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Date : 20170814


Dossier : IMM-649-17

Référence : 2017 CF 724

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto, Ontario, le 14 août 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ROBERT ANDRZEJ ZLOTOSZ

ANNA GIEDROJE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

I.  Résumé des faits

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision (la décision ou les motifs) rendue par une agente d’immigration (l’agente) en date du 30 janvier 2017, par laquelle elle a rejeté la demande de résidence permanente des demandeurs fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (demande CH). Pour les motifs qui suivent, je rejette la présente demande.

[2]  Les demandeurs sont des citoyens de la Pologne. M. Zlotosz est arrivé au Canada le 1er décembre 2005 avec un visa de visiteur. Il dit qu’il a été incité à partir et à rester en dehors de la Pologne en raison de craintes liées à des menaces qu’il a reçues de criminels l’ayant pris pour cible pour l’extorquer. M. Zlotosz reconnaît qu’il a prolongé son séjour après l’expiration de son visa de visiteur, en travaillant dans l’industrie de la construction pendant quelque temps, sans autorisation, pour subvenir à ses besoins.

[3]  Mme Giedroje est au Canada depuis son arrivée en 2004 avec un visa de visiteur. Elle a travaillé en tant que femme de ménage indépendante, et a été sans statut pendant la majeure partie de son séjour.

[4]  Les demandeurs se sont rencontrés au Canada et sont maintenant conjoints de fait. Ils ont tous les deux cherché des façons de régulariser leur statut au Canada. M. Zlotosz a, pour une certaine période, modifié son statut en 2010, et a conservé un statut temporaire valide jusqu’en 2015. Toutefois, son permis de travail n’a pas été prolongé en raison de son incapacité à obtenir une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT). Les efforts déployés en vue d’obtenir un statut permanent dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) et celle des travailleurs de métiers spécialisés (fédéral) ont également échoué.

[5]  En mai 2016, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, demandant à être exemptés de l’obligation de présenter la demande depuis l’étranger. Cette demande a donné lieu à la décision faisant l’objet aujourd’hui du présent contrôle judiciaire.

II.  Question préliminaire

[6]  L’avocat du défendeur a fait remarquer que le défendeur approprié dans cette affaire est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, plutôt que le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, comme il est indiqué initialement. À l’audience, les demandeurs ont souscrit à cette correction, mais on a par inadvertance omis d’inscrire l’intitulé modifié. Cette erreur d’écriture est donc maintenant corrigée, conformément au paragraphe 397(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, afin d’indiquer le défendeur approprié.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[7]  Dans les motifs à l’appui de son refus, l’agente a estimé que Mme Giedroje, durant les 12 années qu’elle a passées au Canada, n’avait pas tenté de régulariser son statut.

[8]  L’agente a mentionné que même si les demandeurs [traduction] « montrent un certain degré d’établissement, subviennent à leurs besoins et ont des liens solides avec des proches et amis au Canada », leur établissement a été facilité par [traduction] « un mépris des lois canadiennes », puisqu’ils ont tous deux prolongé leur séjour après l’expiration de leur visa, et également travaillé sans autorisation pendant plusieurs années.

[9]  Pour ce qui est de la question de l’intérêt supérieur des enfants, un point sur lequel les demandeurs ont mis l’accent dans leurs arguments à l’appui du présent contrôle judiciaire, l’agente a souligné que, bien que les demandeurs n’aient pas d’enfants à eux, ils ont des liens solides avec les deux enfants de la sœur de Mme Giedroje, qui sont âgés de 18 ans (Agnieszka) et de 4 ans (Sophie). L’agente a pris en considération l’intérêt supérieur de Sophie et a conclu ce qui suit :

[traduction] Les éléments de preuve présentés montrent que Sophie fait partie d’une unité familiale composée de ses parents et de sa sœur, en plus des demandeurs. Il est généralement dans l’intérêt supérieur des enfants de rester avec leurs parents et leurs frères et sœurs et d’avoir un certain degré de stabilité. Je remarque que la demanderesse semble participer à cette stabilité pour ce qui est de Sophie. Toutefois, il n’a pas été démontré que les parents et la sœur de Sophie ne pourraient pas continuer à lui offrir un environnement adéquat si les demandeurs étaient tenus de quitter le pays. En outre, il est raisonnable de présumer qu’ils pourraient maintenir leur relation en restant en contact par différents moyens de communication. Je suis par conséquent d’avis que les demandeurs n’ont pas démontré que l’enfant serait touchée de façon considérable et préjudiciable.

