Date : 20170731
Dossier : T-1455-16
Référence : 2017 CF 745
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2017
En présence de monsieur le juge Harrington
ENTRE :
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SAAM SMIT CANADA INC.
ET SAAM SMIT VANCOUVER INC.
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demandeurs
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et
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LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PARTIES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « HANJIN VIENNA », LE NAVIRE « HANJIN VIENNA », CONTI 24 CONTI LISSABON, LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PARTIES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « HANJIN GENEVA », LE NAVIRE « HANJIN GENEVA », CONTI 15 CONTI PORTO, CONTI HOLDING GMBH & CO KG ET CHACUN DES NAVIRES QUI SONT FRÈRES L’UN DE L’AUTRE
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défendeurs
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ORDONNANCE ET MOTIFS
(sur la requête des propriétaires en vue d’obtenir un versement partiel)
[1]
Le navire Hanjin Vienna a été vendu par ordonnance de la Cour pour 6 676 000 $ US, somme de laquelle il faut déduire 157 284,47 $ US pour couvrir les frais et dépenses du prévôt. De plus, le combustible à bord a été vendu pour 939 727,66 $ US. Le montant principal des réclamations sur le produit de la vente (sans tenir compte de la réclamation des anciens propriétaires) est d’environ 3 600 000 $ US. Les anciens propriétaires ont demandé par voie de requête que leur soit versé le produit qui constitue, selon eux, un surplus et qui n’est pas requis pour garantir les réclamations alléguées par les créanciers.
[2]
Il est acquis que des fonds suffisants doivent rester sous le contrôle de la Cour pour garantir le principal, les intérêts et les coûts des demandeurs en fonction des positions les plus raisonnablement défendables; voir The Moschanthy, [1971] 1 Lloyd’s Rep 37, et Amican Navigation Inc. c. Densan Shipping Co., 1997, 137 FTR 132.
[3]
Cependant, il faut statuer sur cinq questions en litige :
a) Le produit de la vente du combustible de soute et des autres combustibles doit-il être pris en compte dans l’établissement du surplus?
b) Quelles sont les meilleures indemnisations raisonnablement possibles concernant les sommes réclamées en principal?
c) Quelles sont les meilleures indemnisations raisonnablement possibles concernant l’adjudication d’intérêts?
d) Quelles sont les meilleures indemnisations raisonnablement possibles concernant l’adjudication des dépens?
e) Que faire de la réclamation des propriétaires de 2 068 643,80 $ US à l’égard du produit de la vente de leur propre navire et du combustible de soute?
I.
Le combustible de soute
[4]
Au moment où le Hanjin Vienna a été saisi, il est probable que le combustible de soute et les autres combustibles à bord appartenaient à l’affréteur à temps Hanjin Shipping Co. Ltd., lequel a fait faillite en Corée du Sud. Même sans paiement, l’affrètement s’est poursuivi pendant des mois. Selon le cours normal des activités et les termes de la charte-partie, les propriétaires ont repris le combustible de soute lors de la remise à disposition, qui aurait eu lieu fin novembre 2016. Par conséquent, quelle que soit la situation précédente, le combustible de soute et les autres combustibles appartenaient normalement aux armateurs propriétaires au moment de la vente par le prévôt. De plus, les armateurs prétendent qu’en définitive, pour ainsi dire, ce sont eux qui ont acheté et payé la plus grande partie du combustible de soute et des autres combustibles à bord.
[5]
Se pose alors la question suivante : le combustible de soute peut-il en fait être vendu alors que le navire et les équipements connexes sont sous séquestre (voir la décision Ballantrae Holdings Inc. c. Phoenix Sun (Navire), 2016 CF 570 aux paragraphes 25 et suivants)?
[6]
Dans tous les cas, le dossier est bien trop nébuleux pour établir définitivement la personne propriétaire du combustible de soute à tous les moments pertinents.
[7]
Toux ceux qui font valoir une réclamation de nature réelle sur le navire Hanjin Vienna ont certainement des réclamations de nature personnelle à l’égard de Hanjin Shipping Co. Ltd. La question en litige sur le fond sera de savoir s’ils ont des privilèges maritimes, des privilèges d’origine législative ou s’ils ont intenté des actions réelles à l’égard du Hanjin Vienna. Les anciens propriétaires du navire contestent la validité de toutes ces réclamations. S’ils ont gain de cause, il sera certainement possible de soutenir que le combustible de soute ou les autres combustibles appartenaient à Hanjin Shipping Co. Ltd. et constituent un fond distinct dont les créanciers pourraient disposer. Par conséquent, je n’examinerai pour l’instant que le produit de la vente du navire.
