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Date : 20170517


Dossier : T-859-13

T‑1114‑13

Référence : 2017 CF 506

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2017

EN PRÉSENCE DE monsieur le juge Annis

Dossier : T-859-13

ET ENTRE :

GORDON RONALD GREGG, DONALD RICHARD MACDONALD, GLENN SORKO, FRANK COATES, NANETTE JOZWIAK, ET WILLIAM HANNA (EN LEUR QUALITÉ D’ADMINISTRATEURS DE LA SUCCESSION DE DONALD LLOYD GERKE)

demandeurs

et

 

L’ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA

défenderesse

ET ENTRE :

FREDERICK MARK HANLEY

demandeur

et

 

AIR CANADA

défenderesse

ET ENTRE :

FREDERICK MARK HANLEY

demandeur

et

 

L’ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA

défenderesse

ET ENTRE :

DAVID BAXTER

demandeur

et

 

AIR CANADA

défenderesse

ET ENTRE :

DAVID BAXTER

demandeur

et

 

L’ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA

défenderesse

ET ENTRE :

CHRISTOPHER CHARLES JOHNSTON, JAMES ARTHUR BRADLEY,

BRIAN LEONARD SOWTEN,

ET WILLIAM CHARLES SCHULTZ

demandeurs

et

 

AIR CANADA

défenderesse

ET ENTRE :

CHRISTOPHER CHARLES JOHNSTON, JAMES ARTHUR BRADLEY,

BRIAN LEONARD SOWTEN,

ET WILLIAM CHARLES SCHULTZ

demandeurs

et

 

L’ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA

défenderesse

ET ENTRE :

RUSSELL IRVING COOPER,

WILLIAM ALEXANDER HACKWELL, NOEL MARTIN LOURENS,

ET ALEXANDER GEORGE WILLIAM 
HEMINGWAY

demandeurs

et

AIR CANADA

défenderesse

ET ENTRE :

RUSSELL IRVING COOPER,

WILLIAM ALEXANDER HACKWELL, NOEL MARTIN LOURENS, ET ALEXANDER GEORGE WILLIAM 
HEMINGWAY

demandeurs

et

L’ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA

défenderesse

ET ENTRE :

FRANÇOIS RAUSCHER

demandeur

et

AIR CANADA

défenderesse

ET ENTRE :

FRANÇOIS RAUSCHER

demandeur

et

L’ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA

défenderesse

 

 

Dossier : T-1114-13

 

ET ENTRE :

 

Me LARRY CROWLEY

 

demandeur

 

et

 

AIR CANADA, L’ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA

 

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Introduction

[1]               L’audience portait sur plusieurs demandes de contrôle judiciaire déposées conformément au paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch. F-7, à l’encontre d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission] qui a rejeté les plaintes des demandeurs contre les défendeurs au motif qu’il était évident et manifeste que les plaintes ne pouvaient être accueillies.

[2]               Deux dossiers ont fait l’objet de cette audience conjointe. Le dossier T-859-13 constitue la demande déposée par 17 demandeurs [Gregg et autres] contre les défenderesses, Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada [l’Association]. La Commission a rejeté l’ensemble de leurs 34 plaintes combinées dans des décisions datées du 20 mars 2013. Le dossier T-1114-13 constitue la demande de Larry Crowley [M. Crowley] contre les défenderesses, qui a également été rejetée par la Commission dans sa décision datée du 1er mai 2013 et communiquée par lettre datée le 17 mai 2013. Les plaintes des demandeurs dans les deux affaires [collectivement, les demandeurs] ont été rejetées pour des motifs essentiellement similaires, même si ceux fournis dans la demande de M. Gregg exposaient un autre raisonnement tel qu’il est décrit ci-dessous. Les rapports prévus aux articles 40 et 41 étaient identiques, de même que les observations des parties dans les deux dossiers, à l’exception de quelques petites différences dans les observations d’Air Canada. Pour les motifs qui suivent, les demandes sont rejetées.

II.                 Contexte

[3]               Les demandeurs sont des pilotes qui ont fait l’objet d’une cessation d’emploi par Air Canada en 2010 et 2011 conformément aux dispositions d’une convention collective intervenue avec les défenderesses, laquelle exige que les membres de l’Association prennent leur retraite à l’âge de 60 ans. L’Association est l’agent négociateur pour tous les pilotes d’Air Canada.

[4]               Entre novembre 2011 et novembre 2012, les demandeurs ont déposé des plaintes auprès de la Commission contre les deux défenderesses pour contester leur licenciement par Air Canada.

[5]               Par la suite, les rapports prévus aux articles 40 et 41 [les rapports] ont recommandé que les plaintes soient rejetées. La Commission a reçu des demandeurs et des défenderesses des observations en réponse à ces rapports, bien que seules les observations des demandeurs figurent au dossier présenté à la Cour.

[6]               Dans les décisions datées du 20 mars 2013 [les décisions Gregg] et du 1er mai 2013 [les décisions Crowley], la Commission a décidé de ne pas examiner les plaintes en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi. La Commission s’est fondée sur l’alinéa 15(1)c) de la Loi, qui établit une exception selon laquelle le fait de mettre fin à l’emploi d’une personne qui atteint l’âge de la retraite pour un poste donné n’était pas discriminatoire. Cet alinéa a depuis été abrogé. Les décisions de ne pas traiter les plaintes étaient fondées sur la conclusion voulant que les plaintes aient été « frivoles » parce que deux cas analogues concernant des allégations similaires faites par d’autres pilotes d’Air Canada dont l’emploi a pris fin pendant la période allant de 2003 à 2005 avaient été rejetés et confirmés par les Cours fédérales : Vilven c. Air Canada, 2009 CF 367 [Vilven CF] et Association des pilotes d’Air Canada c. Kelly, 2012 CAF 209 [Kelly CAF]. Dans la décision Vilven CF, la Cour fédérale a confirmé que l’âge de la retraite à 60 ans pour les pilotes d’Air Canada n’était pas discriminatoire. Dans la décision Kelly CAF, la Cour d’appel fédérale [CAF] a conclu que l’alinéa 15(1)c) de la Loi est constitutionnellement valide.

