Date : 20170707
Dossier : IMM-4730-16
Référence : 2017 CF 665
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2017
En présence de monsieur le juge Russell
ENTRE :
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MARILOU TAYLO ANATA
MARLON TAYLO ANATA
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
INTRODUCTION
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], qui vise la décision par laquelle un agent d’immigration [l’agent des visas] au Centre de traitement des demandes de Vegreville [CTDV], le 22 février 2016 [la décision], a retiré Marlon Taylo Anata [le demandeur ou Marlon] de la demande de résidence permanente que Marilou Taylo Anata [la demanderesse principale] a présentée au titre de la catégorie des aides familiaux [CAF].
II.
CONTEXTE
[2]
La demanderesse principale, une citoyenne des Philippines âgée de 49 ans, est arrivée au Canada le 3 avril 2012 munie d’un permis de travail à titre d’aide familiale résidante. Le 6 mars 2013, elle a déposé une demande de résidence permanente, laquelle incluait le demandeur à titre de personne à charge. Au moment de la demande, le demandeur avait 22 ans et était inscrit à l’université.
[3]
Après avoir examiné la demande, l’agent des visas a informé la demanderesse principale, dans une lettre relative à l’équité procédurale datée du 8 octobre 2015, que le demandeur n’était pas une personne à charge admissible puisqu’il n’avait pas été inscrit de façon continue comme étudiant depuis l’âge de 22 ans. Dans la demande, le demandeur avait déclaré qu’il avait terminé ses études et qu’il travaillait depuis septembre 2013. La lettre relative à l’équité procédurale offrait la possibilité de présenter d’autres renseignements dans un délai de soixante jours.
[4]
Le 22 février 2016, l’agent des visas a souligné que les demandeurs n’avaient pas répondu à la lettre relative à l’équité procédurale et a exclu le demandeur de la demande.
III.
DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[5]
Dans sa décision qu’il a transmise aux demandeurs dans une lettre datée du 8 octobre 2015, l’agent des visas a conclu que le demandeur ne remplissait pas les conditions pour immigrer au Canada en qualité de personne à charge admissible de la demanderesse principale.
[6]
À la lumière des renseignements fournis dans le formulaire de déclaration présenté par le demandeur, l’agent des visas a conclu que ce dernier n’était pas admissible parce qu’au moment de la demande, il n’avait pas été inscrit comme étudiant de façon continue depuis l’âge de 22 ans. Il avait plutôt travaillé comme responsable des comptes-clients chez Transcom Asia. La lettre offrait aux demandeurs la possibilité de répondre et de fournir des renseignements supplémentaires dans un délai de soixante jours.
[7]
Dans les notes du Système mondial de gestion des cas [SMGC], l’agent des visas a inscrit, le 9 octobre 2015, que le demandeur était âgé de 23 ans au moment où la demande a été reçue le 6 mars 2013. Comme le demandeur avait déclaré qu’il travaillait depuis septembre 2013, l’agent des visas a déterminé qu’il n’étudiait plus depuis qu’il avait 22 ans et qu’il ne pouvait pas être considéré comme une personne à charge de la demanderesse principale.
[8]
Dans les inscriptions subséquentes datées du 22 février 2016, il était indiqué que les demandeurs n’avaient pas répondu à la lettre relative à l’équité procédurale et que le demandeur était exclu de la demande, à compter du 21 février 2016, au motif qu’il n’était pas un membre de la famille admissible.
[9]
Le jour où le demandeur a été exclu de la demande, les demandeurs ont reçu une lettre de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] adressée à la demanderesse principale et à toutes ses personnes à charge, y compris le demandeur, dans laquelle on les informait que leur demande de résidence permanente était approuvée et invitait la demanderesse principale à se présenter à une dernière entrevue le 10 mars 2016.
[10]
Les demandeurs soutiennent ne pas avoir reçu la lettre relative à l’équité procédurale puisqu’elle avait été envoyée à leur représentant au Canada et que, par inadvertance, elle ne leur avait pas été transmise. Les demandeurs allèguent avoir été informés du fait que le demandeur avait été exclu de la demande de résidence permanente par téléphone le 25 août 2016. Après avoir appris qu’une lettre relative à l’équité procédurale avait été envoyée, les représentants des demandeurs à l’époque ont communiqué avec CIC pour demander le contrôle de la décision d’exclure le demandeur de la demande.
