Dossier : T-138-16
Référence : 2017 CF 459
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 5 mai 2017
En présence de madame la juge Strickland
ENTRE :
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KIRBY ELSON
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demandeur
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et
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CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
TABLE DES MATIÈRES
Décision faisant l’objet du contrôle
Question 1 : Quelle décision fait l’objet du contrôle judiciaire?
Question 2 : La décision du ministre était-elle fondée sur des considérations pertinentes?
2) Exemptions et examen des situations particulières
3) Lettre de décision et article 7 de la Loi sur les pêches
Question 4 : Le ministre a-t-il fait preuve d’ouverture d’esprit?
Question 5 : Quelle est la mesure appropriée?
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par le ministre des Pêches et des Océans d’accueillir la recommandation de l’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique (l’Office des appels
) et de rejeter l’appel du demandeur visant à obtenir une exemption à la politique sur la Préservation de l’indépendance de la flottille de pêche côtière dans l’Atlantique canadien (la politique sur la PIFPCAC
ou la politique
). En conséquence, le demandeur n’était plus admissible au renouvellement des permis de pêche dont il était titulaire. La présente demande est déposée en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7.
Contexte
[2]
La Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, LRC 1985, c F-15, a institué le ministère des Pêches et des Océans (le MPO
) et elle définit les pouvoirs et les fonctions de son ministre, lesquels s’étendent de façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d’autres ministères ou organismes fédéraux et liés à la pêche côtière et à la pêche dans les eaux internes, les ports de pêche et de plaisance, l’hydrographie et les sciences de la mer, et la coordination de plans et programmes du gouvernement fédéral touchant aux océans (au paragraphe 4(1)). Aux termes de l’article 7 de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F-14 (la Loi sur les pêches)
le ministre peut, à discrétion, délivrer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêches – ou en permettre la délivrance –, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.
[3]
Au fil des ans, le MPO a adopté diverses politiques relatives à la gestion des pêches. L’une d’entre elles est la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’est du Canada – 1996 (la politique de 1996
), laquelle est toujours en vigueur, malgré les modifications qu’elle a connues depuis son adoption. La politique de 1996 décrit le permis de pêche comme un instrument par lequel le ministre des Pêches et des Océans accorde, conformément aux pouvoirs discrétionnaires que lui confère la Loi sur les pêches, la permission à une personne [...] de récolter certaines espèces de poissons ou de plantes marines sous réserve des conditions du permis. Il ne s’agit absolument pas d’une permission permanente car celle-ci prend fin en même temps que le permis. Le titulaire du permis se voit accorder un privilège de pêche limitée et non un droit de propriété absolu ou permanent. De manière générale, tous les permis de pêche doivent faire l’objet d’un renouvellement ou d’un [traduction] « remplacement »
tous les ans.
[4]
Les politiques du propriétaire exploitant et de la séparation des flottilles ont été intégrées à la politique de 1996. La politique de la séparation des flottilles a été adoptée en 1979 pour dissocier l’activité économique de la récolte de celle de la transformation du poisson. Aux termes de cette politique, les nouveaux permis de pêche au titre desquels les pêcheurs sont limités à l’utilisation de bateaux d’une longueur d’au plus 19,8 m (65 pi) ne sont pas délivrés aux sociétés, notamment celles exerçant des activités dans le secteur de la transformation. Aux termes de la politique du propriétaire exploitant, laquelle a été adoptée dans les années 1970, les permis sont délivrés au nom de pêcheurs individuels, les titulaires de permis sont tenus de s’adonner eux-mêmes à l’activité de la récolte et ils ne peuvent détenir qu’un seul permis par espèce.
[5]
Au cours des consultations découlant de la Révision de la politique sur les pêches de l’Atlantique (la RPPA
) lancée en 1999, des membres de la flottille de pêche côtière se sont dits préoccupés par l’atteinte aux politiques du propriétaire exploitant et de la séparation des flottilles au moyen d’« accords de fiducie »
. En novembre 2003, le ministre a annoncé son intention de publier un document de discussion destiné à servir de fondement aux consultations publiques concernant les accords de fiducie et les politiques du propriétaire exploitant et de la séparation des flottilles. Un communiqué de presse a indiqué que le MPO évaluerait toutes les options, notamment la possibilité d’adopter un règlement, afin de régler la question des accords de fiducie, lesquels allaient à l’encontre de la politique du MPO. Un document de discussion intitulé [traduction] Préservation de l’indépendance de la flottille de pêche côtière dans l’Atlantique canadien a ensuite été publié. Il indiquait que le permis de pêche représentait un privilège de pêche accordé chaque année à la discrétion du ministre, conformément à la Loi sur les pêches. Il s’agit d’un privilège de pêche limitée, lequel est assujetti aux conditions du permis. Le privilège de pêche prend fin lorsque le permis arrive à échéance. Le document indiquait que certains permis délivrés à des particuliers avaient fait l’objet d’accords de fiducie conclus entre le détenteur d’un permis et une entreprise de transformation du poisson ou une autre entité. Les accords de fiducie constituaient des contrats privés, lesquels liaient les parties entre elles et permettaient souvent à l’entreprise de transformation ou à l’entité tierce d’utiliser le permis. Lorsqu’un permis faisait l’objet d’un tel accord de fiducie, son intérêt bénéficiaire était cédé à une autre partie, et le titulaire du permis demeurait investi du titre juridique à titre de nu-fiduciaire. Une consultation a suivi le document de discussion, et le document intitulé Le cadre stratégique de gestion des pêches sur la côte de l’Atlantique a été publié.
[6]
Enfin, en avril 2007, la politique sur la PIFPCAC a été adoptée par le ministre, qui a indiqué qu’elle visait à renforcer les actuelles politiques du propriétaire exploitant et de la séparation des flottilles, afin de préserver l’indépendance des pêcheurs côtiers et de s’assurer que les privilèges découlant des permis de pêche profitent aux pêcheurs et aux collectivités côtières de l’Atlantique. Son énoncé de politique indique que la PIFPCAC renforce les politiques sur le propriétaire exploitant et sur la séparation des flottilles en s’intéressant aux questions relatives aux « accords de contrôle »
(accords de fiducie), dont elle définit le sens. Les objectifs énoncés dans la PIFPCAC consistent à réaffirmer l’importance du maintien d’une flottille indépendante et rentable, de renforcer l’application des politiques sur le propriétaire exploitant et sur la séparation des flottilles, de garantir que les privilèges découlant des permis de pêche profitent aux pêcheurs et aux collectivités côtières et d’aider les pêcheurs à conserver le contrôle de leurs entreprises de pêche. La politique a permis de créer la catégorie de « pêcheur du noyau indépendant »
et d’en faire le nouveau critère d’admissibilité pour recevoir de nouveaux permis ou des permis de remplacement rattachés à un bateau dans le secteur côtier de l’Atlantique après le 12 avril 2007. La catégorie de pêcheur du noyau indépendant a été ouverte à tout pêcheur côtier qui n’était partie à aucun accord de contrôle.
[7]
La politique sur la PIFPCAC énonce que tout chef d’entreprise du noyau qui n’est pas partie à un accord de contrôle relativement à un permis de pêche côtière rattaché à un bateau et délivré en son nom sera admissible à la catégorie de pêcheur du noyau indépendant en remplissant une déclaration portant qu’il n’est partie à aucun accord de contrôle. Les déclarations devaient être remplies au plus tard le 31 mars 2008 et, par la suite, chaque fois qu’un pêcheur demandait un nouveau permis de pêche côtière rattaché à un bateau ou un permis de remplacement y afférant. Les titulaires de permis qui étaient partie à un accord de contrôle ont eu sept ans, jusqu’au 12 avril 2014, pour se conformer à la politique sur la PIFPCAC. Ceux qui ne s’y sont pas conformés ont perdu leur admissibilité à la catégorie de pêcheur du noyau indépendant et, de ce fait, ils n’étaient plus admissibles à la délivrance de nouveaux permis ou de permis de remplacement.
[8]
En 2007, le MPO a fait parvenir une trousse d’information à tous les titulaires de permis de pêche côtière visés par la politique sur la PIFPCAC. En février 2008, le MPO a envoyé une seconde trousse d’information, afin de répondre aux questions soulevées et de prolonger le délai pour le dépôt des déclarations jusqu’au 31 mars 2008.
[9]
Le demandeur était partie à un accord de contrôle avec Labrador Sea Products Inc. et Quinlan Brothers Limited. En conséquence, le 25 mars 2008, il a déposé la déclaration obligatoire auprès du MPO.
[10]
Le 3 décembre 2009, le MPO a envoyé au demandeur une lettre l’informant que, puisqu’il était partie à un accord de contrôle, il n’était pas admissible à la catégorie de pêcheur du noyau indépendant, laquelle catégorisation pouvait faire l’objet d’un examen par le MPO à tout moment, s’il était informé de nouveaux renseignements ayant une incidence sur son admissibilité. Il a été informé qu’il pouvait continuer de pêcher jusqu’au 12 avril 2014 aux termes des permis qu’il détenait, qu’il pouvait demander des permis de remplacement, mais qu’il ne serait pas admissible à la délivrance de nouveaux permis ou de permis de remplacement jusqu’à l’échéance ou la résiliation de l’accord de contrôle, ou jusqu’à ce qu’il se conforme à la politique sur la PIFPCAC, et qu’il avait le droit d’interjeter appel de la décision sur la catégorisation. Le 18 octobre 2013, le demandeur a reçu une autre lettre du MPO abondant dans le même sens.
[11]
Le 18 mars 2014, le MPO a envoyé des lettres recommandées aux titulaires de permis qui étaient toujours parties à des accords de contrôle, afin de leur rappeler l’échéance du 12 avril 2014 prévue dans la politique sur la PIFPCAC, de les inciter à résilier ou à modifier leurs accords de contrôle pour se conformer à la politique sur la PIFPCAC et de les inviter à déposer une nouvelle déclaration à cet effet pour être admissibles au renouvellement de leurs permis. La lettre informait aussi les pêcheurs qu’ils pourraient interjeter appel d’une décision refusant le renouvellement de leurs permis s’ils demeuraient partie à un accord de contrôle après le 12 avril 2014. Pour interjeter appel, les pêcheurs devaient présenter au MPO tous les renseignements pertinents, notamment leur accord de contrôle, dans les 30 jours après le rejet de leur demande de renouvellement de permis. La lettre indiquait que le ministre avait demandé à l’Office des appels d’examiner les accords de contrôle présentés, afin d’établir l’existence réelle d’un manquement aux politiques du propriétaire exploitant et de la séparation des flottilles que la politique sur la PIFPCAC avait pour but de protéger. Au moment de la livraison de la lettre, la conjointe du demandeur a apposé sa signature. Le 20 mars 2014, le ministre a publié un communiqué de presse qui allait dans le même sens.
[12]
Au début du mois d’avril 2014, le MPO a contacté le demandeur pour l’informer que s’il présentait une demande de renouvellement de ses permis avant le 12 avril 2014, il les obtiendrait pour la saison 2014. C’est ce que le demandeur a fait, et il a dûment obtenu le renouvellement de ses permis. À l’automne 2014, le MPO l’a de nouveau contacté directement pour l’informer qu’il n’obtiendrait pas le renouvellement de ses permis pour la saison 2015 s’il était toujours partie à l’accord de contrôle.
[13]
Le 31 décembre 2014, le demandeur a écrit au ministre pour demander que son entreprise soit exemptée de l’application de la politique sur la PIFPCAC et que l’occasion lui soit accordée d’établir le bien-fondé d’une telle exemption.
[14]
Dans une lettre du 12 mars 2015, le ministre Shea, alors ministre des Pêches et des Océans, a répondu à la lettre du demandeur en lui indiquant qu’aux termes de la politique sur la PIFPCAC, aucun permis réputé lié à un accord de contrôle au 12 avril 2014 ne pourrait être renouvelé, et que le MPO ne prévoyait accorder aucune exemption à la politique sur la PIFPCAC. Le ministre a avisé le demandeur que s’il souhaitait interjeter appel d’une décision de non-renouvellement rendue par le MPO, il pouvait le faire par l’intermédiaire de l’Office des appels et qu’à la réception d’une demande d’appel, un permis de pêche lui serait de nouveau délivré pour une période provisoire pendant le processus d’appel. Le ministre lui a demandé de confirmer par écrit, dans les 30 jours, s’il souhaitait interjeter appel. Le ministre a également indiqué au demandeur que s’il mettait fin à son accord de contrôle pendant le processus d’appel, sa situation ferait alors l’objet d’un nouvel examen.
[15]
Dans une lettre adressée au ministre en date du 10 avril 2015, le demandeur a interjeté appel de la décision de non-renouvellement auprès de l’Office des appels, et il a obtenu le renouvellement de ses permis pour la saison 2015.
[16]
Le 12 juin 2015, le MPO a télécopié au demandeur, par l’intermédiaire de sa conjointe, une trousse d’appel de 14 pages, notamment un sommaire de la cause en appel. Le 28 août 2015, une trousse d’appel à jour a été remise à l’avocat du demandeur. Le 21 octobre 2015, l’avocat du demandeur a présenté ses observations écrites et une copie de l’accord de contrôle conclu par son client à l’Office des appels. L’audition a eu lieu le même jour, et l’avocat du demandeur a présenté des observations orales.
[17]
Dans son rapport au ministre, l’Office des appels a rappelé les grandes lignes de la politique sur la PIFPCAC, de la politique du propriétaire exploitant, de la politique de la séparation des flottilles et des faits pertinents. Il a noté les observations de l’avocat du demandeur, notamment les suivantes : le demandeur sollicitait une exemption à la politique sur la PIFPCAC; la résiliation de son accord de contrôle pouvait entraîner des coûts importants; le demandeur pouvait perdre son entreprise; la politique sur la PIFPCAC est une politique irrationnelle et inefficace qui provoquera des difficultés financières et qui a été envisagée par d’autres pays, puis rejetée; elle ne tient pas compte des pêcheurs titulaires d’un quota, mais qui ne reçoivent aucune aide financière; si un pêcheur est situé au Labrador, sans accord il ne peut vendre ses prises; la politique contraint les pêcheurs, restreint la flexibilité et le financement et, par conséquent, augmente les coûts d’exploitation des entreprises des pêcheurs. L’Office des appels a affirmé avoir informé l’avocat du demandeur qu’une discussion concernant d’autres pays outrepassait son mandat. Il a demandé à l’avocat du demandeur d’attribuer une valeur pécuniaire aux présumées difficultés financières, afin qu’elles puissent être considérées comme des circonstances atténuantes puisque tous les pêcheurs se trouvent dans la même situation, mais il n’a pas été en mesure de le faire. L’Office des appels a conclu que le demandeur avait été traité équitablement, en conformité avec la politique du MPO sur les accords de contrôle, et qu’il n’avait pas démontré de circonstances atténuantes justifiant que l’appel soit confirmé. Il a recommandé le rejet de l’appel. Le 18 décembre 2015, dans un mémoire au ministre, le sous-ministre délégué a recommandé que la recommandation de l’Office des appels soit retenue.
[18]
Dans une lettre au demandeur en date du 23 décembre 2015, le ministre Tootoo a rejeté l’appel.
Décision faisant l’objet du contrôle
[19]
La partie pertinente de la lettre contenant la décision du ministre Tootoo, en date du 23 décembre 2015 (la décision), indique ce qui suit :
[traduction]
La présente répond à votre appel concernant les permis détenus en votre nom qui font toujours l’objet d’un accord de contrôle, malgré l’exigence relative à l’admissibilité énoncée dans la politique sur la Préservation de l’indépendance de la flottille de pêche côtière dans l’Atlantique canadien (la politique sur la PIFPCAC).
L’audition de l’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique a eu lieu le 21 octobre 2015. Le rapport de l’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique, lequel contient ses recommandations, m’a été présenté pour que je puisse l’examiner.
Après avoir examiné tous les renseignements pertinents, j’ai décidé de rejeter l’appel. Par conséquent, vous ne serez pas exempté de la politique sur la PIFPCAC.
De ce fait, vous ne serez plus admissible à la délivrance de permis pour la saison de pêche 2016 et les suivantes.
Questions en litige
[20]
Le demandeur a défini ainsi les questions en litige :
1) Le ministre a-t-il illégalement entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en appliquant la politique sur la PIFPCAC au demandeur sans tenir compte de sa situation précise?
2) Le ministre a-t-il préjugé l’affaire du demandeur?
3) Le législateur a-t-il outrepassé sa compétence en adoptant la politique sur la PIFPCAC aux termes de l’article 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867, de telle sorte que le ministre ne puisse l’invoquer à l’appui de la décision?
[21]
Le défendeur a défini ainsi les questions en litige :
1) Quelle est la norme de contrôle applicable?
2) La décision du ministre était-elle fondée sur des considérations pertinentes?
3) Le ministre a-t-il raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire?
4) Le ministre a-t-il fait preuve d’ouverture d’esprit?
[22]
À mon avis, les questions en litige peuvent être formulées ainsi :
1) Quelle décision fait l’objet du contrôle judiciaire?
2) La décision du ministre était-elle fondée sur des considérations pertinentes?
3) Le ministre a-t-il raisonnablement exercé, ou a-t-il entravé, son pouvoir discrétionnaire?
4) Le ministre a-t-il fait preuve d’ouverture d’esprit?
5) Quelle est la mesure appropriée?
Norme de contrôle
[23]
Le demandeur n’a présenté aucune observation écrite concernant la norme de contrôle, mais lors de l’audition devant notre Cour, il a soutenu que la norme de la décision raisonnable s’appliquait à la question en litige de l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Le défendeur soutient que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique, que les décisions du ministre sur la délivrance des permis de pêche commerciale sont hautement discrétionnaires et qu’elles commandent la déférence (Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, aux paragraphes 20 à 25 (Stemijon); Malcolm c Canada (Pêches et Océans), 2014 CAF 130, aux paragraphes 32 à 35 (Malcolm); Boogaard c Canada (Procureur général), 2014 CF 1113, aux paragraphes 66 à 68 (Boogaard CF), infirmée par la CAF pour d’autres motifs, 2015 CAF 150 (Boogaard CAF)).
[24]
Je conviens que la décision du ministre concernant la délivrance de permis de pêche commerciale est discrétionnaire et assujettie à une norme de contrôle de la décision raisonnable (Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53 (Dunsmuir); Boogaard CF, aux paragraphes 66 à 68; Ralph c Canada (Procureur général), 2009 CF 1274, aux paragraphes 21 et 22; Association des crevettiers acadiens du Golfe Inc. c Canada (Procureur général), 2011 CF 305, aux paragraphes 56 et 57.
[25]
Bien qu’une certaine incertitude ait prévalu concernant la norme de contrôle appropriée lorsqu’une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire est en litige, la Cour d’appel fédérale a conclu, après l’arrêt Dunsmuir, qu’une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire devait faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable. Elle a aussi conclu qu’une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire n’appartient jamais aux issues possibles et acceptables, et qu’elle est, par conséquent, déraisonnable en soi (Stemijon, aux paragraphes 20 à 25; Gordon c Canada (Procureur général), 2016 CF 643, au paragraphe 27 (Gordon)).
[26]
À l’occasion d’un contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).
[27]
Les questions d’équité procédurale font l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).
Question 1 : Quelle décision fait l’objet du contrôle judiciaire?
[28]
Le demandeur soutient qu’il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par le ministre qui, selon lui, est composée de deux lettres – l’une en date du 12 mars 2015 et l’autre en date du 23 décembre 2015, rédigées par le ministre Shea et le ministre Tootoo, respectivement – et lui refusant le renouvellement de ses permis de pêche. Le demandeur n’a présenté aucune observation écrite quant au motif pour lequel la Cour devrait considérer les deux lettres comme une seule décision, mais lors de l’audition sur la question, il a soutenu que de savoir si les deux lettres devaient être traitées comme une seule décision ou si la lettre du ministre Tootoo devait être considérée comme la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire n’avait aucune importance aux fins de l’audition et que les deux décisions avaient été rendues sans que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire.
[29]
Le défendeur soutient que la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire en l’espèce est la décision rendue par le ministre Tootoo le 23 décembre 2015 (article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106; Pieters c Canada (Procureur général), 2004 CF 342, au paragraphe 4 (Pieters)).
[30]
L’article 302 des Règles des Cours fédérales dispose que sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée. Autrement dit, une seule décision peut être contestée à l’occasion d’un contrôle judiciaire, sauf ordonnance contraire de la Cour, ce qui pourrait être le cas lorsque les décisions en litige sont étroitement liées et pourraient être considérées comme une même série d’actes (Conseil des Innus de Ekuanitshit c Canada (Pêches et Océans), 2015 CF 1298). Dans cette affaire, le ministre Shea, dans une lettre daté du 12 mars 2015, a indiqué que les permis réputés faire l’objet d’un accord de contrôle au 12 avril 2014 ne pouvaient être renouvelés et que le MPO ne prévoyait pas accorder d’exemptions de la politique sur la PIFPCAC, mais il a mentionné que le demandeur pouvait interjeter appel d’une décision de non-renouvellement devant l’Office des appels. Le demandeur a, de fait, interjeté appel, en faisant valoir que le ministre avait agi de manière inéquitable en appliquant la politique sur la PIFPCAC sans examiner si sa situation personnelle justifiait l’exemption qu’il avait sollicitée. L’Office des appels a fait une recommandation au ministre Tootoo, qui, dans une lettre en date du 23 décembre 2015, a rejeté l’appel et, de ce fait, a refusé d’accorder une exemption de la politique sur la PIFPCAC et a déclaré que le demandeur n’était plus admissible au renouvellement de ses permis.
