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Date : 20170510


Dossier : T-1708-16

Référence : 2017 CF 468

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2017

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

CARL EBY

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 8 septembre 2016, prononcée par la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale [Division d’appel], qui a rejeté une demande d’autorisation d’interjeter appel d’une décision rendue le 28 janvier 2016 par la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale [Division générale]. Ces décisions rejettent les niveaux successifs d’appels du demandeur à la suite du rejet de sa demande de prestation d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, LRC (1985), c C-8 [RPC].

[2]  La présente demande est accueillie, étant donné que j’ai conclu que la décision de la Division d’appel n’était pas raisonnable. Comme il est expliqué ci-dessous, en examinant la possibilité que la Division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, ne tenant pas compte des documents qui lui ont été présentés, la Division d’appel a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve pertinents et en interprétant mal la décision de la Division générale.

II.  Résumé des faits

[3]  Le demandeur, M. Carl Eby, a été victime d’un accident de la route le 14 avril 2011, qui lui a occasionné d’importantes blessures orthopédiques et autres. M. Eby décrit qu’il a subi une fracture compliquée du tibia et de la fibule gauches et une fissure du ménisque interne gauche, ces deux blessures ayant nécessité une intervention chirurgicale; qu’il a des douleurs constantes au bas du dos, au cou, à la hanche droite, à la jambe gauche et au genou gauche; qu’il a des problèmes cognitifs liés à la concentration et à la mémoire; et qu’il souffre de dépression/séquelles affectives.

[4]  M. Eby n’a pas travaillé depuis son accident. Avant l’accident, il travaillait comme concierge au Conseil scolaire des écoles catholiques du district de Waterloo depuis 2008. M. Eby a terminé ses études secondaires à Kitchener, en Ontario, et a également obtenu un diplôme de travailleur en entretien des bâtiments et un certificat de superviseur en Alberta. Avant de travailler pour le Conseil scolaire, il a occupé plusieurs postes, notamment boucher, préposé à l’entretien des bâtiments dans un milieu hospitalier et dans un foyer de soins infirmiers, un emploi chez Service Master of Canada à titre de laveur, décapeur et cireur de planchers, y compris un rôle de supervision, un superviseur du chargement, et un conducteur de camion agréé.

[5]  Eh bien. M. Eby explique que, malgré des douleurs importantes, il essaie de rester actif en allant au gymnase pour faire du vélo stationnaire, nager et profiter du spa, et qu’il essaie également de faire de menus travaux à la maison. Il dit qu’il arrive souvent qu’il ne puisse pas faire ces activités à cause de ses douleurs et de ses limites physiques.

[6]  M. Eby a présenté des preuves médicales avec sa demande de pension pour étayer sa demande de prestations d’invalidité grave et prolongée. Les éléments de preuve comprennent des rapports du chirurgien orthopédiste traitant, le Dr Grosso, et de son physiatre, le Dr Scott Garner. Ils comprennent également un rapport daté de janvier 2013 [le rapport de 2013] préparé par Maria Ross et Katrina Kotsopoulos à la suite d’une évaluation de deux jours de ses capacités fonctionnelles aux services professionnels et de réadaptation Ross (Ross Rehabilitation and Vocational Services) [Ross Rehabilitation]. À la suite de cette évaluation, M. Eby a effectué le suivi avec le Dr Grosso et a également été évalué par le Dr Rick Ogilvie, chirurgien orthopédiste. Il a aussi poursuivi ses traitements de physiothérapie, principalement pour son genou gauche, avec Jan Volkes.

[7]  M. Eby a présenté sa demande de prestation d’invalidité le 26 août 2013 à l’âge de 51 ans. La date de la période minimale d’admissibilité [date de la PMA], c.-à-d. la date limite à laquelle il doit avoir été déclaré invalide pour être admissible aux prestations d’invalidité en vertu du RPC, soit le 31 décembre 2014. La demande de M. Eby a été rejetée initialement et à l’étape de la révision. Le 11 juin 2014, il a interjeté appel à la Division générale de la décision découlant de la révision. Une audience a eu lieu devant la Division générale le 23 décembre 2016. À l’audience, le tribunal a permis à M. Eby de présenter un rapport d’évaluation médico-légale de la situation, qui a été préparé par Maria Ross et Alex Blair de Ross Rehabilitation le 28 mai 2015 [le rapport de 2015].

