Date : 20170519
Dossier : IMM-4882-16
Référence : 2017 CF 519
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 19 mai 2017
En présence de monsieur le juge Manson
ENTRE : |
YONGQIANG ZHU |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Introduction
[1] Il s’agit d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision datée du 7 novembre 2016 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a conclu que, au motif de son manque de crédibilité, le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.
II. Contexte
[2] Le demandeur, un citoyen de la Chine, est né le 4 décembre 1994. Il allègue qu’il est agriculteur, qu’il est peu scolarisé et qu’il est originaire de la province de Hebei, en Chine. Il déclare également que le 7 janvier 2014, son ami Li, Yongqi lui a fait connaître le Falun Gong, dont il serait devenu un adepte aux côtés de ses amis Zhu, Hongwei et Zhu, Hongtao.
[3] Le 18 février 2016, le groupe avec lequel le demandeur pratiquait le Falun Gong a été visé par une descente du Bureau de la sécurité publique (BSP) chinois. Le demandeur n’était pas sur les lieux le jour de la descente mais, d’après ses dires, il en a été informé par Zhu, Hongwei. Le demandeur s’est alors caché. Le même soir, les agents du BSP se seraient présentés à son domicile.
[4] Le 5 juillet 2016, avec l’aide d’un passeur, le demandeur a quitté la Chine à bord d’un avion à destination de Vancouver. Le jour même de son atterrissage à Vancouver, le demandeur a pris un vol vers Toronto. Aux alentours du 19 juillet 2016, le visa du demandeur a été révoqué parce qu’un membre du groupe avec qui il voyageait, selon ce qui est mentionné sur son visa, a fait une demande d’asile. Aux alentours du 8 août 2016, le demandeur a lui aussi soumis une demande d’asile au Canada, en alléguant qu’il ne pouvait pas rentrer en Chine par crainte que le BSP l’arrête, l’emprisonne et le malmène physiquement en raison de sa pratique du Falun Gong.
A. La décision
[5] La SPR a jugé que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, et elle a réfuté ses prétentions après avoir tiré plusieurs conclusions défavorables concernant sa crédibilité. Les raisons qui ont soulevé les doutes de la SPR sur la crédibilité du récit du demandeur sont les suivantes :
a) Le demandeur a pris l’avion à l’aéroport de Beijing pour quitter la Chine, muni de son propre passeport et d’une carte d’embarquement émise à son nom, malgré le fait qu’il était prétendument recherché par les autorités chinoises.
b) Le demandeur n’a pas été en mesure de produire une preuve documentaire des prétendues visites que des agents du BSP auraient faites à ses parents.
c) Le demandeur n’a pas demandé l’asile dès son arrivée à l’aéroport de Toronto. En fait, il a attendu plus d’un mois avant de soumettre sa demande.
d) En 2013, le demandeur a demandé un visa aux États-Unis sous un faux nom.
e) Les détails fournis par le demandeur concernant le Falun Gong n’étaient pas convaincants, et il n’a pas produit de preuve étayant sa pratique en Chine ou au Canada.
[6] Au vu de ses conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur, la SPR a soutenu que leur effet cumulatif entachait sa crédibilité générale. La SPR a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible ou fiable, et que le manque de crédibilité générale entachait tous les aspects pertinents de sa déposition. De plus, personne n’a été appelé à témoigner et aucune déposition de témoin n’a été produite.
III. Question en litige
[7] L’unique question en litige tient au caractère raisonnable des conclusions de la SPR quant à la crédibilité.
IV. Norme de contrôle
[8] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Diaz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1343, au paragraphe 10 [Diaz]).
[9] J’estime que les conclusions tirées par la SPR quant à la crédibilité ont un caractère raisonnable au sens du paragraphe 107(2) de la Loi. Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.
V. Analyse
A. Départ de la Chine à partir de Beijing
[10] La prétention du demandeur comme quoi il était recherché par le BSP au moment de son départ de la Chine a donné lieu à une inférence défavorable de la SPR au sujet de la crédibilité, car la preuve indique qu’il a pris l’avion à Beijing pour quitter la Chine et qu’il était muni d’un passeport authentique délivré à son nom.