[31]
La Cour a déjà conclu que lorsqu’une décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire a été rendue par suite d’un appel, elle ne doit examiner que la décision rendue en appel, puisqu’elle n’est pas saisie de la décision de première instance (la décision Pieters, au paragraphe 4, citant la décision Unrau c Canada (Procureur général), [2000] ACF no 1434 (CF 1re inst.); voir aussi les décisions Lessard-Gauvin c Canada (Procureur général), 2016 CF 227, au paragraphe 10; Chef Gayle Strikes With a Gun c Conseil de la Première Nation des Piikani, 2014 CF 908, au paragraphe 32). Par conséquent, je suis d’avis qu’en l’espèce seule la lettre du 23 décembre 2015 est assujettie au contrôle judiciaire.
Question 2 : La décision du ministre était-elle fondée sur des considérations pertinentes?
Thèse du demandeur
[32]
Le demandeur soutient que le ministre a fondé sa décision sur la politique sur la PIFPCAC, laquelle porte atteinte à la compétence provinciale aux termes des paragraphes 92(13) et 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 et 31 Victoria, c 3 (R.U.), reproduite dans LRC 1985, app II, no 5 (Loi constitutionnelle de 1867). Plus précisément, le demandeur fait valoir que le ministre ne pouvait fonder sa décision sur une politique qui outrepasserait la compétence du législateur, si elle était adoptée en tant que loi. Par conséquent, la politique constituait une considération non pertinente et inconstitutionnelle (S.C.F.P c Ontario (Canadian Region), [2003] 1 RCS 539, au paragraphe 172 (Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP))).
[33]
Le demandeur soutient que le caractère véritable de la politique sur la PIFPCAC consiste en une réglementation des contrats. Il s’agit d’un texte législatif à caractère social et économique indépendant de la protection des pêches. Par conséquent, elle ne constitue pas un exercice valide de la compétence fédérale en matière de pêches aux termes du paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867 (Slaight Communications Inc. c Davidson, [1989] 1 RCS 1038, au paragraphe 90, sous la plume du juge Lamer, dissident, mais pas sur ce point (voir le paragraphe 9) (Slaight Communications); Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12 (Doré)). En outre, le demandeur soutient que la Loi sur les pêches doit être interprétée d’une manière conforme à la Loi constitutionnelle de 1867 (McKay et al. v The Queen, [1965] RCS 798, aux pages 803 et 804 (McKay); Castillo c Castillo, 2005 CSC 83, au paragraphe 30 (Castillo)) de sorte que le pouvoir du ministre de délivrer des permis en application de l’article 7 n’autorise pas les décisions fondées sur la politique sur la PIFPCAC.
[34]
Le demandeur soutient que le paragraphe 91(12) concerne les pêches en tant que ressource, sans toutefois s’appliquer aux activités corollaires à ce secteur d’activités, notamment les contrats conclus entre les entreprises de transformation et les pêcheurs (R v Roberts, 1882 CarswellNat 7, (CSC) au paragraphe 36 (Roberts). Par conséquent, le paragraphe 91(12) n’autorise pas l’application de la politique sur la PIFPCAC pour trois motifs. Premièrement, le paragraphe 91(12) n’accorde pas au législateur la compétence de réglementer les entreprises de transformation du poisson, puisqu’il s’agit d’une compétence conférée aux provinces aux termes du paragraphe 92(13) (re Fisheries Act, 1914 (Can), [1930] AC 111, au paragraphe 20 (re Fisheries Act)), laquelle n’est pas nécessairement accessoire au paragraphe 91(12) (re Fisheries Act, aux paragraphes 23 à 25). Deuxièmement, le paragraphe 92(12) ne confère pas au ministre le pouvoir de réglementer les liens économiques qui entourent les pêches, notamment les contrats conclus entre les entreprises de transformation du poisson et les pêcheurs, lesquelles questions sont de compétence provinciale (British Columbia Packers Ltd v Canada (Labour Relations Board), 1974 CarswellNat 132F (CF 1re inst.), aux paragraphes 1 à 3 (BC Packers), ni de réglementer les relations économiques entre les propriétaires de bateaux de pêche et leurs équipages (Mark Fishing Co v UFAW, 1972 CarswellBC 95 (BCCA), aux paragraphes 7 à 13 et 18 à 42). Finalement, l’exercice valide de la compétence conférée au paragraphe 91(12) nécessite l’existence d’un lien avec les pêches en tant que ressource, et la politique sur la PIFPCAC ne présente pas un tel lien (Fowler c La Reine, [1980] 2 RCS 213; Northwest Falling Contractors Ltd. c La Reine, [1980] 2 RCS 292; Ward c Canada (Procureur général), 2002 CSC 17, aux paragraphes 20 à 24, 34 à 36 et 41 à 49 (Ward)). Le demandeur soutient qu’aucun élément de preuve ne démontre que la politique sur la PIFPCAC a une incidence sur les populations de poissons ou la protection du poisson.
Thèse du défendeur
[35]
Le défendeur soutient que la Loi sur les pêches permet la politique sur la PIFPCAC. La compétence du législateur sur les « pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur »
, aux termes du paragraphe 91(12), est vaste et elle comprend la gestion des pêches dans le but d’atteindre des objectifs socio-économiques (Ward, aux paragraphes 2, 34 et 41; Comeau’s Sea Foods Ltd. c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 RCS 12, au paragraphe 37 (Comeau’s Sea Foods); Gulf Trollers Assn. c Canada (Minister of Fisheries and Oceans), [1986] ACF no 705, 32 DLR (4th) 737, au paragraphe 16 (Gulf Trollers); MacKinnon v Canada, [1987] 1 CF 490, aux paragraphes 16 et 17, 23 et 24 (MacKinnon); Carpenter Fishing Corp. c Canada, [1998] 2 CF 548 (CAF), aux paragraphes 34 à 40 (Carpenter Fishing)). La compétence fédérale en matière de pêches s’étend à la gestion des pêches pour des motifs sociaux, économiques ou autres, [traduction] « que ce soit parallèlement à des mesures prises pour la conservation, la protection et la récolte de la ressource ou simplement pour atteindre des objectifs ou adopter des politiques d’ordre social, culturel ou économique »
(Gulf Trollers, au paragraphe 16) et elle ne se limite pas à la protection des populations de poissons, mais elle s’étend également à la gestion des pêches comme ressource publique, laquelle comporte un grand nombre d’aspects, notamment les considérations d’ordre économique (Ward aux paragraphes 2, 34 et 41; Comeau’s Sea Foods, au paragraphe 37).
[36]
En outre, les tribunaux ont toujours conclu que la Loi sur les pêches confère au ministre un vaste pouvoir discrétionnaire pour gérer les pêches dans l’intérêt du public, notamment la prise en compte de facteurs sociaux et économiques dans la gestion et l’attribution d’une ressource halieutique (Tucker c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2000] ACF no 1868, au paragraphe 18 (Tucker), confirmée par 2001 CAF 384; Malcolm, au paragraphe 52; Carpenter Fishing, aux paragraphes 34, 35 et 40; Association des Senneurs du Golf Inc. c Canada (Minister of Fisheries) (1999), 175 FTR 25, 94 ACWS (3d) 774, au paragraphe 25 (Association des Senneurs), confirmée par 2001 CAF 276; Canada (Procureur général c Arsenault, 2009 CAF 300, aux paragraphes 40 et 57 (Arsenault)). Le pouvoir discrétionnaire absolu du ministre de délivrer des permis aux termes de l’article 7 de la Loi sur les pêches est conforme à la politique globale de cette loi portant que les ressources halieutiques du Canada sont un bien commun que le ministre a le devoir de gérer, de protéger et de développer dans l’intérêt public (Comeau’s Sea Foods, aux paragraphes 37 et 46; Area Twenty Three Snow Crab Fisher’s Association c Canada (Procureur général), 2005 CF 1190, aux paragraphes 19 et 20; Campbell c Canada (Procureur général), 2006 CF 510, au paragraphe 19 (Campbell)).
[37]
Le défendeur soutient que la politique sur la PIFPCAC est conforme à la vaste portée des objectifs autorisés par la Loi sur les pêches. Son mécanisme s’allie à celui d’autres politiques pour atteindre des objectifs socio-économiques identifiables et acceptables visant à diversifier l’activité de la pêche dans l’Atlantique, à éviter la concentration du marché et à optimiser les retombées économiques des ressources pour les membres des communautés de pêcheurs en régions éloignées (Tucker, au paragraphe 18). Inversement, les accords de contrôle sont délibérément conçus pour contourner les politiques en matière de permis. Ils constituent un [traduction] « méfait »
qui entraîne la perte, par les pêcheurs individuels, du privilège découlant de leurs permis et le détournement des retombées de la ressource dont les collectivités côtières isolées dépendent au profit des entreprises de transformation du poisson. L’existence et les effets des accords de contrôle constituent des facteurs pertinents que le ministre doit examiner lors de l’octroi des permis de pêche, comme l’y autorisent le paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi sur les pêches.
[38]
Le défendeur soutient aussi qu’une politique ne peut faire l’objet d’une contestation fondée sur le partage des compétences (Timberwest Forest Corp. c Canada, 2007 CAF 389, au paragraphe 3 (Timberwest CAF); TimberWest Forest Corp c Canada, 2007 CF 148, au paragraphe 102 (Timberwest CF); Little Sisters Book and Art Emporium c Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, au paragraphe 89). La politique sur la PIFPCAC n’est pas un texte législatif; il s’agit d’une politique non contraignante servant à orienter le ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire légitime lui permettant de délivrer des permis de pêche côtière commerciale. C’est pourquoi elle n’a aucune force exécutoire par laquelle elle pourrait empiéter sur la compétence législative provinciale (Campbell, aux paragraphes 18 et 45). La constitutionnalité d’une politique administrative comme celle sur la PIFPCAC peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire uniquement si sa loi habilitante est inconstitutionnelle et, en l’espèce, le demandeur ne conteste pas la constitutionnalité de la Loi sur les pêches. En l’absence d’une telle contestation, un examen du partage des compétences ne s’applique pas à la politique sur la PIFPCAC. En outre, il revient pour ainsi dire au même d’affirmer que la Loi sur les pêches doit être interprétée (c.-à-d.de manière restrictive) comme permettant uniquement l’adoption de politiques [traduction] « valides sur le plan constitutionnel »
et d’affirmer plus directement que la politique sur la PIFPCAC est inconstitutionnelle en soi.
[39]
Le défendeur soutient, à titre subsidiaire et en tout état de cause, que le caractère véritable de la politique sur la PIFPCAC porte sur la gestion des pêches côtières, lesquelles relèvent du paragraphe 91(12). Que la politique concerne accessoirement les contrats ne la rend pas inconstitutionnelle ni hors du cadre de la compétence fédérale (Timberwest CF, aux paragraphes 103 à 114). La Cour suprême du Canada l’a démontré dans l’arrêt Ward, au paragraphe 40; MacKinnon, aux paragraphes 9, 17 et 24). De même, la politique sur la PIFPCAC constitue une considération de principe au sein d’un système de délivrance de permis plus étendu, lequel porte sur la gestion et le contrôle de l’ensemble des activités de pêche sur la côte atlantique. Même si la politique sur la PIFPCAC renvoie aux accords de contrôle, elle porte essentiellement sur le contrôle des permis, lequel est du ressort du ministre en ce qui a trait à la gestion des pêches et à l’accès à la ressource (Comeau’s Sea Foods, au paragraphe 37; Ward, au paragraphe 49).
[40]
Le défendeur soutient que le pouvoir discrétionnaire du ministre a la portée la plus large possible en matière de délivrance de permis, ce qui comprend les facteurs que le ministre estime opportun de prendre en considération dans ses décisions relatives aux permis. La retenue s’impose à l’égard des choix du décideur quant aux considérations pertinentes (Comeau’s Sea Foods, aux paragraphes 37 et 46). En l’espèce, le ministre a jugé qu’il était important que les titulaires de permis individuels conservent les privilèges que les permis leur confèrent, et la Cour n’a aucun motif de s’immiscer dans l’évaluation du ministre portant que l’existence d’accords de contrôle, lesquels permettent le transfert desdits privilèges à des tiers, constitue une considération pertinente à la délivrance des permis.
Discussion
[41]
Par souci de commodité, les dispositions législatives pertinentes sont exposées ci-dessous.
Loi constitutionnelle de 1867
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Loi sur les pêches
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Loi sur le ministère des Pêches et des Océans
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[42]
À mon avis, le point de départ d’une analyse visant à établir si la décision du ministre était fondée sur des considérations pertinentes se trouve dans la décision de 2002 rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ward, à l’occasion duquel elle a examiné à la fois la portée de la compétence fédérale relative aux pêches et celle des pouvoirs du ministre et l’application de l’analyse du « caractère véritable »
à une question liée aux pêches.
[43]
Dans l’arrêt Ward, l’intimé était titulaire d’un permis de pêche commerciale qui lui avait été délivré en application de la Loi sur les pêches, lequel l’autorisait à capturer des phoques à capuchon et des phoques du Groenland. L’article 27 du Règlement sur les mammifères marins interdit la vente, l’échange ou le troc des jeunes phoques du Groenland (blanchons) et des jeunes phoques à capuchon (jeunes à dos bleu). L’intimé avait été accusé d’avoir vendu des peaux en contravention du règlement, et il a fait valoir que l’article 27 excédait la compétence du législateur.
[44]
La Cour suprême du Canada a conclu que l’article 27 relevait de la compétence du législateur aux termes de ses pouvoirs relatifs aux pêches. La disposition visait le contrôle de la chasse au blanchon et au jeune à dos bleu en interdisant leur vente, ce qui rendait leur capture largement inutile. L’objectif du législateur était de réglementer la pêche au phoque en éliminant la chasse commerciale au blanchon et au jeune à dos bleu, tout en permettant une capture limitée à des fins non commerciales. L’interdiction faisait partie d’un régime axé sur « la gestion et la surveillance »
globales de la ressource halieutique. Elle visait à restreindre non pas le commerce ou la propriété, mais plutôt une chasse préjudiciable à la viabilité économique de l’industrie de la chasse au phoque et à la ressource halieutique en général. La Cour a conclu que, même si la méthode choisie pour réduire la chasse commerciale au blanchon et au jeune à dos bleu n’était peut-être pas parfaite, l’efficacité n’était pas une considération valable dans l’analyse du caractère valable. De plus, l’argument voulant qu’une mesure législative constituant une interdiction de vente porte nécessairement, de par son caractère véritable, sur la réglementation de la vente confond l’objet de l’article 27 avec les moyens choisis pour réaliser cet objet. D’après le contexte de la mesure législative dans son ensemble et son historique législatif, rien n’indique que le législateur tentait de réglementer le marché local du commerce du phoque et des produits du phoque. De par son caractère véritable, l’article 27 a trait à la gestion des pêches canadiennes et relève de la compétence fédérale en matière de pêcheries. La compétence fédérale en matière de pêcheries ne se limite pas à la conservation des stocks de poisson, mais s’étend de façon plus générale au maintien et à la préservation de la pêche dans son ensemble, notamment sa valeur économique.
[45]
La Cour suprême a affirmé que, bien qu’elle soit vaste, la compétence en matière de pêcheries n’est pas illimitée. Le législateur doit respecter la compétence provinciale en matière de propriété et de droits civils. Pour décider si une matière correspond davantage à un chef de compétence fédérale ou provinciale, on ne peut pas se contenter de tracer une ligne de démarcation entre les compétences fédérale et provinciale, selon qu’il est question de conservation ou de vente. Il faut examiner l’activité en cause afin de déterminer si, de par son caractère véritable, la matière réglementée est liée à la compétence fédérale en matière de pêcheries ou à la compétence provinciale en matière de propriété et de droits civils. Il a été tranché que l’article 27 constituait une mesure fédérale valide étant donné qu’il était essentiellement lié à la protection de la viabilité économique des pêches canadiennes dans leur ensemble. Ce résultat respectait parfaitement le droit constitutionnel des provinces de régir la propriété et les droits civils.
[46]
La Cour suprême a entrepris un examen détaillé de la jurisprudence sur la portée de la compétence fédérale en matière de pêches, notamment plusieurs de ses anciennes décisions sur lesquelles s’appuie le demandeur en l’espèce, et elle a conclu ainsi :
34 D’abord, selon la jurisprudence prépondérante, la compétence en matière de pêcheries ne se limite pas à la conservation ni aux activités préalables à la vente, mais s’étend de façon plus générale au maintien et à la préservation de la pêche dans son ensemble, y compris sa valeur économique. Dans l’arrêt The Queen c. Robertson (1882), 6 R.C.S. 52, le juge en chef Ritchie a affirmé que la compétence en matière de pêcheries s’étend [traduction] « aux sujets touchant les pêcheries en général, visant leur réglementation, leur protection et leur conservation ». Par conséquent, la compétence du Parlement s’étend à « toutes les lois générales dont le but est aussi bien l’avantage des propriétaires des pêcheries que du public en général qui s’intéresse aux pêcheries à titre de source de richesse pour le pays ou la province » (p. 120-121).
35 Dans Reference re Certain Sections of the Fisheries Act, 1914, [1928] R.C.S. 457 (conf. par [1930] A.C. 111 (C.P.)), le juge Newcombe cite, à la p. 472, la définition figurant dans Patterson on the Fishery Laws (1863), p. 1, selon laquelle le mot « pêcherie » désigne [traduction] « le droit de prendre du poisson dans la mer ou dans un cours d’eau particulier ». Il cite ensuite le « premier sens » plus large donné par A New English Dictionary (1888), de J. A. H. Murray, selon lequel ce mot désigne [traduction] « [l]’entreprise, l’occupation ou l’industrie qui consiste à prendre du poisson ou d’autres produits de la mer ou de rivières ». Dans l’arrêt Mark Fishing Co. c. United Fishermen & Allied Workers’ Union (1972), 24 D.L.R. (3d) 585 (C.A.C.‑B.), le juge en chef Davey précise que [traduction] « La définition de Patterson insiste sur la ressource naturelle et le droit de l’exploiter, l’endroit où elle se trouve et où le droit est exercé » (p. 592). Voir également Fonds international pour la défense des animaux, Inc. c. Canada, [1987] 1 C.F. 244 (1re inst.) (décision relative à la question du partage des compétences conf. par [1989] 1 C.F. 335 (C.A.)).
36 La théorie selon laquelle la compétence en matière de pêcheries vise la ressource a été confirmée par notre Cour dans l’arrêt Interprovincial Co‑operatives Ltd. c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 477, où le juge en chef Laskin (dissident, mais sur un autre point) écrit, à la p. 495, que la compétence fédérale en matière de pêcheries « vise [.. .] la protection et la conservation des pêcheries, à titre de richesse pour le public » et s’étend même à « la suppression de l’exercice du droit [d’exploitation] par le propriétaire ».
37 En outre, dans l’arrêt Northwest Falling Contractors Ltd. c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 292, le juge Martland a reconnu, au nom de notre Cour, que la compétence en matière de pêcheries comportait le pouvoir de légiférer sur les pêcheries en tant que ressource (à la p. 298) :
... la compétence législative fédérale prévue au par. 91.12 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique n’est pas un simple pouvoir fédéral de légiférer sur le « poisson » au sens technique du terme. Cette Cour, de même que le Conseil privé, ont attribué au terme « pêcheries » le sens de quelque chose de la nature d’une ressource.
38 Plus récemment, dans l’arrêt Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12, par. 37, le juge Major a souligné que l’obligation qui incombe au Ministre, en vertu de la Loi sur les pêches, ne se limite pas à la conservation et comprend la gestion et le développement des pêches dans l’intérêt du public :
Les ressources halieutiques du Canada sont un bien commun qui appartient à tous les Canadiens. En vertu de la Loi sur les pêches, le Ministre a l’obligation de gérer, conserver et développer les pêches au nom des Canadiens et dans l’intérêt public (art. 43).
39 Dans l’arrêt Gulf Trollers Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1987] 2 C.F. 93 (inf. [1984] 2 C.F. 398 (1re inst.)), la Cour d’appel fédérale s’est penchée directement sur la question de savoir si la compétence fédérale en matière de pêcheries se limite à la conservation des stocks de poisson. Dans cette affaire, il était question de règlements fédéraux régissant les périodes de fermeture, qui favorisaient les pêcheurs sportifs au détriment des pêcheurs commerciaux. En première instance, le juge Collier a conclu que la compétence en matière de pêcheries ne s’étendait pas à la gestion et à la surveillance générales des pêches pour les besoins des Canadiens et se limitait à la protection et à la conservation de la ressource. La Cour d’appel fédérale a infirmé cette décision. Le juge Marceau s’est dit d’avis que le « Parlement peut tenir compte de considérations sociales, économiques ou autres dans la gestion des pêcheries soit en les associant à ses mesures visant la conservation, la protection et l’exploitation des ressources, soit simplement en les alliant à la poursuite d’objectifs et à la mise en application de politiques de nature sociale, culturelle ou économique » (p. 106).
