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Date : 20170518


Dossier : IMM-4785-16

Référence : 2017 CF 510

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 mai 2017

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

SIDIKATU ABIKE ADEDOKUN

RUKAYAT FOLASHADE SURAJUDEEN

ZAINAB OLUWASEUN SURAJUDEEN

YUSRAH ABIODUN SURAJUDEEN

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR ou la Loi) à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR). Dans cette décision, la SAR a rejeté l’appel des demanderesses et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle les demanderesses ne sont pas considérées comme des réfugiées au sens de la Convention, ni des personnes à protéger (la décision).

II.  Contexte

[2]  Les demanderesses, Sidikatu Abike Adedokun (la demanderesse principale), Rukayat Folashade Surajudeen, Zainab Oluwaseun Surajudeen et Yusrah Abiodun Surajudeen (ensemble, les demanderesses), sont des citoyennes du Nigéria. Elles ont présenté une demande d’asile au Canada en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[3]  Les demanderesses craignent d’être victimes de violence familiale, de mariage forcé et de mutilation génitale féminine de la part de la famille du mari de la demanderesse principale (le mari). La demanderesse principale allègue que le père de son mari (le beau-père) et les membres de sa famille ont l’intention d’obliger sa fille aînée, Rukayat, à se marier et à subir une mutilation génitale féminine.

[4]  La demanderesse principale soutient qu’en mai 2015 son beau-père les a informés, elle et son mari, qu’il avait organisé le mariage de Rukayat avec le fils de l’imam local, qui était alors âgé d’environ 40 ans et qui avait déjà deux femmes. Le mariage et la mutilation génitale féminine devaient avoir lieu en octobre 2015, lorsque Rukayat aurait atteint l’âge de 12 ans. Le mari a tenté d’intercéder auprès du beau-père pour le faire changer d’avis, mais sans succès.

[5]  Les demanderesses s’étaient rendues aux États-Unis au printemps de 2015 et, comme leur visa pour les États-Unis était toujours valide, elles en ont profité pour fuir le Nigéria. Elles sont arrivées au Canada depuis les États-Unis, car on leur avait dit que le Canada affichait un meilleur bilan en matière de protection des femmes victimes de mauvais traitements. Le mari est resté au Nigéria; cependant, il a dû fuir lui aussi le domicile familial à Lagos et il doit aujourd’hui se cacher, car le beau-père et les membres de sa famille croient qu’il a aidé les demanderesses à s’enfuir.

[6]  Selon la demanderesse principale, il serait dangereux pour les demanderesses de retourner au Nigéria, car le beau-père et sa famille leur veulent du mal. La demanderesse principale allègue que son beau-père est un homme riche, qui possède une entreprise de transport et qui a des relations dans des mosquées partout au Nigéria. Elle dit craindre pour sa vie et sa sécurité, ainsi que pour la sécurité de ses enfants, et elle soutient que son beau-père lui ferait du mal parce qu’elle a désobéi à ses ordres et qu’elle a empêché le mariage de Rukayat avec le fils de l’imam, Yusuf.

[7]  En rejetant la demande d’asile des demanderesses, la SPR a conclu que la question déterminante était qu’une possibilité de refuge intérieur (PRI) s’offrait à elles. La SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les demanderesses ne couraient pas un grand risque de persécution au Nigéria si elles déménageaient à Abuja, Benin City, Ibadan ou à Port Harcourt (les villes offrant une PRI), et elle a jugé qu’il ne serait pas déraisonnable pour elles de chercher refuge dans l’une de ces villes.

[8]  En appel, la SAR a confirmé la décision de la SPR. La SAR a examiné la demande visant à accorder une audience aux demanderesses, mais elle a conclu qu’elle ne pouvait accéder à cette demande parce que les demanderesses n’avaient présenté aucun nouvel élément de preuve pour l’appel.

[9]  La SAR a également conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en omettant de tenir compte des Directives du président sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe), en précisant que la SPR avait reconnu que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et les Directives no 3 : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié : Questions relatives à la preuve et à la procédure pourraient toutes deux s’appliquer à cette demande. La SAR a en outre conclu que la SPR avait appliqué le bon critère pour déterminer s’il existait une possibilité de refuge intérieur, à savoir le critère à double volet provenant de Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 1256 (CA) [Rasaratnam] et de Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1172 (CA) [Thirunavukkarasu], selon lequel il incombe aux demanderesses d’établir qu’elles n’ont pas de possibilité de refuge intérieur.

[10]  La SAR a conclu qu’aucun élément de preuve ne démontrait que le beau-père avait les ressources ou les relations nécessaires pour retrouver les demanderesses dans l’une ou l’autre des villes offrant une PRI. La SAR a également souligné le fait que les demanderesses avaient omis de fournir des motifs raisonnables pour expliquer pourquoi, à leur avis, elles seraient découvertes et/ou victimes de préjudice dans l’une ou l’autre des villes offrant une PRI. La SAR a donc conclu que les demanderesses pourraient vivre dans n’importe laquelle des villes offrant une PRI, sans crainte et sans avoir à se cacher.

[11]  La SAR n’était pas convaincue qu’il serait déraisonnable pour les demanderesses de déménager dans l’une des villes offrant une PRI. La SAR a conclu que les demanderesses ne subiraient aucun préjudice dans ces villes en raison de leurs croyances religieuses et que la demanderesse principale pourrait y trouver un emploi.