[11] Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en tirant une inférence défavorable du fait qu’il a pu quitter la Chine au moyen de son propre passeport. Se fondant sur la jurisprudence de la Cour, il fait valoir qu’il est tout à fait vraisemblable qu’une personne recherchée par le BSP réussisse à quitter la Chine avec son propre passeport si les bons agents sont soudoyés : Zhang c. Canada, 2008 CF 533 [Zhang 2008].
[12] Le demandeur a raconté qu’il avait voyagé avec le passeur et dix autres personnes. Apparemment, il ne les connaissait ni d’Ève ni d’Adam et il ne les a pas interrogées sur leurs antécédents, même s’ils ont fait tout le voyage ensemble jusqu’à Toronto.
[13] De plus, il a été incapable de dire ce que les agents ont fait avec son passeport au comptoir d’enregistrement, aux points de contrôle de sécurité et aux douanes. Le demandeur s’est contenté de dire qu’il n’a pas remarqué si son passeport a été balayé au comptoir d’enregistrement où il a reçu sa carte d’embarquement, et il n’a pas vu non plus l’agent de contrôle de la sécurité balayer son passeport. Au point de contrôle des douanes, le demandeur a présenté ses documents à l’agent, mais il ne se souvient pas de ce que celui-ci en a fait. Le demandeur ne se rappelle pas non plus si le passeur l’a dirigé vers un agent en particulier. La seule conversation dont il se souvient entre le passeur et un agent de l’aéroport portait, croit le demandeur, sur les quantités de liquides autorisées à bord des avions.
[14] La SPR était au fait que les passeurs peuvent prendre des arrangements, et notamment soudoyer des agents s’il le faut, pour aider une personne recherchée par le BSP à quitter la Chine par l’aéroport de Beijing. Toutefois, le demandeur n’a pas fourni de preuve ou de témoignage relativement aux procédures ou aux méthodes spéciales auxquelles le passeur aurait eu recours pour soustraire le groupe aux contrôles de sécurité de l’aéroport. De plus, selon ses propres dires, le demandeur a suivi une procédure d’embarquement assez usuelle si l’on se fie au Cartable national de documentation. La SPR a également conclu qu’il était raisonnable d’inférer que le passeport du demandeur avait été balayé puisqu’une carte d’embarquement avait été émise à son nom, et que les autorités auraient dû découvrir à ce moment qu’il s’apprêtait à quitter la Chine. Compte tenu de ce qui précède, la SPR a conclu qu’il y avait lieu de tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité du demandeur.
[15] À mon sens, la décision rendue par la SPR était raisonnable. Bien que la jurisprudence de la Cour ne soit pas unanime sur la question du départ de la Chine d’une personne qui utilise sa propre identité alors qu’elle est recherchée par les autorités, les circonstances en l’espèce s’apparentent davantage à celles des affaires Sui c. Canada, 2016 CF 406, et Ma c. Canada, 2015 CF 838, dans lesquelles les allégations des demandeurs n’ont pas été jugées crédibles. Par ailleurs, le fait que le demandeur a été incapable d’expliquer clairement comment il a réussi à contourner les contrôles de sécurité à l’aéroport de Beijing distingue la présente espèce de l’affaire Zhang 2008, précitée.
[16] Je conviens avec le défendeur que la SPR a fait une analyse rigoureuse de la preuve avant de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité des allégations du demandeur et de la preuve.
B. Absence de sommation du BSP
[17] La SPR a tiré une autre inférence défavorable quant à la crédibilité de la preuve fournie par le demandeur pour corroborer ses affirmations comme quoi des agents du BSP se seraient présentés au domicile de ses parents à quatre reprises sans laisser de document indiquant leur intérêt à son endroit.
[18] Aux yeux du demandeur, il était déraisonnable de la part de la SPR de tirer une inférence sur la crédibilité à partir de cette partie de ses allégations puisqu’elle avait elle-même reconnu que, durant la période en question, les procédures de signification de sommations aux membres de la famille n’étaient pas uniformes en Chine. La SPR a déduit qu’une sommation aurait dû être signifiée étant donné le nombre de fois où des agents du BSP se sont présentés au domicile de ses parents. Or, dans certaines instances, la Cour a établi comme fait que les procédures du BSP en matière de signification de sommations peuvent varier d’une région à l’autre.