40 Les tribunaux ont en outre rejeté le point de vue selon lequel la compétence fédérale se limite à la gestion de la ressource halieutique à l’état naturel et prend fin avant le point de vente. Dans l’arrêt British Columbia Packers Ltd. c. Conseil canadien des relations du travail, [1976] 1 C.F. 375 (C.A.) (pourvoi devant la C.S.C. rejeté pour d’autres motifs, [1978] 2 R.C.S. 97), le juge en chef Jackett a fait remarquer que la compétence en matière de pêcheries ne s’étend pas à « l’adoption de lois relatives aux activités normalement accessoires à l’exploitation d’une entreprise de pêche, comme les relations du travail et l’écoulement des produits de l’entreprise, lorsque ces activités elles‑mêmes ne relèvent pas de la notion de “pêcheries” » (p. 385 (soulignement supprimé)). Cependant, il est clair que les aspects de la vente qui sont nécessairement accessoires à l’exercice de la compétence en matière de pêcheries relèvent de la compétence fédérale : voir R. c. N.T.C. Smokehouse Ltd. (1993), 80 B.C.L.R. (2D) 158 (C.A.); R. c. Saul (1984), 10 D.L.R. (4th) 736 (C.S.C.‑B.); R. c. Twin (1985), 23 C.C.C. (3D) 33 (C.A. Alb.). La raison en est que le gouvernement fédéral peut limiter les ventes afin d’empêcher une exploitation abusive de la ressource. Il semble donc que, pour définir l’étendue de la compétence fédérale en matière de pêcheries, il n’est pas possible de tracer une ligne de démarcation claire au point de vente.
41 Ces décisions établissent indubitablement que la compétence en matière de pêcheries vise non seulement la conservation et la protection, mais encore la « réglementation » générale des pêcheries, y compris leur gestion et leur surveillance. Elles reconnaissent que les « pêcheries », au par. 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867, s’entendent des pêcheries en tant que ressource naturelle; [traduction] « une source de richesse pour le pays ou la province » (Robertson, précité, p. 121); un « bien commun » à gérer pour le bien de tous les Canadiens (Comeau’s Sea Foods, précité, par. 37). La ressource halieutique comprend tous les animaux qui habitent les mers, mais elle englobe aussi les intérêts commerciaux et économiques, les droits et les intérêts des peuples autochtones, de même que l’intérêt public en matière de sport et de loisirs.
[…]
43 Nous sommes donc en présence de deux vastes chefs de compétence, l’un fédéral, l’autre provincial. En pareil cas, il est difficile de tracer une ligne de démarcation claire entre les deux. Seul l’examen de l’activité en cause peut permettre de déterminer si une matière correspond davantage à un chef de compétence fédérale ou à un chef de compétence provinciale. Les mesures qui, de par leur caractère véritable, visent le maintien et la conservation des pêcheries relèvent de la compétence fédérale. Par contre, on a jugé que les mesures qui, de par leur caractère véritable, portent sur le commerce et l’industrie à l’intérieur de la province relèvent non pas de la compétence fédérale en matière de pêcheries, mais plutôt de la compétence provinciale en matière de propriété et de droits civils.
44 La jurisprudence le confirme. Les tribunaux ont conclu que des mesures portant essentiellement sur la réglementation de la transformation du poisson et des relations du travail dans le secteur des pêches ne relèvent pas de la compétence fédérale. En revanche, ils ont jugé que des mesures portant principalement sur la réglementation de la ressource halieutique mais touchant d’une manière incidente à la vente du poisson étaient des mesures législatives fédérales valides.
[Non souligné dans l’original.]
(Voir aussi Association des Senneurs, au paragraphe 25; confirmée par 2001 CAF 276, où la Cour a affirmé que « le Ministre possède le pouvoir de gérer la pêche, compte tenu de considérations sociales, économiques ou autres »
; Gulf Trollers, aux paragraphes 16 et 17; Malcolm, au paragraphe 52).
[47]
Dans la décision Tucker, le juge Rothstein, alors juge de la Cour, a conclu que la politique de la Loi sur les pêches et les considérations qui se rapportent à l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre aux termes de l’article 7 de la Loi sont celles que le juge Major a énoncées dans l’arrêt Comeau’s Sea Food. Plus précisément, qu’aux termes de la Loi sur les pêches, il incombe au ministre de gérer les pêches. L’octroi de permis visant à restreindre l’accès à la pêche commerciale et à limiter le nombre de pêcheurs et de navires est un instrument ou un mécanisme dont dispose le ministre aux fins de pareille gestion (au paragraphe 17). Compte tenu de l’obligation qui incombe au ministre de gérer les pêches et de « l’étendue illimitée du pouvoir discrétionnaire conféré au [m]inistre par l’article 7 à l’égard de l’octroi de permis »
, ce dernier n’a pas agi d’une façon manifestement déraisonnable en refusant au demandeur la possibilité d’utiliser un permis de pêche côtière et un permis de pêche hauturière en même temps. (au paragraphe 18).
[48]
Dans l’arrêt Comeau’s Sea Foods, il fallait trancher si le ministre, après avoir autorisé la délivrance de permis de pêche, avait le pouvoir de révoquer cette autorisation. La Cour suprême du Canada a conclu ainsi :
36 Je suis d’avis que le pouvoir discrétionnaire d’autoriser la délivrance de permis, qui est conféré au Ministre par l’art. 7, est, à l’instar de son pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis, restreint seulement par l’exigence de justice naturelle, étant donné qu’il n’y a actuellement aucun règlement applicable. Le Ministre doit fonder sa décision sur des considérations pertinentes, éviter l’arbitraire et agir de bonne foi. Il en résulte un régime administratif fondé principalement sur le pouvoir discrétionnaire du Ministre: voir Thomson c. Ministre des Pêches et Océans, C.F. 1re inst., no T‑113‑84, 29 février 1984.
37 Cette interprétation de la portée du pouvoir discrétionnaire du Ministre est conforme à la politique globale de la Loi sur les pêches. Les ressources halieutiques du Canada sont un bien commun qui appartient à tous les Canadiens. En vertu de la Loi sur les pêches, le Ministre a l’obligation de gérer, conserver et développer les pêches au nom des Canadiens et dans l’intérêt public (art. 43). Les permis sont un outil dans l’arsenal de pouvoirs que la Loi sur les pêches confère au ministre pour gérer les pêches. Ils permettent de restreindre l’accès à la pêche commerciale, de limiter le nombre de pêcheurs et de navires et d’imposer des restrictions quant aux engins de pêche utilisés et à d’autres aspects de la pêche commerciale.
[49]
La Cour suprême a aussi conclu que le vaste pouvoir discrétionnaire du ministre devait être interprété en fonction du besoin de répondre aux préoccupations de politique immédiates touchant les pêches (au paragraphe 46). Dans cette affaire, le ministre n’exerçait pas sa fonction législative, mais révoquait plutôt une autorisation en réponse à ce qu’il percevait comme des préoccupations urgentes et immédiates concernant la pêche au homard.
[50]
Dans la décision Carpenter Fishing, la Cour a conclu que l’imposition d’une politique sur les quotas, plutôt que l’octroi d’un permis particulier, constituait une décision discrétionnaire de la nature d’une politique ou d’une mesure législative. De plus, tant que le ministre n’entrave pas l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en considérant les lignes directrices comme contraignantes, il peut dûment et valablement indiquer le genre de considérations sur lesquelles il se fonde de manière générale pour l’attribution des quotas. Ces lignes directrices discrétionnaires ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire, sous réserve (Maple Lodge Farms c Gouvernement du Canada, [1982] 2 RCS 2 (Maple Lodge Farms)) des exceptions suivantes : la mauvaise foi, le non-respect des principes de justice naturelle, lorsque leur application est prescrite par la loi, et la prise en compte de considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi (paragraphe 28). Lorsque la Cour a abordé les considérations inappropriées, elle a affirmé que les objectifs autorisant de prendre des mesures en application de la Loi sur les pêches sont interprétés de manière particulièrement large, citant les arrêts Gulf Trollers, à la page 106, et Comeau’s Sea Foods, aux pages 25 et 26 et le paragraphe 4(1) de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, et elle a conclu ainsi :
37 Il s’ensuit que les tribunaux qui sont saisis de la question de l’exercice par le ministre de ses pouvoirs et fonctions et de son pouvoir discrétionnaire relativement à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une politique en matière de quotas de pêche devraient reconnaître l’intention exprimée par le législateur et le gouverneur en conseil de donner au ministre la plus grande marge possible de manœuvre, et y donner effet. C’est uniquement lorsque le Ministère prend des mesures, par ailleurs autorisées par la Loi sur les pêches, qui outrepassent manifestement les buts généraux autorisés par la Loi que les tribunaux devraient intervenir.
[51]
On doit d’abord retenir de la jurisprudence précitée que la compétence du législateur aux termes du paragraphe 91(12) est vaste. Les pêches constituent un bien commun, et le législateur peut, à juste titre, gérer et surveiller cette ressource. Cette compétence ne se limite pas à la conservation des stocks de poissons, mais s’étend à la gestion des pêches pour des motifs sociaux, économiques ou autres, que ce soit parallèlement à des mesures prises pour la conservation, la protection et la récolte de la ressource ou simplement pour atteindre des objectifs ou adopter des politiques d’ordre social, culturel ou économique. En outre, le ministre a l’obligation de gérer les pêches au nom des Canadiens et dans l’intérêt public, ce qui inclut la délivrance de permis. Le pouvoir discrétionnaire absolu du ministre, en application de l’article 7 de la Loi sur les pêches, l’autorise à validement tenir compte d’objectifs d’ordre social, culturel ou économique lorsqu’il décide de délivrer ou non des permis de pêche.
[52]
Dans le contexte de l’espèce, l’énoncé du ministre servant à présenter la politique sur la PIFPCAC indiquait qu’il était persuadé qu’une flottille de pêche côtière commerciale indépendante constituait un élément important pour la prospérité économique du Canada atlantique et que la politique mettait en évidence l’engagement du gouvernement à offrir aux collectivités côtières du Canada atlantique la possibilité de se doter d’assises économiques solides. Son objectif, comme énoncé, visait à renforcer les actuelles politiques du propriétaire exploitant et de la séparation des flottilles, afin de préserver l’indépendance des pêcheurs côtiers et de s’assurer que les privilèges découlant des permis de pêche profitent aux pêcheurs et aux collectivités côtières de l’Atlantique. Cet objectif ressort également de la mission annoncée de la politique sur la PIFPCAC.
[53]
La politique sur la PIFPCAC énonce, elle-même, que lors de la Révision de la politique sur les pêches de l’Atlantique, les pêcheurs côtiers ont fait remarquer à plusieurs reprises que les accords de contrôle nuisaient aux politiques existantes en matière de permis, notamment les politiques du propriétaire exploitant et de la séparation des flottilles. La politique sur la PIFPCAC renforce ces politiques en s’intéressant aux questions relatives aux accords de contrôle et en veillant à ce que les personnes qui tirent profit du privilège d’un permis soient celles qui se livrent activement à l’activité de la pêche.
[54]
Par conséquent, je suis d’avis que l’objectif de la politique sur la PIFPCAC relève clairement des vastes pouvoirs du législateur en matière de gestion des pêches. En outre, le ministre, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non un permis de pêche aux termes du pouvoir que l’article 7 de la Loi sur les pêches lui confère, était tout à fait justifié de tenir compte de la politique, puisqu’elle comprend des facteurs sociaux et économiques pertinents à la gestion des pêches. La jurisprudence précitée établit clairement qu’il s’agit de facteurs acceptables dont le ministre peut tenir compte.
[55]
Or, le demandeur fait valoir que la politique sur la PIFPCAC constitue une considération non pertinente et inconstitutionnelle, puisqu’elle outrepasserait la compétence du législateur si elle faisait l’objet d’une loi. À cet égard, le demandeur cite le paragraphe 172 de l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) comme confirmant le principe interdisant au ministre de fonder ses décisions sur des considérations non pertinentes.
[56]
Je ferai d’abord remarquer que la politique sur la PIFPCAC est justement une politique. Elle n’a pas fait l’objet d’un règlement ou d’une loi. Par conséquent, elle ne peut être visée par une contestation fondée sur le partage des compétences et considérée comme ultra vires. Dans la décision Timberwest CF, la demanderesse contestait la validité d’un régime fédéral de contrôle des exportations de billes pour le motif que le régime, adopté aux termes d’un énoncé de politique, n’était pas autorisé par la législation fédérale pertinente et qu’il était inconstitutionnel du fait s’agissait d’une tentative du gouvernement fédéral de réglementer un domaine de compétence provinciale. La demanderesse ne remettait pas en question une décision prise par le ministre d’octroyer ou de refuser un permis d’exportation, mais elle contestait la validité d’une politique établie par le ministre. La Cour a conclu que « [d]ans notre système constitutionnel, les lois sont considérées inconstitutionnelles pour une raison ou une autre, non les politiques. La demanderesse n’a pas attaqué les dispositions législatives portant sur la délivrance des licences d’exportation »
(au paragraphe 102). La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision et elle affirmé que les tribunaux n’ont pas compétence pour statuer sur la constitutionnalité de politiques. Puis, elle a mentionné que l’appelante n’avait contesté la validité d’aucune disposition de la loi pertinente (Timberwest CAF, au paragraphe 3).
[57]
En outre, le paragraphe 172 de l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) se trouve dans la partie de la décision de la Cour suprême du Canada où elle examine l’exercice du pouvoir discrétionnaire en fonction de la pondération des considérations pertinentes à l’administration d’une loi, puis elle cite de la jurisprudence avant d’examiner le critère de la norme de la décision manifestement déraisonnable selon les faits de l’affaire. Dans ce contexte, la Cour a affirmé que « [l]e principe voulant que le décideur légal soit tenu de prendre en considération les critères pertinents, tout comme il se doit d’exclure ceux qui ne le sont pas, a été réitéré à maintes reprises »
. Le reste du paragraphe présente une affaire dans laquelle le tribunal a conclu que le fait qu’un décideur omette de tenir compte de considérations fort pertinentes à sa prise de décision constituait une erreur. Elle ne mentionne aucunement que le ministre ne peut se fonder sur une politique qui outrepasserait la compétence du législateur si elle faisait l’objet d’une loi. Le demandeur ne présente aucun élément de preuve pour appuyer cette affirmation, et je suis d’avis qu’elle est sans fondement.
[58]
Le demandeur soutient également que le caractère véritable de la politique sur la PIFPCAC consiste en une réglementation des contrats, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un texte législatif à caractère social et économique indépendant de la protection des pêches en soi. Par conséquent, la politique ne consiste pas en un exercice valide de la compétence fédérale en matière de pêches aux termes du paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867. Je suis d’avis, comme j’en discuterai ci-dessous, que l’analyse du caractère véritable ne s’applique pas à l’espèce. Par ailleurs, la politique sur la PIFPCAC porte sur les pêches. Comme il ressort clairement de la jurisprudence précitée, les vastes pouvoirs conférés au ministre, aux termes de l’article 7 de la Loi sur les pêches, comprennent la prise en compte de facteurs sociaux et économiques pertinents à la gestion des pêches, lesquels sont visés dans la politique sur la PIFPCAC, et lesdits pouvoirs ne se limitent pas à la protection des pêches elles-mêmes, comme le soutient le demandeur. Bien que le demandeur invoque les arrêts Slaight Communications et Doré pour appuyer sa thèse, je suis d’avis qu’ils ne lui sont d’aucune utilité. Dans ces affaires, il s’agissait de déterminer si les décideurs administratifs avaient exercé leur pouvoir discrétionnaire conféré par la loi conformément aux protections garanties par la Charte (Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 (la Charte)) lesquelles ne sont pas en litige en l’espèce.
[59]
Le demandeur soutient également que la Loi sur les pêches doit être [traduction] « interprétée d’une manière conforme à la Constitution »
et que, par conséquent, le pouvoir discrétionnaire du ministre de délivrer des permis, aux termes de l’article 7, ne l’autorise pas à fonder ses décisions sur la politique sur la PIFPCAC. À cet égard, le demandeur invoque les arrêts McKay et Castillo ainsi qu’une citation tirée de l’ouvrage de David Phillip Jones et d’Anne S de Villars, Principles of Administrative Law, 6e édition (Edmonton : Carswell, 2014) (Phillip et de Villars). Cependant, ces références n’appuient que le principe selon lequel la législation doit être interprétée de manière conforme à la Constitution, sans aborder la question de l’interprétation des lois dans un contexte où on fait valoir qu’une politique outrepasse les pouvoirs du législateur.
[60]
La référence citée dans l’arrêt Castillo est rédigée comme suit :
2.4 La présomption d’absence de portée extraterritoriale
30 Le texte de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 limite la compétence législative des provinces aux affaires « [d]ans chaque province ». En l’absence de disposition contraire, expresse ou implicite, les législateurs sont présumés respecter les limites territoriales de leur compétence législative : Côté, p. 252‑255. Il faut, autant que possible, donner à une mesure législative une interprétation conforme à cette intention présumée. De même, il est maintenant reconnu que, lorsqu’une mesure législative est susceptible de plus d’une interprétation, elle doit être interprétée de manière à être compatible avec la Constitution : McKay c. The Queen, [1965] R.C.S. 798, p. 803; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1078.
[61]
De même, l’extrait tiré de l’ouvrage de Phillip et de Villars porte sur les différences entre le régime politique canadien et britannique lorsqu’il est question de contester les mesures prises par le gouvernement. Lorsqu’il traitent du fédéralisme, du partage des compétences législatives et de l’inconstitutionnalité des textes législatifs, Phillip et de Villars affirment ce qui suit, aux pages 28 et 29 :
[traduction]
[...] Lors de la caractérisation des textes législatifs à des fins constitutionnelles, les tribunaux se fondent sur leur nature essentielle globale, ce qu’il est convenu d’appeler leur « caractère véritable », et ils écartent les caractéristiques « secondaires » de moindre importance. Les tribunaux doivent déterminer si un texte législatif donné est inconstitutionnel, et ils ne peuvent être privés de ce pouvoir par des mécanismes de procédure.
Il s’ensuit logiquement que ni le législateur fédéral ni une assemblée législative provinciale ne peut tenter d’adopter des textes législatifs visant à déléguer des pouvoirs qui ne lui sont pas attribués dans la Constitution. Par conséquent, la validité de tout texte législatif subordonné ou de toute autre forme de pouvoir délégué dépend de la validité constitutionnelle de la loi existante […].
[Renvois omis.]
[62]
Il est difficile de voir en quoi ces références appuient l’assertion du demandeur voulant que le ministre ne puisse tenir compte de la politique sur la PIFPCAC lorsqu’il refuse de délivrer des permis, puisque, selon le demandeur, la politique sur la PIFPCAC outrepasse la compétence fédérale en matière de pêches et constitue, par conséquent, une considération non pertinente. Ces références étayent le fait qu’un texte législatif peut faire l’objet d’une contestation pour le motif qu’il est inconstitutionnel, mais en l’espèce, le demandeur ne conteste pas l’article 7 de la Loi sur les pêches.
[63]
En effet, dans son avis de question constitutionnelle, déposé en application du paragraphe 57(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, le demandeur fait valoir que sa demande de contrôle judiciaire repose notamment sur le fait que le ministre [traduction] « s’est fondé sur des considérations qui ne sont pas autorisées sur le plan constitutionnel »
, puisque l’existence d’accords de contrôle est une question de propriété et de droits civils dans la province, qui se distingue de l’objet de la compétence sur les pêches au paragraphe 92(12) de la Loi constitutionnelle de 1867. Le demandeur décrit ainsi le fondement juridique de sa question constitutionnelle :
[traduction]
7. L’article 7 de la Loi sur les pêches n’autorise pas le ministre à prendre des décisions en matière de permis en se fondant sur l’existence d’un accord de contrôle entre un pêcheur et une entreprise de transformation du poisson. Le caractère véritable de cette question concerne les contrats, alors il ne s’agit pas d’un exercice valide de la compétence accordée au paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867 (la « compétence sur les pêches »). La politique sur la PIFPCAC régit les relations économiques entre les pêcheurs et les entreprises de transformation du poisson, et elle vise à préserver l’indépendance du secteur de la capture et à protéger les intérêts économiques de certaines collectivités rurales isolées. Cette politique est fondée sur des considérations qui outrepasseraient la compétence fédérale, si le législateur les adoptait dans une loi.
