Date : 20170710
Dossier : IMM-3298-16
Référence : 2017 CF 666
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 10 juillet 2017
En présence de monsieur le juge Gleeson
ENTRE :
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CHIKA KELECHI OSAHOR
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ |
défendeur
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JUGEMENTS ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Mme Chika Kelechi Osahor [la demanderesse] est une citoyenne du Nigéria. Elle est arrivée au Canada en janvier 2008 à titre d’étudiante étrangère et a étudié à l’Université de l’Alberta. Elle a obtenu son baccalauréat en sciences biologiques en avril 2012.
[2]
Avant d’obtenir son diplôme, Mme Osahor avait présenté une demande en vue d’obtenir un permis de travail postdiplôme [le PTP] et elle avait aussi présenté une demande d’admission au programme de soins infirmiers de l’Université Trent en Ontario. Elle ne s’attendait pas à être admise à l’Université Trent; toutefois, elle a reçu en juin 2012 une offre d’admission. À la fin du mois de juin 2012, on lui a aussi délivré un PTP, valide jusqu’à juin 2015.
[3]
À la réception du PTP, Mme Osahor a remarqué que le permis de travail comportait une interdiction de retourner à l’école sans autorisation. Elle signale qu’elle a communiqué avec le défendeur par téléphone, qu’elle lui a expliqué sa situation et qu’on l’a avisée que le PTP ne pouvait pas être annulé, mais qu’elle devrait présenter une demande en vue d’obtenir un nouveau permis d’études et un permis de travail hors campus. Elle affirme aussi qu’on l’a avisée qu’elle serait en mesure, après avoir terminé le programme de soins infirmiers de l’Université Trent, de présenter une demande en vue d’obtenir un deuxième PTP, tant et aussi longtemps qu’elle n’utilisait pas le PTP qui lui avait été délivré en juin 2012.
[4]
Mme Osahor a reçu son permis d’études renouvelé ainsi qu’un permis de travail hors campus. Elle a obtenu son diplôme du programme de soins infirmiers de l’Université Trent en janvier 2016, et elle a par la suite été autorisée à exercer sa profession en Ontario à titre d’infirmière autorisée. Elle a présenté une demande en vue d’obtenir un deuxième PTP, du fait qu’elle n’avait pas utilisé son premier. En présentant sa demande pour son deuxième PTP, Mme Osahor, par l’entremise de son avocat de l’époque, a admis à l’agent qu’elle cherchait à obtenir un deuxième PTP, en faisant remarquer qu’elle n’avait pas utilisé le premier, et elle a aussi fait valoir que l’agent qui évaluerait sa demande pouvait, dans les circonstances, lui accorder un deuxième PTP. Il ne semble pas que la conversation téléphonique que Mme Osahor avait eue en 2012 avec le défendeur, ainsi que le conseil qui, selon ses dires, lui avait été donné au cours de cette conversation, aient été divulgués à l’agent.
[5]
D’après les instructions d’exécution de programmes [les IEP] du PTP du défendeur, un étudiant n’est pas admissible à un PTP si on lui en a délivré un antérieurement. C’est le critère qu’a appliqué l’agent pour rejeter la demande de Mme Osahor.
[6]
Mme Osahor fait valoir qu’en refusant sa demande, l’agent a appliqué les IEP du PTP comme si elles constituaient le droit, qu’il a omis de tenir compte de sa situation atypique et qu’il a ainsi entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Elle soutient aussi qu’il y a eu violation de la théorie de l’attente légitime, en raison des renseignements que le défendeur lui avait fournis par téléphone en 2012. Le défendeur soutient que les IEP du PTP sont des règles impératives à cet égard et que Mme Osahor ne peut invoquer la théorie de l’attente légitime pour se voir accorder des droits substantiels.
[7]
Je suis d’avis, après examen des observations des parties, qu’il n’y a qu’une seule question en litige en l’espèce, soit celle de savoir si l’agent a déraisonnablement interprété et appliqué les restrictions prévues par les IEP du PTP en déclarant que les étudiants ne sont pas admissibles à recevoir un deuxième PTP. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que les critères devaient être appliqués ainsi que de refuser la demande, compte tenu des faits dont il disposait. La demande est rejetée.
II.
La norme de contrôle applicable
[8]
Mme Osahor soutient que les questions concernant l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire et l’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte. Le défendeur soutient que les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit doivent être examinées selon la norme de la raisonnabilité, alors que les questions d’équité procédurale et de justice naturelle sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.
[9]
La question principale soulevée par Mme Osahor se rapporte à l’interprétation et à l’application des IEP du PTP dans le contexte du cadre législatif et réglementaire établi par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. Il convient généralement de faire preuve de déférence envers le décideur lorsque celui‑ci interprète et applique sa loi habilitante (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 54, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Une cour siégeant en révision n’interviendra habituellement pas lorsque le processus décisionnel est justifié, transparent et intelligible, et que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).