IV.
QUESTION EN LITIGE
[11]
Les demandeurs soulèvent la question suivante dans la présente demande :
La décision par laquelle l’agent des visas a enlevé au demandeur le statut de personne à charge de la demanderesse principale est-elle déraisonnable?
V.
NORME DE CONTRÔLE
[12]
Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de procéder à l’analyse relative à la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question dont est saisie la Cour est bien établie par la jurisprudence antérieure, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche s’avère infructueuse, ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs faisant partie de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.
[13]
La décision de l’agent des visas quant à la question de savoir si un demandeur répond à la définition d’« enfant à charge »
est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable : Shomali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1, au paragraphe 12 [Shomali].
[14]
Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attache à la « justification de la décision et à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».
Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
.
VI.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
[15]
Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], sont pertinentes en l’espèce :
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VII.
ARGUMENTATION
A.
Les demandeurs
[16]
Les demandeurs soutiennent que la décision est déraisonnable et qu’elle est fondée sur une mauvaise appréciation de la preuve. L’agent des visas a commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas étudié depuis qu’il avait eu 22 ans et, par conséquent, qu’il n’était pas une personne à charge admissible au moment de la demande.
[17]
Les demandeurs soutiennent que, comme il s’agit d’une demande de résidence permanente présentée au titre de la CAF et qu’elle a été déposée avant le 1er août 2014, des dispositions transitoires s’appliquent. Par conséquent, le statut du demandeur aurait dû être examiné au regard de l’ancienne définition d’un enfant à charge, laquelle, selon le Bulletin opérationnel 588 [le BO 588], inclut un enfant âgé de plus de 22 ans qui dépend du soutien financier de ses parents parce qu’il étudie à temps plein. Le BO 588 prévoit également que la date déterminante de l’âge est la date de réception de la demande, soit le 6 mars 2013 en l’espèce. Comme le demandeur est allé à l’université du 9 juin 2009 jusqu’en septembre 2013, les demandeurs affirment qu’il était admissible à titre d’enfant à charge au moment de la demande. La décision de l’agent des visas, laquelle renvoie expressément au moment de la demande et non au moment de l’évaluation, est incorrecte.
[18]
À l’appui de cet argument, les demandeurs cherchent à distinguer l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Hamid, 2006 CAF 217 [Hamid], de la présente affaire. Ils affirment que l’arrêt Hamid ne s’applique pas, car il portait sur l’enfant d’un membre de la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés, et non sur l’enfant d’un aide familial résidant. Par conséquent, la jurisprudence relative à la question de savoir si le statut d’étudiant est établi est différente. Cependant, même si l’arrêt Hamid s’applique, il y a une différence entre cet arrêt et le BO 588. Les demandeurs affirment donc que la décision est fondée sur une mauvaise application de la preuve et qu’elle est déraisonnable.
B.
Le défendeur
(1)
Définition d’« enfant à charge »
[19]
Le défendeur soutient que le demandeur ne correspondait pas à la définition d’« enfant à charge »
parce qu’il ne « suiv[ait pas] activement à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle »
au moment où la demande a été évaluée. En fait, comme le demandeur l’a déclaré dans la demande de résidence permanente, il travaillait de septembre 2013 à octobre 2014.
[20]
Comme le confirme la jurisprudence, le critère prévu à l’alinéa 2b) du Règlement est gelé à partir de la date de réception de la demande jusqu’à la date où la décision est rendue. Dans l’arrêt Hamid, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’âge de la personne à charge est « gelé »
à la date à laquelle la demande est déposée, mais que les autres critères prévus dans la disposition ne sont pas gelés et doivent être évalués à la date à laquelle la décision est rendue. Les tribunaux ont toujours appliqué l’arrêt Hamid pour conclure que le statut d’un enfant à charge est examiné à la date de la décision : Dono c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 400, au paragraphe 7 [Dono]; Shomali, précité, aux paragraphes 17 et 18.