[19] La SPR s’est reposée sur la Réponse à la demande d’information du 20 octobre 2015 à l’égard des règlements sur les sommations pour parvenir à la conclusion qu’il n’était pas crédible que des agents du BSP se présentent à quatre reprises au domicile des parents du demandeur sans signifier de sommation. Tout en admettant la possibilité de variantes dans les procédures de signification de sommations écrite à des membres de la famille, la SPR a tranché qu’en l’espèce, il était peu probable que les agents du BSP ne laissent aucune preuve documentaire.
[20] Quand elle examine le témoignage sous serment d’un demandeur, la SPR peut en apprécier la vraisemblance, le bon sens et la rationalité (Ye c. Canada, 2014 CF 1221, au paragraphe 29; Su c. Canada, 2015 CF 666, au paragraphe 11 [Su]). Compte tenu de l’ensemble de la preuve, et notamment du fait que le demandeur a quitté la Chine en étant muni de son propre passeport, j’estime qu’il était raisonnable pour la SPR de tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité du fait qu’aucun document du BSP n’a été produit.
C. Demande d’asile tardive
[21] Parce qu’il n’a pas demandé l’asile dès son arrivée aux aéroports de Vancouver ou de Toronto, la SPR a tiré une inférence défavorable sur la crédibilité des allégations du demandeur comme quoi il aurait fui la Chine parce qu’il craignait d’y être arrêté, emprisonné et malmené physiquement.
[22] Le demandeur prétend que cette inférence est déraisonnable parce que le retard en question a été bref (soit 34 jours environ). Il fait valoir également qu’il n’a pas soumis de demande d’asile dès son arrivée parce qu’il ne savait pas à ce moment qu’il lui était possible de faire une telle demande pour rester au Canada sur une base permanente. Cependant, quand il a été interrogé sur les raisons qui les ont convaincus, lui et sa famille, de dépenser une somme d’argent considérable pour engager un passeur et obtenir un visa frauduleux, le demandeur a admis qu’il était venu au Canada dans l’espoir d’obtenir la protection du gouvernement canadien. Il a de plus déclaré que l’ami chez qui il s’était caché en Chine lui avait parlé du système de protection des réfugiés au Canada et de l’assistance offerte par le gouvernement aux personnes dans sa situation.
[23] Au vu des incohérences dans les déclarations du demandeur relativement à ce qu’il savait et ne savait pas de la procédure de demande d’asile au Canada, ainsi qu’attendu qu’au moment où il aurait reçu cette information, je conclus au caractère raisonnable de l’inférence défavorable tirée par la SPR au sujet de la crédibilité.
D. Demande de visa aux États-Unis
[24] La SPR a tiré une inférence défavorable sur la crédibilité générale de la preuve produite par le demandeur parce qu’il a tenté d’obtenir un visa aux États-Unis par des moyens frauduleux en 2013, alors qu’il n’avait aucune raison impérieuse de faire une fausse déclaration.
[25] Le demandeur soutient que cette inférence défavorable sur la crédibilité est déraisonnable parce que la fausse déclaration sur sa demande de visa aux États-Unis n’est aucunement liée au dossier dont la SPR a été saisie. Le demandeur affirme qu’une [traduction] « conclusion relative à la crédibilité d’un demandeur d’asile n’est pas déterminante quant à la question de savoir s’il a qualité ou non de réfugié au sens de la Convention ». Il se fonde en outre sur la décision Guney c. Canada, 2008 CF 1134 [Guney], pour faire valoir que le fait qu’un témoin a été pris à commettre un mensonge ne suffit pas en soi pour récuser son témoignage si celui-ci est par ailleurs vraisemblable.
[26] Je ne suis pas d’accord pour dire que la SPR a extrapolé cette inférence défavorable sur la crédibilité générale pour discréditer un témoignage par ailleurs vraisemblable ou pour écarter catégoriquement la totalité du témoignage du demandeur. Inversement à la situation visée par la décision Guney, précitée, la preuve concernant la pratique du Falun Gong, la persécution et la fuite du demandeur n’est pas « par ailleurs vraisemblable et cohérent[e] » (Guney, au paragraphe 17). La SPR n’a pas ignoré d’élément de preuve à cause de la demande de visa frauduleuse aux États-Unis. En l’espèce, il est clair que la preuve d’une tentative du demandeur de tromper des agents de l’immigration met en doute la véracité de son témoignage, d’autant plus qu’aucun élément de preuve ne corrobore ses dires.