III.  Question en litige

[12]  La question est de savoir si la décision de la SAR, selon laquelle les demanderesses disposent d’une PRI, est raisonnable.

IV.  Norme de contrôle

[13]  La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, aux paragraphes 30 à 35 [Huruglica]).

[14]  Pour déterminer si la décision est raisonnable, la Cour doit l’examiner dans son contexte et son intégralité, sans en faire une analyse phrase par phrase (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54). La Cour peut toutefois intervenir si le décideur n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants ou a pris en compte des éléments qui étaient inexacts ou sans importance (James c. Canada (Procureur général), 2015 CF 965, au paragraphe 86).

V.  Analyse

A.  La décision de la SAR selon laquelle les demanderesses ont une possibilité de refuge intérieur est-elle raisonnable?

[15]  L’analyse en deux volets pour juger de la possibilité de refuge intérieur, qui est fondée sur les affaires Rasaratnam et Thirunavukkarasu, précitées, a récemment été reprise par la Cour dans Sargsyan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 333, au paragraphe 12 :

1. La SPR doit être persuadée, selon la prépondérance de la preuve, qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse pour la demanderesse d’être persécutée dans la région où, selon la SPR, une PRI existe;

2. les conditions qui prévalent dans cette région du pays sont telles qu’il serait déraisonnable pour la demanderesse d’y chercher refuge.

[Renvois omis]

[16]  Dans une demande de contrôle judiciaire, il incombe au demandeur de démontrer où la SAI a commis une erreur susceptible de révision et d’établir le bien-fondé de sa revendication.

[17]  En l’espèce, les demanderesses font valoir qu’il était déraisonnable pour la SAR de conclure, en se fondant uniquement sur la distance entre les villes offrant une PRI et Lagos et sur la taille de ces villes, qu’il n’y a aucun risque pour elles de déménager dans n’importe laquelle de ces villes.

[18]  Dans la décision, la SAR a examiné les éléments de preuve sur les tentatives faites par le beau-père pour retrouver les demanderesses et a évalué les ressources politiques ou opérationnelles dont il disposait et qu’il pourrait utiliser pour chercher les demanderesses, avant de conclure qu’aucun élément de preuve convaincant n’indiquait que le beau-père ou sa famille pourraient persécuter les demanderesses dans l’une des villes offrant une PRI. À cet égard, je ne suis pas d’accord avec les demanderesses lorsqu’elles soutiennent que l’analyse de la SAR visant à déterminer s’il existait pour elles un grand risque de persécution dans l’une des villes offrant une PRI a été fondée uniquement sur la distance entre Lagos et ces villes, ainsi que sur la taille de chacune de ces villes.

[19]  Les demanderesses ont également fait valoir que la SAR n’avait pas tenu compte des questions liées aux spécificités de chaque sexe ni des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, et que cela a influencé la décision de la SAR selon laquelle il ne serait pas déraisonnable pour les demanderesses de chercher refuge dans l’une des villes offrant une PRI. Le défendeur soutient que la SAR n’a pas fourni de motifs détaillés sur les questions liées à la spécificité du sexe ou à la situation de famille de la demanderesse principale – s’appuyant plutôt sur les motifs de la SPR cités par renvoi dans la décision – parce que, devant la SAR, les demanderesses ont insisté sur leur capacité de pratiquer leur religion.

[20]  Les demanderesses ont fourni peu d’éléments de preuve pour expliquer dans quelle mesure la situation dans les villes offrant une PRI aurait une incidence sur elles, compte tenu du sexe et de la situation de famille de la demanderesse principale. De plus, elles n’ont produit aucun élément de preuve permettant de contester la conclusion de la SPR selon laquelle le mari pourrait rejoindre les demanderesses au Nigéria. Par conséquent, je juge que la SAR a tenu compte d’une manière raisonnable des questions liées à la spécificité du sexe de la demanderesse principale, ainsi que des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

[21]  Les demanderesses font également valoir que la décision est déraisonnable parce qu’aucune analyse de la protection offerte par l’État n’a été faite. Cependant, la question de la protection offerte par le Nigéria n’a pas été soulevée devant la SPR ou la SAR, et elle ne s’est pas révélée être un facteur déterminant pour aucun de ces tribunaux.

[22]  Enfin, bien que les demanderesses déclarent dans leurs observations écrites que ni la SAR ni la SPR n’a formulé d’observations écrites au sujet de la crédibilité de la demanderesse principale, elles n’ont pas démontré pourquoi cette omission était déraisonnable. Le défendeur soutient que la conclusion de la SAR est fondée sur l’insuffisance de la preuve versée au dossier et que la SAR n’avait pas à formuler de conclusion quant à la crédibilité pour conclure à l’existence d’une PRI.

[23]  À la lumière de ces arguments et du dossier qui ont été présentés à la Cour, je juge que la conclusion de la SAR, concernant l’insuffisance de la preuve pour démontrer l’absence de PRI pour les demanderesses, est raisonnable.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4785-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.
  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-4785-16

 

INTITULÉ :

SIDIKATU ABIKE ADEDOKUN et al. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 mai 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE :

Le 18 mai 2017

 

COMPARUTIONS :

Peter Lulic

Pour les demanderesses

Lorne McClenaghan

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Lulic

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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