[8]  Dans une décision rendue le 28 janvier 2016, la Division générale a rejeté la demande de prestations d’invalidité du RPC, ayant conclu que, selon la prépondérance des probabilités, il avait la capacité d’occuper ou de conserver un autre emploi convenable et, par conséquent, n’était pas atteint d’une invalidité grave au sens du RPC. La Division générale reconnaît que M. Eby a subi un accident grave et a été incapable de reprendre son emploi de concierge au Conseil scolaire, emploi qui est très exigeant physiquement. Toutefois, elle a conclu qu’il avait une capacité résiduelle qui lui permettait d’occuper un autre emploi moins exigeant physiquement et, par conséquent, a été contraint de faire les efforts raisonnables pour y arriver. Ayant conclu que M. Eby n’a fait aucun effort de la sorte, la Division générale a conclu qu’il n’avait pas, selon la prépondérance des probabilités, établi qu’il était atteint d’une invalidité grave en conformité avec les critères du RPC.

[9]  Le 28 avril 2016, M. Eby a demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Division générale, en application de l’article 53(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 [LMEDS]. Dans sa décision rendue le 8 septembre 2016, qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire, la Division d’appel a rejeté l’appel de M. Eby.

III.  Décision de la Division d’appel

[10]  La Division d’appel a examiné si la demande d’autorisation de M. Eby d’interjeter appel soulevait des arguments qui avaient une chance raisonnable de succès en appel. Tout d’abord, elle a examiné si la Division générale avait omis de tenir compte d’éléments de preuve particuliers et si elle avait mal interprété certains renseignements contenus dans les rapports médicaux pertinents.

[11]  La Division d’appel a conclu que la Division générale n’avait pas écarté le rapport de 2015. La Division d’appel a observé que les conclusions du rapport de 2015 avaient été résumées et discutées par la Division générale. La Division d’appel a également observé que la Division générale a conclu qu’il y avait des conclusions contradictoires dans le rapport de 2013 et le rapport de 2015, même si un des auteurs était le même. La Division d’appel a également examiné l’argument de M. Eby selon lequel la Division générale avait tort de dire que sa participation à l’évaluation de la situation en mai 2015 indiquait qu’il ne s’efforçait pas de trouver un autre emploi. Toutefois, la Division d’appel a décidé que cette conclusion n’était pas déraisonnable. Étant donné que la Division générale avait déjà conclu que l’évaluation fonctionnelle de janvier 2013 ne remplissait pas l’obligation de M. Eby d’atténuer ses déficiences (conformément à Inclima c Canada (Procureur général), 2003 CAF 117 [Inclima]), la Division d’appel a affirmé qu’il était difficile de voir comment la participation de M. Eby à une évaluation analogue en 2015 pouvait constituer un effort pour améliorer ses compétences ou obtenir un autre emploi.

[12]  En s’appuyant sur les éléments de preuve des médecins Grosso, Garner et Ogilvie, la Division d’appel a conclu qu’aucune erreur n’a été commise par la Division générale en mettant en évidence certains passages de leurs rapports pour indiquer qu’aucun des fournisseurs de traitements de M. Eby n’excluait la possibilité qu’il trouve une autre forme de travail.

[13]  La Division d’appel a ensuite examiné la conclusion selon laquelle M. Eby n’avait pas suffisamment atténué ses déficiences, puis l’affirmation de M. Eby selon laquelle la Division générale avait commis une erreur de droit en s’attendant à ce qu’il démontre qu’il avait physiquement tenté de retourner au travail ou aux études. Encore une fois, la Division d’appel a conclu que cet argument n’avait aucune chance raisonnable de succès en appel. La Division générale a conclu que M. Eby n’avait fait aucun effort pour améliorer ses compétences professionnelles ou obtenir un autre emploi et la Division d’appel ne voyait aucune raison d’infirmer cette conclusion. La Division générale avait tiré une conclusion défavorable du fait que M. Eby n’avait fait aucun effort pour rester sur le marché du travail malgré sa capacité résiduelle. La Division d’appel a observé que M. Eby soutenait ne pas avoir de capacité résiduelle, mais elle a conclu que la Division générale n’avait commis aucune erreur en concluant qu’elle ne souscrivait pas à cet argument.

[14]  La Division d’appel a également conclu que la Division générale a tenu compte du critère juridique approprié prescrit par la décision Villani c Canada (Procureur général), 2001 CAF 248 [Villani], où la gravité de l’invalidité doit être examinée dans un contexte « réaliste », en tenant compte de facteurs comme l’âge, le niveau d’instruction, les antécédents de travail et l’expérience de la vie, mais a conclu qu’aucun de ces facteurs n’empêchait M. Eby de trouver et de conserver un emploi rémunérateur convenable et moins exigeant physiquement. La Division d’appel a conclu que la Division générale avait appliqué les bons critères juridiques et que les observations de M. Eby constituaient essentiellement une demande de réappréciation des éléments de preuve.