[10]  Enfin, l’agente a tenu compte des conditions en Pologne, y compris le taux de chômage, qui est passé de près de 20 % à environ 10 %. L’agente a reconnu les difficultés auxquelles les demandeurs feraient face, mais a conclu qu’ils avaient une connaissance de la langue et de la culture du pays, et qu’ils avaient de la famille en Pologne. En outre, M. Zlotosz a perfectionné plusieurs compétences au Canada qui devraient l’aider à trouver du travail en Pologne.

IV.  Questions en litige et analyse

[11]  Les demandeurs soulèvent deux questions : Premièrement, ils soutiennent que l’agente a commis une erreur en appliquant le mauvais critère juridique dans son évaluation des difficultés et de l’intérêt supérieur des enfants, erreur qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte. Deuxièmement, même si le bon critère avait été appliqué, ils soutiennent que la décision était également déraisonnable compte tenu de la preuve.

[12]  Le défendeur répond que la norme applicable à l’examen des considérations d’ordre humanitaire (CH) est celle de la décision raisonnable, aussi bien pour le « critère » choisi que pour l’appréciation des faits.

[13]  L’arrêt faisant autorité en ce qui concerne les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire (demandes CH), visant à dispenser les demandeurs de la règle habituelle voulant qu’ils présentent leur demande de résidence permanente depuis l’étranger, est l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44 [Kanthasamy]. Selon l’arrêt Kanthasamy, les conclusions d’un agent d’immigration concernant une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée en application du paragraphe 25(1) de la Loi sous-entendent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et portent sur des questions mixtes de fait et de droit. Elles sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable.

[14]  Je suis d’accord avec les parties pour dire que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer concernant le choix du critère juridique fait par un agent chargé d’examiner une demande CH fait l’objet de points de vue divergents. Un courant jurisprudentiel postérieur à l’arrêt Kanthasamy montre que l’on continue d’appliquer la norme de la décision correcte : Shrestha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1370, au paragraphe 6; Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72, au paragraphe 27; Gomez Valenzuela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 603, au paragraphe 19; Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 382, aux paragraphes 23 à 35.

[15]  On a toutefois déterminé dans d’autres décisions que l’arrêt Kanthasamy appelle l’application de la norme de la décision raisonnable. Par exemple, dans la décision Roshan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1308, au paragraphe 6, le juge Bell a affirmé que « [d]ans la décision Kanthasamy, la Cour ne s’est jamais écartée de son opinion dans Dunsmuir selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique aux questions de droit liées à l’interprétation de la loi constitutive d’un tribunal ». De plus, dans la décision Tang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 107, au paragraphe 11, la juge McDonald a souligné que [traduction] « [d]’autres cas de jurisprudence de notre Cour appuient l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable lorsqu’il s’agit de savoir si le critère juridique approprié a été appliqué aux considérations d’ordre humanitaire ».

[16]  Bien qu’il y ait clairement débat au sujet de cette question, je n’ai pas à me prononcer sur la norme applicable puisque j’estime que l’agente a appliqué une approche appropriée concernant l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’elle a raisonnablement évalué les faits en se fondant sur les éléments de preuve dont elle disposait.

A.  L’agente a-t-elle appliqué le « bon critère juridique » concernant l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant?

[17]  La Cour suprême du Canada (CSC) a réitéré que les principes énoncés dans Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1970] IABD No 1 [Chirwa], régissent les questions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, lesquels doivent être lus parallèlement aux directives à l’intention des agents d’immigration. La juge Abella a affirmé au paragraphe 13 de l’arrêt Kanthasamy :

C’est la Commission d’appel de l’immigration qui, dans la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A. 351, s’est penchée la première sur la signification de l’expression « considérations d’ordre humanitaire ». La première présidente de la Commission, Janet Scott, a jugé que les considérations d’ordre humanitaire s’entendent « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi » (p. 364). Cette définition s’inspire de celle que renferme le dictionnaire à l’entrée « compassion », soit [traduction] « chagrin ou pitié provoqué par la détresse ou les malheurs d’autrui, sympathie » (Chirwa, p. 363). La Commission reconnaît que cette définition « implique un certain élément de subjectivité », mais elle dit qu’il doit aussi y avoir des éléments de preuve objectifs pour que la mesure spéciale soit accordée (Chirwa, p. 363).