8. Plus important encore, la politique sur la PIFPCAC n’est pas un règlement, et le demandeur ne conteste pas son caractère constitutionnel en tant que règlement. Par conséquent, le demandeur soutient que le présent avis de question constitutionnelle n’est pas requis, mais il le dépose par excès de prudence.
9. En termes simples, la compétence fédérale sur les pêches ne peut être exercée qu’en présence d’un lien valide sur le plan constitutionnel avec l’objet du paragraphe 92(12), c’est-à-dire les pêches en tant que ressource. La politique sur la PIFPCAC régit des relations contractuelles qui n’ont pas de lien avec cette question.
10. La Loi sur les pêches doit être interprétée dans le respect de la Constitution, et, de ce fait, elle n’autorisait pas le ministre à rendre cette décision en se fondant sur la politique sur la PIFPCAC.
[En gras dans l’original.]
[64]
Je ne vois pas comment, si la validité constitutionnelle d’une politique ne peut faire l’objet d’une contestation, le demandeur peut attaquer une décision discrétionnaire rendue par le ministre pour le motif que la politique sur laquelle elle est fondée est, en essence, inconstitutionnelle. Je suis d’avis que si le demandeur ne conteste pas l’article 7 de la Loi sur les pêches, sa thèse ne peut être accueillie. De surcroît, même si le demandeur contestait l’article 7 de la Loi sur les pêches, le ministre, en l’espèce, n’a pas outrepassé sa compétence, puisque, comme je l’ai déjà mentionné, il peut tenir compte de facteurs économiques et sociaux lorsqu’il rend des décisions en matière de politique et de permis.
[65]
En bref, bien qu’il soit indéniable que la compétence que le ministre exerce en application de l’article 7 de la Loi sur les pêches doit relever des pouvoirs du législateur aux termes du paragraphe 91(12), l’observation du demandeur portant que le ministre ne pouvait fonder sa décision sur une politique qui outrepasserait la compétence du législateur, si elle faisait l’objet d’une loi, et que, par conséquent, la politique sur la PIFPCAC constituait une considération non pertinente et inconstitutionnelle n’est pas fondée en jurisprudence. Le demandeur ne présente aucune jurisprudence voulant que les considérations du ministre doivent être constitutionnelles en elles-mêmes.
[66]
Même si ma conclusion selon laquelle la politique sur la PIFPCAC ne peut faire l’objet d’une contestation portant sur le partage des compétences était erronée, je suis d’avis que la politique sur la PIFPCAC constitue, de par son caractère véritable, un exercice valide de la compétence fédérale en matière de pêches aux termes du paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867.
[67]
La Cour suprême du Canada a décrit la méthode d’analyse du caractère véritable dans l’arrêt Fédération des producteurs de volailles du Québec c Pelland, [2005] 1 RCS 292 (CSC) :
20 Le juge LeBel a récemment examiné la méthode d’analyse à adopter, dans l’arrêt Bande Kitkatla c. Colombie‑Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146, 2002 CSC 31, par. 53‑54, lequel porte sur des dispositions de la Heritage Conservation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 187 :
L’analyse du caractère véritable porte à la fois (1) sur l’objet de la législation et (2) sur ses effets. Premièrement, pour déterminer l’objet de la législation, la Cour peut examiner tant la preuve intrinsèque, telles les dispositions énonçant les objectifs généraux, que la preuve extrinsèque, tels le Hansard ou les comptes rendus des comités parlementaires.
Deuxièmement, dans son analyse de l’effet de la législation, la Cour peut examiner à la fois son effet juridique et son effet pratique. Autrement dit, elle examine tout d’abord les effets directs des dispositions de la loi elle‑même, puis les effets « secondaires » de son application : voir R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, p. 482‑483. Le juge Iacobucci donne quelques exemples de cette démarche dans Global Securities Corp. c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), [2000] 1 R.C.S. 494, 2000 CSC 21, par. 23 :
Les effets de la mesure législative peuvent également être pertinents pour déterminer si elle est valide, dans la mesure où ils en révèlent le caractère véritable. Par exemple, dans l’arrêt Saumur c. City of Quebec, [1953] 2 R.C.S. 299, la Cour a invalidé un règlement municipal qui interdisait la distribution de tracts, pour le motif qu’il avait été appliqué de façon à supprimer les opinions religieuses des Témoins de Jéhovah. De même, dans Attorney‑General for Alberta c. Attorney‑General for Canada, [1939] A.C. 117, le Conseil privé a invalidé une loi qui imposait une taxe aux banques, pour le motif que les effets de cette taxe étaient si graves que l’objet véritable de la loi ne pouvait qu’être lié aux opérations bancaires et non à la taxation. Cependant, de simples effets accessoires ne rendent pas inconstitutionnelle une loi par ailleurs intra vires. [Je souligne.]
(Voir aussi P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 1, § 15.5(d))
[68]
Dans l’arrêt Ward, à l’occasion d’une contestation portant sur un règlement lié aux pêches, la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit :
17 La première étape de l’analyse du caractère véritable consiste à déterminer le caractère véritable ou essentiel de la loi. Que[l] est le sens véritable ou la caractéristique dominante de la mesure législative attaquée? Pour répondre à cette question, il faut examiner l’objet et l’effet juridique du règlement ou de la loi en cause : voir le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, précité, par. 16. L’objet désigne ce que le législateur a voulu accomplir. Il est pertinent pour déterminer si, en l’espèce, le Parlement réglementait les pêcheries ou s’il s’aventurait dans le domaine de compétence provinciale de la propriété et des droits civils. L’effet juridique désigne la façon dont la loi influe sur des droits et des obligations, et il est également utile pour comprendre le sens premier de la loi : voir le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, précité, par. 17‑18, et l’arrêt Morgentaler, précité, p. 482-483. Les effets peuvent également indiquer si une loi comporte un « motif déguisé », c’est-à-dire montrer que même si, de par sa forme, la loi paraît porter sur un sujet relevant de la compétence du législateur, elle porte, au fond, sur un sujet qui ne relève pas de cette compétence : voir l’arrêt Morgentaler, précité, p. 496. Dans sa plaidoirie, M. Ward a précisé clairement que sa contestation de la loi n’était pas fondée sur l’existence d’un motif déguisé.
18 L’analyse du caractère véritable n’est ni technique, ni formaliste : voir P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 1, p. 15‑12. Il s’agit essentiellement d’une question d’interprétation. Les tribunaux examinent les termes employés dans la mesure législative attaquée, de même que le contexte et les circonstances dans lesquels cette mesure a été adoptée : voir l’arrêt Morgentaler, précité, p. 483, et le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, précité, par. 17. Lorsqu’il procède à cette analyse, le tribunal ne devrait pas se préoccuper de l’efficacité de la loi ou de la question de savoir si elle permet de réaliser les objectifs du législateur : voir RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 44, le juge La Forest; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, précité, par. 18.
19 L’article 27 du Règlement, pris isolément, ne fait qu’interdire la vente, l’échange ou le troc, ce qui pourrait porter à croire qu’il relève de la compétence des provinces et non pas de la compétence fédérale. Cependant, nous ne pouvons pas nous arrêter là. Il nous faut aller plus loin. Quel est l’objet de l’art. 27 et quel en est l’effet? Quel rôle joue-t-il dans l’ensemble du régime de réglementation? La question n’est pas tant de savoir si le Règlement interdit la vente que de savoir pourquoi celle‑ci est interdite.
[69]
Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême a ensuite conclu que l’objectif était clair, tant dans le règlement pris dans son ensemble que dans l’histoire législatif. L’article 27 du règlement visait à contrôler la capture des blanchons et des jeunes à dos bleu en interdisant leur vente, puisque la capture de ces jeunes phoques avait pour conséquence de détruire les marchés traditionnels du phoque et de menacer les marchés étrangers des produits canadiens du poisson. La cour a conclu que l’interdiction relative à la vente ne visait pas à contrôler le commerce, mais à prévenir la capture de ces phoques. La mise en contexte de l’article 27 a permis de corroborer l’opinion selon laquelle cet article ne visait pas la propriété ni le commerce, mais plutôt la restriction de la chasse commerciale de blanchons et de jeunes à dos bleu, et l’interdiction était appliquée dans le contexte d’un régime axé sur la gestion et la surveillance globales de la ressource halieutique.
24 Je conclus que l’objectif du Parlement était de réglementer la pêche au phoque en éliminant la chasse commerciale au blanchon et au jeune à dos bleu grâce à une interdiction de vente, tout en permettant une capture limitée de ces animaux à des fins non commerciales. En d’autres termes, le « mal » auquel le Parlement a voulu remédier était la chasse sur grande échelle au blanchon et au jeune à dos bleu pratiquée à des fins commerciales. Il a agi dans le but de préserver la viabilité économique non seulement de la pêche au phoque, mais aussi des pêches canadiennes en général.
[70]
Concernant les effets de la mesure législative :
25 Quant aux effets de la mesure législative, l’art. 27 influe sur les droits des personnes qui y sont assujetties en interdisant la vente de blanchons et de jeunes à dos bleu qui ont, par ailleurs, été capturés légalement. Monsieur Ward fait valoir que l’art. 27 a pour effet juridique de réglementer la propriété et la transformation d’un produit de phoque capturé. Cet argument revient à dire que, parce que la mesure législative est une interdiction de vente, elle porte nécessairement, de par son caractère véritable, sur la réglementation de la vente. C’est là confondre l’objet de la mesure législative avec les moyens choisis pour réaliser cet objet. D’après le contexte de la mesure législative dans son ensemble et son historique législatif, rien n’indique que le Parlement tentait de réglementer le marché local du commerce du phoque et des produits du phoque. L’argument de M. Ward voulant que l’art. 27 vise à réglementer un produit déjà transformé, du fait que les phoques sont écorchés et que leur viande est conservée à bord des bateaux, confond de la même façon l’objet de l’art. 27 avec les moyens choisis pour réaliser cet objet.
[…]
28 Je conclus que l’interdiction de vente décrétée à l’art. 27 vise essentiellement à réduire la chasse commerciale au blanchon et au jeune à dos bleu afin d’assurer la protection économique de la ressource halieutique. À ce titre, elle est, de par son caractère véritable, liée à la gestion des pêches canadiennes.
[71]
Je suis d’avis que dans l’arrêt Ward, les motifs et l’issue de l’analyse du caractère véritable de la disposition réglementaire attaquée sont tout à fait pertinents à l’espèce, si la politique sur la PIFPCAC était soumise à cette analyse. Cependant, comme je l’ai déjà mentionné, je ne crois pas que ce soit le cas.
[72]
L’objectif de la politique sur la PIFPCAC, comme il est clairement expliqué et indiqué dans le dossier, lequel expose le contexte ayant mené à l’adoption de la politique, était de préserver l’indépendance des pêcheurs côtiers et de s’assurer que les retombées découlant des permis de pêche profitent aux pêcheurs et aux collectivités côtières de l’Atlantique, qui en ont besoin. Afin d’atteindre cet objectif, la politique met en œuvre la catégorie de pêcheur du noyau indépendant comme nouveau critère d’admissibilité pour les pêcheurs côtiers qui exploitent une entreprise du noyau. Pour être admissibles au renouvellement de leurs permis après la saison 2014, ces pêcheurs devaient se retirer de leurs accords de contrôle ou en modifier les modalités, de manière à satisfaire aux exigences de la politique. Ces mesures ont été prises parce que le ministre a déterminé que les accords de contrôle, lesquels visaient à faire échec aux politiques existantes en matière de permis, avaient des effets socio-économiques délétères sur les collectivités côtières. Pour remédier à ce [traduction] « méfait »
, le ministre a mis en œuvre la politique sur la PIFPCAC, en parallèle aux politiques existantes, laquelle concerne les pêcheurs et élimine les accords de contrôle en les assujettissant à un critère d’admissibilité aux permis. Lorsque l’on examine la politique sur la PIFPCAC dans son contexte, il est manifeste qu’elle n’a pas pour objet de réglementer le secteur de la transformation du poisson ni les ententes y afférant. Elle vise la gestion et la surveillance judicieuses des pêches.
[73]
L’effet direct de la politique sur la PIFPCAC est le suivant : le titulaire individuel d’un permis de pêche ou le chef d’une entreprise du noyau qui demeure partie à un accord de contrôle n’est pas admissible au renouvellement de son permis. L’effet plus général de la politique consiste à empêcher les entreprises de transformation du poisson d’exercer un contrôle sur les permis dans le secteur de la pêche côtière. La politique sur la PIFPCAC porte exclusivement sur le critère d’admissibilité au permis, elle n’empêche pas les titulaires de permis de conclure des contrats, d’obtenir du financement, d’utiliser leur permis en guise de garantie, de vendre leurs prises à qui ils veulent ou d’organiser leurs activités commerciales comme ils l’entendent. Elle n’empêche pas l’exécution des contrats. Elle ne s’intéresse pas à la réglementation des relations commerciales entourant les pêches, notamment les contrats entre les entreprises de transformation du poisson et les pêcheurs. L’objectif de la politique est plus large. Le fait que la politique sur la PIFPCAC concerne accessoirement les contrats ne permet pas de conclure qu’elle outrepasse la compétence du législateur, si une politique pouvait faire l’objet d’une telle contestation. Je ne retiens pas l’observation du demandeur portant que la politique sur la PIFPCAC doit avoir un lien avec les populations de poissons ou leur conservation, afin de constituer un exercice valide de la compétence accordée au paragraphe 91(12). Il ressort clairement de la jurisprudence précitée, notamment l’arrêt Ward, que les ressources halieutiques comprennent les intérêts commerciaux et économiques y afférant. La portée de la compétence sur les pêches est vaste, et je suis d’avis que la gestion de la pêche côtière est une question valide autorisée par le paragraphe 91(12).
[74]
Par conséquent, bien que je ne crois pas que l’analyse soit applicable, dans l’hypothèse où elle le serait, il en résulterait que le caractère véritable de la politique sur la PIFPCAC porte sur la gestion de la pêche côtière et la protection de l’économie des collectivités côtières qui dépendent de cette ressource. Il s’agit d’un exercice valide de la compétence accordée au paragraphe 91(12), lequel ne porte pas atteinte à la compétence provinciale, aux termes du paragraphe 92(13), concernant la propriété et les droits civils ni aux questions de nature locale ou privée dans la province, en application du paragraphe 92(16).
[75]
En conclusion, pour les motifs précités, je suis d’avis que l’existence des accords de contrôle et la politique sur la PIFPCAC, laquelle vise à éliminer ces accords en imposant des exigences relatives à l’admissibilité au permis, constituent des facteurs valables dont le ministre peut tenir compte lors de la délivrance des permis de pêche en application de l’article 7 de la Loi sur les pêches.
Question 3 : Le ministre a-t-il raisonnablement exercé, ou a-t-il entravé, son pouvoir discrétionnaire?
Thèse du demandeur
[76]
Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable, puisque le ministre n’a pas exercé correctement son pouvoir discrétionnaire absolu en traitant la politique sur la PIFPCAC comme un élément auquel il était tenu de se conformer et en omettant d’examiner la situation particulière du demandeur (Telecommunications Workers Union c Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications), [1995] 2 RCS 781, au paragraphe 37; Stemijon, aux paragraphes 20 à 25, 28, 43 et 60; Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., [2014] 2 RCF 557 (CA), aux paragraphes 72 et 73). En outre, le ministre ne peut entraver l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en considérant des lignes directrices comme contraignantes (Maple Lodge Farms, aux pages 6 et 7), mais il doit examiner les éléments de preuve dans leur ensemble (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, aux paragraphes 32 et 60 (Kanthasamy)).
[77]
L’article 7 de la Loi sur les pêches permet au ministre, « à discrétion »
, de délivrer des permis. Ce pouvoir discrétionnaire des plus vastes est uniquement assujetti aux exigences en matière de justice naturelle (Saulnier c Banque Royale du Canada, [2008] RCS 166, aux paragraphes 33, 39 et 48 (Saulnier)), et il oblige le ministre à fonder ses décisions sur des considérations pertinentes, à éviter l’arbitraire et à agir de bonne foi (Comeau’s Sea Foods, aux paragraphes 22, 36, 37, 39, 46 et 49). Un ministre ne peut transformer une politique en règlement en la considérant comme contraignante (Tucker, au paragraphe 19; Carpenter Fishing, aux paragraphes 28, 29, 35 et 37; Saulnier, au paragraphe 24).
[78]
Le demandeur soutient qu’en l’espèce le ministre a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire pour trois motifs. Premièrement, la politique sur la PIFPCAC vise en soi à créer des exigences obligatoires pour les pêcheurs individuels, puisqu’elle prescrit que tous les chefs d’entreprises du noyau doivent produire une déclaration portant qu’ils ne sont pas parties à un accord de contrôle chaque fois qu’ils demandent un permis, et qu’ils ne peuvent obtenir un permis s’ils ne satisfont pas au critère d’admissibilité relatif à la catégorie de pêcheur du noyau indépendant. La politique sur la PIFPCAC dispose aussi que les titulaires de permis qui demeurent parties à un accord de contrôle ne peuvent obtenir un permis. En outre, le formulaire de déclaration de la politique sur la PIFPCAC est décrit comme obligatoire, en ce sens que tout pêcheur qui demande d’être placé dans la catégorie de pêcheur du noyau indépendant ou qui demande la délivrance d’un nouveau permis ou d’un permis de remplacement doit déclarer s’il est partie à un accord de contrôle.
[79]
Le principal objet de la politique dans son ensemble a un caractère obligatoire; la politique n’indique pas que les circonstances propres à chaque dossier doivent faire l’objet d’un examen et elle n’énonce aucun critère pour établir s’il y a lieu d’exercer un pouvoir discrétionnaire (Ha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, aux paragraphes 74 et 75 (Ha)). La politique sur la PIFPCAC a donc pour effet d’entraver l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. De plus, bien que la politique énonce qu’elle ne lie pas le ministre et qu’elle n’entrave pas l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le demandeur soutient que cet énoncé ne concerne que les flottilles de pêche, et non les pêcheurs individuels, puisque les exemptions énumérées ne visent que les flottilles. La politique sur la PIFPCAC ne définit aucune exemption relative aux pêcheurs individuels et la seule flexibilité qu’elle offrait aux pêcheurs individuels a pris fin le 31 mars 2009 (article 10).
[80]
Le demandeur soutient également que dans un document de discussion intitulé [traduction] « Préservation de l’indépendance de la flottille de pêche côtière dans l’Atlantique canadien »
, le MPO a reconnu que la politique sur la PIFPCAC ne pouvait être mise en œuvre comme un règlement, puisque l’interdiction aux parties de conclure des contrats ou la prescription des conditions des contrats ferait obstacle aux transactions financières conclues à titre privé et outrepasserait la compétence du MPO. Pour ce motif, la politique sur la PIFPCAC est indirectement appliquée par le truchement de la « discrétion »
accordée au ministre aux termes de l’article 7 de la Loi sur les pêches.
[81]
Deuxièmement, le demandeur soutient que la politique sur la PIFPCAC ne concède aucune exemption aux pêcheurs individuels, ainsi qu’en attestent, outre le libellé même de la politique sur la PIFPCAC, les propos tenus par le ministre dans un entretien radiophonique en 2014, une trousse d’information remise aux titulaires de permis lorsque la politique sur la PIFPCAC a été publiée et les déclarations du déposant du ministre, M. Morley Knight (M. Knight), directeur général régional de la Région des Maritimes au sein du MPO, au cours de son contre-interrogatoire, ainsi que celles de M. Gabriel Gregory (M. Gregory), (conseiller en gestion offrant des services de consultation aux membres du secteur des produits de la mer dans le Canada atlantique) et de M. Derek Butler (M. Butler) (directeur général et président du conseil de l’Association of Seafood Producers), ayant chacun produit un affidavit pour appuyer la demande de contrôle judiciaire du demandeur. Au cours de son contre-interrogatoire, M. Knight a indiqué qu’il n’était pas au courant si une exemption à la politique sur la PIFPCAC avait déjà été accordée. Le demandeur soutient que dans l’arrêt Ha (au paragraphe 77), la Cour d’appel fédérale s’est fondée sur une telle absence d’éléments de preuve, qui auraient démontré que le décideur avait déjà dérogé à une politique empêchant les avocats d’assister aux entretiens menés par les agents des visas, pour conclure que le décideur n’avait pas correctement exercé son pouvoir discrétionnaire. Cet arrêt se distingue de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Thamotharem, 2007 CAF 198, aux paragraphes 79, 82 et 88 (Thamotharem), où la Cour d’appel fédérale a conclu que des éléments de preuve démontraient que les décideurs avaient exercé leur pouvoir discrétionnaire pour modifier l’ordre des interrogatoires dans des affaires qu’ils ont jugées exceptionnelles et pour s’écarter de la directive, de sorte qu’ils avaient correctement exercé leur pouvoir discrétionnaire.
