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Date : 20161025


Dossier : T-1584-15

Référence : 2016 CF 1189

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

ABDULLA AHMAD HASSOUNA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

[1]               Il s’agit de l’une des causes types que la Cour aura à trancher au regard de trois questions constitutionnelles découlant des modifications à la révocation de la citoyenneté canadienne à la suite de l’adoption de la Loi renforçant la citoyenneté canadienne, L.C. 2014, ch. 22 : voir Monla c. Canada (Citoyenneté et Immigration), dossier de la Cour T-1570-15, décret daté du 23 février 2016, modifié le 29 mars 2016.

[2]               Le demandeur cherche à obtenir la radiation de certaines parties de trois des affidavits déposés par le défendeur au motif que les parties contestées sont fondées sur des éléments tenus pour véridiques sur la foi de renseignements et non pas sur une connaissance directe, s’appuient sur des ouï-dire, ou énoncent des conclusions juridiques.

[3]               Le défendeur conteste la requête. Le ministre soutient que la requête n’est pas recevable à ce moment-ci, mais a laissé le juge se saisir de la contestation constitutionnelle, qui doit avoir lieu pendant trois jours à Toronto à partir du 15 novembre 2016. Dans la mesure où la Cour a pris connaissance de la requête, il fait valoir qu’elle doit être rejetée, car les parties contestées des affidavits n’ont rien de répréhensible.

[4]               Je conviens avec le défendeur que la règle générale est que les requêtes telles que celle-ci devaient être laissées à l’appréciation du juge saisi de la demande, comme l’affirme la Cour d’appel fédérale dans Canadian Tire Corp c. PS Partsource Inc, 2001 CAF 8, au paragraphe 18 :

Je tiens toutefois à souligner que les plaideurs ne doivent pas prendre l’habitude de recourir systématiquement à des requêtes en radiation de la totalité ou d’une partie d’un affidavit et ce, peu importe le degré de notre Cour, surtout lorsque la question porte sur la pertinence. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles où l’existence d’un préjudice est démontrée et que la preuve est de toute évidence dénuée de pertinence que ce type de requête est justifié. Lorsqu’elle est fondée sur le ouï-dire, cette requête ne doit être présentée que lorsque le ouï-dire soulève une question controversée, lorsque le ouï-dire peut être clairement démontré ou lorsqu’on peut démontrer que le fait de laisser au juge du fond le soin de trancher la question causerait un préjudice.

[5]               Tel qu’énoncé ci-dessous, j’estime qu’aucun des paragraphes contestés n’appartient aux exceptions indiquées ci-dessus. Toutefois, après avoir entendu les observations des parties relatives à la requête, j’estime qu’afin de tenir une audience efficace, il convient que j’énonce les paragraphes que j’ai qualifiés de non répréhensibles et qui sont contestés par le demandeur, et que je laisse les autres questions à l’appréciation du juge saisi de la demande.

[6]               Je ne suis pas d’accord avec le demandeur qui allègue qu’Amélie Laporte-Lestage exprime une opinion juridique aux paragraphes 23 à 25 de son affidavit. Bien qu’elle utilise les termes « indépendance » et « impartial », elle explique dans les paragraphes contestés ce qu’elle entend par ces termes en donnant des exemples de son travail. Le poids à accorder à ces déclarations est une question qui relève du juge saisi de la demande.

[7]               Le demandeur conteste une grande partie de l’affidavit de Michelle Tremblay parce que lors de son contre-interrogatoire (pages 311 et 312 du dossier de la requête), elle indique qu’avant son entrée en fonction en avril 2015, comme directrice adjointe de la Division des cas de citoyenneté et de passeports, elle avait obtenu son information en lisant un affidavit de sa prédécesseure, Rosemary Redden et [traduction]  « discussions... qu’elle avait eues au fil des ans avec d’autres gestionnaires et collègues ». Quand on lui a demandé, elle a déclaré que ces sources d’information ne font plus partie de l’« unité de révocation » du Ministère.

[8]               Dans Smith Kline & Français Laboratories Ltd c. Novopharm Ltd, (1984), 53 NR 68 (CAF), la Cour d’appel fédérale a statué que la « connaissance directe » qu’a un déclarant doit être évaluée « en tenant compte de la réalité des circonstances entourant l’affaire » notamment du poste qu’occupe le déclarant :

Je reconnais que lorsqu’un affidavit atteste des faits « au meilleur de la connaissance » du déposant, il est légitime de se demander si cela équivaut à dire « au meilleur de ma connaissance, de mes renseignements et de mon opinion ». À mon avis, on ne doit pas chercher la réponse à cette question dans une analyse abstraite des définitions d’un dictionnaire. II faut plutôt la chercher en tenant compte de la réalité des circonstances entourant l’affaire. Cela dépend notamment de la charge exercée par le déposant, de ses titres et qualités et de la question de savoir s’il est probable qu’une personne occupant une telle charge ou possédant de tels titres ou qualités soit au courant des faits particuliers. Si cette probabilité ressort à première vue de l’affidavit, des pièces et de la demande qui les concerne, je pense que le commissaire est parfaitement en droit, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, d’accepter que la preuve est constituée de faits dont le déposant a une connaissance directe.

