis de mentionner avant son témoignage que l’église pour laquelle il exerçait ses fonctions a dû fermer ses portes suite aux problèmes avec la Mara 18;
- Le demandeur principal a témoigné que la police a refusé de traiter sa plainte sous prétexte que ce genre de dénonciation basée sur les menaces provenant de numéros inconnus est très difficile à enquêter, et ce malgré que le demandeur principal pouvait identifier son agresseur, et que la preuve documentaire indique que la police hondurienne a un processus formel de traitement de plaintes;
- Ni les demandeurs ni la SPR n’ont pu obtenir aucun renseignement au sujet d’un leader principal de la Mara 18 du nom d’El Zarco, malgré sa notoriété alléguée.
[12] La SPR a conclu que chacun de ces problèmes de crédibilité, pris individuellement, était insuffisant pour rejeter une demande d’asile, mais leur multitude et constance a conduit la SPR à rejeter l’histoire des demandeurs.
IV. Analyse
[13] Les demandeurs soumettent que la SPR a erré dans son analyse de :
- L’omission par le demandeur principal d’avoir avisé son épouse de l’appel initial d’El Zarco;
- Le changement d’itinéraire du demandeur principal après l’appel initial d’El Zarco;
- L’omission d’avoir avisé le fils majeur aux États-Unis des menaces au Honduras;
- L’allégation que la police n’a pas pris la dénonciation déposée par les demandeurs.
[14] Les demandeurs soumettent aussi que la SPR a erré dans sa conclusion selon laquelle les documents soumis en preuve ne sont corroborés que par le témoignage des demandeurs.
A. La norme de contrôle
[15] Il n’y a aucun débat entre les parties, à savoir que la norme de contrôle concernant les conclusions de la SPR est celle de la décision raisonnable.
B. L’omission par le demandeur principal d’avoir avisé son épouse de l’appel initial d’El Zarco
[16] Le demandeur principal explique qu’il exerçait ses fonctions au Honduras pendant longtemps dans un quartier avec beaucoup de criminalité et qu’il aidait des gens dangereux. Son emploi nécessitait une certaine tolérance pour les menaces. Il argumente qu’il ne devrait pas être surprenant qu’il n’ait pas avisé son épouse de la menace initiale d’El Zarco parce qu’il ne voulait pas que ses soucis du bureau affectent sa vie familiale et privée. Le demandeur principal soumet que le tribunal aurait dû considérer sa version des faits.
[17] Le tribunal a conclu que l’explication du demandeur principal selon laquelle il ne pensait pas que la situation était dangereuse n’était pas logique parce qu’il savait qu’El Zarco était un des leaders de la Mara 18, qu’il était très connu et que la Mara 18 était très organisée et violente et qu’elle mettait à exécution ses menaces.
[18] À mon avis la conclusion du tribunal à cet égard est raisonnable. Le tribunal avait droit de peser la preuve, et il semble assez clair que le tribunal comprenait que le milieu où le demandeur principal exerçait ses fonctions était dangereux.
C. Le changement d’itinéraire du demandeur principal après l’appel initial d’El Zarco
[19] Le demandeur principal explique que, malgré que l’appel initial indiquait qu’El Zarco connaissait son nom et numéro de téléphone, cela ne voulait pas dire nécessairement que la Mara 18 l’avait identifié. Le tribunal n’avait pas assez de preuve pour arriver à cette conclusion. Donc, le changement d’itinéraire du demandeur principal était une réaction raisonnable après l’appel téléphonique initial.
[20] Encore une fois, je suis de l’avis que l’analyse du tribunal est raisonnable. Selon l’énoncé des faits du demandeur principal, El Zarco a indiqué pendant l’appel initial qu’il savait aussi que le demandeur principal était chargé des finances de l’église. Donc, il est clair que les connaissances d’El Zarco ne se limitaient pas au nom et numéro de téléphone du demandeur principal.
D. L’omission d’avoir avisé le fils majeur aux États-Unis des menaces au Honduras
[21] Le demandeur principal explique que son fils aux États-Unis avait un visa et ne risquait pas de retourner au Honduras de façon imminente, et donc les demandeurs ne l’ont pas avisé de leur départ du Honduras. Le demandeur principal explique aussi que leur fils majeur s’était engagé à continuer sa mission religieuse pendant deux ans, et qu’une demande d’asile aurait interrompu sa mission.