II.
Les sommes réclamées en principal
[8]
Même si les anciens propriétaires du Hanjin Vienna espèrent en définitive faire rejeter toutes les réclamations des créanciers présumés, j’accepte pour le moment que les demandeurs ont des arguments raisonnablement défendables sur le fond. Tout ce que j’ai fait, c’est tenir compte des frais administratifs de l’un d’entre eux, World Fuel Services Inc., dans le calcul des intérêts.
III.
Intérêts
[9]
Pour la Cour, les intérêts en matière d’amirauté dépendent des dommages et sont laissés à l’appréciation de la Cour (voir la décision Phoenix Sun, précitée, paragraphes 147 et suivants, et les décisions qui y sont citées). La Cour pourrait décider de ne pas appliquer le taux convenu par les parties signataires du contrat. Dans les cas où les réclamations dépassent le produit de la vente, la Cour pourrait ne pas adjuger d’intérêts avant la vente du navire, même si les réclamations sur le navire découlent d’un privilège maritime, et adjuger uniquement les intérêts gagnés par le produit de la vente.
[10]
Il est courant de majorer le montant du principal de 30 % pour couvrir les intérêts et les frais. Lorsque le taux d’intérêt commercial était beaucoup plus élevé, la majoration était habituellement de 50 %. J’accepte la position de feu le protonotaire Hargrave qui a rendu la décision Bank of Scotland c. Nel (Navire), (1998) 144 FTR 47, paragraphe 20, selon laquelle la règle empirique peut convenir par hasard, mais qu’il vaudrait mieux fixer le montant de la garantie en tenant compte du moment et des circonstances de chaque cas.
[11]
Il se pourrait bien qu’une majoration de 30 % soit insuffisante pour les petites réclamations, mais soit excessive pour les réclamations plus importantes. Néanmoins, même si je dois examiner superficiellement les réclamations une à une, il faut garder à l’esprit que la garantie demeure un gage commun des créanciers présumés. Par conséquent, j’ai commencé mon analyse en utilisant une majoration de 30 %.
[12]
Seulement deux des demandeurs ont fait des réclamations en dollars américains, soit World Fuel Services Inc. et Ali El-Husseini. Les autres ont tous fourni des services au Canada et ont facturé Hanjin en dollars canadiens. La Cour doit rendre un jugement en devise canadienne. Cependant, comme le produit de la vente est détenu en devise américaine, j’ai converti les réclamations en devise canadienne au taux de 0,79, soit le taux de change actuel approximatif. Il convient de mentionner que le dollar canadien a gagné environ 2,5 % sur le dollar américain depuis que la vente a été approuvée en février cette année.
[13]
Quatre créanciers réclament un taux d’intérêt annuel contractuel, soit World Fuel Services Inc. (24 %), les entreprises Saam Smit (26,85 %), DP World Prince Rupert Inc. (19,56 %) et Canadien National (12 %). Ces taux doivent être comparés au taux directeur actuel de la Banque du Canada, qui est de 2,95 %, et du taux de 5 % prévu par la Loi sur l’intérêt.
[14]
Ces créanciers font également valoir que trois années s’écouleront avant l’issue définitive de cette affaire. C’est pourrait être le cas, mais je dirais plutôt qu’il n’en faudra qu’une seule pour obtenir les décisions sur le fond en première instance. Par conséquent, en conformité avec l’article 37 de la Loi sur les Cours fédérales, le jugement porte intérêt au taux fixé par les lois en vigueur dans la province où le fait générateur est survenu ou, si le fait générateur n’est pas survenu dans une province ou que les faits générateurs sont survenus dans plusieurs provinces, au taux que la Cour estime raisonnable.
[15]
Dans la mesure où certains des faits générateurs ne sont survenus qu’en Colombie-Britannique, les articles 7 et 8 de la Court Order Interest Act, RSBC 1996 c.79, prévoient que le taux d’intérêt annuel simple après jugement doit correspondre au taux préférentiel appliqué par une banque au gouvernement, et ce taux est actuellement de 2,7 %. L’article 8 prévoit cependant que la Cour peut modifier ce taux.