[21]
L’approche adoptée dans l’arrêt Hamid est aussi conforme au guide opérationnel, qui informe les agents que « [l]es enfants qui étaient étudiants à temps plein peuvent ne plus répondre à la définition parce qu’ils sont diplômés, qu’ils ont quitté l’établissement d’enseignement ou qu’ils ne sont plus à la charge de leurs parents »
. Comme le demandeur travaillait dans les mois précédant la date à laquelle la décision a été rendue à l’égard de la demande et qu’il ne suivait pas des cours de formation générale, théorique ou professionnelle à temps plein, il ne satisfaisait pas à la définition d’enfant à charge.
(2)
Contexte d’« enfant à charge »
[22]
Le défendeur conteste l’argument des demandeurs selon lequel la définition d’un « enfant à charge »
est différente dans le contexte d’une demande de résidence permanente présentée au titre de la CAF.
[23]
Premièrement, les demandeurs ne citent aucune source et n’invoquent aucun motif qui permettrait de croire que la définition législative devrait avoir un sens différent selon le type de demande. De plus, cet argument est contraire au principe de base en matière d’interprétation des lois selon lequel, dans un texte législatif, les mêmes termes devraient avoir le même sens : R c Zeolkowski, [1989] 1 RCS 1378, à la page 1387 [Zeolkowski].
[24]
Deuxièmement, la jurisprudence révèle que la définition d’un enfant à charge, établie par la Cour d’appel fédérale, fait autorité dans le contexte des autres types de demandes de résidence permanente : Miao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1288, aux paragraphes 16 à 20; Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 109, au paragraphe 19.
[25]
Par conséquent, le défendeur soutient que l’argument des demandeurs selon lequel la définition d’enfant à charge est différente selon qu’il s’agit d’une demande présentée au titre de la CAF ou de la catégorie fédérale des travailleurs spécialisés dont il était question dans l’arrêt Hamid, précité, et que le demandeur n’avait donc pas à satisfaire aux exigences au moment de la décision, est sans fondement.
(3)
Équité procédurale
[26]
Le défendeur affirme qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.
[27]
D’après sa propre déclaration — qui selon lui est exacte et complète —, nul doute que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de la loi. Il a affirmé qu’il travaillait et qu’il n’étudiait pas à temps plein au moment de la demande de résidence permanente. Par conséquent, l’agent des visas n’était pas tenu de pousser ses investigations plus loin parce que ses doutes découlaient directement de la preuve produite par le demandeur et des exigences de la Loi : Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 614, au paragraphe 30.
[28]
L’agent des visas n’était pas non plus tenu de donner aux demandeurs d’autres occasions d’apporter des précisions quant à certains éléments de preuve qui avaient été déposés puisqu’il leur incombait de présenter une demande complète et claire avec des documents à l’appui : Duc Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1377, aux paragraphes 25 à 35.
[29]
Cela étant dit, une lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée en l’espèce. Les demandeurs affirment ne pas avoir reçu la lettre en raison d’une erreur de la part de leur avocat, mais cela ne signifie pas que l’agent des visas a manqué à l’équité procédurale. La responsabilité d’agir revient à ceux qui demandent d’asile au Canada : Siddiqi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 55, aux paragraphes 13, 17, 20.
(4)
Nouvel examen
[30]
Quoi qu’il en soit, le défendeur indique qu’il n’y a aucune raison d’examiner à nouveau la présente affaire.
[31]
La Cour a conclu qu’il était inutile de renvoyer une affaire pour nouvel examen si, même après rectification d’une erreur, la demande serait tout de même rejetée : Ramenzanpour c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 751, au paragraphe 29.
[32]
Le demandeur ne peut pas satisfaire à la définition d’enfant à charge puisqu’il travaillait et n’étudiait pas à temps plein au moment où une décision a été rendue à l’égard de la demande. Le demandeur aurait pu demander une exemption fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, mais il ne l’a pas fait. Par conséquent, si l’affaire était renvoyée pour nouvel examen, il ne satisferait toujours pas à la définition et la demande serait toujours rejetée.
C.
Argument supplémentaire des demandeurs
(1)
Mauvaise appréciation de la preuve
[33]
Les demandeurs soutiennent également que l’appréciation des faits de l’espèce est manifestement erronée.