[9]               Les paragraphes contestés figurent aux rubriques suivantes : [traduction] Vue d’ensemble des objectifs du gouvernement pour IRCC et planification opérationnelle; Aperçu du Programme d’attribution de la citoyenneté et demandes de citoyenneté; Traitement des demandes de citoyenneté des résidents permanents en vertu de l’ancienne loi; Structure des opérations de révocation de la citoyenneté avant la modification de la Loi sur la citoyenneté; Vérification du Programme de citoyenneté en 2010; Unité des enquêtes et des révocations de citoyenneté (ERC); Restructuration 2010; et Gestion des litiges.

[10]           Mme Tremblay atteste qu’elle a une connaissance du programme de citoyenneté en vigueur, a consulté des collègues qui étaient responsables de l’examen des révocations de la citoyenneté en vertu des anciennes dispositions, et a examiné les vérifications du Programme de citoyenneté. C’est sur ces fondements que la « connaissance » des questions qu’elle atteste avoir est issue, sauf la connaissance qu’elle déclare tenir d’éléments tenus pour véridiques sur la foi de renseignements. Les seules parties de son affidavit qu’elle dit tenir d’éléments tenus pour véridiques sur la foi de renseignements sont énoncées au paragraphe 22 de son affidavit :

[traduction] Ma connaissance des opérations de révocation de la citoyenneté avant mon arrivée à la Division des cas de citoyenneté et de passeports repose sur des éléments tenus pour véridiques sur la foi de renseignements puisque je n’étais pas directement impliquée dans les questions de citoyenneté avant août 2013. [soulignement ajouté]

[11]           À mon avis, il est possible que des parties des paragraphes 27, 30 à 37 et 38 à 44 fournissent de l’information concernant les « opérations de révocation de la citoyenneté » du Ministère avant août 2013 et il se peut donc, comme le reconnaît l’auteure de l’affidavit, que ses déclarations ne soient pas issues de ses propres connaissances. Toutefois, je conviens avec le défendeur que la question de savoir si ces paragraphes doivent être examinés dépendra de l’utilisation qui en est faite, c’est-à-dire si le défendeur les inclut dans son mémoire, mémoire qui n’a pas encore été déposé. C’est une question qu’il vaut mieux laisser à l’appréciation du juge saisi de la demande. En revanche, les autres paragraphes contestés par le demandeur (paragraphes 5 à 26, 28 et 29, 45 à 64 et 70), à mon avis, constituent des énoncés issus de ses connaissances en tant qu’employé du défendeur ayant de l’ancienneté et ne peut pas être radiée.

[12]           Teny Dikranian est directrice de la Direction de la législation sur la citoyenneté et de la politique de programme depuis le 19 février 2015. De mars 2014 à cette date, elle était directrice adjointe de cette même Direction. Elle est au ministère du défendeur depuis 2005.

[13]           On lui a demandé si elle avait une connaissance directe de tout ce qui s’est passé avant 2014. Elle a expliqué que même si elle n’a pas été impliquée dans les affaires de révocation avant 2014, elle a une [traduction] « connaissance » de ce qui s’est passé parce qu’elle est « au courant de ce qui se passait avant mon arrivée » (pages 385 et 386 du dossier de la requête). Son affidavit aborde diverses questions sous les rubriques suivantes : [traduction] Histoire de la législation sur la révocation de la citoyenneté au Canada; Priorisation de l’octroi de la citoyenneté; Critères justes et objectifs d’obtention de la citoyenneté; La citoyenneté canadienne procure plusieurs avantages; Intégrité de programme améliorée par les réformes législatives et les pratiques ministérielles; Détection de la fraude dans le Programme de citoyenneté; Voie de la réforme législative; 2012-2103; Le Parlement a adopté la Loi renforçant la citoyenneté canadienne; Dispositions transitoires; L’équité procédurale est partie intégrante du processus administratif; et Le gouvernement doit poursuivre son objectif d’intégrité des programmes en temps opportun.

[14]           Compte tenu de la nature de son poste, ce n’est pas étonnant qu’elle ait une « connaissance » de la législation actuelle et ancienne et des processus législatifs qui ont été entrepris. On peut aussi s’attendre à ce qu’elle sache pourquoi, selon le Ministère, des changements étaient nécessaires et quelles modifications ont été apportées. Le seul paragraphe problématique, à mon avis, est le paragraphe 32 où elle fait référence, en se fondant sur des éléments tenus pour véridiques sur la foi de renseignements, que [traduction] « des problèmes de tenue des dossiers ont été cernés au cours des années » de même que d’autres problèmes au sein d’IRCC. Il vaut mieux laisser à l’appréciation du juge saisi de la demande la question de savoir si ce paragraphe doit être radié; cependant, les autres paragraphes contestés (3 à 18, 23 à 31, 33 à 47 et 56 et 57) n’ont rien de répréhensible puisqu’ils énoncent des éléments qui font partie de la connaissance de cette déclarante, compte tenu de la nature de son poste au ministère du défendeur.

 


ORDONNANCE

La Cour ordonne que la présente requête en radiation de parties des affidavits d’Amélie Laporte-Lestage, de Michelle Tremblay et de Teny Dikranian soit rejetée, conformément aux présents motifs.

« Russel W. Zinn »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1584-15

 

INTITULÉ :

ABDULLA AHMAD HASSOUNA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 octobre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 octobre 2016

 

COMPARUTIONS :

Warda Shazadi

Pour le demandeur

 

Mary Matthews

Meva Motwani

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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