[7]               Comme il a été mentionné, les décisions Gregg rendues par la Commission, bien que concises, avaient plus d’ampleur, mais elles étaient par ailleurs identiques à sa décision rendue à l’encontre des plaintes relatives à M. Crowley. La décision utilisée dans les plaintes relatives à M. Gregg et les plaintes connexes est exposée ci-dessous. Pour fins de comparaison, les extraits des décisions Gregg qui n’étaient pas contenus dans les décisions Crowley figurent entre crochets :

Étant donné que la Cour d’appel fédérale a confirmé que l’alinéa 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne est constitutionnelle, et que la Cour fédérale a confirmé que 60 ans est l’âge de la retraite pour les pilotes de la défenderesse, il est évident et manifeste que cette plainte ne peut être accueillie.

[L’avocat du plaignant affirme dans ses observations que de nouveaux éléments de preuve sont nécessaires dans la présente cause pour établir que 60 ans est l’âge de la retraite pour les pilotes de la défenderesse. Cela signifie que chaque fois qu’un des pilotes de la défenderesse est tenu de prendre sa retraite à l’âge de 60 ans, la défenderesse aurait à fournir des preuves statistiques que 60 ans est l’âge de la retraite en vertu de l’alinéa 15(1)c). Une telle approche n’est pas dans l’intérêt public et ne tient pas compte des décisions de la Cour d’appel fédérale et de la Cour fédérale qui ont été rendues relativement à la même position et à l’égard du même employeur. Dans de telles circonstances, à moins qu’il y ait lieu de croire que 60 ans n’est pas l’âge de la retraite pour les pilotes de la défenderesse (et le plaignant n’a pas fourni de tels éléments de preuve), la Commission est en droit de se fonder sur la décision de la Cour d’appel fédérale et de la Cour fédérale.

Une demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada à l’encontre de la décision de la Cour d’appel fédérale ne change pas le fait que la Commission est liée par ces décisions.]

En conclusion, conformément à l’alinéa 15(1)c) et aux décisions Vilven et Kelly, le fait pour la défenderesse d’exiger que les pilotes prennent leur retraite à 60 ans ne constitue pas un acte discriminatoire.

III.               Contexte jurisprudentiel

[8]               Le contexte jurisprudentiel actuel est particulièrement pertinent pour comprendre les décisions de la Commission et les observations des parties, puisque l’objet des présentes demandes a été amplement débattu. Je vais brièvement résumer le contexte jurisprudentiel.

[9]               Tout d’abord, mentionnons les causes relatives à la décision rendue par le Tribunal dans Vilven et Kelly c. Air Canada et Association des pilotes d’Air Canada, 2007 TCDP 36 [Vilven TCDP]. Le Tribunal a conclu que l’âge de la retraite des pilotes de ligne occupant des postes semblables à ceux occupés par les demandeurs était 60 ans et que l’alinéa 15(1)c) de la loi ne violait pas la Charte. Le fondement factuel de la décision comprenait un exposé conjoint des faits qui dressait la liste de [traduction] « tous les grands transporteurs aériens et transporteurs intermédiaires et les âges auxquels les pilotes qui sont à leur service doivent prendre leur retraite » pour désigner les transporteurs aériens de référence.

[10]           Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire dans la décision Vilven CF, la juge McTavish a conclu que le Tribunal avait commis une erreur dans sa désignation des transporteurs aériens de référence en y incluant les transporteurs étrangers. Plutôt que de mettre de côté la décision, la Cour a choisi parmi cette liste les transporteurs aériens de référence canadiens. Par la suite, la Cour a confirmé la décision du Tribunal que 60 ans était l’âge de la retraite. Cette conclusion n’a pas fait l’objet d’un appel par les plaignants. Toutefois, la Cour a procédé par la suite à l’annulation de la décision du Tribunal selon laquelle l’alinéa 15(1)c) de la Loi était inconstitutionnel, et a renvoyé l’affaire au Tribunal pour que celle-ci détermine si la disposition pouvait être justifiée en vertu de l’article premier de la Charte.

[11]           À la suite de la décision de la juge McTavish, le Tribunal a conclu, dans Vilven c. Air Canada, 2009 TCDP 24 que l’alinéa 15(1)c) ne pouvait se justifier en vertu de l’article premier de la Charte. La juge McTavish a confirmé la décision du Tribunal dans la décision Association des pilotes d’Air Canada c. Kelly, 2011 CF 120 [Kelly CF]. Cependant, cette décision a été infirmée par la Cour d’appel fédérale dans Kelly CAF qui a conclu que l’alinéa 15(1)c) pouvait se justifier en vertu de l’article premier de la Charte. Par conséquent, elle a ordonné au Tribunal de rejeter les plaintes, confirmant ainsi l’âge de la retraite des pilotes d’Air Canada à 60 ans en se fondant sur la conclusion n’ayant pas fait l’objet d’un appel dans Vilven CF que 60 ans était l’âge de la retraite.

[12]           Le deuxième courant jurisprudentiel pertinent soulevé par les défenderesses dans les présentes demandes commence avec la décision du Tribunal rendue le 10 août 2011 dans Adamson c. Air Canada, 2011 TCDP 11 [Adamson TCDP]. Là encore, le Tribunal a déclaré que 60 ans était l’âge de la retraite pour les pilotes d’Air Canada, mais seulement après avoir déterminé quels étaient les transporteurs aériens de référence appropriés et après avoir procédé à une analyse exhaustive des caractéristiques de chaque avion des transporteurs aériens en activité au Canada de 2005 à 2009 ainsi que le nombre de pilotes pour ces transporteurs et l’âge de la retraite de ces pilotes. J’ai annulé la décision du Tribunal dans Adamson CF, mais la Cour d’appel fédérale l’a restaurée dans sa décision datée du 26 juin 2015 dans Adamson c. Canada (Commission des droits de la personne), 2015 CAF 153 [Adamson CAF]. La décision de la Cour d’appel fédérale se révèle d’un intérêt particulier pour les demandeurs.

[13]           Ces décisions ne constituent pas les seules causes où le droit de faire valoir une plainte semblable a été soulevé, puisqu’il y a plus de 90 pilotes d’Air Canada qui sont parties à plus de 180 plaintes concernant les départs à la retraite obligatoires faisant l’objet d’un arbitrage devant le Tribunal.