[16]
Dans mes calculs, le taux d’intérêt après jugement est un taux simple de 5 %. Sur cette base, les intérêts réclamés par World Fuel Services Inc. sont de 34 % (24 %, plus 5 %, plus 5 %). De la même manière, les entreprises Saam Smit réclament un taux d’intérêt de 36,85 %, DP World Prince Rupert Inc., de 19,56 % et le Canadien National, de 22 %.
[17]
Les trois colonnes suivantes présentent le résultat de mes calculs en dollars américains :
[blank/en blanc]
|
Principal
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Principal + 30 %
|
Principal + 30 % ou taux contractuel
|
---|---|---|---|
World Fuel Services Inc.
|
788 694,29
|
1 025 302,58
|
1 056 850,35
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Ali El-Husseini
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29 868,04
|
38 828,45
|
38 828,45
|
Pacific Pilotage Authority
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27 303,25
|
35 494,23
|
35 494,23
|
Entreprises Saam Smit
|
128 957,94
|
167 645,32
|
176 478,94
|
DP World Prince Rupert Inc.
|
779 443,76
|
1 013 276,89
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1 009 874,34
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Canadien National
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1 712 025,07
|
2 225 632,59
|
2 088 670,59
|
Administration portuaire de Prince Rupert
|
120 482,49
|
156 627,24
|
156 627,24
|
Total
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3 586 774,84
|
4 662 807,30
|
4 562 824,14
|
[18]
Calculée de la sorte, la réclamation du Canadien National chute de plus de 135 000 $ et l’ensemble des réclamations, d’environ 100 000 $.
[19]
Si Hanjin Shipping Co. Ltd. avait fait faillite au Canada, les réclamations pour intérêts à venir ne seraient pas recevables. Le surplus éventuel des actifs sur le passif doit être versé aux créanciers après avoir appliqué un taux annuel de 5 % (article 143 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité).
[20]
Même si je doute fort que la Cour adjuge ces taux d’intérêt irréalistes qui, à cette étape des procédures à tout le moins, semblent n’avoir aucune incidence sur la juste réparation due aux demandeurs, je ne suis pas disposé à priver ceux-ci d’un jugement. World Fuel Services Inc. fait valoir un privilège maritime. Même si la jurisprudence américaine n’est pas uniforme sur ce sujet, au moins une décision a été rendue dans laquelle le privilège permet d’appliquer le taux d’intérêt contractuel. L’échange d’affidavits concernant les lois américaines n’a pas encore eu lieu. De plus, le protonotaire Hargrave a adjugé des taux d’intérêt contractuels dans la décision Fraser Shipyard and Industrial Centre Ltd. c. Atlantis Two (The), (1999) 170 FTR 1 [Atlantis Two].
IV.
Dépens
[21]
À mon avis, une retenue équivalant aux sommes réclamées en principal majorées de 30 %, soit 4 662 807,30 $ US, offre une garantie très adéquate aux demandeurs, sans tenir compte du produit de la vente du combustible de la soute et des intérêts courus qui, au 18 juillet 2017, s’élevaient à 13 624,43 $ US.
V.
La revendication des propriétaires
[22]
Les propriétaires allèguent avoir dépensé 2 068 643,80 $ US pour l’entretien du navire pour tous les créanciers. Ces dépenses, font-ils valoir, devraient être payées en priorité. Les propriétaires ne peuvent prétendre qu’un surplus existe, en recevoir le paiement et continuer à demander leur dû sur le solde. Cette façon de procéder revient à se servir deux fois. La seule façon pour eux de recevoir un paiement sur le surplus à l’heure actuelle consiste à réduire leur revendication de priorité, dollar pour dollar. C’est à présent chose faite par écrit en ce qui a trait au navire. Ils ont le droit de maintenir le plein montant de leur revendication concernant le combustible de soute.
[23]
Par conséquent, ils ont droit au paiement de 1 855 908,23 $ US, soit 6 676 000 $ US moins 157 284,47 $ US moins 4 662 807,30 $ US).
VI.
Conversion en devise canadienne
[24]
Il était pratique pour toutes les parties concernées que le produit de la vente reste en dollars américains. Cependant, Pacific Pilotage Authority, les entreprises Saam Smit, DP World Prince Rupert Inc., le Canadien National et l’autorité portuaire de Prince Rupert souhaitent que leur garantie soit en devise canadienne. Étant donné que la Cour ne rend ses jugements qu’en devise canadienne, cette requête est raisonnable. Tout en étant conscient que le produit de la vente du navire et de celle du combustible de soute représente le gage de tous les créanciers, quelle que soit la devise de ces produits, j’ordonne que, lorsque les dépôts à terme américains arriveront à échéance, 4 662 807,30 $ US soient convertis en devise canadienne et retenus dans cette devise.