[15]  Enfin, la Division d’appel a conclu que l’argument de M. Eby concernant l’erreur commise par la Division générale dans son analyse de la douleur chronique qu’il endurait, y compris le rejet de sa douleur malgré l’opinion de Ross Rehabilitation a qui conclu qu’il est dans l’incapacité d’occuper un emploi moins exigeant physiquement. La Division d’appel a conclu que la Division générale était au courant de la douleur dont se plaignait M. Eby et qu’elle a accordé moins d’importance au rapport de 2015 parce qu’il semblait contredire le rapport de 2013 qui avait été préparé par un des mêmes évaluateurs deux ans auparavant. En l’absence d’une erreur, la Division d’appel a conclu qu’il n’y avait aucune raison de contester cette conclusion.

[16]  Tirant la conclusion que M. Eby n’avait pas déterminé de moyen d’appel qui aurait une chance raisonnable de succès, la Division d’appel a rejeté la demande d’autorisation.

IV.  Questions en litige

[17]  Bien que le demandeur présente une liste plus longue de questions dans son mémoire des faits et du droit, ses observations écrites abordent les questions suivantes figurant sur cette liste :

  1. La Division d’appel a-t-elle commis une erreur de fait et de droit en concluant que la Division générale avait des motifs de conclure que M. Eby avait la capacité de travailler, malgré l’absence d’éléments de preuve pour étayer cette conclusion?

  2. La Division d’appel a-t-elle commis une erreur de fait et de droit en concluant que la Division générale avait des motifs de conclure que M. Eby avait la capacité de travailler, malgré les éléments de preuve directs du contraire?

  3. La Division d’appel a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant mal le principe énoncé dans l’arrêt Inclima et en concluant que la Division générale avait raison de conclure que le demandeur n’était pas atteint d’une invalidité grave parce qu’il n’avait essayé physiquement de retourner au travail ou aux études?

  4. La Division d’appel a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la Division générale avait appliqué le principe du contexte réaliste tel qu’il a été établi dans l’arrêt Villani?

[18]  Le défendeur caractérise la seule question en litige comme étant de savoir si la Division d’appel a commis une erreur en refusant la demande d’autorisation d’interjeter appel parce que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[19]  À l’audience de la présente demande de contrôle judiciaire, l’avocat de M. Eby a précisé davantage sa caractérisation des questions soulevées par la demande. Il a expliqué que la question centrale que soulève M. Eby englobe le fondement de preuve sur lequel s’appuie la conclusion déterminante de la Division générale, à savoir qu’il avait préservé une capacité résiduelle pour occuper un autre emploi moins exigeant physiquement, et plus précisément la conclusion de la Division d’appel selon laquelle il n’avait aucune chance raisonnable de succès en appel en soulevant cette question dans sa demande d’autorisation d’interjeter appel. Mon analyse ci-dessous s’appuie sur la présente question formulée par le demandeur.

V.  Norme de contrôle

[20]  Il n’est pas controversé entre les parties qu’en révisant une décision concernant une demande d’autorisation d’interjeter appel auprès du Tribunal de la sécurité sociale, la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable (voir Karadeolian c Canada (Procureur général), 2016 CF 615, au paragraphe 7; Tracey c Canada (Procureur général), 2015 CF 1300, aux paragraphes 17 et 23; Atkinson c Canada (Procureur général), 2014 CF 187, aux paragraphes 22 et 33). Je suis d’accord pour dire que la norme de contrôle qui s’applique à la question soulevée par M. Eby est celle de la décision raisonnable.

VI.  Question de procédure

[21]  La question procédurale préliminaire présentée par l’avocat du défendeur est que le demandeur a incorrectement nommé le défendeur dans l’intitulé de sa demande. Le demandeur a nommé les défendeurs comme étant le Procureur général du Canada, le Tribunal de la sécurité sociale du Canada et le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences. S’appuyant sur le paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106), le défendeur affirme que seul le procureur général du Canada devrait être nommé.

[22]  Lors de l’audience sur la présente demande, l’avocat du demandeur était d’accord avec le défendeur à ce sujet. Par conséquent, mon jugement en l’espèce modifie l’intitulé en supprimant le Tribunal de la sécurité sociale du Canada et le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences à titre de défendeurs.

