Date : 20170824
Dossier : IMM-592-17
Référence : 2017 CF 781
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 24 août 2017
En présence de monsieur le juge Manson
ENTRE :
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MANMINDER SINGH MATTU
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
Le demandeur est un citoyen de l’Inde qui demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans laquelle le commissaire a accueilli l’appel déposé par le défendeur à l’égard d’une décision de la Division de l’immigration qui était favorable au demandeur. La Section d’appel de l’immigration a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada au motif de fausses déclarations, en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), et a ordonné son renvoi du Canada.
II.
Résumé des faits
[2]
Le demandeur est un citoyen de l’Inde. Il a épousé Gurbax Kaur Mattu le 17 novembre 2005, et ils se sont séparés le 2 janvier 2008.
[3]
Après son mariage, M. Mattu a été parrainé à titre de résident permanent par Mme Gurbax, dans la catégorie du regroupement familial. Dans son formulaire de demande, M. Mattu a omis d’indiquer qu’il avait été marié précédemment à Mme Sarabjit Kaur Sandhu en 1998 en Inde, dans le but de faciliter son immigration au Canada. M. Mattu croyait qu’il n’avait pas l’obligation de divulguer le précédent mariage fictif, car le mariage n’a prétendument jamais été exécuté valablement, que ce soit dans les faits ou selon la coutume sikhe, et le mariage a été annulé par la suite.
[4]
M. Mattu a obtenu le droit d’établissement au Canada et, après seulement deux mois de vie commune avec son épouse, Mme Gurbax, il a demandé le divorce. Mme Gurbax a ensuite informé Citoyenneté et Immigration Canada que M. Mattu l’avait trompé et l’avait uniquement utilisée pour obtenir un statut au Canada.
[5]
L’Agence des services frontaliers du Canada a ensuite mené une enquête sur le statut de M. Mattu, et un rapport en application du paragraphe 44(1) de la LIPR a été rédigé à l’encontre de M. Mattu à la suite de cette enquête. Il a été jugé que M. Mattu avait présenté une fausse déclaration sur un fait important dans son formulaire de demande, à savoir, qu’il avait déjà contracté un mariage fictif à des fins d’immigration.
[6]
La Section de l’immigration est arrivée à la conclusion que le mariage n’était pas valide et que, par conséquent, M. Mattu n’avait pas l’obligation de divulguer le mariage fictif et qu’il n’y avait donc pas eu aucune fausse déclaration.
[7]
En appel, la Section d’appel de l’immigration a conclu que M. Mattu avait l’obligation de divulguer le mariage fictif dans sa demande de résidence permanente présentée au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait, que son omission avait mis un terme à la série de questions de l’agent d’immigration et que, dans les faits, le mariage fictif ou faux constituait un mariage valide.
[8]
La fausse cérémonie alléguée a eu lieu dans un temple sikh à une certaine distance du village du couple et était présidée par une personne qui semblait être un prêtre sikh. Puisque le mariage était censé être un simulacre, le couple n’a prétendument participé à aucun rituel ni à aucune cérémonie en bonne et due forme avant la cérémonie du mariage.
[9]
Puisque la cérémonie était un simulacre, le prêtre n’aurait prétendument pas lu l’ensemble des quatre lavans, et le couple n’aurait pas non plus marché quatre fois autour du livre saint sikh, deux des exigences pour un mariage sikh valide. Le prêtre sikh qui a célébré la cérémonie savait apparemment que celle-ci était fausse.
[10]
À leur retour au village, le grand-père du demandeur s’est mis en colère lorsqu’il a appris que la cérémonie avait eu lieu, car, selon la coutume du village, les habitants d’un même village sont considérés comme des frères et sœurs, et, par conséquent, un mariage entre eux est interdit. Même si le mariage était un simulacre, pour apaiser prétendument les villageois, et annoncer et officialiser qu’ils n’étaient pas réellement mariés, le demandeur et Mme Sandhu ont signé un acte d’annulation, qui a été notarié le jour suivant la cérémonie, en date du 8 avril 1998.
III.
Questions en litige
[11]
Les questions en litige sont les suivantes :
- La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en écartant un témoignage d’expert et en tirant la conclusion que la cérémonie de mariage de 1998 avait donné lieu à un mariage valide en droit?
- La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en concluant que M. Mattu n’était pas crédible et qu’il était tenu par une obligation de franchise de déclarer l’existence du précédent mariage fictif dans sa demande de résidence permanente présentée au titre de la catégorie des époux?
- La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier l’octroi d’une dispense spéciale?
IV.
Norme de contrôle
[12]
La norme de contrôle concernant les conclusions mixtes de faits et de droit de la Section d’appel de l’immigration est la norme de la décision raisonnable.
V.