IV.              Dispositions législatives applicables

[14]           La décision de la Commission de ne pas traiter les plaintes a été rendue conformément aux alinéas 15(1)c) (abrogé le 15 décembre 2012) et 41(1)d) de la Loi, tels qu’ils figuraient à la date de la décision :

Exceptions

Exceptions

15 (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

15 (1) It is not a discriminatory practice if

[…]

[…]

c) le fait de mettre fin à l’emploi d’une personne en appliquant la règle de l’âge de la retraite en vigueur pour ce genre d’emploi;

(c) an individual’s employment is terminated because that individual has reached the normal age of retirement for employees working in positions similar to the position of that individual;

Irrecevabilité

Commission to deal with complaint

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

[…]

[…]

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

 

V.                 Questions en litige

[15]           Les présentes demandes de contrôle judiciaire soulèvent les questions suivantes :

  1. L’exposé conjoint des faits dont le Tribunal a été saisi dans le cadre de la procédure relative à la décision Vilven TCDP est-il irrecevable au motif qu’il n’avait pas été déposé devant la Commission lorsque celle-ci a rendu les décisions?
  2. La norme de contrôle d’une décision de la Commission de rejeter une plainte à l’étape préliminaire continue-t-elle d’exiger un examen judiciaire moins empreint de déférence qu’à l’égard d’une décision qui rejette une plainte à l’étape de l’instruction?
  3. La Commission aurait-elle dû examiner les plaintes comme étant « vexatoires » plutôt que « frivoles » en vertu de l’alinéa 41(1)d) pour déterminer si oui ou non elle devait les trancher?
  4. La norme de preuve juridique dans le but de rejeter une plainte en raison de son caractère frivole en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi exige-t-elle un examen du partage du poids du préjudice subi par les demandeurs et les défenderesses?
  5. La Commission a-t-elle rendu une « décision juridique » pour rejeter les plaintes et l’alinéa 41(1)d) limite-t-il la portée de l’examen par la Commission à celui de la suffisance de la preuve?
  6. La conclusion de la Commission était-elle raisonnable au point qu’elle était liée par la décision de notre Cour dans Vilven CF, et que, par conséquent, il était « évident et manifeste » que ces plaintes ne pouvaient être accueillies, et la Commission pouvait-elle s’appuyer sur une décision abrégée qui s’apparente à un « abus de procédure pour remise en cause » pour rejeter la plainte?
  7. En concluant que les décisions de la Commission étaient déraisonnables, la Cour devrait-elle néanmoins les annuler puisque toute nouvelle décision amènera la Commission à décider de ne pas les examiner?

VI.              Portée de la preuve dans la demande de contrôle judiciaire

[16]           L’Association soutient qu’une pièce versée dans les dossiers de la demande ne devrait pas être prise en compte par la Cour dans le cadre du contrôle judiciaire puisqu’elle n’a pas été présentée à la Commission et que les circonstances ne justifient pas son admission. La pièce contestée est l’exposé conjoint des faits dont le Tribunal canadien des droits de la personne [le Tribunal] a été saisi dans l’instance introduite devant lui dans Vilven TCDP ainsi qu’une partie du dossier déposé dans Vilven CF. Les demandeurs font valoir cette pièce à l’appui de leur prétention selon laquelle les conclusions de la Cour sur l’âge de la retraite dans la décision Vilven CF étaient viciées, de sorte que celle-ci ne pouvait pas être invoquée par la Commission pour fonder sa décision.

[17]           Je suis d’avis que les répondants, par leur objection, confondent la preuve qui a été présentée au commissaire et la preuve qui justifie le ratio decidendi de l’affaire examinée par la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Le Tribunal dans Vilven TCDP et la Cour dans Vilven CF se sont fondés sur un exposé conjoint des faits dans le processus de détermination des transporteurs aériens de référence. Je crois comprendre que la Cour n’est pas astreinte à porter son attention sur les faits précis dans une cause que l’on prétend être pertinente à l’égard d’une question, lorsqu’il peut y avoir un renvoi à des éléments de preuve versés au dossier, mais qui n’ont pas été mentionnés dans la décision.

[18]           Étant donné que la question soulevée par les demandeurs est de savoir si l’approche utilisée dans Vilven CF était viciée, pour les raisons qu’ils affirment, le Tribunal peut être tenu d’examiner la preuve pertinente dont dispose la Cour dans cette cause. Cette preuve peut comprendre l’exposé conjoint des faits utilisé pour désigner les transporteurs aériens aux fins de l’analyse statistique des employés occupant des postes semblables à ceux des demandeurs. Au besoin, je vais par conséquent examiner le document à cette seule fin.

VII.            Analyse

A.                 Norme de contrôle

[19]           Les parties ont convenu que la norme de la décision raisonnable devait être appliquée. Je suis d’accord. Pour déterminer si les décisions de la Commission sur ces questions étaient raisonnables, je dois examiner la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus et déterminer si les décisions appartiennent aux issues possibles et acceptables (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2009 CSC 9, au paragraphe 47). Cela dit, les deux parties adoptent des positions sur la norme de contrôle et le fardeau de preuve légal qui exigent un examen plus approfondi.

[20]           Les demandeurs font valoir que, selon le raisonnement exposé dans la décision Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 [Sketchley], une norme de retenue moins élevée, que j’ai toujours assimilé à un degré plus élevé d’examen judiciaire, ne s’applique plus aux décisions qui rejettent une plainte à l’étape de l’examen préliminaire. Je cite le passage pertinent de la décision Sketchley sur ce point, au paragraphe 80 :

[80] Toutefois, lorsque la Commission décide de rejeter une plainte, sa conclusion est « à proprement parler une décision qui touche aux droits subjectifs » (Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, 1979 CanLII 2493 (FCA), [1980] 1 C.F. 687 (C.A.), à la page 697 (Latif)). Toutes les présomptions juridiques formulées par la Commission quand elle décide de rejeter une plainte seront définitives pour ce qui concerne leurs répercussions sur les parties. Par conséquent, dans la mesure où la Commission décide de rejeter une plainte en s’appuyant sur une conclusion qu’elle a tirée au sujet d’une question fondamentale de droit, le degré de déférence qui sera exercé dans le contrôle de la décision sera moins élevé.

[Non souligné dans l’original.]

[21]           Les défenderesses s’appuient sur la récente décision Wilson c. Énergie atomique du Canada Limitée, 2016 CSC 29 [Wilson] pour étayer leur affirmation que selon la norme de la décision raisonnable, un tribunal de révision ne devrait pas reconnaître l’application de divers degrés de déférence en fonction de la nature de la décision (au paragraphe 18). Dans l’application de ce raisonnement, elles sont d’avis que d’établir une distinction entre diverses situations en fonction de la question de savoir si une décision est rejetée, ou si une demande de renvoi est refusée, exige la même norme de retenue et d’examen judiciaire.