VII.  Discussion

[23]  Les articles de la LMEDS qui sont pertinents aux appels de la Division générale auprès de la Division d’appel sont les suivants :

Moyens d’appel

Grounds of appeal

58 (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

58 (1) The only grounds of appeal are that

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

(a) the General Division failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

(b) the General Division erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(c) the General Division based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

Critère

Criteria

(2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

(2) Leave to appeal is refused if the Appeal Division is satisfied that the appeal has no reasonable chance of success.

[24]  Les principaux arguments de M. Eby portent sur la manière dont le rapport de 2013 et le rapport de 2015 ont été traités par la Division générale et comment la Division d’appel en a tenu compte. Comme l’a caractérisé le défendeur, les principaux arguments de M. Eby se résument au fait que l’alinéa 58(1)c) de la LMEDS s’applique et que la Division d’appel a commis une erreur dans son examen de sa thèse selon laquelle la Division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[25]  Les parties s’accordent sur l’expression de la loi, à partir de l’arrêt Inclima, selon laquelle le fait qu’un demandeur qui cherche à démontrer une invalidité grave aux termes du RPC doit non seulement démontrer qu’il a de sérieux problèmes de santé, mais où il y a des preuves de capacité de travail, il doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé. Les parties s’entendent également pour dire que l’obligation de démontrer de tels efforts ne se pose pas en l’absence de preuves de capacité de travailler. Au contraire, la question qui est soulevée entre elles concerne la conclusion de la Division générale selon laquelle M. Eby avait une capacité résiduelle de travail, de sorte que le fait de ne pas établir des efforts d’atténuation faisait obstacle aux possibilités de succès de sa demande, et la Division d’appel s’est appuyée sur cette conclusion.

[26]  Comme il est indiqué ci-dessus, les arguments de M. Eby à ce sujet concernent les deux rapports de Ross Rehabilitation. Il soutient que le seul élément de preuve (ou à tout le moins un très important élément de preuve), concernant sa capacité d’effectuer un travail sédentaire, se trouve dans le rapport de 2015. Ce rapport formule les conclusions suivantes à l’égard de M. Eby :

Ses aptitudes professionnelles sont dans la plage inférieure de la moyenne en matière d’apprentissage général, d’expression verbale et de calcul, ce qui se situe sous des exigences pour la majorité des emplois de niveau sédentaire disponibles et élimine de nombreuses options officielles de recyclage professionnel.

[27]  Dans sa demande d’autorisation, M. Eby soutient que la Division générale n’a pas tenu compte de cette conclusion du rapport de 2015, ce qu’il a fait valoir à la Division d’appel.

[28]  La Division d’appel a examiné la manière dont la Division générale a traité le rapport de 2015 dans plusieurs parties de sa décision. Premièrement, en rejetant l’argument de M. Eby selon lequel la Division générale a reconnu le rapport de 2015, mais n’en a pas tenu compte dans sa décision, la Division d’appel relève des paragraphes dans la décision de la Division générale qui à la fois résument et abordent le rapport de 2015. La Division d’appel a également observé que la Division générale avait indiqué que les conclusions du rapport de 2015 contredisaient celles du rapport de 2013, bien que les rapports aient été préparés par un des mêmes auteurs, et la Division d’appel a rejeté l’argument de M. Eby selon lequel la Division générale a conclu de manière déraisonnable que sa participation à l’évaluation de la situation de mai 2015 ne correspondait pas à un effort de trouver un autre emploi.

[29]  Toutefois, comme le souligne le demandeur dans sa plaidoirie devant la Cour, son argument devant la Division d’appel n’était pas que la Division générale n’avait pas tenu compte du rapport de 2015 en entier, mais plutôt qu’elle n’avait pas tenu compte de la conclusion du rapport de 2015 selon laquelle le résultat de l’évaluation professionnelle de M. Eby n’offrait pas d’options plausibles de recyclage compte tenu de ses aptitudes physiques, de sa scolarité et de son niveau d’aptitudes. L’analyse ci-dessus faite par la Division d’appel ne tient pas compte de cette conclusion particulière et n’indique pas non plus si la Division générale en a tenu compte.