[34]
Dans son formulaire de déclaration, le demandeur a indiqué avoir étudié à l’université de juin 2009 à septembre 2013, qui est la période d’évaluation pertinente, comme l’a reconnu l’agent des visas. Il a commencé à travailler seulement en septembre 2013, soit après le dépôt de la demande. Par conséquent, pendant la période d’évaluation pertinente, le demandeur était étudiant.
[35]
L’agent des visas laisse à penser que la question de savoir si le demandeur était considéré comme une personne à charge a été examinée au moment de la demande, mais les notes inscrites dans le SMGC indiquent le contraire :
[traduction] […] IL TRAVAILLE DEPUIS SEPTEMBRE 2013. À CE MOMENT-LÀ, LE DEMANDEUR AURAIT ÉTÉ ÂGÉ DE 23 ANS. LA DEMANDE DE RÉSIDENCE PERMANENTE A ÉTÉ REÇUE AU CTDV LE 6 MARS 2013. MARLON N’AURAIT DONC PAS ÉTUDIÉ DEPUIS QU’IL A EU 22 ANS. PAR CONSÉQUENT, MARLON NE PEUT PAS ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME UNE PERSONNE À CHARGE […]
[36]
En outre, la lettre relative à l’équité procédurale indique que l’agent des visas a évalué l’admissibilité du demandeur en tant que personne à charge à la date où la demande a été déposée : [traduction] « [Le demandeur] ne peut pas être partie à votre demande parce que, à la date où votre demande de résidence permanente a été déposée, il n’avait pas été inscrit comme étudiant de façon continue depuis l’âge de 22 ans. »
[37]
Par conséquent, la question n’est pas de savoir si le demandeur était une personne à charge au moment de l’évaluation puisque rien au dossier n’indique que l’agent des visas avait cette question à l’esprit ou que la décision était fondée sur celle-ci. L’agent des visas a évalué l’admissibilité du demandeur en tant que personne à charge à la date où la demande a été reçue et a conclu à tort qu’il n’était pas inscrit dans un établissement d’enseignement à temps plein à ce moment-là.
(2)
Incompatibilité
[38]
Subsidiairement, les demandeurs soutiennent que l’application de l’arrêt Hamid, précité, est incompatible avec le BO 588. Suivant l’arrêt Hamid, les autres critères de la dépendance ne sont pas « gelés »
et doivent être évalués au moment où la décision est rendue. Dans la jurisprudence subséquente, les tribunaux ont appliqué cet arrêt aux autres catégories de demandes de résidence permanente. Cependant, le BO 855 précise qu’un enfant peut être traité comme une personne à charge si, à la date de réception de la demande, il était âgé de plus de 22 ans et qu’il était un étudiant à temps plein qui dépendait du soutien financier de ses parents. De plus, les demandeurs soutiennent qu’aucune décision rendue depuis l’arrêt Hamid ne porte sur la question présentée dans le OP 855; à savoir si les enfants des demandeurs de résidence permanente au titre de la CAF peuvent être traités comme des personnes à charge s’ils ont plus de 22 ans, qu’ils étudient à temps plein et qu’ils ont besoin du soutien financier de leurs parents au moment de la demande.
[39]
L’affaire Terente, précitée, est différente, car le mari de la demanderesse faisait l’objet d’une mesure de renvoi. Dans ce contexte, les membres de la famille peuvent être inclus dans la demande présentée par l’aide familial et ils deviennent résidents permanents si l’aide familial devient résident permanent et s’ils ne sont pas interdits de territoire. Toutes les exigences doivent être satisfaites au moment où la demande est présentée, au moment de la délivrance des visas et au moment où les étrangers deviennent résidents permanents.
[40]
En conséquence, les demandeurs sont d’avis que, selon l’arrêt Hamid et la jurisprudence connexe subséquente, le terme « gelé »
se rapporte à l’âge, et non à la qualité d’étudiant. Le BO 855 étaye l’argument selon lequel la qualité d’étudiant peut être gelée.
(3)
Nouvel examen
[41]
Les demandeurs soutiennent qu’il serait utile de procéder à un nouvel examen de la présente affaire puisqu’elle porte sur l’interprétation de l’admissibilité d’une personne à charge incluse dans une demande de résidence permanente présentée au titre de la CAF et qu’il y a eu une mauvaise appréciation des faits.
VIII.