[22]           Il n’est pas clair dans les motifs de la décision Wilson que la thèse proposée par les défenderesses a été adoptée par les sept autres juges, à l’exception des juges Abella et Cromwell. Même là, il n’est pas clair si la déférence est aujourd’hui considérée comme une aberration en ce qui a trait au degré d’examen judiciaire appliqué lors d’un contrôle judiciaire, ou si la critique portait plutôt sur la « [tentative] d’étalonner la norme en appliquant des degrés potentiellement indéterminés de déférence » parce que cela « compliquerait indûment un domaine du droit qui a besoin d’être simplifié » (Wilson, juge Abella, au paragraphe 18, et juge Cromwell).

[23]           Quoi qu’il en soit, que l’arrêt Wilson soutienne que le degré de déférence ne devrait pas varier selon la nature de la décision, cela ne signifie pas que le caractère raisonnable ne devrait pas être évalué à la lumière de son contexte. Le juge Cromwell, au paragraphe 73 de l’arrêt Wilson, a reconnu que « la norme de la décision raisonnable, bien qu’elle constitue “une norme unique” “s’adapte” néanmoins “au contexte”. » Il a expliqué que le caractère raisonnable doit, par conséquent, « s’apprécie[r] dans le contexte du type particulier de processus décisionnel en cause et de l’ensemble des facteurs pertinents » citant Catalyst Paper Corp c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, au paragraphe 18, comme suit :

Par conséquent, le caractère raisonnable « s’apprécie dans le contexte du type particulier de processus décisionnel en cause et de l’ensemble des facteurs pertinents » (Catalyst Paper Corp., par. 18). Or, à mon avis, ouvrir la porte au contrôle judiciaire selon une norme de la décision raisonnable repensée et caractérisée par des degrés de contrôle apparemment illimités — la démarche de la marge d’appréciation élaborée par la Cour d’appel fédérale — ne constitue pas une évolution souhaitable de la jurisprudence en la matière.

[24]           Je crois savoir que les tribunaux ont toujours accepté qu’il existe une différence contextuelle fondamentale quant à la déférence dont il faut faire preuve à l’égard de décisions qui tranchent une question en dernier ressort, par opposition à celles qui sont de nature provisoire, où la question n’est pas tranchée. Cette distinction peut être établie à l’égard d’un droit d’appel, ou d’une demande de contrôle judiciaire si la décision entraîne le rejet de l’affaire, comme en l’espèce. La distinction est fondée sur l’ampleur du préjudice subi par le demandeur en raison du rejet de la demande, où l’issue est qualitativement différente quant à ses répercussions sur la partie dont la plainte est rejetée. Prenant appui sur cette prémisse, le raisonnement de fond dans Sketchley, au paragraphe 80, continue de s’appliquer pour ce qui est d’un seuil plus élevé pour le critère du caractère raisonnable parce qu’une « [décision] de rejeter une plainte [sera] définitiv[e] pour ce qui concerne leurs répercussions sur les parties ».

[25]           Je signale aussi que peu importe si la norme de la décision raisonnable se rapporte au degré de déférence ou au contexte, il semble qu’elle soit totalement, ou du moins presque entièrement intégrée dans l’approche plus prudente voulant que la Commission ne puisse refuser d’examiner la plainte, sauf lorsqu’il est évident et manifeste qu’elle n’a aucune chance d’être accueillie. Le juge Rothstein semble avoir été le premier juge à établir un lien entre le fait de fermer sommairement le dossier et le seuil élevé que constitue le fait de ne pas trancher la question dans la décision Société canadienne des postes c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1997), 130 F.T.R. 241 (FC), au paragraphe 3, conf. par 169 FTR 138 (CAF), autorisation de pourvoi à la CSC refusée [1999] CSCR no 323. Plus récemment au même effet, voir Carrol c. Canada (Procureur général), 2015 CF 287, au paragraphe 92 [Carrol] : « Pourtant, la notion de déférence limitée est compatible avec le critère du “cas le plus évident”, qui reste valide en droit ».

[26]           De plus, même si un examen judiciaire plus minutieux est requis dans les cas où des plaintes sont rejetées, la Commission a néanmoins toute latitude de rejeter une plainte lorsqu’elle est d’avis qu’une instruction plus poussée n’est pas justifiée. Dans l’arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.F), au paragraphe 38, [Bell Canada], la Cour d’appel fédérale concluait que « [l]a Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête ». Je pense qu’il s’agissait probablement d’une référence au pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les considérations de politique et les considérations factuelles qui peuvent influer sur l’étendue des catégories prévues au paragraphe 41(1), p. ex. si les conclusions juridiques peuvent permettre de conclure au caractère frivole d’une plainte. La réalité demeure que la latitude dont dispose un tribunal pour rejeter une plainte à l’étape préliminaire ne peut être exercée dans les limites les plus étroites de cette latitude, étant évident et manifeste qu’elle ne peut être accueillie, ce qui ne laisse pratiquement aucun pouvoir discrétionnaire (voir Carrol aux paragraphes 90 à 102 sur la discussion en ce qui touche au caractère frivole).

[27]           En conclusion, même si je constate qu’il y a encore une distinction à établir selon que la Commission décide d’examiner ou non une plainte, cela n’a que très peu d’effet pratique, étant donné que le critère de la décision de ne pas traiter la plainte parce qu’il est évident et manifeste qu’elle n’a aucune chance d’être accueillie doit recourir à la norme plus élevée. Pour cette raison, je rejette les arguments des parties concernant une norme de contrôle qui n’est pas comprise dans le critère du caractère évident et manifeste.