[82]
Troisièmement, le demandeur soutient que la politique sur la PIFPCAC a été appliquée de manière rigide sans égard pour sa situation particulière. La lettre du 3 décembre 2009, que le directeur régional général du MPO a envoyée au demandeur, informe ce dernier qu’il ne sera pas admissible à la délivrance de nouveaux permis ou de permis de remplacement jusqu’à la fin de l’accord de contrôle auquel il est partie, ou jusqu’à ce que ledit accord soit modifié de manière à le rendre conforme à la politique sur la PIFPCAC. En outre, le ministre Shea a refusé la demande d’exemption du demandeur dans une lettre datée du 12 mars 2015, laquelle énonçait que le MPO ne prévoyait pas accorder d’exemption de la politique sur la PIFPCAC et que le seul recours du demandeur consistait à interjeter appel de la décision de non-renouvellement auprès de l’Office des appels. Après l’appel, la décision du ministre Tootoo en date du 23 décembre 2015 renvoie à [traduction] « l’exigence d’admissibilité contenue dans la politique sur »
la PIFPCAC. Le ministre ne mentionne pas le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 7(1) de la Loi sur les pêches; le seul fondement indiqué dans sa décision concerne le critère d’admissibilité contenu dans la politique sur la PIFPCAC.
[83]
En outre, le ministre a aussi omis d’examiner les explications données par le demandeur à l’Office des appels lors de sa demande d’exemption. Le demandeur invoque l’arrêt Stemijon, dans lequel la Cour d’appel fédérale a conclu que le ministre n’avait pas correctement exercé son pouvoir discrétionnaire en formulant des motifs également insuffisants dans sa décision (aux paragraphes 28 à 32, 38 et 43).
[84]
Le demandeur soutient que la recommandation de l’Office des appels doit être lue en corrélation avec les propres motifs du ministre. Le rapport de l’Office des appels ne fait qu’exposer l’historique des procédures de l’appel et les observations dont l’Office était saisi, puis il indique une recommandation imprécise portant de rejeter l’appel, sans présenter les motifs pour lesquels la situation du demandeur ne justifiait pas une exemption. L’Office des appels doit expliquer pourquoi les éléments de preuve ne justifient pas une dérogation à la politique ministérielle (Ralph c Canada (Procureur général), 2010 CAF 256, au paragraphe 27 (Ralph)).
Thèse du défendeur
[85]
Le défendeur soutient que le ministre n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en appliquant la politique sur la PIFPCAC au dossier du demandeur. La situation particulière du demandeur a été examinée, et aucun élément de preuve n’indique que la politique sur la PIFPCAC a été appliquée de manière rigide ou sans tenir compte d’autres considérations pertinentes. Le demandeur n’a jamais présenté de renseignements sur sa situation avant son appel auprès de l’Office des appels. L’Office des appels a demandé et a reçu certains éléments de preuve sur la situation du demandeur, mais ce dernier n’a fourni aucune précision énonçant les difficultés réelles auxquelles il serait prétendument exposé ou différenciant sa situation de celle des autres pêcheurs. L’Office des appels a conclu que les éléments de preuve limités ne démontraient pas une circonstance atténuante valide justifiant l’accueil de l’appel. Le ministre a examiné le rapport et la recommandation de l’Office des appels, lesquels faisaient état de la situation particulière du demandeur, avant de rejeter son appel.
[86]
Le défendeur soutient que le dossier établit que la décision du ministre n’était pas fondée sur l’application aveugle de la politique sur la PIFPCAC. Le ministre a examiné une variété de renseignements, notamment : le contexte général des politiques relatives aux permis pour la flottille de pêche côtière dans le Canada atlantique; les questions portant sur la gestion des pêches et les préoccupations des pêcheurs que la politique visait à régler; le rôle de l’Office des appels par rapport à la compétence du ministre de rendre des décisions en matière de permis aux termes de la Loi sur les pêches; la situation du demandeur et les possibles répercussions qu’il pourrait subir en lien avec l’application de la PIFPCAC; et l’incidence plus générale d’une décision d’accueillir ou de rejeter l’appel, notamment l’iniquité à l’égard des autres pêcheurs qui se sont conformés au critère d’admissibilité. Cet examen a permis de distinguer les faits de l’espèce de ceux de l’arrêt Stemijon. En outre, le ministre n’était pas tenu d’expliquer en détail chaque facteur qui est intervenu dans sa décision; l’absence de motifs parfaits ou exhaustifs ne justifie pas d’annuler une décision à l’occasion d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 à 18 (Newfoundland Nurses); Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 54 (Alberta Teachers).
[87]
Le défendeur soutient également que la politique sur la PIFPCAC prévoit expressément l’accord d’exemptions dans des circonstances atténuantes (article 8 et 10 et annexe 1) et que le ministre a déjà accordé des exemptions de la politique, plus précisément à des flottilles. Aucun élément de preuve n’a démontré que l’accord d’une exemption au demandeur serait, d’une manière ou d’une autre, conforme aux objectifs du ministre, contrairement aux circonstances entourant les exemptions accordées aux flottilles. Par conséquent, l’accord arbitraire d’une exemption au demandeur n’aurait que perpétué le double méfait consistant à concentrer le contrôle sur les permis entre les mains de tiers non titulaires de permis, d’une part, et à priver les collectivités côtières des retombées de la pêche côtière, d’autre part. Le défendeur affirme que le demandeur est le seul titulaire de permis individuel à avoir demandé une exemption. Aucune exemption n’a été accordée parce que personne n’en a fait la demande, ce qui distingue l’espèce de l’arrêt Ha (voir aussi l’arrêt Med-Emerg International Inc c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2006 CAF 147, au paragraphe 56).
[88]
Enfin, le défendeur soutient qu’aucun autre élément de preuve présenté par le demandeur ne démontre que le ministre n’a pas correctement exercé son pouvoir discrétionnaire en l’espèce. Obliger les titulaires de permis à déclarer si leurs permis étaient assujettis à des accords de contrôle ne constituait pas une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. La collecte de renseignements, comme le lieu de résidence, est pratique courante pour établir l’admissibilité des pêcheurs à des permis particuliers. En outre, les commentaires allégués de certains fonctionnaires du MPO qui n’ont pas tranché l’affaire du demandeur sont non pertinents et inadmissibles; ils ne figuraient pas au dossier dont le ministre était saisi au moment de rendre sa décision. Par ailleurs, le prédécesseur d’un ministre n’est pas autorisé à entraver les pouvoirs décisionnels de son successeur (The King v Dominion of Canada Postage Stamp Vending Co. Ltd., [1930] RCS 500, à la page 506; Doucette c Canada, 2015 CF 734, aux paragraphes 115 à 119 (Doucette); Pacific National Investments Ltd. c Victoria (Ville), 2000 CSC 64, aux paragraphes 71 à 74; Happy Adventure Sea Products (1991) Ltd. v Newfoundland and Labrador (Minister of Fisheries and Aquaculture), 2006 NLCA 61, aux paragraphes 24 à 26 (Happy Adventure Sea Products)). Le vaste pouvoir discrétionnaire du ministre en matière de permis est une question de politiques gouvernementales qui serait minée si un ministre était privé de l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire en raison d’observations formulées par son prédécesseur. Si la loi disposait du contraire, la capacité du ministre de répondre aux préoccupations socio-économiques du moment dans le secteur des pêches serait gravement compromise (Doucette, au paragraphe 119; St. Anthony’s Seafoods Ltd Partnership v Newfoundland and Labrador (Minister of Fisheries and Aquaculture), 2004 NLCA 59, au paragraphe 81).
Discussion
[89]
Dans l’arrêt Maple Lodge Farms, le ministre au Développement économique chargé de l’Industrie et du Commerce avait refusé de délivrer un permis d’importation aux termes de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, LRC 1970, c E-17, pour l’importation d’une marchandise qui figurait sur une liste de marchandises d’importation contrôlée, malgré l’existence de lignes directrices qui portaient sur le sujet. La Cour suprême du Canada a conclu que le ministre pouvait, à juste titre, formuler des conditions générales touchant l’octroi de licences d’importation, mais que ces dernières ne pouvaient restreindre le pouvoir discrétionnaire que l’article 8 de la loi lui conférait. La Cour a conclu que le ministre avait correctement exercé son pouvoir discrétionnaire et elle a affirmé ce qui suit, aux pages 6 et 7 :
Il est donc manifeste, à mon avis, que l’art. 8 de la Loi accorde un pouvoir discrétionnaire au Ministre. Le fait que le Ministre ait employé dans ses lignes directrices contenues dans l’avis aux importateurs les mots: « Si le produit canadien n’est pas offert au prix du marché, une licence est émise ... » n’entrave pas l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. C’est la Loi qui accorde le pouvoir discrétionnaire et la formulation et l’adoption de lignes directrices générales ne peut le restreindre. Il n’y a rien d’illégal ou d’anormal à ce que le Ministre chargé d’appliquer le plan général établi par la Loi et les règlements formule et publie des conditions générales de délivrance de licences d’importation. Il est utile que les demandeurs de licences connaissent les grandes lignes de la politique et de la pratique que le Ministre entend suivre. Donner aux lignes directrices la portée que l’appelante allègue qu’elles ont équivaudrait à attribuer un caractère législatif aux directives ministérielles et entraverait l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre. Le judge [sic] Le Dain a analysé cette question et dit, à la p. 513:
Le Ministre est libre d’indiquer le type de considérations qui, de façon générale, le guideront dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (voir British Oxygen Co. Ltd. c. Minister of Technology [1971] A.C. (C.L.) 610; Capital Cities Communications Inc. c. Le Conseil de la Radio-Télévision canadienne [1978] 2 R.C.S. 141, aux pp. 169 à 171), mais il ne peut pas entraver ce pouvoir discrétionnaire en tenant les lignes directrices pour obligatoires et en excluant tous les autres motifs valides ou pertinents pour lesquels il peut exercer son pouvoir discrétionnaire (voir Re Hopedale Developments Ltd. and Town of Oakville [1965] 1 O.R. 259).
De toute façon, les termes employés dans l’art. 8 n’entravent pas nécessairement l’exercice du pouvoir discrétionnaire. L’expression « une licence est émise » n’est absolument pas équivalente à « une licence est nécessairement émise ». Ces termes n’imposent pas de condition à la délivrance d’une licence.
En interprétant des lois semblables à celles qui sont visées en l’espèce et qui mettent en place des arrangements administratifs souvent compliqués et importants, les tribunaux devraient, pour autant que les textes législatifs le permettent, donner effet à ces dispositions de manière à permettre aux organismes administratifs ainsi créés de fonctionner efficacement comme les textes le veulent. À mon avis, lorsqu’elles examinent des textes de ce genre, les cours devraient, si c’est possible, éviter les interprétations strictes et formalistes et essayer de donner effet à l’intention du législateur appliquée à l’arrangement administratif en cause. C’est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s’ingérer dans l’exercice qu’un organisme désigné par la loi fait d’un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.
[90]
Il s’agit d’une issue contraire à celle de l’arrêt Stemijon. Dans ce dossier, aux termes du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, le ministre jouissait du pouvoir discrétionnaire d’accorder un allègement à l’égard des sanctions et des intérêts. Le juge Stratas a affirmé que la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre aux termes de ce paragraphe était déterminée en examinant les mots employés par le législateur pour établir le pouvoir discrétionnaire ainsi que les autres articles de la loi susceptibles de fournir le contexte et l’objet sous‑jacent de l’article et de la loi elle‑même. Cet examen a permis de conclure que le pouvoir discrétionnaire du ministre ne se limitait pas aux trois scénarios relatifs à l’allègement pouvant être accordé aux contribuables énoncés dans la circulaire d’information pertinente. Toutefois, la lettre exposant la décision du ministre ne faisait aucune référence à la portée du pouvoir discrétionnaire accordé au ministre dans la loi. Le ministre avait plutôt repris le libellé des scénarios présentés dans la circulaire d’information pour décrire son pouvoir discrétionnaire. Le juge Stratas a conclu que le passage indiquait que le ministre avait limité son examen aux trois situations énoncées dans la circulaire d’information et qu’il n’avait pas tenu compte du fait que le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu est rédigé en termes larges.
[31] En soi, le renvoi à un énoncé de politique, telle que la circulaire d’information, ne pose pas nécessairement problème. Les décideurs administratifs ont souvent recours à des énoncés de politique pour guider leurs décisions, ce qui, comme je le mentionne à la fin des présents motifs, est acceptable et utile à l’intérieur de certaines limites. Toutefois, il n’est pas rare que les décideurs administratifs prennent soin de souligner ces limites, notamment en précisant que les énoncés de politique peuvent uniquement servir de guide et que, en dernière analyse, c’est la loi pertinente qui doit être interprétée et appliquée. Or, dans sa lettre de décision, le ministre n’a assujetti l’utilisation de la circulaire d’information à aucune limite.
[91]
Entre autres points, le juge Stratas a mentionné que le ministre, dans sa lettre de décision, avait aussi affirmé que les appelantes avaient demandé un allègement en raison d’une erreur administrative, mais que le ministre n’avait pas traité des explications et des justifications offertes par les appelantes à ce sujet. En outre, le ministre avait fait mention du titre de la circulaire d’information, soit « Dispositions d’allègement pour les contribuables », comme source de son pouvoir décisionnel. De plus, bien que le juge Stratas ait convenu que les motifs énoncés dans la lettre de décision ne devaient pas être examinés isolément, il a conclu que bien que le ministre ait disposé d’un dossier étoffé, sa lettre de décision n’indiquait aucunement qu’il savait qu’il pouvait aller au‑delà de la circulaire d’information ni qu’il avait tenu compte de certains éléments essentiels du dossier dont il était saisi, à savoir les explications et les justifications qui se trouvaient dans les lettres transmises par les appelantes. Dans ces circonstances, il n’était pas possible de se fonder sur le dossier pour expliquer le fondement de la décision du ministre.
[92]
Enfin, je mentionnerais la décision Gordon. Dans cette affaire, la juge Mactavish a conclu, en fonction des motifs formulés par une déléguée du ministre, que cette dernière croyait être liée par une ligne directrice concernant le montant de l’allègement qu’elle pouvait accorder à un contribuable. Toutefois, il n’existait aucun fondement législatif pouvant appuyer cette conclusion, et le pouvoir discrétionnaire accordé au paragraphe 281.1(1) de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E-15, était assez large pour permettre au ministre d’accorder l’intégralité de l’allègement demandé. Lorsque la juge Mactavish a conclu que la déléguée avait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, elle a affirmé ce qui suit :
[29] Même si un décideur peut prendre en compte des lignes directrices administratives et, en effet, fonder ses décisions sur celles-ci, il entravera l’exercice de son pouvoir discrétionnaire s’il considère qu’une ligne directrice est contraignante : Première Nation Waycobah c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 191, au paragraphe 28, 421 N.R. 193. Les lignes directrices administratives n’ont pas force de loi. En conséquence, on ne peut s’appuyer sur celles-ci d’une manière telle qu’elles limitent le pouvoir discrétionnaire d’un décideur qui lui est conféré par la loi : Stemijon Investments, précité, au paragraphe 60.
[93]
C’est dans ce contexte que j’aborderai maintenant les observations du demandeur.
1)
Exigences obligatoires
[94]
En l’espèce, le demandeur soutient que le ministre a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire pour le motif que la politique sur la PIFPCAC dicte des exigences obligatoires. À ce sujet, je note que dans l’arrêt Maple Lodge Farms, la Cour suprême du Canada a affirmé qu’il est utile que les demandeurs de permis connaissent les grandes lignes de la politique et de la pratique que le ministre entend suivre. En l’espèce, la politique sur la PIFPCAC indique qu’elle constitue une politique destinée à orienter le ministre, sans toutefois le lier, et qu’elle n’entrave pas l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis aux termes de l’article 7 de la Loi sur les pêches. Elle renferme un énoncé de politique indiquant qu’elle encourage la pêche commerciale au Canada atlantique au sein d’un secteur côtier vigoureux et indépendant, et qu’elle présente une démarche complète pour aider les pêcheurs à conserver le contrôle de leurs entreprises, accroître l’accès au capital auprès d’établissements de crédit traditionnels et maintenir la richesse générée par les pêches au sein des collectivités côtières. Comme je l’ai déjà mentionné, la politique décrit la préoccupation du ministre concernant l’effet délétère des accords de contrôle sur un grand nombre de politiques en matière de permis, notamment les politiques de la séparation des flottilles et du propriétaire exploitant, elle expose ses objectifs et elle crée la catégorie de pêcheur du noyau indépendant comme nouveau critère d’admissibilité à la délivrance de nouveaux permis ou de permis de remplacement. La politique sur la PIFPCAC décrit également la manière dont elle sera mise œuvre et ses répercussions en matière d’admissibilité pour les titulaires de permis toujours partie à des accords de contrôle après le 12 avril 2014.
[95]
La politique sur la PIFPCAC porte sur l’admissibilité en matière de permis. Elle indique clairement aux pêcheurs que le recours aux accords de contrôle va à l’encontre des politiques du MPO existantes en matière de permis, et elle les informe des mesures que le ministre entend prendre pour corriger la situation. En d’autres termes, les pêcheurs doivent démontrer qu’ils ne sont pas parties à des accords de contrôle, afin d’être classés dans la catégorie de pêcheur du noyau indépendant et, ainsi, obtenir le renouvellement de leurs permis.
[96]
La politique indique aussi qu’aux termes du paragraphe 34(1) de la politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’est du Canada en vigueur, les pêcheurs peuvent se prévaloir du processus d’appel concernant les permis de pêche de l’Atlantique pour contester toute décision de catégorisation. Elle dispose que les propriétaires de flottilles peuvent être exemptés de son application, s’ils satisfont au critère énoncé à l’annexe 1; cependant, la politique ne contient aucune disposition permettant d’accorder une exemption aux pêcheurs individuels. Toutefois, à la disposition sur la flexibilité de la politique, il est indiqué qu’en raison de circonstances particulières et pour soutenir la politique sur PIFPCAC, des privilèges d’exploitants substituts ont été accordés à titre transitoire à des titulaires de permis ayant déclaré être parties à un accord de contrôle. Ces privilèges, valides jusqu’au 31 mars 2009, permettaient à un titulaire de permis de participer à des activités de pêche sur un autre bateau ou d’occuper un autre emploi.
[97]
Par conséquent, le ministre a informé les pêcheurs des grandes lignes qu’il entendait suivre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire visant à délivrer des permis de pêche. À mon avis, le fait que la politique contienne des exigences obligatoires ne signifie pas qu’elle constitue une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.
[98]
Par exemple, bien que les pêcheurs aient été tenus de déposer des déclarations et qu’ils doivent continuer de le faire chaque fois qu’ils demandent la délivrance d’un nouveau permis de pêche côtière rattaché à un bateau ou un permis de remplacement y afférant, la déclaration sert à fournir au ministre les renseignements nécessaires pour évaluer si le critère d’admissibilité est bien rempli. Le défendeur soutient qu’il n’est pas exceptionnel qu’une politique contienne ce genre d’exigence, constatant que le paragraphe 8(1) du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53, dispose que le ministre peut enjoindre à un demandeur de produire un document afin de fournir certains renseignements, en plus de ceux contenus dans sa demande, qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant, ainsi qu’une déclaration statutaire pour confirmer les renseignements indiqués dans la demande ou présentés autrement. En outre, les demandeurs de permis doivent couramment démontrer leur admissibilité en présentant des documents à l’appui de leur demande, notamment pour confirmer leur lieu de résidence aux termes de l’article 18 de la politique de 1996.
[99]
De même, je note que le paragraphe 16(7) de la politique de 1996, portant sur les changements de titulaires de permis, indique également que les nouveaux participants doivent répondre aux critères d’admissibilité énoncés. Par conséquent, le recours à des politiques pour définir les critères d’admissibilité à des permis n’est pas une pratique nouvelle.
[100]
À mon avis, une exigence opérationnelle énoncée dans la politique sur la PIFPCAC enjoignant aux pêcheurs de présenter des renseignements sur leur admissibilité aux fins d’évaluation n’établit pas que le ministre estimait qu’il était lié par la politique sur la PIFPCAC. De surcroît, la politique sur la PIFPCAC, elle-même, indique clairement qu’elle n’entrave pas l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. Voici ce qu’elle mentionne à l’article 1 de l’énoncé de politique : « La PIFPCAC est une politique guide pour [le] ministre. Elle ne lie pas [le] ministre ni ne l’empêche de délivrer des permis, à sa discrétion, en vertu de l’article 7 de la Loi sur les pêches »
. Contrairement aux observations du demandeur, cet énoncé n’est pas lié à la disposition permettant d’exempter les propriétaires de flottilles de la politique.
[101]
Comme je l’ai déjà mentionné, dans l’arrêt Maple Lodge Farms, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’y avait rien d’illégal ou d’anormal à ce que le ministre formule des conditions générales de délivrance de licences d’importation dans les lignes directrices d’une politique. En l’espèce, la politique sur la PIFPCAC définit les critères d’admissibilité pour obtenir un nouveau permis de pêche côtière rattaché à un bateau ou un permis de remplacement y afférant. À mon avis, l’énonciation des critères d’admissibilité directement dans la politique sur la PIFPCAC n’a rien d’anormal ou d’illégal, pas plus que ne l’est la stipulation de ce qui doit être présenté pour permettre l’évaluation de l’admissibilité. Ces aspects opérationnels se distinguent d’une situation où des lignes directrices ou une politique sont traitées comme contraignantes, de sorte que les autres considérations valables ou pertinentes sont exclues. Comme j’en discuterai ci-dessous, c’est dans le second cas qu’un ministre n’exerce pas correctement son pouvoir discrétionnaire.