E. Pratique du Falun Gong du demandeur
[27] La SPR n’a pas été convaincue par la preuve fournie par le demandeur pour démontrer qu’il était un véritable adepte du Falun Gong.
[28] Le demandeur soutient que la SPR l’a soumis à un interrogatoire beaucoup trop rigoureux et détaillé sur ses connaissances du Falun Gong. Il affirme aussi qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de tirer une conclusion défavorable de son incapacité à obtenir un exemplaire du texte de référence des adeptes du Falun Gong, le Zhuan Falun, car il est peu scolarisé et serait incapable d’en saisir la majeure partie. Le demandeur ajoute qu’il était déraisonnable pour la SPR de ne pas expliquer pourquoi elle a rejeté ses justifications concernant le fait qu’il ne possédait pas d’exemplaire du Zhuan Falun.
[29] La SPR a jugé que le demandeur a justifié de manière peu probante son choix d’intégrer le mouvement Falun Gong alors qu’il savait que c’était illégal et que cela l’exposait à la persécution. Il n’a pas été en mesure non plus d’exprimer clairement son attrait pour l’un ou l’autre des principes du Falun Gong, et il a décrit les bienfaits de sa pratique en termes très généraux. La SPR a conclu par ailleurs que l’incapacité du demandeur à obtenir un exemplaire du Zhuan Falun après son arrivée au Canada, apparemment par manque d’effort, a nui à la crédibilité de ses affirmations selon lesquelles il était un véritable adepte. Même si elle n’a pas expliqué formellement pourquoi elle a rejeté les justifications du demandeur concernant le fait qu’il ne possédait pas d’exemplaire du Zhuan Falun, il peut être déduit des motifs de la SPR qu’un adepte véritable, qui serait venu Canada pour étudier et pratiquer le Falun Gong en toute légalité, aurait fait les efforts nécessaires pour se procurer un exemplaire du texte afin d’en approfondir sa compréhension.
[30] Cela dit, certaines des prétentions du défendeur sur cette question semblent avoir été tirées d’une autre instance. Dans un cas, le défendeur utilise la forme féminine pour parler du demandeur et fait référence au fait qu’il a échappé à une descente du BSP et s’est caché dans un champ.
[31] Quoi qu’il en soit, et nonobstant quelques déclarations inexactes du défendeur, j’estime que la SPR a raisonnablement conclu que le demandeur n’est pas un véritable adepte du Falun Gong. Qui plus est, l’absence de crédibilité est selon moi étayée par l’insuffisance d’éléments de preuve et le manque apparent de volonté du demandeur de faire l’effort de se procurer un exemplaire du Zhuan Falun, en dépit de ses affirmations comme quoi il était venu au Canada pour pratiquer le Falun Gong et améliorer ses conditions de vie. Quoi qu’il en soit, les autres conclusions de la SPR quant à la crédibilité sont probantes et déterminantes.
F. Réfugié sur place
[32] La SPR a analysé la question de savoir si les autorités chinoises connaissaient ou en viendraient à connaître la prétendue pratique du Falun Gong du demandeur au Canada, et si cette pratique l’exposerait à plus qu’une simple possibilité de persécution (Liu c. Canada, 2014 CF 972, au paragraphe 8). Étant donné que la preuve est insuffisante pour établir si le demandeur pratique véritablement le Falun Gong au Canada, la SPR a conclu qu’il était impossible de déterminer si les autorités chinoises auraient un quelconque intérêt à son endroit du fait de ses supposées activités liées au Falun Gong au Canada. Je suis d’accord.
[33] Compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, je conclus que la SPR a rendu une décision raisonnable.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4882-16
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
- La demande est rejetée.
- Aucune question n’est soumise pour être certifiée.
« Michael D. Manson »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-4882-16
|
INTITULÉ : |
YONGQIANG ZHU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 18 mai 2017
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE MANSON
|
DATE : |
Le 19 mai 2017
|
COMPARUTIONS :
Nkunda I. Kabateraine
|
Pour le demandeur |
Suzanne M. Bruce
|
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nkunda I. Kabateraine Avocat Toronto (Ontario) |
Pour le demandeur |
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
Pour le défendeur |