B.                 Les motifs et les facteurs pertinents justifiant le rejet d’une plainte

[28]           Bien que les parties ne soient pas en désaccord quant à la norme juridique du caractère « évident et manifeste » pour rejeter une plainte en vertu de l’alinéa 41(1)d), les demandeurs semblent soutenir que le rejet d’une plainte devrait être examiné conformément au facteur que constitue le caractère « vexatoire ». À cet égard, ils se fondent sur la décision Carrol et sur d’autres décisions qui se penchent sur des situations où « un autre processus » devant un autre décideur que le Tribunal avait déjà examiné la question relevant de cette catégorie. Dans la décision Carrol, la Cour a conclu que le facteur relatif au caractère vexatoire en vertu de l’alinéa 41(1)d) ne s’appliquait pas aux questions soulevées dans la même cause que celle examinée par un processus externe au Tribunal. La Cour a conclu que la définition n’incluait pas d’autres processus relevant de cette catégorie, parce qu’on ne pouvait dire que ces processus correspondaient à la définition du caractère vexatoire, c’est-à-dire [TRADUCTION] «  [une conduite] qui n’est fondée sur aucune cause ou excuse raisonnable ou probable; harcelante; agaçante.  »

[29]           Je conclus que la discussion dans la décision Carrol n’a aucune incidence sur l’affaire qui nous intéresse. Dans cette affaire, les questions en litige portaient sur une procédure externe qui soulevait des questions complexes impliquant des compétences concurrentes et l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Ces questions étaient débattues en vertu du facteur relatif au caractère vexatoire prévu à l’alinéa 41(1)d) de la Loi. Les questions en litige concernent la politique d’intérêt public dont il est question dans la catégorie du caractère « frivole » que la Commission a appliqué à l’encontre de plaintes remises en cause que le Tribunal avait déjà tranchées pour un groupe de plaignants, pour ensuite être saisie des mêmes questions soulevées par un autre groupe de plaignants identiques, sauf en ce qui avait trait à la question de savoir si le fondement factuel avait changé en raison de la date à laquelle les questions ont été entendues. Tel qu’il a été indiqué, les plaintes ont été rejetées parce qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuves pour indiquer qu’il était évident et manifeste que les plaintes ne pouvaient être accueillies compte tenu des décisions rendues antérieurement par les Cours fédérales. Les demandeurs n’ont pas pu présenter suffisamment d’éléments de preuve pour indiquer qu’il existait un contexte factuel différent fondé sur l’écoulement de quelques années.

[30]           Pour la même raison, je ne crois pas que cette décision soit « juridique » comme le soutiennent les demandeurs. Il s’agit plutôt d’une décision fondée sur l’insuffisance d’éléments de preuve distinctifs en ce qui concerne des décisions antérieures. De même, je rejette l’argument des demandeurs selon lequel ces décisions ont renversé le fardeau de la preuve en exigeant que les demandeurs démontrent qu’ils pouvaient réfuter les moyens de défense qui seraient soulevés par les défenderesses. Les demandeurs ont été les premiers à prétendre que les conditions « factuelles » relatives à une affiliation à un transporteur aérien au Canada avaient changé depuis 2005, lorsque l’enquêteur a recommandé que les plaintes soient considérées comme frivoles. La Commission a accepté l’hypothèse des demandeurs comme motif de renvoi de l’affaire au Tribunal, mais a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve probants ne reposant pas sur des conjectures à l’appui des observations des demandeurs selon lesquelles le contexte factuel avait changé depuis la décision rendue dans Vilven CF. La Commission a rejeté les plaintes pour ce motif, en plus de préciser son point de vue que le réexamen de questions déjà tranchées chaque fois qu’une nouvelle plainte sort de l’ombre n’était pas dans l’intérêt public.

[31]           De plus, je ne suis pas convaincu que les questions liées au caractère frivole en vertu de l’alinéa 41(1)d) se limitent à la suffisance des éléments de preuve. Le dictionnaire Merriam-Webster Online fournit une définition juridique du terme anglais « frivolous » comme signifiant [TRADUCTION] « dont le fondement défendable ou le motif discutable fait défaut en droit ou en fait » [je souligne]. Je pense que cette disposition devrait être interprétée de manière à permettre le dépôt de plaintes rejetées à l’étape préliminaire lorsqu’elles se fondent sur le fait qu’un motif discutable quant au fond fait défaut en droit ou en fait comme exemple du large pouvoir discrétionnaire dont dispose la Commission et reconnu dans l’arrêt Bell Canada.

[32]           Enfin, lorsque j’examine la portée des éléments de preuve qui sont pertinents à la détermination d’une plainte frivole, il me faut aussi rejeter l’argument des demandeurs que dans la présente cause, la Commission a commis une erreur en faisant défaut de dûment [traduction] « tenir compte et de mettre en balance l’atteinte sévère » aux droits des plaignants qui découlerait du rejet des plaintes, comparativement au préjudice que le licenciement cause aux défenderesses. À mon avis, le préjudice n’est pas un facteur pertinent en l’espèce. La situation factuelle implique la remise en cause des décisions qui ont été rejetées antérieurement par le Tribunal et qui ont été confirmées par la Cour fédérale. La question est de savoir si les demandeurs ont fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il n’est pas évident et manifeste que les plaintes n’ont aucune chance d’être accueillies pour les mêmes motifs invoqués dans ces décisions antérieures. Il n’y a pas de place pour les questions de préjudice qui pourraient influencer cette étroite évaluation factuelle telle qu’elle est décrite ci-dessus. Si le préjudice devait jouer un rôle, ce serait uniquement en ce qui concerne la norme de contrôle, qui, j’estime, fait partie du critère du caractère évident et manifeste qui permet de déclarer une plainte irrecevable.

C.                 Recours aux décisions Vilven comme motif pour rejeter les plaintes

[33]           Je juge que les différents arguments de fond des demandeurs en ce qui concerne leur prétention voulant que la Commission ait mal appliqué les décisions Vilven pour rejeter les plaintes relèvent de deux types de critiques. D’une part, les demandeurs soutiennent que la Cour d’appel fédérale dans Adamson CAF a examiné la portée du pouvoir discrétionnaire du Tribunal dans la série de décisions Vilven et a conclu que la Commission avait le devoir d’évaluer soigneusement chaque plainte ultérieure en fonction de ses propres faits et de son propre bien-fondé. Parce qu’elle a omis de le faire, les demandeurs soutiennent que la Commission a fait obstacle à l’exercice de son pouvoir décisionnel de manière déraisonnable. D’autre part, comme l’a quelque peu reformulé la Cour, compte tenu de la déférence judiciaire plus élevée dont doit faire preuve la Cour envers la décision de la Commission de rejeter une plainte en vertu de l’alinéa 41(1)d), les demandeurs soutiennent que la décision factuelle de la Commission voulant qu’aucune modification n’ait été apportée à l’industrie du transport aérien est déraisonnable étant donné que la preuve circonstancielle a démontré que les demandeurs ont été forcés de prendre leur retraite jusqu’à six ans après que les demandeurs eurent pris la leur dans les décisions Vilven et Kelly.

(1)               L’arrêt Adamson CAF n’est pas pertinent en ce qui concerne la décision de la Commission de rejeter les plaintes.