[102]
Le demandeur soutient également que dans un document de discussion intitulé [traduction] « Préservation de l’indépendance de la flottille de pêche côtière dans l’Atlantique canadien »
, le MPO a reconnu que la politique sur la PIFPCAC ne pouvait être mise en œuvre comme un règlement, puisque l’interdiction aux parties de conclure des contrats ou la prescription des conditions des contrats ferait obstacle aux transactions financières conclues à titre privé et outrepasserait la compétence du MPO. Pour ce motif, la politique sur la PIFPCAC est indirectement appliquée par le truchement de la « discrétion »
accordée au ministre aux termes de l’article 7 de la Loi sur les pêches. Je note d’emblée que le document invoqué n’appuie pas l’argument du demandeur, puisqu’il ne fait que reconnaître que la compétence du MPO de réglementer les accords de fiducie doit être liée à la gestion des pêches. D’ailleurs, aucun élément de preuve dans le dossier n’appuie cette assertion, qui est, à mon avis, sans fondement.
2)
Exemptions et examen des situations particulières
[103]
De même, je ne suis pas convaincue que le choix du ministre de ne pas accorder d’exemption de la politique sur la PIFPCAC aux pêcheurs individuels permette de conclure à une entrave à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Le ministre était autorisé à structurer la politique de manière à ce qu’elle serve ses objectifs. Une fois de plus, il n’y a rien d’illégal ou d’anormal à ce que le ministre formule et publie des conditions générales qui serviront de fondement à ses décisions (Maple Lodge Farms).
[104]
Je ne suis pas non plus convaincue que le ministre ait appliqué la politique sur la PIFPCAC de manière inflexible. La politique offre aux pêcheurs la possibilité d’interjeter appel des décisions de catégorisation, au moyen du processus d’appel concernant les permis de pêche de l’Atlantique, conformément au paragraphe 34(1) de la politique de 1996, laquelle est rédigée ainsi :
34. Accès au processus d’appel
(1) Toute personne qui n’est pas satisfaite d’une décision prise par les fonctionnaires du MPO qui appliquent les règles d’émission des permis peut en appeler. Seuls les pêcheurs côtiers admissibles qui présentent une demande écrite au cours des trois années qui suivent une décision du Ministère en matière d’émission de permis, ou un changement de politique, peuvent se prévaloir du processus d’appel relatif au permis de pêche.
35. Structure du processus d’appel
(1) La structure du comité d’appel du Ministère est décrite dans l’Annexe V.
(2) Le Comité régional d’appel relatif à la délivrance des permis a pour rôle d’examiner tous les renseignements pertinents et de recommander au Directeur général régional d’approuver ou de refuser la demande du requérant.
(3) Le requérant est avisé par écrit du moment et du lieu de l’audience de son appel.
(4) Tout requérant a le droit d’être présent, ou de se faire représenter, à tous les niveaux d’appel.
(5) Le requérant est avisé par écrit des résultats de son audience d’appel.
(6) Lorsque la décision du Directeur général régional est négative, le requérant est informé de la façon de présenter son appel à l’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique.
(7) L’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique n’entend que les appels présentés par des pêcheurs dont les appels ont été refusés suite à des audiences tenues par un comité d’appel régional relatif à la délivrance des permis.
(a) L’Office n’examine que les appels relatifs à des permis de pêche découlant de l’application de politiques s’adressant aux bateaux de moins de 19,7 m (65 pi) de LHT.
(b) L’Office n’entend que les demandes d’appel présentées au cours des trois années suivant la date de la décision visant le permis ou un changement de politique.
(c) L’Office formule des recommandations au Ministre sur les appels refusés conformément à l’application du processus d’appel régional et, pour ce faire :
i. détermine si le requérant a été traité équitablement conformément aux politiques, méthodes et procédures du Ministère;
ii. détermine si des circonstances atténuantes justifient de déroger aux politiques, méthodes ou procédures établies.
(e) Lorsque l’Office recommande de déroger à une politique, une pratique ou une procédure, il accompagne sa recommandation au Ministre de raisons détaillées.
(f) L’Office peut recommander au Ministre de modifier certaines méthodes ou procédures de la délivrance des permis lorsqu’il les juge inappropriées ou inéquitables [...].
(8) Nonobstant le paragraphe (7), le Ministre peut présenter à l’Office toute décision qu’il veut voir examiner. (DD 52)
[105]
En l’espèce, le demandeur a déposé sa déclaration le 25 mars 2008 et il a confirmé qu’il était partie à un accord de contrôle. Dans des lettres du 3 décembre 2009 et du 18 octobre 2013, on lui a rappelé qu’il pouvait interjeter appel de la décision de catégorisation. Le demandeur n’a pas interjeté appel de la décision de catégorisation; ce qui n’a rien de surprenant, puisqu’il n’a pas indiqué ne pas être partie à un accord de contrôle ni que l’accord n’était pas visé par la définition d’un accord de contrôle énoncée dans la politique sur la PIFPCAC.
[106]
Le 18 mars 2014, une autre lettre recommandée a été acheminée au demandeur, afin de lui demander encore une fois de mettre fin à son accord de contrôle ou de le modifier de manière à le rendre conforme à la politique sur la PIFPCAC. À ce moment, il a aussi été informé qu’il pourrait interjeter appel d’une décision lui refusant le renouvellement de ses permis s’il était toujours partie à un accord de contrôle après le 12 avril 2014. Cette lettre indiquait expressément que pour interjeter appel de la décision, le demandeur devrait présenter [traduction] « tous les renseignements pertinents, notamment son accord de contrôle »
. La lettre indiquait aussi que le ministre avait demandé à l’Office des appels d’examiner les accords de contrôle produits aux fins d’examen, afin d’établir l’existence d’un manquement aux politiques du propriétaire exploitant et de la séparation des flottilles que la politique sur la PIFPCAC avait pour but de protéger. Dans un énoncé du 20 mars 2014, le ministre a traité du contexte de la politique sur la PIFPCAC, et il a mentionné que la période de sept ans accordée aux pêcheurs pour mettre fin à leurs accords de contrôle ou les modifier touchait à sa fin et que l’initiative s’était avérée un succès. Le ministre a affirmé que seulement quelques pêcheurs côtiers étaient toujours parties à des accords de contrôle, et il a souligné qu’à compter du 12 avril 2014, tout pêcheur encore partie à un accord de contrôle ne pourrait plus obtenir le renouvellement de son permis. Cependant, comme pour toute décision du MPO en matière de permis, les pêcheurs ayant fait l’objet d’une décision de non-renouvellement pourraient interjeter appel de la décision, et il a réitéré les consignes qu’il avait données à l’Office des appels.
[107]
Le demandeur a maintenu son accord de contrôle. Au début de l’année 2014, le MPO l’a contacté directement pour l’informer que s’il présentait une demande de renouvellement avant le 12 avril 2014, il obtiendrait la délivrance de son permis pour la saison 2014. C’est ce que le demandeur a fait, et il a obtenu la délivrance de son permis pour la saison 2014.
[108]
Le 31 décembre 2014, le demandeur a écrit au ministre des Pêches et des Océans de l’époque, c’est-à-dire le ministre Shea, et il a demandé une exemption à la politique sur la PIFPCAC, même si la politique ne contenait aucune disposition relative à l’octroi d’une exemption à un pêcheur individuel, ainsi que la possibilité d’établir le bien-fondé d’une telle exemption. Dans une lettre du 12 mars 2015, le ministre a informé le demandeur que le MPO ne prévoyait pas accorder d’exemption de la politique sur la PIFPCAC, mais il a mentionné que le demandeur pouvait interjeter appel d’une décision de non-renouvellement du MPO devant l’Office des appels. Comme je l’ai déjà mentionné, le MPO a offert une trousse d’appel au demandeur. Dans la description de la nature de l’appel, le sommaire indiquait que le demandeur sollicitait l’autorisation de continuer d’exploiter son entreprise de pêche, tout en demeurant partie à un accord de contrôle, et l’autorisation, accordée par le bureau du ministre, d’interjeter appel auprès de l’Office des appels, [traduction] « afin de permettre aux pêcheurs de démontrer que leurs accords de contrôle existants n’allaient pas à l’encontre des politiques du propriétaire exploitant et de la séparation des flottilles »
. Il y était aussi mentionné que le demandeur [traduction] « souhaitait interjeter appel de la décision d’annulation, comme indiqué dans une lettre du ministère en date du 12 mars 2015 »
. Le sommaire présente les politiques et les faits pertinents, notamment que le requérant avait écrit au ministre pour demander une exemption de la politique sur la PIFPCAC et qu’il avait été informé qu’aucune exemption ne serait accordée, [traduction] « mais qu’il avait, pour ce motif, été autorisé à interjeter appel de la décision de non-renouvellement »
.
[109]
Le MPO et le demandeur, ou son avocat, ont échangé diverses communications concernant la présentation et la date de l’appel et, dans une lettre en date du 15 mai 2015, le MPO a indiqué que, bien que le processus d’appel commence normalement par une audition devant le Comité régional d’appel relatif à la délivrance des permis, le ministre, compte tenu de la nature délicate et complexe de la politique sur la PIFPCAC, avait demandé que toutes les auditions liées à la politique sur la PIFPCAC soient entendues directement par l’Office des appels. Le MPO a aussi indiqué qu’à la demande du demandeur, son permis serait remis en vigueur et le demeurerait jusqu’à ce que son appel ait été entendu et tranché, auquel moment la situation serait examinée de nouveau. Dans une lettre du 22 mai 2015, le MPO a informé le demandeur du lieu et de la date de l’audition et il lui a indiqué ce qui suit : [traduction] « Veuillez-vous assurer d’apporter avec vous à l’audition ou de présenter à l’Office des appels tous les documents et toutes les copies de documents contenant des renseignements que vous jugez utiles à l’examen de votre affaire dont l’Office des appels est saisi »
. En outre, le MPO a joint à sa lettre un exemplaire du document intitulé « Guide du processus d’appel concernant les permis de pêche de l’Atlantique »
. Le guide mentionne, entre autres choses, que les motifs d’appel d’une décision doivent porter sur une application prétendument erronée de politiques en matière de permis, de circonstances atténuantes ou d’un changement à une politique, et que l’appelant doit présenter à l’Office des appels, à des fins d’examen, tout document ou renseignement pertinent.
[110]
L’avocat du demandeur a reçu une version révisée du sommaire dans une lettre en date du 28 août 2015, laquelle renfermait toute la correspondance contenue dans le dossier du demandeur. Dans une lettre du 4 août 2015, le MPO a expliqué une fois de plus à l’avocat du demandeur que le ministre avait demandé que toutes les auditions relatives à la politique sur la PIFPCAC soient entendues directement par l’Office des appels et que, [traduction] « par souci de clarté, le ministre avait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, demandé à l’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique (l’Office des appels) d’entendre en priorité les appels liés à la politique sur la PIFPCAC »
. La lettre expliquait aussi que la trousse d’appel transmise au demandeur et à son avocat contenait les principaux documents que le MPO estimait pertinents à l’appel, et elle contenait la précision suivante : [traduction] « Si vous pensez que d’autres documents seraient pertinents à l’appel, nous vous encourageons à les présenter à l’Office et à discuter de leur pertinence avec ce dernier »
. La lettre expliquait aussi que l’appel consistait en un processus d’appel d’une politique, et non en une procédure judiciaire au sens strict, puis elle présentait le processus, notamment le fait que l’appelant pouvait faire valoir toute opinion à l’appui de sa thèse et que l’Office des appels était autorisé à lui poser des questions, ainsi qu’au représentant du MPO, afin d’obtenir des précisions ou des renseignements supplémentaires. En outre, la lettre indiquait que l’appel était généralement mené de manière à ce que les pêcheurs se sentent à l’aise et participent pleinement au processus. Il n’existait aucun mécanisme officiel pour la convocation des témoins, ou la présentation de déclarations sous serment, de subpoenas ou de contre-interrogatoires. L’appelant pouvait préparer des observations écrites avant l’appel, mais il devait les présenter lors de l’audition de l’appel. Le MPO reconnaissait qu’il s’agissait d’une question très importante pour le demandeur.
[111]
Finalement, l’avocat du demandeur a présenté des observations écrites datées du 21 octobre 2015. La teneur de cette lettre est importante, puisqu’elle énonce les questions en litige du point de vue du demandeur. Dans cette lettre, l’avocat du demandeur a indiqué que son client jugeait que [traduction] « le ministre n’avait pas traité son dossier de manière équitable. Le ministre a affirmé qu’il ne prévoyait accorder aucune exemption de la politique sur la PIFPCAC, et il n’a pas examiné la situation particulière de l’espèce »
. L’avocat du demandeur a fait valoir que le ministre devait examiner chaque cas individuellement, puisqu’il s’agissait d’une question d’équité et que l’article 7 de la Loi sur les pêches lui accordait le pouvoir discrétionnaire de rendre des décisions en matière de permis. L’avocat de demandeur a affirmé que cela signifiait que le ministre ne pouvait adopter une politique générale pour ensuite omettre d’examiner chaque cas individuellement en raison de la politique. La lettre se poursuivait par une affirmation portant qu’il était inéquitable d’avoir appliqué la politique sur la PIFPCAC sans avoir examiné la situation particulière de demandeur, ce qui justifiait une exemption pour les trois motifs énoncés.
[112]
Premièrement, il serait difficile pour le demandeur de mettre fin à son accord de contrôle, dont un exemplaire expurgé a été produit. Les entreprises de transformation du poisson avec lesquelles le demandeur avait conclu un accord lui fournissaient un bateau, un équipage et du soutien, et elles finançaient son permis. Le demandeur dépendait de ces relations d’affaires pour gagner sa vie, et sans elles il [traduction] « se retrouverait sans financement pour son permis, sans bateau, sans employés, sans liens commerciaux, sans fournisseurs et sans le capital nécessaire pour continuer de pêcher de manière indépendante »
. L’avocat du demandeur a fait valoir que son client ne serait peut-être pas en mesure d’acquérir son propre bateau et d’exploiter une entreprise de pêche sans le soutien découlant de l’accord de contrôle, lequel assurait la sécurité de ses activités de pêche et était nécessaire à leur poursuite. Deuxièmement, les conditions du permis de pêche du demandeur l’obligeaient à vendre ses prises au Labrador, et comme il existait, pour ainsi dire, qu’une seule entreprise de transformation du poisson au Labrador, il ne pouvait compter sur la concurrence du marché. La vente de ses prises à prix réduit rendait plus difficile l’obtention d’un rendement suffisant pour la survie de son entreprise, alors qu’un accord de contrôle permettait d’atténuer ce risque, puisque l’entreprise de transformation du poisson pouvait répartir largement les frais et les risques, ce que le demandeur n’était pas en mesure de faire. Troisièmement, le demandeur a fait valoir que l’accord de contrôle ne représentait pas une menace pour la pêche côtière. L’application de la politique sur la PIFPCAC au demandeur n’était pas nécessaire pour protéger l’activité de la pêche en Atlantique, et elle constituait une restriction réelle à son droit de conclure des contrats, et ce, sans raison valable liée aux pêches. En conclusion, la lettre indique que l’accord de contrôle est important pour le demandeur et qu’il ne cause aucun préjudice à l’industrie, qu’il était inéquitable de refuser de renouveler le permis du demandeur sans avoir examiné sa situation particulière et que l’Office des appels devrait recommander au ministre d’infirmer sa décision.
[113]
Comme je l’ai déjà mentionné, le rapport de l’Office des appels présenté au ministre mentionnait la politique sur la PIFPCAC et les politiques du propriétaire exploitant et de la séparation des flottilles, il exposait les faits essentiels, notamment la lettre de l’avocat du demandeur et ses observations orales, et la demande d’exemption de la politique sur la PIFPCAC présentée par le demandeur, lequel n’a pas comparu lors de l’audition. Le rapport contenait un résumé des observations que l’avocat du demandeur a présenté oralement à l’audition, à savoir que le retrait de l’accord de contrôle pourrait entraîner des coûts importants pour le demandeur; que ce faisant, le demandeur pourrait perdre son entreprise; que la politique sur la PIFPCAC était irrationnelle et inefficace et qu’elle provoquerait des difficultés financières; qu’elle avait été envisagée par d’autres pays, puis rejetée; que la politique sur la PIFPCAC ne tenait pas compte des pêcheurs titulaires d’un quota, mais qui ne recevaient aucune aide financière; que le demandeur ne pouvait pas vendre ses prises sans un accord de contrôle parce qu’il vivait au Labrador et que la politique exerçait une contrainte sur les pêcheurs, restreignait la flexibilité et le financement et, par conséquent, augmentait les coûts d’exploitation des entreprises des pêcheurs. L’Office des appels a répondu que la discussion concernant les autres pays outrepassait son mandat et qu’il avait demandé à l’avocat du demandeur d’attribuer une valeur pécuniaire aux présumées difficultés financières, afin qu’elles puissent être considérées comme des circonstances atténuantes puisque tous les pêcheurs se trouvent dans la même situation, mais qu’il n’avait pas été en mesure de le faire. L’Office des appels a conclu que le demandeur avait été traité équitablement, en conformité avec la politique du MPO sur les accords de contrôle, et qu’il n’avait pas démontré de circonstances atténuantes justifiant que l’appel soit confirmé. Il a recommandé le rejet de l’appel.
[114]
Le sous-ministre délégué a préparé un mémoire au ministre concernant la recommandation de l’Office des appels. Le mémoire décrivait l’Office des appels comme un comité d’appel indépendant créé par le ministre. Il a joint au mémoire un document d’information concernant l’Office des appels, lequel indiquait qu’aux termes de la Loi sur les pêches, le ministre est autorisé à rendre des décisions sur des questions relatives à la délivrance des permis de pêche commerciale, et que le ministre avait désigné les Offices des appels du Pacifique et de l’Atlantique comme dernier niveau d’appel administratif pour les pêcheurs commerciaux insatisfaits des décisions rendues par le ministère en matière de permis. Le document d’information mentionnait également que l’Office des appels présente ses recommandations au ministre quant au règlement des appels en matière de permis, après avoir déterminé si un appelant avait été traité de manière appropriée, conformément aux politiques, aux pratiques et aux procédures portant sur les permis, ou si des circonstances atténuantes pouvaient justifier que le MPO adopte des mesures d’adaptation. Dans le mémoire au ministre, le sous-ministre délégué présentait ensuite un résumé du contexte de l’appel et de la décision de l’Office des appels, puis il recommandait de confirmer la décision. Le mémoire indiquait qu’une décision contraire serait interprétée par la flottille de pêche côtière comme le retrait, par le MPO, de son appui à la politique sur la PIFPCAC, et que les titulaires de permis individuels qui ont mis fin à leurs accords de contrôle et qui se sont conformés à la politique, souvent à un coût élevé, pourraient très mal réagir à une telle issue.
[115]
Dans une lettre du 23 décembre 2015, le ministre des Pêches et des Océans, le ministre Tootoo, a informé le demandeur qu’il avait reçu le rapport de l’Office des appels à des fins d’examen et qu’après avoir examiné tous les renseignements pertinents, il avait décidé de rejeter l’appel. Par conséquent, le demandeur ne serait pas exempté de la politique sur la PIFPCAC. En conséquence, il ne serait plus admissible à la délivrance de ses permis pour la saison de pêche 2016 et les suivantes.
[116]
Comme je l’ai déjà indiqué, il était loisible au ministre de ne pas inclure d’exemptions pour les pêcheurs individuels dans la politique sur la PIFPCAC. Son pouvoir discrétionnaire lui permettait de ne pas créer d’exemptions, s’il jugeait qu’elles allaient à l’encontre des objectifs de la politique. Il n’y a rien d’inapproprié dans le fait d’établir des critères pour atteindre les objectifs d’une politique. Il ne s’agit pas, en soi, d’une démonstration portant que l’exercice de son pouvoir discrétionnaire a été entravé. Plus important encore, même en l’absence d’exemption de la politique, en l’espèce, le demandeur a pu interjeter appel de la décision de ne plus lui délivrer ses permis. Lors de l’appel, il a fait valoir qu’il avait été traité de manière inéquitable étant donné que sa situation particulière n’avait pas été examinée. À mon avis, l’appel a accordé au demandeur la mesure qu’il souhaitait, afin d’obtenir que l’Office des appels évalue sa situation particulière pour déterminer si elle présentait des circonstances atténuantes justifiant l’octroi de l’exemption qu’il demandait. Par conséquent, le ministre n’a pas incorrectement exercé son pouvoir discrétionnaire, comme le soutient le demandeur, puisqu’il n’a pas traité la politique sur la PIFPCAC comme contraignante en l’absence d’exemptions individuelles ou d’autres mécanismes flexibles. Au contraire, le demandeur a pu se prévaloir d’un mécanisme d’appel, et le ministre a examiné tous les renseignements présentés par le demandeur à l’appui de son appel.