ANALYSE
[42]
À l’audition du contrôle judiciaire tenue devant moi à Toronto, les demandeurs ont soulevé certaines préoccupations en matière d’équité procédurale en plus des questions relatives à la mauvaise appréciation des faits et du droit exposées dans leurs observations écrites.
A.
Équité procédurale
[43]
Les demandeurs affirment que des conclusions contradictoires ont été tirées en ce qui concerne la qualité d’enfant à charge du demandeur pendant le processus qui a mené à la décision et qu’au final, les demandeurs n’ont pas reçu une décision écrite définitive.
[44]
Il ressort du dossier que le demandeur, dans sa déclaration d’antécédents datée du 29 octobre 2014, a déclaré qu’il avait étudié à l’université des Visayas occidentales (West Visayas State University) aux Philippines de juin 2009 à septembre 2013. Il a ensuite travaillé dans le secteur de l’IPA comme responsable des comptes-clients chez Transcom Asia de septembre 2013 à octobre 2014. Il a affirmé que les renseignements qu’ils avaient fournis étaient véridiques, complets et exacts.
[45]
La demande de résidence permanente présentée par la demanderesse principale le 6 mars 2013 incluait le demandeur à titre d’enfant à charge.
[46]
Une lettre datée du 22 février 2016 informait les demandeurs que leur demande avait été approuvée et invitait la demanderesse principale à se présenter à une entrevue le 10 mars 2016, à laquelle le nom du demandeur a été ajouté à la liste des personnes à charge à la demande de la demanderesse principale.
[47]
Il était indiqué ce qui suit dans la lettre du 22 février 2016 : [traduction] « Votre demande de résidence permanente a été approuvée. »
Or, de toute évidence, cela signifiait qu’elle était approuvée sous réserve des dernières vérifications. Sinon, il n’aurait pas été nécessaire de tenir une entrevue ou de demander aux demandeurs d’apporter leurs documents d’immigration. Ainsi, d’un point de vue raisonnable, les demandeurs ne peuvent pas prétendre qu’ils ont été induits en erreur par la lettre du 22 février 2016.
[48]
Les demandeurs se sont présentés à l’entrevue du 10 mars 2016 et, à la demande de la demanderesse principale, l’agent des visas a ajouté le nom du demandeur à la liste des personnes à charge.
[49]
Il est possible que la demanderesse principale ait cru que la demande de résidence permanente avait été approuvée de façon définitive et que le demandeur avait été accepté à titre d’enfant à charge, mais dans les circonstances, il est clair que les documents devaient être vérifiés avant qu’une décision finale puisse être rendue.
[50]
Évidemment, une fois la documentation vérifiée, les renseignements contenus dans la déclaration des antécédents du demandeur ont soulevé la question de savoir si ce dernier pouvait être considéré comme un enfant à charge. C’est la raison pour laquelle CIC a envoyé une lettre relative à l’équité procédurale à la demanderesse principale le 8 octobre 2015. Il était précisé dans cette lettre que CIC poursuivait le traitement de la demande de résidence permanente au Canada, mais que pour terminer le traitement, il avait besoin de renseignements supplémentaires sur le demandeur afin de déterminer s’il était un membre de la famille admissible.
[51]
À la lumière des documents déposés (dont la déclaration des antécédents du demandeur), CIC a informé les demandeurs de ce qui suit :
[traduction] [Le demandeur] ne peut pas être inclus dans votre demande de résidence permanente parce qu’au moment où vous l’avez présentée, il n’avait pas été inscrit de façon continue comme étudiant depuis l’âge de 22 ans. Suivant le formulaire IMM-5669 intitulé Annexe A — Antécédents/Déclaration que vous avez déposé en son nom, il travaillait comme responsable des comptes-clients chez Transcom Asia au moment où vous avez présenté la demande de résidence permanente.
[52]
La demanderesse principale disposait du délai habituel de 60 jours pour répondre et savait que [traduction] « le défaut d’informer [CIC] pou[vait] entraîner le refus de [leur] demande ».
Les demandeurs n’ont pas répondu.