[34]           Les demandeurs soutiennent que l’arrêt Adamson CAF a conclu que chaque plainte doit être examinée en fonction de ses propres circonstances factuelles, et qu’en omettant de le faire, la Commission a fait obstacle à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. À l’appui de cet argument, ils citent l’arrêt Adamson CAF, au paragraphe 31, pour appuyer la proposition selon laquelle la Commission [traduction] « n’était pas tenue de suivre aveuglément » la décision Vilven CF :

[31]      [...] Bien que je souscrive au principe selon lequel, lors du réexamen, le tribunal a l’obligation de suivre les directives de la cour réformatrice (voir le paragraphe 54 de l’arrêt Supérieur Propane), j’estime que la règle ne joue pas dans les circonstances. En l’espèce, le Tribunal ne procédait pas au réexamen à la suite d’une procédure de contrôle judiciaire. Il ne faisait qu’apprécier les plaintes en première instance. Malgré le chevauchement évident avec l’affaire Vilven/Kelly, ce litige et le nôtre reposent sur un dossier de preuve différent et doivent être considérés comme distincts. Le Tribunal n’avait pas l’obligation de suivre aveuglément la jurisprudence Vilven CF.

[Non souligné dans l’original.]

[35]           La Cour a également conclu ceci aux paragraphes 57 à 59 :

[57] Bien que dans les deux cas le principe du précédent obligatoire soit discuté, la conclusion qui précède se distingue de ma conclusion précédente selon laquelle le Tribunal n’était pas tenu d’appliquer la jurisprudence Vilven CF parce qu’il n’avait pas à rendre une nouvelle décision à l’égard des plaintes dans notre affaire. Les deux conclusions conduisent à un même résultat en pratique. Le Tribunal n’était pas tenu d’appliquer les facteurs de la jurisprudence Vilven CF de la manière avancée par la juge Mactavish, mais disposait d’une plus grande marge de manœuvre pour décider de leur mode d’emploi.

[58] Tous ces éléments m’incitent à accorder à la jurisprudence Vilven CF une portée plus restreinte aux fins de l’examen de la décision du Tribunal. Les facteurs de la jurisprudence Vilven CF ne sont pas une formule que le Tribunal devait appliquer correctement pour éviter l’annulation de sa décision à l’étape du contrôle judiciaire. Plus important encore, il ne faut pas considérer ces facteurs indépendamment des faits particuliers sur lesquels étaient fondées les plaintes et les transformer en une norme prescriptive.

[59] Étant donné que j’ai conclu que la jurisprudence Vilven CF ne faisait pas autorité, j’estime que la mention constante par le juge du « critère consacré par la décision Vilven » s’éloignait de l’examen global requis de la décision du Tribunal dans le cadre du contrôle judiciaire, ce qui a conduit le juge à se concentrer de manière excessive sur les motifs de la décision Vilven CF.

[Non souligné dans l’original.]

[36]           Dans le but de comprendre mes motifs pour rejeter les présentes demandes, et d’expliquer pourquoi je ne considère pas que l’arrêt Adamson CAF est pertinent à l’égard de la question soulevée par les demandeurs, il est nécessaire de fournir d’autres renseignements pour expliquer les distinctions qui doivent être établies entre les fondements factuels et le raisonnement dans les décisions Vilven et Adamson CF qui ont été au cœur de l’analyse de la Cour dans l’arrêt Adamson CAF.

[37]           Les deux affaires devant la Cour fédérale impliquaient effectivement les mêmes parties, les seuls faits distinctifs étant que les demandeurs dans Vilven CF étaient des pilotes d’Air Canada tenus de prendre leur retraite avant 2004, alors que les demandeurs dans la décision Adamson CF étaient tenus de prendre leur retraite au cours de la période de 2005 à 2009.

[38]           De plus, et cela revêt une importance considérable dans l’avis de la Cour sur ces questions, bien qu’il n’ait pas été soulevé comme un facteur dans les observations des demandeurs auprès de la Commission ou en tant que motif pour faire annuler les décisions de la Commission, les parties dans Vilven CF ont présenté un exposé conjoint des faits dans le but de désigner les transporteurs aériens de référence. Les employés de ces transporteurs aériens ont été utilisés par le Tribunal pour déterminer l’âge de la retraite pour les pilotes occupant des postes semblables à ceux d’Air Canada. Ils ont été désignés pour les principaux transporteurs aériens canadiens et internationaux en fonction du prestige et du statut des postes que les demandeurs occupent à Air Canada. Comme il a été indiqué, la juge McTavish a rejeté le recours aux transporteurs aériens étrangers. En outre, dans la désignation des caractéristiques essentielles des postes occupés par les demandeurs, la juge McTavish a également rejeté le facteur lié au prestige ou au statut des postes des demandeurs pour identifier les pilotes occupant des postes semblables. Au lieu de cela, elle a formulé un critère à six volets pour déterminer « ce que font concrètement les pilotes d’Air Canada ». Elle a par la suite procédé à une analyse statistique des postes en fonction des transporteurs aériens (y compris Air Canada) qui faisaient toujours partie de la liste des transporteurs aériens de référence après le retrait des transporteurs étrangers, mais sans procéder à une analyse appliquant le critère à six volets à ces transporteurs aériens.

[39]           Dans le cadre de son évaluation dans Adamson TCDP, le Tribunal a procédé à un examen exhaustif de tous les transporteurs aériens en activité au Canada. Le Tribunal les a classés en fonction des caractéristiques qui reflétaient les facteurs définis par la juge McTavish. Il a ensuite sélectionné les transporteurs aériens qui présentaient conjointement tous les facteurs. C’était l’opinion que j’ai formulée dans Adamson CF, que l’issue de la décision en raison de l’application de cette méthode était déraisonnable pour les pilotes à la retraite, parce que les transporteurs aériens sélectionnés excluaient les principaux concurrents canadiens d’Air Canada, à l’égard desquels les parties avaient convenu qu’il s’agissait de transporteurs aériens de référence aux fins de l’exposé conjoint des faits dans la décision Vilven CF et qui ont également été utilisés par la juge McTavish pour les besoins de son analyse statistique. J’ai conclu que les facteurs doivent être appliqués de façon disjonctive, afin d’éviter ce que, selon moi, était l’issue déraisonnable du défaut des parties d’avoir pu désigner les principaux concurrents d’Air Canada à titre de transporteurs aériens de référence.