[18]  Dans le cas qui nous occupe, l’agente a effectivement conclu que ni l’un ni l’autre des deux critères clés mentionnés dans l’arrêt Kanthasamy, au paragraphe 13 – à savoir i) le motif invoqué pour justifier l’octroi d’un redressement spécial, et ii) les éléments de preuve objectifs – n’était suffisant. Et comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire fondé sur les considérations d’ordre humanitaire nécessite ultimement une certaine analyse subjective. En d’autres mots, un autre agent aurait pu en venir à une autre conclusion en soupesant la preuve différemment. Certes, cette réalité ne se limite pas exclusivement aux décisions relatives aux considérations d’ordre humanitaire fondées sur l’article 25; elle s’applique aussi au pouvoir discrétionnaire exercé par la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (voir, par exemple, Canada (Citoyenneté et Immigration) c Gallardo, 2017 CF 714, et Ugwueze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 713.

[19]  Il convient de mentionner que, dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada, à la majorité, n’a pas rejeté la simple mention du critère « des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » dans une analyse des considérations d’ordre humanitaire. Quoi qu’il en soit, contrairement aux affirmations des demandeurs, dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, l’agent n’a utilisé nulle part cette phrase, et n’a pas non plus évalué l’intérêt supérieur de l’enfant selon une approche analogue aux difficultés.

[20]  Un bref examen de l’arrêt Kanthasamy concernant ce point est utile. Dans Kanthasamy, les juges ont conclu à la majorité que le concept des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » ne peut être déterminant dans l’analyse des considérations d’ordre humanitaire (Kanthasamy, aux paragraphes 31, 32 et 41; voir également Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27, aux paragraphes 26 à 28 [Nguyen]). Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada, au paragraphe 33 de l’arrêt Kanthasamy, ce que le décideur ne doit pas faire, c’est « voir dans le par. 25(1) trois adjectifs à chacun desquels s’applique un seuil élevé et appliquer la notion de “difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées” d’une manière qui restreint sa faculté d’examiner et de soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes (souligné dans l’original) » (voir également : Ordonez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 135, au paragraphe 19 [Ordonez]).

[21]  Une appréciation des difficultés peut, par conséquent, faire partie d’une évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant, même si elle ne peut pas être utilisée comme un seuil exigeant que l’on démontre que les difficultés imposées à un enfant atteignent un niveau particulier. À mon avis, une juste lecture de l’arrêt Kanthasamy et de la jurisprudence de notre Cour qui l’interprète montre que l’affirmation des demandeurs selon laquelle l’agente aurait appliqué un mauvais critère est non fondée. En effet, les difficultés qu’un enfant pourrait ou non éprouver peuvent justifier une décision favorable fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant (Kanthasamy, au paragraphe 41; Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 287, au paragraphe 26 [Liang]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125, au paragraphe 12.).

[22]  En l’espèce, l’agente a souligné que les demandeurs n’avaient pas démontré que l’enfant serait [traduction] « touchée de façon considérable et préjudiciable ». Cela n’équivaut pas à apprécier ces éléments à travers le mauvais prisme, comme on l’évoque dans l’arrêt Kanthasamy. Il est parfaitement clair que, même si les demandeurs auraient préféré que l’agente en arrive à une conclusion différente, l’approche de l’agente était justifiable compte tenu du dossier de preuve présenté. La Cour d’appel fédérale a rejeté la notion selon laquelle l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant nécessite simplement que l’agent détermine si l’intérêt supérieur de l’enfant favorise un non-renvoi, comme cela sera presque toujours le cas (voir, par exemple, Louisy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 254, au paragraphe 11 [Louisy]; Garraway c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 286, aux paragraphes 46 et 47; Nguyen, au paragraphe 7). Au contraire, la Loi énonce clairement qu’il incombe expressément au demandeur de fournir suffisamment d’éléments de preuve sur la base desquels il est possible d’exercer de manière favorable un pouvoir discrétionnaire fondé sur des motifs d’ordre humanitaire. En l’espèce, l’agente a appliqué une approche contextuelle concernant l’intérêt supérieur de l’enfant et a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni les éléments de preuve nécessaires.

[23]  Contrairement aux arguments avancés par les demandeurs, l’agente n’était pas tenue d’appliquer le critère énoncé dans la décision Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166 [Williams] : dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême avait la possibilité d’adopter le critère énoncé dans la décision Williams, ou tout autre critère particulier, mais a choisi de ne pas le faire. Il ne serait pas approprié de s’écarter maintenant des orientations fournies par la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale, puisque cela serait contraire à la doctrine du stare decisis.

[24]  Par conséquent, la Cour a toujours affirmé depuis l’arrêt Kanthasamy qu’il n’y avait aucune formule devant impérativement être utilisée pour examiner l’intérêt supérieur de l’enfant. Le cadre de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant demeure largement inchangé depuis l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, en ce sens que le critère juridique revient à se demander si l’agent a été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant (Ordonez, au paragraphe 19).