Discussion
[13]
Les questions dont la Cour est saisie sont centrées sur la décision de la Section d’appel de l’immigration, qui a conclu que le mariage « fictif »
de 1998 était en fait valide. Ce faisant, la Section d’appel de l’immigration a écarté ou mal apprécié le témoignage d’expert d’un avocat, Sumeet Lall, et a rejeté de manière déraisonnable le témoignage du demandeur et du témoin P.S., la seule autre personne présente à la cérémonie autre que le demandeur, qui a également témoigné à l’audience.
[14]
Le demandeur soutient qu’il existe deux motifs pour lesquels le mariage fictif n’a jamais été valide : 1) la cérémonie n’a jamais été achevée conformément à la loi sikhe; 2) le demandeur et Mme Sandhu étaient membres du même village, et la coutume du village était telle que le demandeur et Mme Sandhu devaient être traités comme frère et sœur; par conséquent, le mariage était nul ab initio, ou nul et non avenu.
[15]
Même s’il est fait mention d’un enregistrement du mariage sur DVD, les parties ont convenu à l’audience qu’il ne faudrait lui accorder aucun poids, car le commissaire de la Section d’appel de l’immigration a estimé de manière raisonnable que le DVD avait fait l’objet d’un montage et ne pouvait constituer un élément de preuve crédible.
[16]
Qui plus est, même si de brèves observations ont été présentées à propos de considérations d’ordre humanitaire, l’avocat du demandeur a également reconnu que la question essentielle soumise à la Cour reposait sur la question de savoir si le premier mariage fictif était valide ou non. L’avocate du défendeur était du même avis. Quoi qu’il en soit, je conviens avec le défendeur que la décision de la Section d’appel de l’immigration portant sur les considérations d’ordre humanitaire est raisonnable.
[17]
Selon le défendeur, étant donné que l’enregistrement sur DVD constituait le fondement factuel sur lequel repose l’argument du demandeur selon lequel le mariage fictif était invalide, et qu’il n’est absolument pas digne de foi, le seul autre fondement valable pour conclure que le mariage fictif était invalide repose sur la coutume du village.
[18]
De plus, l’expert pour le compte du demandeur, M. Lall, a admis qu’il n’avait pas vérifié la coutume du village du demandeur, qu’il n’était pas un spécialiste en mariage et qu’il n’exerçait même pas le droit pendant la période pertinente. Il a été reconnu que les coutumes d’un village varient d’un village à l’autre.
[19]
En revanche, le défendeur signale ce qui suit :
- l’instance porte sur de fausses déclarations – le demandeur a payé plus de quarante personnes pour qu’elles assistent à un faux mariage à des fins d’immigration au Canada;
- le témoignage du prêtre appuie l’opinion selon laquelle les prêtres refuseraient, en général, de célébrer des mariages faux ou fictifs;
- le fait qu’il y a eu une annulation prouve qu’un mariage valide l’a précédée, sinon il n’y aurait eu aucune raison pour qu’un divorce soit nécessaire;
- on a accordé de façon raisonnable peu de poids au témoignage du témoin P.S., puisqu’il a été présenté 18 ans après la célébration du mariage fictif;
- il y avait une incohérence entre le témoignage de P.S. et le témoignage du demandeur sur le nombre de tours exécutés par le demandeur autour du livre saint sikh pendant la cérémonie (2 tours et demi et 3 trois tours);
- Les témoignages du demandeur et de sa première épouse présumée étaient parfois vagues et contenaient des incohérences inexpliquées qui ont diminué la crédibilité et la fiabilité de leurs témoignages, par exemple :
- Mme Gurbax a-t-elle été informée du mariage précédent de M. Mattu à Mme Sandhu lors de leur première rencontre?
- Mme Gurbax a-t-elle donné son âge réel à M. Mattu lors de leur première rencontre?
- Quelles sont les raisons qui ont incité M. Mattu à quitter le domicile conjugal après deux mois seulement?
- Mme Gurbax a-t-elle exercé des pressions sur M. Mattu pour qu’il vende son terrain en Inde et M. Mattu était-il réellement propriétaire d’un terrain en Inde?
- Mme Gurbax a-t-elle proféré des menaces de suicide?
- M. Mattu a-t-il tenté de se réconcilier avec Mme Gurbax?
- Mme Gurbax a-t-elle limité les déplacements de M. Mattu et sa capacité de rendre visite à ses proches au Canada?
- Mme Gurbax a-t-elle refusé à M. Mattu la permission de travailler au Canada?
[20]
En conséquence, le défendeur soutient que les éléments de preuve dont disposait la Section d’appel de l’immigration justifient sa conclusion selon laquelle la cérémonie de mariage de 1998 a donné lieu à un mariage valide en droit et que, par conséquent, le demandeur avait l’obligation de divulguer son mariage précédent dans sa demande de résidence permanente. En omettant de le faire, il a fait une fausse déclaration importante.