ORDONNANCE dans le dossier T-1455-16
(sur la requête des propriétaires en vue d’obtenir un versement partiel)
LA COUR ORDONNE ce qui suit :
Pour les motifs rendus, la requête de Conti 24, d’Alemania Schiffahrts-GmbH & Co. KG MS « Conti Lissabon » et des anciens propriétaires du navire Hanjin Vienna, en vue d’obtenir paiement du surplus à la suite de la vente du navire relativement aux revendications garanties des créanciers, est accueillie en partie.
Leurs avocats, qui détiennent les produits en fidéicommis, reçoivent l’ordre de verser aux créanciers la somme de 1 855 908,23 $ US.
Les avocats reçoivent également l’ordre de convertir 4 662 807,30 $ US en devise canadienne sur la même base.
Les dépens suivront l’issue de la cause.
« Sean Harrington »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-1455-16
|
INTITULÉ :
|
SAAM SMIT CANADA INC. ET SAAM SMIT VANCOUVER INC c. LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PARTIES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « HANJIN VIENNA », LE NAVIRE « HANJIN VIENNA », CONTI 24 CONTI LISSABON, LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PARTIES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « HANJIN GENEVA », LE NAVIRE « HANJIN GENEVA », CONTI 15 CONTI PORTO, CONTI HOLDING GMBH & CO KG ET CHACUN DES NAVIRES QUI SONT FRÈRES L’UN DE L’AUTRE
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Vancouver (Colombie-Britannique)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Les 18 et 20 juillet 2017
|
ORDONNANCE ET MOTIFS DE L’ORDONNANCE :
|
LE JUGE HARRINGTON
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 31 juillet 2017
|
COMPARUTIONS :
Jason Kostyniuk
Stephen Carey
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POUR CONTI 24, ALEMANIA SCHIFFAHRTS-GMBH & CO. KG MS “CONTI LISSABON”, LES ANCIENS PROPRIÉTAIRES DU NAVIRE « HANJIN VIENNA »
|
John Bromley
|
POUR LES DEMANDEURS ET L’AUTORITÉ PORTUAIRE DE PRINCE RUPERT
|
J. William Perrett
|
POUR ALI EL-HUSSEINI
|
Peter Swanson
|
POUR DP WORLD PRINCE RUPERT INC. ET AND PACIFIC PILOTAGE AUTHORITY
|
Richard Desgagnés
|
POUR LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA
|
Christopher Giaschi
|
POUR WORLD FUEL SERVICES INC.
|
Personne n’a comparu
|
POUR L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER-FRASER
|
Personne n’a comparu
|
pour la société en commandite GCT Canada
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Alexander Holburn Beaudin & Lang LLP
Avocats
Vancouver (Colombie-Britannique)
|
POUR CONTI 24, ALEMANIA SCHIFFAHRTS-GMBH & CO. KG MS “CONTI LISSABON”, LES ANCIENS PROPRIÉTAIRES DU NAVIRE « HANJIN VIENNA »
|
Norton Rose Fulbright
Avocats
Vancouver (Colombie-Britannique)
|
POUR LES DEMANDEURS ET L’AUTORITÉ PORTUAIRE DE PRINCE RUPERT
|
J. William Perrett Law Corporation
Avocats
Vancouver (Colombie-Britannique)
|
POUR ALI EL-HUSSEINI
|
Bernard LLP
Avocats
Vancouver (Colombie-Britannique)
|
POUR DP WORLD PRINCE RUPERT INC. ET AND PACIFIC PILOTAGE AUTHORITY
|
Brisset Bishop
Avocats
Montréal (Québec)
|
POUR LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA
|
Giaschi & Margolis
Avocats
Vancouver (Colombie-Britannique)
|
POUR WORLD FUEL SERVICES INC.
|
Gall Legge Grant & Munroe LLP
Avocats
Vancouver (Colombie-Britannique)
|
POUR L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER-FRASER
|
Owen Bird Law Corporation
Avocats
Vancouver (Colombie-Britannique)
|
pour la société en commandite GCT Canada
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