[25]  J’en viens maintenant à la question de savoir si la décision était raisonnable.

B.  La décision est-elle raisonnable en ce qui concerne les facteurs liés à l’intérêt supérieur de l’enfant et au degré d’établissement?

1)  Intérêt supérieur de l’enfant

[26]  Tout d’abord, en ce qui concerne l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant réalisée par l’agente, je commencerai en mentionnant que l’arrêt Kanthasamy a fait ressortir l’idée qu’il y aura inévitablement certaines difficultés associées à l’obligation de quitter le Canada, mais que ce facteur à lui seul ne sera généralement pas suffisant pour justifier une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.

[27]  Et dans la jurisprudence postérieure à l’arrêt Kanthasamy, notre Cour a rejeté la proposition voulant que la Cour suprême ait mis fin au principe selon lequel la dispense pour des motifs d’ordre humanitaire est une mesure extraordinaire. Comme le juge Brown l’a récemment affirmé dans la décision Nguyen, au paragraphe 29, « [c]omme l’article 25 de la LIPR n’est pas un “régime d’immigration parallèle”, il me semble que les considérations CH sont encore considérées à juste titre comme extraordinaires et, ainsi qu’il est indiqué dans Chirwa, comme une forme de “redressement spécial” ».

[28]  Les demandeurs s’appuient largement sur une décision récente de notre Cour dans Dowers c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 593 [Dowers]. Dans cette affaire, toutefois, le juge Campbell a conclu que l’agent n’avait pas donné une attention complète aux éléments de preuve présentés concernant l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’il n’avait donc pas été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt de l’enfant comme l’exige l’arrêt Kanthasamy (voir Dowers, aux paragraphes 13, 14 et 16). Comme je l’ai expliqué plus haut, dans la décision qui nous occupe, l’agente n’a pas commis cette erreur.

[29]  Les motifs de l’agente démontrent qu’elle a pris soin de tenir compte de tous les éléments de preuve mis à sa disposition, lesquels se limitaient – en ce qui a trait à l’intérêt supérieur de Sophie – à de brèves déclarations dans i) un affidavit de la mère de Sophie, ii) une lettre de la sœur aînée de Sophie, et iii) les observations d’accompagnement du représentant relativement à la demande CH. Ces trois documents expliquaient brièvement que Mme Giedroje était un membre proche de la famille et que Sophie trouverait la séparation très difficile. Toutefois, ces brèves affirmations n’étaient pas étayées par d’autres éléments de preuve – une situation similaire à celle dans la décision Louisy, au paragraphe 10.

[30]  Il est bien établi que l’intérêt supérieur de l’enfant peut être soupesé avec les conséquences d’un renvoi (Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, au paragraphe 28 [Semana]; Mack c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 98, au paragraphe 18 [Mack]). Dans le contexte des éléments de preuve limités présentés, les deux principales observations de l’agente, en l’espèce, n’étaient pas déraisonnables, soit i) que les demandeurs n’ont pas démontré que la famille immédiate de Sophie (les personnes qui s’occupent principalement d’elle) ne pourrait pas lui offrir un environnement adéquat si sa tante et son oncle étaient tenus de quitter le Canada, et ii) que rien ne prouvait que la communication ne pourrait pas être maintenue depuis l’étranger. Le simple fait que l’agente a conclu que la famille avait [traduction] « développé des liens étroits » et que les membres de la famille sont très proches ne fait pas d’un résultat positif une conclusion considérée comme acquise. Cela est particulièrement vrai lorsque les demandeurs ne sont ni les principaux responsables de l’enfant ni les soutiens financiers de cet enfant (Mack, aux paragraphes 18, 20; Louisy, au paragraphe 13).

[31]  Sans preuve justifiant l’octroi d’une dispense spéciale, les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau imposé par le paragraphe 25(1) de la Loi pour bénéficier d’un recours exceptionnel fondé sur des motifs d’ordre humanitaire. C’est à eux de s’acquitter de ce fardeau, et non l’inverse : la Loi exige que les demandeurs, sous réserve de certains programmes, présentent leur demande de résidence permanente depuis l’étranger – plutôt que de venir au Canada en tant que visiteur et de décider qu’ils souhaitent y rester de façon permanente. Il ne revient donc pas au gouvernement de démontrer la raison pour laquelle la famille doit présenter une demande d’immigration depuis l’étranger, lorsque peu d’éléments de preuve sont fournis. La conclusion de la juge Simpson dans la décision Mack, au paragraphe 20, est instructive : « L’analyse sur le meilleur intérêt des enfants est brève, mais je suis d’avis qu’elle est raisonnable dans les circonstances, considérant que le demandeur n’est pas un parent, qu’il ne demeure pas avec les fils, qu’il n’en prend pas soin à temps plein et qu’il n’est pas une source de soutien financier. ».