[117]
Toutefois, le demandeur n’a pas comparu à l’audition et il n’a présenté aucun élément de preuve pour démontrer de quelle manière sa situation comportait des circonstances atténuantes, bien que le MPO, dans ses lettres adressées au demandeur et à son avocat, l’ait avisé de procéder de la sorte. Seul l’accord de contrôle du demandeur a été produit.
[118]
Bien que l’avocat du demandeur ait fait valoir, dans ses observations, que le demandeur n’aurait peut-être pas les moyens d’exploiter son entreprise sans l’accord de contrôle, aucun renseignement financier ou d’une autre nature n’a été présenté pour appuyer cette prétention. Par exemple, aucun élément de preuve n’a démontré que le demandeur s’était adressé à une institution financière reconnue (IFR), un terme défini dans la politique sur la PIFPCAC comme comprenant les institutions financières canadiennes au sens de la Loi sur les banques, la Banque de développement du Canada, Exportation et Développement Canada ou les commissions de crédit provinciales, afin d’obtenir du financement s’il se retirait de l’accord de contrôle, laquelle demande lui aurait été refusée. Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve de nature financière pour attester de son revenu actuel ou de ses sources de revenus.
[119]
Je mentionne ici, au passage, que la définition d’un accord de contrôle ne comprend pas les ententes conclues entre le titulaire de permis et une IFR, à condition qu’il n’y ait pas de tierce partie engagée dans l’accord ou qu’aucun cosignataire, aucun répondant ou aucune caution partie à l’accord n’ait le pouvoir de déterminer ou d’influencer la décision du titulaire de demander au MPO de délivrer un permis de « remplacement »
à un autre pêcheur. La politique sur la PIFPCAC, grâce à un système d’avis et d’attestation, offre aussi une certaine sécurité aux prêteurs.
[120]
Lors de l’audition, l’Office des appels a raisonnablement demandé au demandeur d’attribuer une valeur pécuniaire aux présumées difficultés financières, afin qu’elles puissent être considérées comme des circonstances atténuantes puisque tous les pêcheurs se trouvent dans la même situation. Son avocat a indiqué qu’il n’était pas en mesure d’attribuer une valeur pécuniaire aux difficultés financières invoquées. Lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur a prétendu qu’il s’agissait d’une demande déraisonnable, puisqu’il ne pouvait présenter des renseignements qui permettraient de comparer sa situation financière à celle des autres pêcheurs. C’est peut-être vrai, mais l’Office des appels n’a pas demandé de renseignements financiers comparatifs, et je suis d’avis qu’il incombait directement au demandeur de présenter les renseignements à l’appui de ses difficultés financières alléguées lorsqu’il a eu l’occasion de le faire, puisque c’est lui-même qui a allégué avoir été traité inéquitablement étant donné que l’on n’avait pas examiné sa situation particulière. Il n’était pas suffisant d’alléguer qu’il ne pourrait peut-être plus exploiter son entreprise sans un accord de contrôle. Dans les autres observations que le demandeur a présentées à l’Office des appels, il a simplement contesté la politique et sa nécessité. Je suis d’avis qu’en fonction des arguments présentés à l’Office des appels, ce dernier a raisonnablement conclu que le demandeur avait été traité équitablement et qu’il [traduction] « n’avait pas démontré de circonstances atténuantes valables ».
[121]
Je note que dans son affidavit déposé à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire (lequel n’a pas été présenté à l’Office des appels ou au ministre aux fins de la décision), le demandeur a indiqué qu’il était pêcheur depuis plus de 50 ans. Il était partie à un accord de contrôle depuis 2003. Dans cet affidavit, il confirme que l’accord de contrôle lui permet d’obtenir les fonds pour acquitter les frais relatifs à ses permis, à un bateau, à une assurance maritime, à l’entretien et à l’équipage. En contrepartie, il décharge ses prises et les vend en totalité conformément aux directives de la société et il s’engage à ne pas demander le transfert de son permis sans le consentement de cette dernière. Il affirme que sans l’accord de contrôle, il n’aurait ni l’argent ni le soutien financier nécessaire pour acquérir un bateau, il n’aurait pas les liens commerciaux ni les ressources nécessaires pour maintenir un équipage et entretenir un bateau ni les fonds pour obtenir les permis.
[122]
Au cours de son contre-interrogatoire sur son affidavit, il a confirmé ne pas avoir tenté de résilier ou de modifier son accord de contrôle avec Labrador Sea Products, Inc. et Quinlan Brothers Limited. En outre, il a aussi indiqué que ce sont ces entreprises de transformation qui lui ont demandé d’écrire la lettre du 10 avril 2014 au MPO, afin de lui indiquer qu’il tentait de négocier la résiliation de l’accord de contrôle, et ce, dans l’espoir d’obtenir une prolongation de ses permis si le MPO croyait qu’il était en voie de résilier l’accord. De même, le demandeur a demandé au ministre d’être exempté de la politique sur la PIFPCAC à la requête des entreprises de transformation, lesquelles l’ont aidé à présenter la demande. Le demandeur a confirmé que lors de l’audition de l’appel, il avait eu l’occasion de présenter sa situation particulière à l’Office des appels, par l’entremise de son avocat. En outre, le demandeur a admis n’avoir fait aucune demande ni cherché d’autres moyens pour financer son entreprise entre 2007 et 2015, mais il a affirmé qu’il ne pouvait se permettre de s’adresser à une institution bancaire. Il a affirmé ne pas connaître de pêcheurs ayant résilié leur accord de contrôle, ne pas être au courant du système d’avis et d’attestation créé par la politique sur la PIFPCAC, ou ne pas savoir que la caisse de crédit Eagle River Credit Union, à Cartwright, au Labrador, participait au programme. Il a aussi confirmé qu’il existe une entreprise de transformation au Labrador à laquelle il peut vendre ses prises, la Labrador Union Fisherman Shrimp Company, que le prix du crabe et d’autres espèces est fixé ou confirmé par un groupe d’experts chargé d’établir les prix, lequel groupe est formé par la province, et que les pêcheurs participent à la négociation des prix qui s’appliquent à l’échelle de la province. Par conséquent, un acheteur ne peut verser à un pêcheur une somme inférieure au prix établi pour le crabe. Ainsi, même sans accord de contrôle, un acheteur ne pourrait acheter les prises du demandeur à un prix inférieur au prix établi.
[123]
Bien que le demandeur n’ait pas présenté son affidavit à l’Office des appels ou au ministre, j’ai exposé certaines parties de son contenu et de son témoignage en contre-interrogatoire, puisqu’elles confirment que le demandeur est d’avis qu’il a eu l’occasion de présenter sa situation personnelle à l’Office des appels; elles contredisent l’argument présenté à l’Office des appels portant qu’il ne pouvait pas vendre ses prises au Labrador ou qu’il serait forcé de les vendre à un prix inférieur; elles démontrent que le demandeur n’a pas tenté de résilier ou de modifier son accord de contrôle; et elles confirment qu’il n’a pas tenté d’obtenir du financement auprès d’une IFR. En revanche, le témoignage du demandeur démontre très clairement qu’en ce qui concerne les permis qui lui ont été délivrés, mais qui étaient assujettis à l’accord de contrôle, il n’agissait qu’à titre de détenteur. Les entreprises de transformation du poisson parties à l’accord détenaient l’entièreté de l’intérêt bénéficiaire dans l’entreprise de pêche et elles seules l’exploitaient. En effet, advenant le décès du demandeur, sa succession aurait été forcée, à la demande des entreprises de transformation du poisson, de transférer les permis et l’entreprise de pêche à un mandataire désigné. La conjointe du demandeur était, à cette fin, partie à l’accord de contrôle.
[124]
Je ne retiens pas l’observation que le demandeur m’a présentée lors de l’audition portant que l’audition devant l’Office des appels était inéquitable parce qu’il ne connaissait pas les critères auxquels il devait satisfaire pour obtenir une exemption, alors que les propriétaires de flottilles les connaissaient. La politique sur la PIFPCAC ne prévoyait pas d’exemptions individuelles, et le demandeur avait été informé qu’il n’en obtiendrait pas. Toutefois, il a interjeté appel pour le motif qu’il avait été traité inéquitablement parce que l’on n’avait pas examiné sa situation particulière. Cette situation consistait en des difficultés financières indues. En conséquence, le demandeur ne peut raisonnablement faire valoir qu’en raison de l’absence de critères d’exemption dans la politique, il a été traité inéquitablement parce qu’il ne connaissait pas les critères auxquels il devait satisfaire. De même, l’Office des appels lui avait conseillé de produire tous les documents pertinents. Il a choisi de présenter uniquement l’accord de contrôle. Il n’est pas raisonnable de soutenir maintenant que l’Office des appels aurait dû connaître sa situation particulière et lui indiquer quels renseignements il devait présenter en appel pour appuyer l’argument portant sur sa situation propre.
[125]
Il convient aussi de noter que M. Knight a mentionné dans son témoignage qu’après la réception des déclarations initiales en mars 2008, les dossiers du MPO indiquaient que 737 titulaires de permis dans l’est du Canada avaient déclaré être parties à un accord de contrôle. Au 25 avril 2014, seulement 46 titulaires de permis de pêche côtière dans l’est du Canada étaient toujours parties à des accords de contrôle. Seuls deux titulaires de permis ont interjeté appel des décisions du MPO de ne pas renouveler leurs permis, et l’un de ces appels n’a pas été poursuivi. À l’été 2015, le demandeur était le seul titulaire de permis toujours partie à un accord de contrôle qui s’est prévalu du processus d’appel et qui a demandé d’être exempté de la politique sur la PIFPCAC. Par conséquent, bien que le demandeur souligne que M. Knight a indiqué dans son témoignage qu’il ne savait pas si une exemption avait déjà été accordée à l’égard de la politique sur la PIFPCAC, et que l’arrêt Ha indique que l’absence d’éléments de preuve portant qu’un décideur a déjà dérogé à une politique démontre une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, l’arrêt Ha ne s’applique pas à l’espèce, puisque la politique a fait l’objet d’une seule demande d’exemption à ce jour.
[126]
En résumé, pour les motifs énoncés ci-dessus, je ne retiens pas les arguments du demandeur selon lesquels l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre a été entravé parce que la politique sur la PIFPCAC vise à créer des exigences obligatoires, parce que le ministre n’a pas examiné la situation particulière du demandeur ou parce que la politique sur la PIFPCAC ne prévoit pas d’exemptions ou de mécanismes flexibles pour les pêcheurs individuels.
[127]
Je conclus que le demandeur a été traité équitablement et que le processus d’appel était équitable en soi. La politique sur la PIFPCAC accordait au demandeur, ainsi qu’à tous les pêcheurs côtiers, sept ans pour résilier son accord de contrôle ou le modifier de manière à le rendre conforme à la politique; le MPO a communiqué les modalités de la politique à tous les pêcheurs de manière claire et répétitive; le MPO a contacté le demandeur directement et lui a même recommandé de demander le renouvellement de ses permis avant le 12 avril 2014 afin qu’ils lui soient délivrés à temps pour lui permettre de continuer à pêcher le reste de l’année, ce qu’il a fait et les permis ont été délivrés; il a eu l’occasion d’interjeter appel pour présenter son allégation de circonstances atténuantes justifiant qu’il soit exempté de la politique, et ses permis ont été remis en vigueur pendant la durée du processus d’appel.
3)
Lettre de décision et article 7 de la Loi sur les pêches
[128]
Dans sa lettre de décision, le ministre n’a pas fait référence à l’article 7 de la Loi sur les pêches. Il a indiqué que sa lettre répondait à l’appel du demandeur au sujet des permis dont il était titulaire qui demeuraient assujettis à un accord de contrôle, [traduction] « malgré l’exigence relative à l’admissibilité définie dans la politique sur la Préservation de l’indépendance de la flottille de pêche côtière dans l’Atlantique canadien (la politique sur la PIFPCAC) »
. Le ministre a indiqué que l’Office des appels avait entendu la question et que son rapport et sa recommandation avaient été soumis à son examen. La lettre se terminait ainsi :
[traduction]
Après avoir examiné tous les renseignements pertinents, j’ai décidé de rejeter l’appel. Par conséquent, vous ne serez pas exempté de la politique sur la PIFPCAC.
De ce fait, vous ne serez plus admissible à la délivrance de permis pour la saison de pêche 2016 et les suivantes.
[129]
Le ministre n’était pas tenu de rédiger des motifs détaillés ni de mentionner explicitement les observations présentées par le demandeur, lors de l’audition de l’appel, sur les raisons pour lesquelles il devrait obtenir une exemption (voir Atco Lumber Ltd. v Kootenay Boundary (Regional District), 2014 BCSC 524, au paragraphe 61; Newfoundland Nurses, aux paragraphes 18 à 20; Mitchell c Canada (Procureur général), 2015 CF 1117, au paragraphe 31).
[130]
La difficulté de l’espèce tient au fait que le ministre lie sa décision de rejeter l’appel, et ainsi de refuser d’accorder une exemption aux termes de la politique sur la PIFPCAC, à la délivrance d’un permis de pêche. Plus précisément, la décision ne mentionne aucune autre considération que celle de la politique sur la PIFPCAC, laissant entendre que le ministre avait limité son examen relatif à la délivrance des permis de pêche à la question de savoir si le demandeur avait été exempté des exigences d’admissibilité de la politique sur la PIFPCAC, plutôt que de se fonder sur son pouvoir discrétionnaire.
[131]
Concernant l’examen par le ministre de [traduction] « tous les renseignements pertinents »
, le dossier dont je suis saisie contient une attestation de M. Kevin Stringer, sous-ministre adjoint principal à la Gestion des écosystèmes et des pêches, au sein du MPO, concernant les documents présentés au ministre au moment où il a rendu sa décision. Ces documents comprenaient le mémoire au ministre en date du 18 décembre 2015 et ses quatre pièces jointes : un document intitulé Offices des appels relatifs aux permis de pêche du pacifique et de l’atlantique, lequel décrit l’établissement et le rôle de l’Office des appels; un document intitulé Background: Licencing Policy in Atlantic Canada and Quebec’s Inshore Fleet (Document d’information : Politique sur les permis pour le Canada atlantique et la flottille côtière du Québec); le rapport de l’Office des appels au ministre et la recommandation sur l’espèce, comprenant notamment les observations écrites de l’avocat du demandeur du 21 octobre 2015 présentées à l’Office des appels, la lettre au demandeur du ministre des Pêches et des Océans de l’époque, le ministre Shea, en date du 12 mars 2015, un exemplaire expurgé de l’accord de contrôle, ainsi que la lettre de décision du ministre en date du 23 décembre 2015. Ces documents portent sur la politique sur la PIFPCAC et le contexte factuel. Le document intitulé Offices des appels relatifs aux permis de pêche du pacifique et de l’atlantique indique qu’aux termes de la Loi sur les pêches, le ministre est autorisé à rendre des décisions sur des questions liées à la délivrance de permis de pêche commerciale, sans toutefois s’étendre sur la question, puisqu’il porte avant tout sur le rôle des offices des appels. La seule mention de l’article 7 de la Loi sur les pêches se trouve dans la lettre de l’avocat du demandeur. Il y a fait valoir que le ministre était tenu d’examiner chaque cas individuellement, puisqu’il s’agissait d’une question d’équité et que l’article 7 lui accordait le pouvoir discrétionnaire de rendre des décisions en matière de permis, ce que signifiait, selon lui, que le ministre ne pouvait adopter une politique générale pour ensuite omettre d’examiner chaque cas individuellement en raison de la politique.
[132]
En outre, la jurisprudence antérieure de la Cour a confirmé que bien que ce soit la décision du ministre qui fasse l’objet du contrôle judiciaire, si les recommandations de l’Office des appels sont adoptées par le ministre, comme c’est le cas en l’espèce, la décision de l’Office des appels est [traduction] « inexorablement liée »
à la décision du ministre, en ce sens que la décision de l’Office des appels forme l’un des fondements de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre (Ralph, au paragraphe 14). Par conséquent, on ne peut examiner les motifs contenus dans la lettre de décision de manière isolée. Dans l’arrêt Stemijon, le juge Stratas a conclu qu’il « est parfois possible de comprendre des motifs en examinant le dossier présenté au décideur »
(au paragraphe 37, citant l’arrêt Administration de l’aéroport international de Vancouver c Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, au paragraphe 17).
[133]
Le défendeur soutient que le ministre a examiné différents renseignements qui distinguent les faits de l’espèce de ceux dans l’arrêt Stemijon. Toutefois, je note qu’en première instance dans l’affaire Stemijon (Stemijon Investments Ltd. c Canada (Procureur général), 2010 CF 893), le demandeur avait affirmé que le ministre avait omis de tenir compte de facteurs autres que les scénarios figurant dans les dispositions d’allègement. La Cour n’a pas retenu cette observation parce qu’elle n’était pas étayée par le dossier, lequel comprenait la demande en vue d’obtenir un deuxième examen, le rapport de 2009 relatif à l’allègement pour les contribuables, le communiqué de la Direction de l’impôt international de l’Agence du revenu du Canada au sujet des pénalités prévues par les exigences en matière de déclaration de biens étrangers et la circulaire d’information sur les dispositions d’allègement pour les contribuables. Le juge qui présidait a conclu que le rapport de 2009 relatif à l’allègement pour les contribuables comprenait un examen de la première demande d’allègement, et que la portée de l’examen contenu dans le rapport allait au-delà des trois scénarios énoncés dans la circulaire d’information sur les dispositions d’allègement pour les contribuables. Compte tenu de la portée des renseignements présentés au délégué du ministre, le juge qui présidait a conclu que le délégué du ministre, dans le cadre de son examen de la politique d’allègement pour les contribuables, ne s’était pas limité qu’aux trois scénarios énoncés dans les dispositions d’allègement pour les contribuables. Toutefois, la Cour d’appel fédérale, lorsqu’elle a annulé la décision de la Cour fédérale, a conclu que bien que le ministre ait disposé d’un dossier étoffé, sa lettre de décision n’indiquait aucunement qu’il savait qu’il pouvait aller au‑delà de la circulaire d’information. En fonction de la décision de la Cour d’appel fédérale, les renseignements contenus dans le dossier présenté au ministre ne changent pas le fait qu’il semble n’avoir tenu compte que de la politique sur la PIFPCAC. En outre, le dossier de l’espèce n’est pas étoffé et il ne permet pas de démontrer que le ministre a examiné d’autres facteurs que la politique sur la PIFPCAC.
[134]
À cet égard, le juge Stratas a affirmé ce qui suit :
[56] Peu importe que les motifs d’une lettre antérieure soient coupés‑collés, qu’ils soient quelque peu modifiés, ou entièrement nouveaux, le produit final délivré à celui qui demande un allègement en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi devrait témoigner de la connaissance qu’a le décideur de la portée du pouvoir discrétionnaire que lui confère la Loi, fournir de brefs motifs expliquant les raisons pour lesquelles l’allègement pouvait ou non être accordé dans la situation particulière et traiter concrètement des arguments ayant une chance de succès. Si les motifs ne traitent pas de l’une ou de plusieurs de ces points – chose possible en employant une lettre type ou un libellé courant de façon imprudente ou inconsidérée – la décision est susceptible de ne pas répondre à la norme de contrôle de la décision raisonnable.
[135]
Je retiens les observations du défendeur portant qu’il était opportun pour le ministre de se fonder sur la politique sur la PIFPCAC, comme il est indiqué dans les arrêts Maple Lodge Farms et Stemijon et dans la décision Gordon, précités. Toutefois, en l’espèce, on s’inquiète du fait que la lettre de décision du ministre n’indiquait pas la source et la portée de l’important pouvoir discrétionnaire que l’article 7 de la Loi sur les pêches lui confère, mentionnant uniquement la politique sur la PIFPCAC. Par conséquent, il n’a pas correctement exercé son pouvoir discrétionnaire en omettant de tenir compte du fait qu’il lui était loisible d’accorder la mesure demandée autrement que par le truchement de la politique sur la PIFPCAC et du processus d’appel.
Question 4 : Le ministre a-t-il fait preuve d’ouverture d’esprit?
Thèse du demandeur
[136]
Le demandeur soutient que le ministre et le MPO avaient décidé qu’ils n’accorderaient aucune exemption de la politique sur la PIFPCAC bien avant l’affaire du demandeur et que, par conséquent, le processus ayant mené à la décision était inéquitable sur le plan procédural et donnait ouverture à une crainte raisonnable de partialité. Tous les organismes administratifs ont un devoir d’équité et ils doivent faire preuve d’ouverture d’esprit et d’impartialité (Newfoundland Telephone Co. c Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 RCS 623, aux paragraphes 21et 22 (Newfoundland Telephone); Assoc. des résidents du vieux St-Boniface inc. c Winnipeg (Ville), [1990] 3 RCS 1170, aux paragraphes 78 et 94 (Assoc. des résidents du vieux St-Boniface); Cie pétrolière Impériale ltée c Québec (Ministre de l’Environnement), 2003 CSC 58, [2003] 2 RCS 624 (Cie pétrolière Impériale)).