[30]  En outre, les paragraphes de la décision de la Division générale auxquels fait référence la Division d’appel démontrent qu’il n’a pas été tenu compte de cette conclusion. La Division générale semble s’être penchée plutôt sur la conclusion du rapport de 2015 selon laquelle M. Eby est complètement invalide et ne peut pas occuper un emploi qui lui conviendrait compte tenu de sa scolarité, de sa formation ou de son expérience. La Division générale a observé à juste titre qu’une telle conclusion était exprimée en fonction d’un critère différent de celui qui s’applique dans le cas du RPC, qui exige de décider si une personne est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Toutefois, la partie de la décision de la Division générale à laquelle la Division d’appel fait référence ne démontre pas que l’on a tenu compte de la conclusion relativement aux aptitudes professionnelles de M. Eby et à leurs répercussions sur sa capacité d’occuper un emploi sédentaire. Par conséquent, le premier facteur à considérer par la Division d’appel concernant la manière dont la Division générale a traité le rapport de 2015 n’aborde pas de manière raisonnable l’argument de M. Eby selon lequel la Division générale n’a pas tenu compte de cette conclusion du rapport de 2015.

[31]  Plus loin dans la décision de la Division d’appel, en examinant les observations de M. Eby relativement à l’application de l’arrêt Inclima, il est observé que la Division générale a tiré une conclusion défavorable du fait que M. Eby n’a fait aucun effort pour rester sur le marché du travail malgré une capacité résiduelle importante. La Division d’appel a observé que l’essentiel des observations de M. Eby était qu’il n’avait pas de capacité résiduelle, mais que la Division générale n’était pas d’accord, et la Division d’appel n’a trouvé aucune erreur qui pourrait justifier d’infirmer cette conclusion. Encore une fois, cette partie de la décision de la Division d’appel indique qu’aucune analyse n’a été faite de la conclusion du rapport de 2015 sur laquelle s’appuyait l’argument de M. Eby ou de son argument selon lequel la Division générale n’a pas tenu compte de cette conclusion.

[32]  Enfin, en examinant l’argument de M. Eby concernant la douleur chronique, la Division d’appel a relevé qu’il soutenait que le rejet par la Division générale de sa douleur chronique était contraire à l’opinion fournie par Ross Rehabilitation, qui a conclu qu’il n’était pas capable d’occuper un emploi moins exigeant physiquement. En concluant que la Division générale n’avait pas commis d’erreur dans son examen des plaintes de M. Eby relativement à la douleur, la Division d’appel a observé que la Division générale a accordé moins d’importance au rapport de 2015 parce qu’il semblait contredire un rapport rédigé deux ans auparavant par un des mêmes évaluateurs.

[33]  Il est difficile de dire si cette partie de la décision de la Division d’appel peut faire référence aux conclusions du rapport de 2015 quant aux aptitudes professionnelles de M. Eby. Toutefois, même si c’est le cas, la description que fait la Division d’appel des raisons de la Division générale semble démontrer une mauvaise appréciation à fois de ces raisons et des éléments de preuve dans les rapports de Ross Rehabilitation. La Division d’appel a relevé à juste titre que la Division générale a observé que Maria Ross était une des auteurs du rapport de 2013 qui indiquait que M. Eby avait actuellement un niveau de fonctionnement qui correspond à la catégorie du travail sédentaire. Toutefois, comme le soutient M. Eby en l’espèce, la Division générale n’a pas conclu que le rapport de 2013 et le rapport de 2015 présentaient des conclusions contradictoires.

[34]  En outre, il ne semble pas y avoir de contradictions dans les conclusions des deux rapports. Bien que le rapport de 2013 conclue que M. Eby a une capacité de fonctionnement qui correspond à la catégorie du travail sédentaire, cette conclusion est accompagnée de conclusions quant à ses limites physiques et doit être interprétée comme une conclusion relative à ses capacités physiques. Elle n’exprime pas une opinion quant à savoir si un emploi sédentaire peut être disponible pour lui. Elle recommande plutôt d’explorer des options professionnelles afin de décider si un autre emploi peut être accessible. Le rapport de 2015 est un reflet des résultats d’une telle évaluation professionnelle et tire les conclusions concernant les aptitudes de M. Eby sur lesquelles il fonde ses arguments en l’espèce. Je suis conscient que le rôle de la Cour en l’espèce est d’examiner le caractère raisonnable de la décision de la Division d’appel est raisonnable, et non celle de la Division générale. Toutefois, en l’absence de contradictions évidentes dans les conclusions des deux rapports de Ross Rehabilitation ou d’une conclusion à cet effet de la Division générale, l’analyse de la Division d’appel qui s’appuie sur une telle conclusion de la Division générale n’appartient pas aux issues possibles acceptables.