[21]
Nonobstant les arguments convaincants du défendeur, plusieurs faits importants contredisent une conclusion raisonnable selon laquelle le premier mariage fictif était valide :
a) Le témoin des faits P.S., qui était le seul témoin à avoir présenté un témoignage et qui était également présent à la première cérémonie de mariage, a confirmé qu’il s’agissait d’un mariage fictif, que les invités avaient été payés pour y être, et qu’un homme non identifié avait exécuté le rituel palla, qui est traditionnellement célébré par le père de la mariée. Même si le demandeur et lui ne s’entendaient pas sur le nombre de tours (deux et demi ou trois) exécutés autour du livre saint sikh, la cérémonie était néanmoins invalide. Le simple fait qu’il se soit écoulé 18 ans ne constitue pas en soi un motif pour remettre en question la crédibilité du témoin.
b) Plus important encore, même si le défendeur conteste le témoignage de M. Lall, M. Lall a expliqué le contexte juridique concernant le droit étranger et le statut juridique de la cérémonie de mariage fictif et de l’acte de divorce subséquent. Le commissaire semble avoir complètement écarté son témoignage, sans motif ou sans raison apparente de le faire.
[22]
Le droit étranger est une question de fait et il doit être établi au moyen d’une preuve d’experts (Xiao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 195, aux paragraphes 24, 25, 28 et 29). Même si le commissaire avait peut-être des doutes concernant l’expertise de M. Lall, il a omis de présenter des motifs valables justifiant ses doutes quant à son expertise.
[23]
De plus, M. Lall a déclaré que selon le droit indien, si la coutume dans leur village dispose que le demandeur et Mme Sandhu doivent être traités comme frère et sœur, cela [traduction] « l’emporte sur toute autre loi et rend le mariage «nul et non avenu » »
. Il n’y a aucune mention de ce témoignage dans la décision du commissaire. De plus, la confirmation que ce mariage représentait bien un problème dans le village du demandeur est expressément indiquée dans l’acte de divorce qui, dans un extrait, énonce ce qui suit :
[traduction] [...] Attendu qu’un mariage entre les deux parties a été célébré aujourd’hui et qu’à l’arrivée des parties dans leur village, toute la confrérie du village de Khurshaidpur, Tehsil Nakodar, district de Jalandhar, a pris la chose très au sérieux et que tous les gens du village étaient d’avis qu’un garçon et une fille du même village ne peuvent se marier, car les garçons et les filles d’un même village doivent être traités comme frères et sœurs. C’est la raison pour laquelle la confrérie du village n’a pas reconnu ce mariage.
[24]
D’après ce document seul, il semble déraisonnable de conclure que la coutume du village du demandeur n’empêchait pas un mariage valide entre le demandeur et Mme Sandhu, ou que l’annulation du mariage devrait entraîner la présomption d’un mariage valide en l’espèce.
[25]
Même s’il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions de la Section d’appel de l’immigration en matière de crédibilité, notamment lorsque le tribunal a eu l’occasion d’entendre et d’observer le témoignage du demandeur, en l’espèce, le défaut du commissaire de présenter les motifs de sa conclusion sur la crédibilité en termes clairs et explicites équivaut également à une erreur susceptible de révision.
[26]
La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228, a conclu qu’un tribunal a l’obligation de fournir des motifs pour ses conclusions sur la crédibilité. Dans cette affaire, la Cour a conclu que l’évaluation de la crédibilité effectuée par le tribunal était défaillante, parce qu’on n’y présentait pas les motifs concrets de la conclusion selon laquelle le témoignage de l’appelant n’était pas crédible :
Selon moi, la Commission se trouvait dans l’obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité de l’appelant. L’évaluation (précitée) que la Commission a faite au sujet de la crédibilité de l’appelant est lacunaire parce qu’elle est exposée en termes vagues et généraux. La Commission a conclu que le témoignage de l’appelant était insuffisamment détaillé et parfois incohérent. Il aurait certainement fallu commenter de façon plus explicite l’insuffisance de détails et les incohérences relevées. De la même façon, il aurait fallu fournir des détails sur l’incapacité de l’appelant à répondre aux questions qui lui avaient été posées.
[Non souligné dans l’original.]
[27]
J’estime que la décision du commissaire était déraisonnable et devrait être renvoyée à la Section d’appel pour un nouvel examen.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-592-17
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen.
Aucune question aux fins de certification.
« Michael D. Manson »
Ce 24e jour de septembre 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-592-17
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INTITULÉ :
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MANMINDER SINGH MATTU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Vancouver (Colombie-Britannique)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 21 août 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE MANSON
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DATE DES MOTIFS :
|
Le 24 août 2017
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COMPARUTIONS :
Lorne Waldman
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Pour le demandeur
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Hilla Aharon
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
WALDMAN & ASSOCIATES
Avocats
Toronto (Ontario)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie-Britannique)
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Pour le défendeur
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