[32]  En somme, j’estime que l’agente a effectué une appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant raisonnable compte tenu de tous les éléments de preuve présentés, avec l’objectif de comprendre les répercussions sur l’enfant mineur si les demandeurs devaient retourner en Pologne (voir : Liang, au paragraphe 26).

2)  Établissement

[33]  Deuxièmement, en ce qui concerne le degré d’établissement, comme je l’ai fait remarquer plus tôt au sujet de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, la Cour ne peut pas simplement soupeser à nouveau ce facteur particulier afin de soutenir une issue favorable.

[34]  En l’espèce, l’agente avait le droit de tirer une conclusion défavorable du fait que les demandeurs ont été en mesure de bénéficier des avantages de vivre et de travailler au Canada en enfreignant les lois sur l’immigration pendant la majeure partie de leur séjour (Semana, au paragraphe 48; Nguyen, aux paragraphes 32 à 34; Mack, au paragraphe 14). Les demandeurs ont fait le choix de s’installer au Canada et d’y travailler sans statut – même si pendant plusieurs années, M. Zlotosz a exploré différentes voies pour régulariser son statut, et qu’il est également parvenu à obtenir un statut (de travail) temporaire pendant une certaine partie de son séjour au Canada.

[35]  Le degré d’établissement d’un demandeur – y compris le nombre d’années passées au Canada à tisser des liens professionnels et sociaux – n’est pas suffisant en soi pour justifier que le demandeur soit dispensé de l’obligation de faire la demande d’un visa d’immigrant depuis l’étranger (D’Souza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 264, au paragraphe 13). Plusieurs affaires postérieures à l’arrêt Kanthasamy ont confirmé des décisions où on a rejeté des arguments d’établissement similaires, malgré le fait que les demandeurs avaient passé de longues périodes comparables à s’établir au Canada (notamment, Mack, Semana, Nguyen et D’Souza).

[36]  Quoi qu’il en soit, il n’appartient pas aux cours de révision d’examiner à nouveau certains facteurs pour déterminer ceux auxquels il faudrait accorder plus ou moins de poids : cet exercice serait contraire aux principes de droit administratif bien établis régissant les contrôles judiciaires, qui invitent les tribunaux à s’abstenir de soupeser à nouveau la preuve dont disposait le décideur administratif.

3)  Difficultés liées au retour

[37]  En troisième lieu, l’agente avait le droit de conclure que, compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait, le taux de chômage en Pologne avait diminué de façon importante depuis l’arrivée des demandeurs au Canada en 2004 et en 2005 (il se situe maintenant à environ la moitié du taux de l’époque). Les demandeurs n’ont pas produit d’éléments de preuve montrant qu’ils seraient personnellement touchés par les taux de chômage, de sorte qu’il leur serait impossible de trouver du travail à leur retour. Par conséquent, il était également loisible à l’agente de conclure que les compétences acquises par M. Zlotosz l’aideraient à trouver un emploi en Pologne.

V.  Question certifiée

[38]  Les demandeurs ont proposé la question à certifier suivante :

Dans une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire où intervient la question de l’intérêt supérieur d’un enfant, un agent est-il tenu de préciser clairement quel est l’intérêt supérieur de l’enfant?

[39]  Je suis d’accord avec le défendeur, qui a répondu que la question proposée a déjà été tranchée par la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy, et ne satisfait donc pas aux critères établis dans l’arrêt Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9.

VI.  Conclusion

[40]  Les inférences et conclusions tirées par l’agente sont transparentes et étayées par les éléments de preuve. Il est manifeste que les demandeurs sont des gens travaillants qui souhaitent rester au Canada. Cela n’a toutefois aucune incidence sur la question de savoir si la décision de l’agente était raisonnable.

[41]  Par conséquent, la présente demande sera rejetée. Aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-649-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé de la présente demande de contrôle judiciaire est modifié, afin de retirer le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté à titre de défendeur, et de désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur.

  3. Aucune question ne sera certifiée.

  4. Aucuns dépens ne sont accordés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-649-17

INTITULÉ :

ROBERT ANDRZEJ ZLOTOSZ, ANNA GIEDROJE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 juillet 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

Le 26 juillet 2017

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS :

Le 14 août 2017

COMPARUTIONS :

Milan Tomasevic

Pour les demandeurs

Amina Riaz

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Milan Tomasevic

Avocat

Mississauga (Ontario)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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