[35]  Dans la récente décision de la Cour dans Griffin c Canada (Procureur général), 2016 CF 874, au paragraphe 20, le juge Boswell fournit une orientation sur la manière dont la Division d’appel devrait aborder les demandes d’autorisation d’interjeter appel en application du paragraphe 58(1) de la LMEDS :

[20]  Il est bien établi que c’est à la partie demandant l’autorisation d’interjeter appel qu’il incombe de produire l’ensemble des éléments de preuve et des arguments requis pour satisfaire aux exigences du paragraphe 58(1) : voir, par exemple, Tracey, précitée, au paragraphe 31; voir aussi Auch c Canada (Procureur général), 2016 CF 199, au paragraphe 52, [2016] ACF no 155. Malgré tout, les exigences du paragraphe 58(1) ne doivent pas être appliquées de façon mécanique ou superficielle. Au contraire, la division d’appel devrait examiner le dossier et déterminer si la décision a omis de tenir compte correctement d’une partie de la preuve : voir Karadeolian c Canada (Procureur général), 2016 FC 615, au paragraphe 10, [2016] ACF no 585.

[Non souligné dans l’original]

[36]  Pour les motifs expliqués ci-dessus, je conclus que la Division d’appel n’a pas rendu une décision raisonnable, parce qu’elle n’a pas abordé d’une manière raisonnable les arguments de M. Eby selon lesquels la Division générale n’a pas tenu compte des conclusions du rapport de 2015. En examinant si la Division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, la Division d’appel a commis une erreur en omettant de tenir compte des éléments de preuve pertinente et en interprétant mal la décision de la Division générale.

[37]  Je tiens à signaler qu’en tirant cette conclusion, j’ai tenu compte de l’argument du défendeur selon lequel le rapport de 2015 a été produit après la date de la PMA, ce qui soulève la question de savoir si la preuve que représente le rapport est probante quant à savoir si M. Eby était atteint d’une invalidité grave et prolongée à compter de la date de la PMA. Le défendeur n’a rien relevé dans le dossier qui m’a été présenté qui indique que cette question a été soulevée devant la Division générale ou la Division d’appel. Il semble plutôt, comme l’a fait valoir M. Eby, que le rapport de 2015 a été accepté et examiné par la Division générale. Il a également été examiné par la Division d’appel, bien que pas de la manière présentée par M. Eby dans sa demande d’autorisation. Rien n’indique non plus que les aptitudes professionnelles de M. Eby, qui font objet des conclusions qui n’ont pas été prises en compte selon lui, se sont détériorées dans les quelque cinq mois entre la date de la PMA et la publication du rapport. À ce titre, la date de publication du rapport de 2015 n’aide pas le défendeur.

[38]  J’accueille par conséquent la présente demande de contrôle judiciaire et la décision de la Division d’appel est annulée. Bien que les documents de M. Eby demandent que la Cour accueille sa demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Division générale, il a reconnu dans sa plaidoirie que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de choisir la réparation appropriée si elle accorde un contrôle judiciaire. Selon le défendeur, si M. Eby a gain de cause, la Cour ne devrait pas lui accorder l’autorisation, mais devrait plutôt annuler la décision de la Division d’appel et renvoyer l’affaire à cette instance pour nouvel examen. Je suis d’accord avec le défendeur pour ce qui est de la réparation appropriée. Ma décision d’accorder le contrôle judiciaire s’appuie sur le fait que la Division d’appel a omis d’examiner correctement tenu compte des éléments de preuve étayant les arguments de M. Eby concernant sa demande d’autorisation d’interjeter appel et sur la manière dont la Division générale a traité ces éléments de preuve. Il convient donc en l’espèce de renvoyer l’affaire à la Division d’appel afin qu’elle tienne compte de ces éléments de preuve et de ces arguments conformément aux présents motifs.

[39]  Bien que l’avis de demande mentionne la question des dépens, l’avocat de chacune des parties a confirmé à l’audience qu’aucuns dépens n’étaient demandés. Par conséquent, aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1708-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’intitulé est modifié par le retrait du Tribunal de la sécurité sociale du Canada et du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences à titre de défendeurs.

  2. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale prononcée en date du 8 septembre 2016 est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Division d’appel pour nouvel examen.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1708-16

INTITULÉ :

CARL EBY c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 mai 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 10 mai 2017

COMPARUTIONS :

Devan T. Schafer

Pour le demandeur

Sandra Doucette

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Devan T. Schafer

Mackesy Smye SENCRL

Hamilton (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Gatineau (Québec)

Pour le défendeur

 

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