[40]           En annulant la décision, la Cour d’appel fédérale a conclu, entre autres motifs, que j’avais insisté exagérément sur les motifs énoncés dans la décision Vilven CF comme s’il s’agissait d’un « critère ». Comme il est décrit dans les passages de la décision précitée, la Cour a stipulé qu’un examen holistique plus étendu de la décision du Tribunal était requis, lui permettant ainsi d’exercer un plus large pouvoir discrétionnaire pour appliquer les facteurs établis dans Vilven CF« ce litige et le nôtre reposent sur un dossier de preuve différent et doivent être considérés comme distincts ». Je comprends que cela faisait référence au fait que la juge McTavish avait été saisie d’un exposé conjoint des faits, par opposition au fondement factuel dont disposait le Tribunal qui avait été déterminé en fonction d’une preuve contestée entièrement différente visant tous les transporteurs aériens canadiens.

[41]           C’est dans ce contexte que je conclus que les demandeurs ont exagéré dans leur tentative d’appliquer l’arrêt Adamson CAF aux circonstances de l’espèce. Les présentes questions en litige concernent le caractère raisonnable de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission lorsqu’elle détermine si une question est frivole. L’arrêt Adamson CAF est pertinent dans la mesure où il a reconnu le pouvoir discrétionnaire dont dispose le Tribunal pour traiter de manière distincte chaque cas selon son contexte factuel particulier lors de l’application de la directive émise par la Cour dans Vilven CF.

[42]           Le rejet à l’étape préliminaire implique de procéder à un exercice différent de celui auquel s’est livré le Tribunal dans la mesure où la Commission applique en réalité un critère, qui plus est très restreint, pour déterminer si une question est frivole. Le critère décrit par l’enquêteur est le suivant : compte tenu de la preuve, apparaît-il évident et manifeste que la plainte n’a aucune chance d’être accueillie? À mon avis, l’application de ce critère accorde à la Commission une grande latitude pour exercer son pouvoir discrétionnaire, lequel n’est entravé par aucune formule ou base de justification, à la condition que la conclusion de la Commission soit raisonnable qu’il est évident et manifeste que la plainte n’a aucune chance d’être accueillie. Pour cette raison, il n’est pas déraisonnable pour la Commission de rejeter une plainte qui a si peu de chance d’être accueillie au motif qu’elle est frivole, sur le fondement des décisions antérieures du Tribunal, ou sur l’examen de celles-ci par les Cours fédérales, où aucune autre preuve n’a été fournie qui indique qu’une conclusion différente pourrait surgir si la plainte était renvoyée au Tribunal.

[43]           Par conséquent, j’estime que l’arrêt Adamson CAF ne s’applique pas à la Commission dans les circonstances de l’espèce. Pas plus qu’il n’exige que la Commission examine chacune des plaintes en fonction de leurs propres circonstances factuelles sans avoir le pouvoir discrétionnaire de comparer ces circonstances avec des questions déjà tranchées par le Tribunal concernant des demandeurs semblables afin de déterminer s’il est évident et manifeste que ces plaintes ne peuvent être accueillies. De plus, je ne suis pas d’accord que la Commission a décidé qu’elle était liée par les décisions Vilven lorsqu’elle a simplement indiqué qu’elle pouvait s’appuyer sur ces décisions dans le but de déterminer si les plaintes étaient frivoles, compte tenu du fait que les demandeurs n’ont pas fourni d’éléments de preuve probants qui pourraient donner un résultat différent.

(2)               La Commission pouvait raisonnablement se fonder sur les décisions Vilven pour rendre sa décision puisque les demandeurs ont fait défaut de présenter une preuve suffisante pour indiquer que des différences contextuelles importantes s’appliqueraient compte tenu du temps qui s’était coulé.

(a)                La preuve des demandeurs reposait sur des conjectures

[44]           Le fond de l’argument des demandeurs est que la Commission ne saurait tirer une conclusion factuelle raisonnable quant à la validité des dispositions relatives à la retraite obligatoire pour les pilotes demandeurs qui ont été forcés de prendre leur retraite à une date ultérieure, jusqu’à six ans après la retraite visée dans les décisions Vilven et Kelly en 2003 et en 2005 respectivement. Ils soutiennent que la situation de fait pertinente pour un pilote obligé de prendre sa retraite à l’âge de 60 ans plusieurs années après que les décisions Vilven et Kelly eurent été rendues pourrait être et serait probablement considérablement différente [je souligne] de la situation de fait soulevée dans Vilven et Kelly, étant donné en particulier l’évolution rapide de l’environnement réglementaire et de l’emploi dans l’industrie canadienne du transport aérien et l’étroite marge de manœuvre citée par la Cour pour en arriver à sa conclusion en matière de statistiques quant à la question concernant l’âge de la retraite dans Vilven CF. Par conséquent, les demandeurs soutiennent que la Commission avait le devoir d’évaluer soigneusement chaque plainte ultérieure selon ses propres faits, ce qu’elle n’a pas fait.

[45]           Toutefois, les demandeurs n’ont fourni aucune preuve pour démontrer que la situation des transporteurs aériens canadiens avait changé, spéculant plutôt sur les effets de l’écoulement du temps durant la période intermédiaire pertinente. Pour justifier leur incapacité à obtenir plus d’éléments de preuves sur les changements concernant les circonstances des transporteurs aériens canadiens, les demandeurs ont soutenu devant moi qu’ils ne pouvaient obtenir de tels renseignements que par voie d’assignations à comparaître délivrées par le Tribunal, étant donné qu’il s’agissait du moyen utilisé pour obtenir des renseignements sur certains des transporteurs aériens mentionnés dans la décision Adamson TCDP.

[46]           Les défenderesses ont répondu, avec raison à mon avis, que les arguments des demandeurs sur les modifications importantes dans l’industrie du transport aérien au cours de la période en question sont de nature spéculative et qu’il n’y a eu aucune preuve devant la Commission que 60 ans n’était pas l’âge de la retraite dans l’industrie canadienne du transport aérien pour les personnes occupant des postes semblables à ceux des demandeurs. Elles ont également soutenu que tout changement important dans l’industrie aurait été porté à l’attention des nombreux pilotes dans ces affaires, ou dans les affaires pendantes dans le cadre desquelles ils attendent le traitement de leurs plaintes. Pour ce motif, je conviens que les décisions de la Commission devraient être maintenues.