[53]
De toute évidence, ces documents fournissent aux demandeurs les motifs de la décision : le demandeur ne pouvait être considéré comme un enfant à charge comme en fait foi sa propre déclaration des antécédents. À première vue, la lettre relative à l’équité procédurale comporte une inexactitude. Le demandeur ne travaillait pas comme responsable des comptes-clients « au moment »
où la demande a été déposée, soit en mars 2013. Il a commencé à travailler en septembre 2013. Il aurait dû être indiqué dans la lettre qu’il avait commencé à travailler « après »
le dépôt de la demande. Si les demandeurs ne comprenaient pas le contenu de la lettre, ils n’avaient qu’à y répondre et CIC leur aurait donné des précisions.
[54]
Les demandeurs n’ont pas répondu à la lettre parce que leur avocat n’avait pas pris la peine de l’ouvrir au moment où il l’a reçue et de les informer. Les demandeurs ne peuvent donc pas dire que les renseignements contenus dans la lettre les avaient induits en erreur. Quoi qu’il en soit, les faits sont clairs et la décision concernant le demandeur aurait pu être rendue sans même qu’une lettre relative à l’équité procédurale ne soit envoyée.
[55]
Comme le démontrent les notes du SMGC, on a communiqué avec la demanderesse principale le 20 août 2016 pour l’aviser que le demandeur avait été retiré de la demande et qu’elle pouvait communiquer avec le CDTV pour obtenir des précisions.
[56]
Le 1er novembre 2016, l’avocat des demandeurs à l’époque a envoyé un courriel au directeur du CDTV pour demander le contrôle judiciaire de la décision de retirer le demandeur de la demande de résidence permanente au motif que l’agent des visas avait appliqué la mauvaise date déterminante pour décider si le demandeur était un enfant à charge. Les demandeurs connaissaient donc très bien les raisons pour lesquelles le demandeur avait été retiré de la demande. La demande a été rejetée le 4 novembre 2016.
[57]
Les demandeurs ont demandé la production des motifs conformément à la règle 9, lesquels ont révélé ce qui suit :
[traduction] EXAMEN DES RAPPELS. CONFORMÉMENT AU FORMULAIRE IMM5669 DATÉ DU 29 OCT. 2014 POUR LE FILS À L’ÉTRANGER, MARLON ANATA, IL TRAVAILLE DEPUIS SEPT. 2013. À CE MOMENT-LÀ, IL AURAIT ÉTÉ ÂGÉ DE 23 ANS. LE CDTV A REÇU LA DEMANDE DE RÉSIDENCE PERMANENTE LE 6 MARS 2013. MARLON N’AURAIT DONC PAS ÉTUDIÉ DEPUIS L’ÂGE DE 22 ANS. PAR CONSÉQUENT, MARLON NE PEUT PAS ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME UNE PERSONNE À CHARGE. UNE LETTRE RELATIVE À L’ÉQUITÉ PROCÉDURALE A ÉTÉ ENVOYÉE À LA DEMANDERESSE PRINCIPALE POUR L’INFORMER DE CETTE DÉCISION. LES DEUX AUTRES PERSONNES À CHARGE SEMBLENT ÊTRE ADMISSIBLES. L’IDENTITÉ ET LE LIEN DE PARENTÉ ONT ÉTÉ ÉTABLIS POUR LES DEUX PERSONNES À CHARGE À L’ÉTRANGER, ILOMA ET EDWIN. LA DEMANDE EST RENVOYÉE À UN SPS POUR QU’IL PROCÈDE À L’EXAMEN DE LA SÉCURITÉ X2. EN SUSPENS : EXAMEN DE LA SÉCURITÉ X2. NOTE : BESOIN D’UNE PROROGATION POUR LES RÉSULTATS MÉDICAUX D’ILOMA ET D’EDWIN. DEMANDE TRANSMISE AU SPS.
[58]
Ces motifs établissent clairement les raisons pour lesquelles le demandeur ne peut pas être considéré comme un enfant à charge et qu’il a été retiré de la demande.
[59]
À mon avis, les demandeurs n’ont pas été traités injustement. Ils devaient avoir compris que l’acceptation ou l’approbation provisoire de la demande était assujettie à des vérifications finales. S’ils avaient ouvert la lettre relative à l’équité procédurale, ils auraient compris que la qualité d’enfant à charge du demandeur présentait un problème et ils auraient pu y remédier. De plus, après avoir obtenu les notes du SGMS, ils ont probablement bien compris les raisons pour lesquelles le demandeur avait été retiré de la demande.