[22] Le tribunal a considéré ces propos, mais a conclu que les faits suivants indiquaient qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs avertissent leur fils majeur aux États-Unis du danger : (i) le statut du fils majeur aux États-Unis était temporaire (sans garantie d’être prolongé); (ii) l’absence de la preuve que la mission religieuse du fils majeur était incompatible avec une demande d’asile; et (iii) le grand danger pour le fils majeur au Honduras.
[23] Je suis de l’avis que cette conclusion par le tribunal est appuyée par la preuve, et raisonnable.
E. L’allégation que la police n’a pas pris la dénonciation déposée par les demandeurs
[24] Le demandeur principal a témoigné que la police ne voulait pas accepter sa plainte sous prétexte qu’il serait très difficile d’enquêter des menaces provenant d’un numéro inconnu.
[25] Le tribunal n’a pas cru le demandeur principal à cet égard parce que la preuve documentaire au dossier indique que les autorités honduriennes acceptent les plaintes.
[26] Mais les demandeurs notent que la preuve documentaire n’indique pas que toute plainte est acceptée par la police. Malgré la preuve documentaire, il demeure possible que la police devant laquelle le demandeur principal s’est présenté au Honduras ait refusé d’accepter sa plainte ou de l’enquêter.
[27] Je suis en accord avec les demandeurs à cet égard. Donc je suis de l’avis que la conclusion du tribunal selon laquelle cette partie des allégations des demandeurs manquait de crédibilité est déraisonnable.
[28] Ceci étant dit, je suis de l’avis que cette erreur n’est pas suffisante, à elle seule, de renverser la conclusion du tribunal relativement au manque de crédibilité des demandeurs de façon générale. Les plusieurs autres problèmes de crédibilité des demandeurs restent valides.
F. Preuve documentaire basée sur autre chose que le témoignage des demandeurs
[29] Les demandeurs soumettent que la conclusion du tribunal relativement au fait qu’ils se basent exclusivement sur leur propre témoignage est incorrecte, et donc déraisonnable, puisqu’ils se basent aussi sur le témoignage de leurs voisins qui ont déclaré avoir entendu eux-mêmes les menaces contre les demandeurs par des membres de la Mara 18.
[30] Je n’accepte pas cet argument. Premièrement, le tribunal a cité plusieurs problèmes de crédibilité qui ont mené le tribunal à ne pas croire les demandeurs. Aussi, il est clair que le tribunal n’a pas omis de considérer le témoignage des voisins. Il en fait référence explicitement dans la décision, indiquant que le témoignage n’était pas suffisant pour démontrer les allégations des demandeurs, ou pour rendre crédible leur témoignage.
[31] En ce qui concerne l’absence d’autre preuve de l’existence d’El Zarco, les demandeurs notent que la Mara 18 s’agit d’une organisation criminelle. Les demandeurs soumettent qu’il n’est pas surprenant qu’un de ses leaders reste anonyme. Je n’accepte non plus cet argument. Le demandeur principal a témoigné lui-même qu’El Zarco est très connu. Il a aussi témoigné qu’El Zarco est connu par la police. Selon les demandeurs, il est clair qu’El Zarco n’est pas anonyme. À mon avis, la SPR avait raison de s’attendre qu’il y aurait référence à un tel leader de la Mara 18 dans les médias ou dans les rapports des gouvernements ou organisations non gouvernementales.
V. Conclusions
[32] Malgré qu’une des conclusions contestées du tribunal soit déraisonnable, je suis de l’avis que la conclusion générale du tribunal selon laquelle les demandeurs manquent de crédibilité est raisonnable. Donc, je conclus que cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.
[33] Les parties n’ont suggéré aucune question grave de portée générale à être certifiée.
JUGEMENT au dossier IMM-1040-17
LA COUR STATUE que :
1. La demande est rejetée.
2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
« George R. Locke »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-1040-17
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INTITULÉ : |
CARMEN GRISELDA CUBAS LOPEZ, ELMER EDGARDO LOPEZ SOLIZ, KEVIN JOSUE LOPEZ CUBAS, GRACE CAROLINA LOPEZ CUBAS, DANIEL ALEJANDRO LOPEZ CUBAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 30 août 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE LOCKE
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DATE DES MOTIFS : |
LE 8 SEPTEMBRE 2017
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COMPARUTIONS :
Me Manuel Centurion
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Pour leS demandeurS
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Me Caroline Doyon
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Manuel Antonio Centurion Avocat Montréal (Québec)
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Pour leS demandeurS
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Procureur(e) général du Canada Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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