(b)               La décision Adamson TCDP nest pas pertinente quant au caractère raisonnable de la décision de la Commission, compte tenu des arguments soulevés par les défenderesses

[47]           Les défenderesses ont tenté de renforcer leur argumentation en soutenant que la Cour doit tenir compte de la décision du Tribunal dans Adamson TCDP du 10 août 2011 pour étayer le caractère raisonnable de la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs n’ont pas fourni de preuve démontrant l’évolution de l’industrie du transport aérien. Elles soutiennent que la décision du Tribunal montre qu’il était très peu probable qu’une telle preuve existe. Invoquant la décision du Tribunal dans Adamson TCDP, le délai durant lequel les modifications dans l’industrie canadienne du transport aérien devaient être apportées devait passer de 2005 à 2009, soit les années de retraite des pilotes demandeurs dans Adamson TCDP. Je rejette cette observation parce que je juge qu’il y a absence totale de toute référence à la décision Adamson TCDP dans les éléments de preuve versés aux dossiers des parties. Si ces éléments de preuve n’ont pas été présentés à la Commission, je ne peux pas dire qu’il s’agissait d’un facteur dont elle a tenu compte dans sa décision.

[48]           Je pense qu’il convient également de noter que ce sont les demandeurs qui ont choisi de ne pas tenter de se fonder sur les distinctions faites dans Adamson CAF concernant ses différences factuelles très évidentes avec les distinctions relevées dans Vilven CF : « Malgré le chevauchement évident avec l’affaire Vilven/Kelly, ce litige et le nôtre reposent sur un dossier de preuve différent et doivent être considérés comme distincts. » Cette distinction constituait le fondement de la conclusion de la Cour dans la décision Adamson CAF selon laquelle j’ai commis une erreur en ne reconnaissant pas la latitude que ces différences accordaient au Tribunal pour lui permettre de choisir sa propre méthodologie en appliquant les facteurs décrits dans la décision Vilven CF. Néanmoins, les demandeurs n’ont pas soutenu dans cette affaire qu’une décision fondée sur un exposé conjoint des faits ne devrait normalement pas être suffisante pour empêcher de futures plaintes déposées par des plaignants semblables, mais différents, poursuivant un processus de décision factuelle différent, en présentant des éléments de preuve pour établir les faits, c.-à-d. la situation soulevée dans Adamson TCDP, au lieu de s’entendre sur les faits.

[49]           En conclusion, bien que, d’une part, il soit trop tard pour les défenderesses pour présenter le fondement factuel établi dans Adamson TCDP à l’appui de leur argument lorsqu’il n’y a aucune indication que cet argument a été soulevé à tout moment avant que ne soit rendue la décision de la Commission, d’autre part, les demandeurs sont néanmoins limités par la façon dont ils ont choisi de présenter leurs arguments. Les demandeurs ont limité leurs observations à celles fondées sur le contexte factuel que constitue l’écoulement du temps depuis la modification de la composition des transporteurs aériens depuis la décision Vilven CF. Les demandeurs ont agi ainsi sans fournir d’élément de preuve probant à l’appui de cette hypothèse fondée autrement sur des conjectures. Par conséquent, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans ces décisions.

D.                 Si les décisions de la Commission sont jugées déraisonnables et renvoyées pour réexamen, les plaintes seront néanmoins rejetées au motif qu’elles sont frivoles compte tenu de l’arrêt Adamson CAF

[50]           Si les décisions de la Commission ont été jugées déraisonnables, je considère néanmoins qu’il est peu probable qu’un résultat différent en découlerait si la question était renvoyée pour réexamen par le commissaire. La méthodologie du Tribunal dans Adamson TCDP, adoptée de Vilven CF, ainsi que ses conclusions factuelles approfondies pour déterminer l’âge de la retraite dans l’industrie canadienne du transport aérien a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Adamson CAF. Les différences visant les départs à la retraite dans le laps de temps réduit entre celui de 2009 dans les décisions Adamson et celui de 2010 et 2011 dans le cas des demandeurs en l’espèce, combinées au fondement contextuel exhaustif des décisions Adamson seraient prises en considération dans tout réexamen de la décision de ne pas trancher les plaintes. Compte tenu des faits en l’espèce, je vois qu’il y a très peu de chance que le même raisonnement de la Commission soit rejeté lorsque l’argument contre la remise en cause d’une question qui repose sur les mêmes faits a été étayé par l’arrêt Adamson CAF.

[51]           De plus, je garde à l’esprit les observations des demandeurs au cours des audiences selon lesquelles ils étaient incapables d’obtenir des éléments de preuve à l’appui de leurs arguments sans l’aide du Tribunal pour délivrer des assignations à comparaître en vue de la production des renseignements nécessaires sur l’industrie. En d’autres termes, la possibilité d’obtenir de nouveaux éléments de preuve à l’appui de leurs observations constitue en réalité une « recherche à l’aveuglette », dans la mesure où c’est seulement après que la question a été renvoyée au Tribunal que ces éléments de preuve ont pu être mis au jour, s’ils existaient. Dans de telles circonstances, si les plaintes étaient renvoyées à la Commission pour réexamen, je pense qu’il est très peu probable qu’il existe des éléments de preuve probants que l’âge de 60 ans ne serait pas de nouveau confirmé comme étant l’âge de la retraite dans l’industrie qui concerne les pilotes d’Air Canada.

VIII.         Conclusion

[52]           En résumé, je conclus que les décisions de la Commission dans les présentes demandes appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, tout en étant justifiées par des motifs intelligibles et transparents.

[53]           Les demandes sont donc rejetées avec dépens attribués aux défenderesses. Si les parties sont incapables de s’entendre sur une juste adjudication des dépens, la Cour tranchera cette question après avoir obtenu les observations écrites des parties pour son orientation.


JUGEMENT

LA COUR rejette les demandes de contrôle judiciaire avec dépens payables aux défenderesses à être convenus entre les parties ou autrement fixés par la Cour.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑859‑13, T‑1114‑13

 

INTITULÉ :

GORDON RONALD GREGG ET AUTRES c. AIR CANADA, LARRYE CROWLEY c. AIR CANADA, L’ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 JANVIER 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE :

Le 17 mai 2017

COMPARUTIONS :

Raymond D. Hall

POUR LES DEMANDEURS

 

Bruce Laughton

POUR LA DÉFENDERESSE
(L’ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA)

 

Fred Headon

POUR LA DÉFENDERESSE
(AIR CANADA)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raymond D. Hall

Avocat

Richmond (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Laughton & Company

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DÉFENDERESSE
(L’ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA)

 

Service du contentieux d’Air Canada

Dorval (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE
(AIR CANADA)

 

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