[60]
Les demandeurs ont affirmé devant moi que l’agent des visas aurait pu tenir compte des motifs d’ordre humanitaire. Or, dans la demande de résidence permanente, rien n’indiquait que ces motifs devaient être examinés, et aucun argument d’ordre humanitaire ne figurait dans la demande. L’agent des visas n’était pas tenu de tenir compte des questions d’ordre humanitaire sans que les demandeurs en aient fait la demande. Si les demandeurs veulent dire qu’ils auraient pu présenter des observations fondées sur des motifs d’ordre humanitaire s’ils avaient su que le demandeur avait été retiré de la demande, ils en ont été avisés dans la lettre relative à l’équité procédurale avant même que le demandeur ne soit retiré de la demande. S’ils — eux ou leur représentant à l’époque — avaient ouvert la lettre, ils auraient su (malgré l’étrange formulation) que CIC était d’avis que le demandeur ne pouvait pas être considéré comme un enfant à charge et ils auraient pu y répondre avant qu’une décision finale soit rendue.
B.
Caractère raisonnable
[61]
Les notes du SGMS révèlent que le demandeur ne pouvait pas être considéré comme un enfant à charge parce qu’il travaillait depuis septembre 2013 (alors qu’il était âgé de 23 ans). La demande de résidence permanente a été reçue le 6 mars 2013.
[62]
Les demandeurs soutiennent qu’il ressort clairement du dossier que le demandeur était un enfant à charge et qu’il [TRADUCTION] « répondait aux exigences durant la période d’évaluation pertinente »
. Les demandeurs justifient cette affirmation comme suit :
[traduction]
28. En l’espèce, l’agent a commis une erreur de fait manifeste. Sur le formulaire IMM-5669, Annexe A – Antécédents/Déclaration, il est indiqué que Marlon était inscrit à l’université du 9 juin 2009 (il a eu 22 ans le 9 octobre 2012) jusqu’en septembre 2013. Plus précisément, selon le formulaire IMM 5669, Marlon « étudiait dans le but d’obtenir son baccalauréat ès sciences en service hôtelier et en service de restauration à l’université » aux Philippines pendant la période d’évaluation pertinente, soit la date à laquelle j’ai déposé ma demande de résidence permanente. L’agent a toutefois inscrit dans les notes du SGMS que Marlon travaillait depuis septembre 2013, qu’il n’était plus inscrit comme étudiant et qu’il avait plus de 22 ans au moment où la demanderesse principale a déposé sa demande de résidence permanente. De plus, comme l’indique le formulaire, le demandeur a seulement commencé à travailler en septembre 2013.
29. La question en l’espèce n’est pas de savoir si le demandeur était une personne à charge à la date à laquelle la demande de résidence permanente a été évaluée ou jugée, puisque rien au dossier n’indique que l’agent avait cette question à l’esprit ou que la décision était basée sur celle-ci. L’agent a seulement conclu que le demandeur n’était pas une personne à charge à la date à laquelle la demanderesse principale a déposé sa demande de résidence permanente, soit le 6 mars 2013. Par conséquent, il faut établir une distinction entre le cas qui nous occupe et la jurisprudence portant sur la question de savoir si le statut d’étudiant est gelé. En outre, l’arrêt Hamid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) de la Cour d’appel fédérale ne s’applique pas en l’espèce parce que la Cour a certifié la question dans le contexte de l’enfant d’un membre de la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés, et non dans le contexte de l’enfant d’un aide familial résidant. La Cour d’appel fédérale a ainsi répondu à la question certifiée :
L’enfant d’un membre de la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés ayant demandé un visa qui a plus de 22 ans et était considéré comme dépendant de ce travailleur à la date de la présentation de la demande puisqu’il dépendait du soutien financier du parent et qu’il étudiait à temps plein, mais qui ne remplit plus les critères de la dépendance prévus par le sous‑alinéa 2b)(ii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, au moment où il est statué sur la demande de visa, ne peut être inclus dans la demande de résidence permanente au Canada du parent.
Hamid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 2 RCF 152, 2006 CAF 217.