[10]
En outre, lorsque les précédents ont établi la norme de contrôle devant être appliquée à l’examen d’une question donnée, la cour siégeant en révision peut adopter cette norme (Dunsmuir, au paragraphe 62). Dans la décision Nookala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1019, 46 Imm LR (4th) 287, la juge Anne Mactavish a traité une question similaire à celle soulevée en l’espèce, soit celle à savoir si un demandeur doit répondre aux IEP du PTP. La juge Mactavish avait alors adopté la norme de contrôle de la raisonnabilité (Nookala, au paragraphe 10, voir aussi la décision Abubacker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 1112, aux paragraphes 14 et 17, [2016] ACF no 1111 (QL) [Abubacker] et Rehman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1021, au paragraphe 7, [2015] ACF no 1015 (QL) [Rehman]).
[11]
Comme il a été mentionné ci‑dessus, la question principale se rapporte à l’interprétation du régime de la Loi, laquelle, d’après la jurisprudence, doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité.
III.
Analyse
[12]
Mme Osahor prétend que la loi n’empêche pas la délivrance d’un deuxième PTP ou d’un PTP de remplacement. Elle prétend que le programme du PTP est le produit d’une politique et que les IEP du PTP constituent un document de politique que les décideurs doivent interpréter et appliquer comme s’il s’agissait d’une directive. En fait, elle soutient que, d’un point de vue juridique, rien n’empêche un agent qui examine les demandes conformément aux IEP du PTP de délivrer un deuxième PTP dans des circonstances spéciales. Elle soutient qu’en omettant de reconnaître ce pouvoir discrétionnaire, et qu’en suivant strictement les exigences prévues par les IEP du PTP, sans tenir compte de sa situation particulière, l’agent a commis une erreur en l’espèce. Elle prétend aussi que les circonstances spéciales produites en preuve en l’espèce justifiaient l’exercice du pouvoir discrétionnaire et l’octroi d’un deuxième PTP. Je ne souscris pas à ses prétentions.
[13]
Les parties conviennent que le régime du PTP n’est pas prévu expressément par la Loi ou par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement]; il s’agit plutôt d’un instrument mis à la disposition des demandeurs conformément au pouvoir conféré au ministre en vertu de l’article 205 du Règlement. L’article 205 prévoit entre autres ce qui suit :
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En fait, l’article 205 du Règlement confère au ministre le pouvoir d’accorder aux étrangers un accès limité au marché du travail au Canada pour des raisons d’intérêt public se rapportant à la compétitivité de l’économie et des établissements universitaires du Canada. Le Règlement ne prévoit pas de critères, mais il autorise plutôt le ministre à désigner le travail qui doit être effectué et à définir comment, ou selon quel fondement, l’accès limité doit être fourni. Ce faisant, le ministre doit être en position d’établir les critères du programme. Comme l’a mentionné la juge Mactavish aux paragraphes 11 et 12 de la décision Nookala :
[11] Il y a entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire lorsque le décideur traite des directives comme des dispositions impératives : voir, par exemple, Canadian Reformed Church of Cloverdale B.C. c. Canada (Emploi et Développement social), 2015 CF 1075, 2015 A.C.F. no 1089. Toutefois, la partie clé du document qui établit le permis de travail au titre du Programme de travail postdiplôme n’est pas une « directive », au sens donné à ce terme dans la jurisprudence : voir, par exemple, Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 32, 3 R.C.S. 909.
[12] Le document relatif au programme en cause en l’espèce établit les critères qu’un candidat doit satisfaire pour obtenir un permis de travail au titre du Programme de travail postdiplôme. Même si ce document contient également de l’information et des directives sur la manière d’administrer le programme, rien dans ce document ne confère aux agents de l’immigration le pouvoir de modifier les critères d’admissibilité du programme. En conséquence, l’agent de l’immigration n’a nullement entravé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a déterminé que M. Nookala devait détenir un permis d’études valide pour obtenir un permis de travail au titre du Programme de travail postdiplôme.
[Non souligné dans l’original.]
[15]
Comme la juge Mactavish l’a fait remarquer dans la décision Nookala, les IEP du PTP constituent un document qui fournit des renseignements et des directives, en plus d’établir les critères du programme. Mme Osahor prétend que la décision Nookala, ainsi que les décisions rendues par la Cour dans les affaires Abubaker et Rehman, dans lesquelles les juges Sandra Simpson et Denis Gascon ont respectivement tiré des conclusions qui concordent avec celles tirées par la juge Mactavish, peuvent être différenciées de l’affaire en l’espèce. Elle fait valoir que, dans chacun de ces précédents, les exigences en cause dans les IEP du PTP trouvent leur fondement dans l’article 199 du Règlement, lequel énonce les critères auxquels un étranger doit répondre lorsqu’il présente une demande en vue d’obtenir un permis de travail depuis le Canada. En fait, Mme Osahor prétend que la Cour a conclu dans ces précédents que les critères obligatoires du programme, établis dans les IEP du PTP, ne sont pas contraignants. Je n’en suis pas convaincu.