[63]
Le demandeur a rempli et signé l’annexe A — Antécédents/Déclaration le 29 octobre 2014. Il a déclaré qu’il avait terminé ses études et qu’il avait travaillé [traduction] « dans le secteur de l’IPA comme responsable des comptes-clients chez Transcom Asia »
de septembre 2013 à octobre 2014. Certes, cela ne signifie pas que le demandeur n’étudiait pas au moment où la demande de résidence permanente a été déposée le 6 mars 2013, mais l’agent n’a pas du tout mal interprété les faits. Il ressort clairement des notes du SGMS que le demandeur [TRADUCTION] « travaill[ait] depuis septembre 2013 »
, ce qui est conforme à la preuve, de sorte qu’il « n’aurait […] pas étudié depuis l’âge de 22 ans »
et qu’il « ne peut pas être considéré comme une personne à charge »
. Il était inscrit comme étudiant quand il a eu 22 ans, mais il a cessé d’étudier depuis ce temps, ce qui me semble être le sens évident des notes, lesquelles indiquent correctement qu’il a cessé d’étudier et qu’il a commencé à travailler en septembre 2016.
[64]
La Cour a toujours appliqué l’arrêt Hamid, précité, selon lequel le statut d’un enfant à charge devrait être examiné quand la demande est décidée, et non quand elle est déposée. Voir, par exemple, l’affaire Dono, précitée, au paragraphe 7, dont voici un extrait :
[7] […] le demandeur ne rencontre plus la définition d’« enfant à charge » puisqu’il a cessé d’être inscrit de façon continue à un établissement d’enseignement postsecondaire entre le moment du dépôt de la demande et le moment où celle-ci a été décidée.
[65]
Les tentatives des demandeurs pour établir une distinction entre l’arrêt Hamid et l’espèce au motif que leur demande était présentée au titre de la catégorie des aides familiaux résidants et non au titre des travailleurs qualifiés ne sont pas convaincantes.
[66]
Il n’y a rien dans la jurisprudence, dans les Règles ou dans les directives applicables aux demandes présentées au titre de la catégorie des aides familiaux résidants qui indique que l’expression « enfant à charge »
devrait avoir un sens différent dans ce contexte ou que le statut d’enfant à charge devrait être évalué au moment où la demande est déposée, sans tenir compte de ce qui se produit entre le moment où la demande est déposée et où la décision est rendue. La définition d’« enfant à charge »
énoncée dans l’arrêt Hamid a été appliquée dans différents contextes et les demandeurs n’ont donné aucune raison de principe justifiant d’interpréter différemment cette définition dans le contexte d’une demande concernant un aide familial. Voir, par exemple, Dono c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 400, au paragraphe 7; Shomali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 1, aux paragraphes 17 et 18; Sha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 434, au paragraphe 23; Miao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF, aux paragraphes 16 et 20; et Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2014 CF 109, au paragraphe 19.
[67]
L’expression « enfant à charge »
devrait toujours être interprétée de la même façon peu importe le type de demande notamment parce que, selon un principe de base en matière d’interprétation des lois, il faut donner aux mêmes mots le même sens dans l’ensemble d’une loi. Voir Zeolkowski, précité, et R Sullivan, Statutory Interpretation, Irwin Law, 2016, à la page 147.
IX.
Conclusion
[68]
En résumé, je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire dans la décision. Bien entendu, cela ne signifie pas que je n’éprouve guère de sympathie envers les demandeurs La demanderesse principale et ses autres enfants ont été acceptés et sont partis sans le demandeur. Cependant, bien qu’ils soient plus coûteux, d’autres moyens existent pour réunir cette famille.
[69]
Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier et la Cour est du même avis.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE ce qui suit :
La demande est rejetée;
Aucune question n’est certifiée.
« James Russell »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-4730-16
|
INTITULÉ :
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MARILOU TAYLO ANATA ET MARLON TAYLO ANATA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 1ER JUIN 2017
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE RUSSELL
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 7 JUILLET 2017
|
COMPARUTIONS :
Sumeya Mulla
|
POUR LES DEMANDEURS
|
Catherine Vasilaros
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Waldman & Associates
Avocats
Toronto (Ontario)
|
POUR LES DEMANDEURS
|
Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
|