[16]
Dans chacune des affaires susmentionnées, les décisions dont était saisie la Cour ont été contrôlées selon la norme de la raisonnabilité et la question en litige était de savoir s’il était raisonnable de la part du décideur d’appliquer le critère énoncé dans les IEP du PTP. Dans la décision Nookala, la juge Mactavish n’a pas renvoyé à l’article 199 du Règlement, mais elle conclut que « [l]e document relatif au programme en cause en l’espèce établit les critères qu’un candidat doit satisfaire pour obtenir un permis de travail au titre du Programme de travail postdiplôme [non souligné dans l’original] »
(Nookala, au paragraphe 12). Cette conclusion a aussi été reprise dans la décision Abubaker, au paragraphe 16. Dans la décision Rehman, le juge Gascon traite bel et bien de l’article 199, mais il fait ensuite remarquer que les IEP du PTP établissent des « critères distincts »
auxquels un demandeur doit satisfaire (Rehman, au paragraphe 19). Il s’agit là exactement de la situation dont la Cour est saisie en l’espèce.
[17]
L’article 205 du Règlement confère au ministre le pouvoir d’énoncer les critères relatifs à la délivrance d’un PTP. Ces critères étant établis dans les IEP du PTP, il était raisonnable de la part de l’agent qui examinait la demande de Mme Osahor de conclure qu’il ne pouvait pas faire fi de ces exigences bien précises. En outre, je suis incapable de relever quelque manquement que ce soit à l’équité procédurale découlant de la théorie de l’attente légitime. L’agent n’a pas été avisé du contenu de la conversation téléphonique de 2012 sur laquelle se fonde Mme Osahor en l’espèce. Mme Osahor ne peut pas prétendre, au stade du contrôle judiciaire, que l’agent a omis de tenir compte de ces circonstances, car elle n’a pas avisé l’agent de cette conversation.
IV.
La question soumise par la demanderesse aux fins de certification
[18]
L’avocate de Mme Osahor a proposé la question suivante en vue de la certification :
[traduction]
En appliquant les critères qui figurent dans les instructions d’exécution de programme concernant le permis de travail postdiplôme comme s’il s’agissait de règles impératives similaires à des règles prévues par la loi ou par la législation déléguée, l’agent des visas entrave‑t‑il l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?
[19]
Pour être certifiée, une question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel et soulever une question de portée générale qui transcende les intérêts des parties (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9, [2014] 4 R.C.F. 290).
[20]
Selon moi, le critère de l’arrêt Zhang n’a pas été satisfait en l’espèce.
[21]
Les IEP du PTP énoncent des critères d’admissibilité et ces critères ont été décrits dans la jurisprudence de la Cour comme des critères impératifs, une position que j’ai moi‑même adoptée dans le contexte de l’affaire en l’espèce. Cependant, la question déterminante dans la présente affaire était la raisonnabilité de la décision de l’agent de respecter le critère, et non le fait que ce critère a été adopté ou traité comme s’il était de nature obligatoire.
[22]
Cependant, si je suis dans l’erreur en établissant une distinction entre la question de savoir si les IEP du PTP sont de nature impérative et la raisonnabilité générale de la décision de l’agent de les respecter, le deuxième critère de l’arrêt Zhang n’a pas été rempli, ce qui fait en sorte que je ne peux certifier la question. La question soulevée dans la demande en l’espèce a déjà été examinée par la Cour à trois occasions distinctes. La jurisprudence de la Cour n’est pas partagée ou non uniforme quant à cette question. Une question de portée générale n’est pas soulevée lorsque la jurisprudence a répondu de manière adéquate à une question (Lai c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, aux paragraphes 4 à 10, 29 Imm LR (4th) 211; NK c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1377, aux paragraphes 62, 80 et 102, [2015] ACF no 1449 (QL)).
[23]
La demande en vue de la certification de la question ci‑dessus est rejetée, tout comme la demande de contrôle judiciaire.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3298-16
LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.
« Patrick Gleeson »
juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3298-16
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INTITULÉ :
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CHIKA KELECHI OSAHOR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 2 MARS 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE GLEESON
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DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :
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LE 10 JUILLET 2017
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COMPARUTIONS :
Cheryl Robinson
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POUR LA DEMANDERESSE
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Daniel Engel
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mamann, Sandaluk & Kingwell, LLP
Immigration Lawyers
Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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