[137]
Le demandeur soutient également que les faits de l’espèce donnent ouverture à une crainte raisonnable de partialité pour le motif que le ministre avait préjugé l’affaire. Ces faits sont notamment les suivants : avant l’audition devant l’Office des appels, le ministre Shea a informé le demandeur que le MPO ne prévoyait accorder aucune exemption de la politique sur la PIFPCAC; le ministre et les fonctionnaires du MPO ont affirmé à plusieurs reprises qu’aucune exemption de la politique sur la PIFPCAC ne serait accordée; les documents du MPO remis aux pêcheurs concernant la politique sur la PIFPCAC la décrivaient en termes péremptoires et sans exemptions possibles; les lettres du MPO au demandeur décrivaient la politique sur la PIFPCAC comme une règle absolue, et le MPO a indiqué au demandeur qu’il devait résilier son accord de contrôle.
[138]
Le demandeur fait aussi valoir que l’espèce présente une [traduction] « irrégularité de procédure »
. Plus précisément, l’Office des appels entend normalement les appels de décisions rendues par des fonctionnaires du MPO, ces décisions sont d’abord portées en appel devant un office régional, puis devant l’Office des appels, lequel fait une recommandation au ministre. En l’espèce, l’Office des appels a été saisi d’un appel d’une décision rendue par le ministre lui-même. Le demandeur soutient qu’il n’est pas surprenant que l’Office des appels ait rejeté son appel, puisqu’il s’agissait d’un appel d’une décision rendue par le ministre lui-même : les membres de l’Office des appels relèvent du ministre et ils sont nommés par ce dernier, ils ne jouissent pas d’office du principe de l’inamovibilité et le ministre Shea leur a indiqué que le MPO [traduction] « ne prévoyait accorder aucune exemption »
de la politique sur la PIFPCAC.
Thèse du défendeur
[139]
Le défendeur soutient que la décision du ministre était hautement discrétionnaire et qu’il a tenu compte de l’intérêt public. Par conséquent, la norme d’impartialité applicable consiste à trancher si le ministre a fait preuve de fermeture d’esprit, plutôt que la norme stricte de la crainte raisonnable de partialité (Canada (Procureur général) c Pelletier, 2008 CAF 1, au paragraphe 55 (Pelletier); Idziak c Canada (Ministre of Justice), [1992] 3 RCS 631, aux pages 660 et 661 (Idziak); Cie pétrolière Impériale, aux paragraphes 34 à 39). Il incombe au demandeur de démontrer que l’affaire a en fait été préjugée, de sorte qu’il ne servirait à rien de présenter des arguments contredisant le point de vue adopté (Assoc. des résidents du vieux St-Boniface, au paragraphe 94). En l’espèce, le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve portant que sa situation personnelle et ses arguments n’ont pas été pris en considération dans le processus décisionnel.
[140]
Les membres de l’Office des appels ont tenu compte des arguments et des éléments de preuve présentés au nom du demandeur, et le ministre a examiné leur recommandation et tous les renseignements pertinents avant de rendre sa décision de ne pas accorder l’exemption (Glaxo Wellcome Plc c Canada (Ministre du revenu national), [1998] 4 CF 439 (CA), au paragraphe 18). Le défendeur soutient que le ministre n’était pas lié par le libellé précis de la politique sur la PIFPCAC, par les énoncés des fonctionnaires du MPO ou par les thèses adoptées par le prédécesseur du ministre (Carpenter Fishing, au paragraphe 37; Arsenault, aux paragraphes 42 et 43; Doucette, aux paragraphes 115 à 119) et que ces éléments n’étaient pas pertinents à la question de savoir si le ministre qui a réellement rendu la décision avait préjugé l’affaire du demandeur. En outre, l’Office des appels a formulé sa recommandation de manière indépendante, et aucun élément de preuve n’a démontré qu’elle avait été dictée ou influencée par des fonctionnaires du MPO ou du gouvernement. De plus, le ministre n’est pas toujours d’accord avec les recommandations de l’Office des appels (Doucette).
[141]
Le défendeur soutient que compte tenu des multiples occasions dont le demandeur a disposé pour établir le bien-fondé de sa demande et du déroulement du processus décisionnel, un observateur relativement bien renseigné conclurait que le ministre a rendu sa décision après avoir examiné la demande du demandeur avec un esprit ouvert, de manière impartiale et en se fondant sur des facteurs pertinents.
Discussion
[142]
Le critère applicable pour trancher si un décideur administratif est partial dépend de la nature de l’organisme décisionnel (Newfoundland Telephone Co; Pelletier, aux paragraphes 48 à 55).
[143]
Dans l’arrêt Idziak, la Cour suprême du Canada a examiné une allégation de partialité ministérielle dans le contexte d’une procédure d’extradition, et elle affirmé ce qui suit aux pages 660 et 661 :
L’appelant a ensuite fait valoir que, selon les circonstances particulières de l’affaire, une personne relativement bien renseignée aurait pu craindre raisonnablement que le Ministre fasse preuve de partialité au détriment de l’appelant. La détermination de l’existence de partialité dans un cas précis dépendra de la caractérisation de la fonction du décideur. Le processus décisionnel administratif comporte une grande diversité de fonctions. D’une part, le critère applicable à la fonction juridictionnelle est le suivant: un observateur relativement bien renseigné pourrait-il raisonnablement percevoir de la partialité chez un décideur? D’autre part, à l’autre extrémité, c’est-à-dire dans le cas de la fonction législative, le critère consiste à se demander si l’affaire a été préjugée par le décideur au point de rendre vain tout argument contraire. Voir l’arrêt Newfoundland Telephone Co. c Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, à la p. 638.
[144]
Dans l’arrêt Assoc. des résidents du vieux St-Boniface, la Cour suprême du Canada a examiné les fonctions d’un conseiller municipal, et elle a ainsi traité du critère applicable et du fardeau de la preuve (à la page 1197) :
À mon avis, le critère qui se concilie avec les fonctions d’un conseiller municipal et qui permet à ce dernier de remplir ses fonctions politiques et législatives est celui qui exige que les tenants de l’un ou l’autre point de vue soient entendus par des conseillers qu’il est possible de convaincre. Le législateur n’a pu vouloir qu’une audition se tienne devant un organisme qui a déjà pris une décision irrévocable. La partie qui allègue la partialité entraînant l’inhabilité doit établir que l’affaire a en fait été préjugée, de sorte qu’il ne servirait à rien de présenter des arguments contredisant le point de vue adopté. Les déclarations de conseillers individuels, bien qu’elles puissent fort bien créer une apparence de partialité, ne satisfont au critère que si la cour conclut qu’elles sont l’expression d’une opinion finale et irrévocable sur la question. Il importe de se rappeler à ce propos que ni le fait d’appuyer une mesure devant un comité ni le fait de voter en faveur de cette mesure ne constituera, en l’absence d’une indication du caractère définitif de la position prise, une preuve de partialité entraînant l’inhabilité. La conclusion contraire rendrait inhabiles la majorité des conseillers à l’égard de toutes les questions qui sont décidées dans le cadre d’assemblées publiques au cours desquelles les opposants à une mesure ont le droit de se faire entendre.
[145]
Dans l’arrêt Pelletier, la Cour d’appel fédérale a examiné la jurisprudence pour établir la norme applicable à une décision rendue par un ministre de destituer de ses fonctions une personne ayant fait l’objet d’une nomination à titre amovible, et elle a conclu que le juge qui présidait avait commis une erreur en appliquant le critère de la crainte raisonnable de partialité, en affirmant ce qui suit :
[55] Dans cette affaire-ci, aucune législation ne vient encadrer les pouvoirs du ministre de tutelle. Nous nous trouvons en présence d’une décision du cabinet prise à l’instigation discrétionnaire d’un ministre et visant la destitution d’une personne nommée à titre amovible, donc d’une personne dont le statut est par définition précaire. Il s’agit ici, très certainement, d’une décision administrative « discrétionnaire, à contenu politique », (pour reprendre les mots du juge LeBel dans Cie pétrolière Impériale ltée), qui est astreinte, tout au plus, à la norme de l’esprit fermé. (voir Cougar Aviation Ltd. c. Canada (ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [2000] A.C.F. no. 1946, C.A.F., para. 36).
[146]
En l’espèce, la décision du ministre était hautement discrétionnaire, elle n’était pas restreinte par une loi et elle était fondée sur des considérations de principe qui tenaient compte de l’intérêt public. Par conséquent, en l’espèce, la norme d’impartialité applicable consiste à trancher si le ministre a fait preuve de fermeture d’esprit; et il incombe au demandeur de démontrer que l’affaire a été préjugée, de sorte qu’il ne servirait à rien de présenter des arguments contredisant le point de vue adopté. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer que le ministre a fait preuve de fermeture d’esprit.
[147]
Le demandeur soutient que la lettre du ministre Shea en date du 12 mars 2015, dans laquelle la demande du demandeur d’être exempté de la politique sur la PIFPCAC est rejetée, démontre que le ministre Tootoo avait préjugé l’affaire. En outre, le demandeur soutient que les déclarations des prédécesseurs du ministre Tootoo et des fonctionnaires du MPO portant que personne ne serait exempté de la politique sur la PIFPCAC révèlent aussi une fermeture d’esprit. Toutefois, comme je l’ai déjà mentionné, la décision du ministre Tootoo en date du 23 décembre 2015 est la décision visée par le contrôle judiciaire. Dans la décision Doucette, la Cour a conclu que les déclarations du ministre précédent n’avaient pas entravé l’exercice du pouvoir discrétionnaire de ses successeurs :
[116] Dans l’arrêt Andrews, la Cour d’appel de Terre‑Neuve a déclaré ce qui suit (au paragraphe 83) :
[traduction] Pour résumer, la jurisprudence précitée permet de fonder plusieurs conclusions. Tout d’abord, lorsqu’en vertu de la loi un ministre est autorisé à exercer un pouvoir discrétionnaire dans l’intérêt public, ce pouvoir ne peut être restreint pour l’avenir ni entravé, directement ou indirectement, sauf disposition législative contraire. L’entrave indirecte vise notamment le fait d’exposer le ministre ou le gouvernement au paiement de dommages‑intérêts ou d’une indemnité pour défaut d’exercice du pouvoir discrétionnaire d’une façon particulière. Malgré la sévérité apparente du résultat, une entente, un engagement implicite ou une affirmation ayant pour effet d’entraver le pouvoir discrétionnaire du ministre n’est pas exécutoire et ne peut donner lieu à des dommages‑intérêts. Malgré tout, le ministre doit agir de bonne foi et sans arbitraire, et ne peut fonder sa décision sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi. Finalement, si des dommages‑intérêts ne peuvent être obtenus, un recours fondé sur l’enrichissement sans cause pourrait pour sa part être exercé.
[117] Dans l’arrêt St Anthony Seafoods Limited Partnership c Newfoundland and Labrador (Minister of Fisheries and Aquaculture), 2004 NLCA 59, [2004] NJ no 336 (autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada rejetée), la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador a déclaré ce qui suit (au paragraphe 81) :
[traduction] Je conclus par conséquent que la Fish Inspection Act énonce clairement, à titre de politique d’intérêt public, que le ministre dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour le traitement des permis, un pouvoir que le ministre peut exercer à tout moment comme il le juge nécessaire. Cette politique serait compromise si des affirmations de son ou ses prédécesseurs empêchaient un ministre d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, cela pouvant gravement restreindre sa capacité de répondre aux préoccupations socio‑économiques du moment du secteur des pêches.
[118] Bien que cet arrêt se rapporte à la Fish Inspection Act, les mêmes commentaires valent pour l’article 7 de la Loi sur les pêches. Dans l’arrêt Comeau, la Cour suprême a conclu que l’article 7 de la Loi conférait au ministre un pouvoir discrétionnaire absolu en vue de la délivrance ou de l’autorisation de délivrance de permis de pêche.
[119] À la lumière de ce qui précède, la ministre Shea ne pouvait entraver ni son propre pouvoir discrétionnaire ni celui du ministre Ashfield.
[148]
Par conséquent, la lettre du ministre Shea en date du 12 mars 2015 et les déclarations du prédécesseur du ministre Tootoo ou des fonctionnaires du MPO concernant la politique sur la PIFPCAC ne peuvent servir à entraver l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre et elles ne démontrent pas que le ministre Tootoo a préjugé l’affaire (voir aussi l’arrêt Happy Adventure Sea Products, aux paragraphes 23 à 27).
[149]
Le demandeur soutient également que les documents du MPO remis aux pêcheurs, notamment le demandeur, décrivaient la politique sur la PIFPCAC en termes péremptoires et sans exemptions possibles. Toutefois, comme je l’ai déjà mentionné, la politique sur la PIFPCAC indique explicitement qu’elle ne lit pas le ministre lorsqu’il rend des décisions en matière de permis en application de l’article 7 de la Loi sur les pêches. Bien que le ministre n’ait pas correctement exercé son pouvoir discrétionnaire en l’espèce, étant donné qu’il n’a invoqué que la politique sur la PIFPCAC dans sa décision et non son pouvoir discrétionnaire aux termes de l’article 7 de la Loi sur les pêches, je suis d’avis que le libellé péremptoire de la politique sur la PIFPCAC, dont j’ai déjà discuté, ou les documents du MPO décrivant la politique ne permettent pas de conclure que le ministre avait préjugé l’affaire.
[150]
Finalement, le demandeur fait valoir que l’Office des appels a rejeté son appel parce qu’il s’agissait d’un appel de la propre décision du ministre, que les membres de l’Office des appels relèvent du ministre, qu’ils sont nommés par ce dernier et que le ministre leur avait indiqué que le ministère ne prévoyait accorder aucune exemption de la politique sur la PIFPCAC. Comme je l’ai déjà mentionné, l’article 34 de la politique de 1996 décrit l’accès au processus d’appel, lequel est offert à toute personne qui n’est pas satisfaite d’une décision en matière de permis rendue par un fonctionnaire du MPO, et l’article 35 décrit le processus d’appel et sa structure. Bien qu’il soit vrai que normalement les appels sont d’abord entendus par le Comité régional d’appel relatif à la délivrance des permis, lequel relève du directeur régional en matière décisionnelle, et que l’Office des appels n’entend que les appels de décisions défavorables rendues par le Comité régional d’appel relatif à la délivrance des permis, le paragraphe 35(8) dispose que le ministre peut présenter à l’Office des appels toute décision qu’il veut voir examiner. C’est ce qui s’est produit en l’espèce. Le demandeur en a été informé dans une lettre du MPO en date du 15 mai 2015, de même que son avocat dans une lettre du MPO en date du 28 août 2015. Je suis avis qu’il n’y a eu aucune irrégularité de procédure à cet égard, contrairement à ce que soutient le demandeur. En outre, l’Office des appels a examiné si le demandeur avait été traité équitablement et s’il existait des circonstances atténuantes justifiant une dérogation à la politique ou une exemption de celle-ci, et il a établi que l’affaire ne présentait pas de telles circonstances.
[151]
En outre, le demandeur ne conteste pas la décision de l’Office des appels, qui, à titre de commission administrative, avait été saisi d’une question de principe, et laquelle décision est aussi assujettie à la norme de l’esprit ouvert (Newfoundland Telephone, aux pages 638, 639, 641 et 642). De plus, rien ne laisse entendre ou n’indique que les membres de l’Office des appels ont fait des déclarations démontrant une fermeture d’esprit ou autrement fait preuve d’une telle fermeture lorsqu’ils ont formulé leur recommandation. Le ministre Tootoo n’était pas non plus lié par la recommandation de l’Office des appels (Doucette).
[152]
En conclusion, je ne suis pas convaincue que le demandeur s’est acquitté du fardeau de démontrer que le ministre Tootoo avait préjugé l’affaire, de sorte qu’il ne servirait à rien de présenter des arguments contredisant le point de vue adopté.
Question 5 : Quelle est la mesure appropriée?
[153]
Dans l’arrêt Stemijon, la Cour d’appel fédérale conclut qu’une « décision qui découle d’un pouvoir discrétionnaire limité est être [sic] en soi déraisonnable »
. Toutefois, malgré cette conclusion, la Cour d’appel fédérale n’a pas renvoyé l’affaire au ministre. Le juge Stratas a conclu que l’allègement relevait du pouvoir discrétionnaire et que dans les circonstances particulières de l’affaire, il n’aurait été d’aucune utilité d’annuler la décision du ministre et de lui renvoyer l’affaire pour nouvelle décision. Le ministre n’aurait pu raisonnablement accorder l’allègement sollicité au vu des faits dont il avait été saisi.
[154]
Récemment, dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c Canada (Agence d’inspection des aliments), 2017 CAF 45 (Maple Lodge 2017), la Cour d’appel fédérale a examiné le pouvoir discrétionnaire de réparation des tribunaux à l’occasion d’une demande de contrôle judiciaire. Elle a conclu que le tribunal, dans cette affaire, avait commis une erreur en adoptant et en appliquant les mauvais critères de la décision raisonnable; toutefois, ce n’était pas tout :
[47] L’appréciation d’un contrôle judiciaire par une cour de révision peut comporter jusqu’à trois étapes analytiques : régler les questions préliminaires et procédurales, examiner le bien‑fondé de la décision du décideur administratif quant au fond et à la procédure, et enfin, se demander s’il y a lieu d’accorder des mesures de réparation et, le cas échéant, lesquelles : Budlakoti c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 139, 473 N.R. 283 aux paragraphes 28 à 30.
[48] En l’espèce, Maple Lodge Farms nous demande à titre de réparation d’annuler la décision de la Commission et de lui renvoyer l’affaire pour nouvelle décision. Cependant, les mesures de réparation accordées dans le cadre d’un contrôle judiciaire sont discrétionnaires : voir le dernier arrêt de la Cour suprême à ce sujet, dans l’affaire Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6.
[49] Si les circonstances de la présente affaire exigent que nous exercions notre pouvoir discrétionnaire de manière à ne pas annuler la décision de la Commission et à ne pas lui renvoyer l’affaire pour nouvelle décision, la décision de la Commission sera donc maintenue, et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
[50] À mon avis, pour les motifs qui suivent, de telles circonstances sont présentes en l’espèce.
[51] L’arrêt Mines Alerte Canada encourage les cours de révision à se demander entre autres, à l’étape des mesures de réparation, si l’annulation de la décision du décideur administratif et le renvoi de l’affaire au décideur pour nouvelle décision serviraient une fin pratique ou juridique. Lorsque la cour de révision conclut que le décideur administratif devant rendre une nouvelle décision ne saurait raisonnablement parvenir à un résultat différent, compte tenu des faits et du droit, la décision ne doit pas être annulée : Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, 341 D.L.R. (4th) 710; Robbins c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 24. Ce principe bien établi s’accorde avec la nécessité actuelle d’éviter des instances inutiles et d’allouer les ressources décisionnelles à des fins opportunes : Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87.
[52] À cet égard, les cours de révision doivent faire preuve de prudence et dissiper tout doute en annulant la décision et en renvoyant l’affaire pour nouvelle décision : Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326, à la page 361. La raison en est que la cour de révision saisie d’une demande de contrôle judiciaire n’a pas normalement à examiner le fond de l’affaire, c’est‑à‑dire tirer des conclusions de fait, définir le droit applicable et l’appliquer aux faits. Cette tâche revient plutôt au décideur administratif, en l’occurrence la Commission : Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, 479 N.R. 189, au paragraphe 23; Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, 428 N.R. 297, aux paragraphes 16 à 19.
[53] À mon avis, dans la présente affaire, annuler la décision de la Commission et lui renvoyer l’affaire pour nouvelle décision ne servirait aucune fin.
[155]
La Cour d’appel fédérale a conclu que les conclusions factuelles antérieures du tribunal étaient distinctes de l’erreur juridique qu’il avait commise plus tôt, et que, par conséquent, en appliquant le droit aux faits, le tribunal n’aurait pu raisonnablement parvenir qu’à une seule conclusion dans une nouvelle décision. La Cour d’appel fédérale a donc exercé son pouvoir discrétionnaire de réparation pour conclure qu’il n’y avait pas lieu d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire pour nouvelle décision.
[156]
En l’espèce, il ressort très clairement du dossier dont je suis saisie que l’objectif de la politique sur la PIFPCAC était de remédier au contournement délibéré, par la prolifération d’accords de fiducie (accords de contrôle), des politiques du propriétaire exploitant et de la séparation des flottilles. Cet objectif a été atteint par la mise en œuvre d’exigences d’admissibilité relatives à la catégorie de pêcheur du noyau indépendant.
[157]
Il est constant que le demandeur n’a pas résilié son accord de contrôle et qu’il ne l’a pas modifié de manière à le rendre conforme à la politique. Il n’a donc pas satisfait aux critères d’admissibilité.
[158]
De plus, comme je l’ai déjà mentionné, l’avocat du demandeur a présenté la situation particulière de son client, et l’Office des appels l’a examinée. Le demandeur n’a présenté aucun renseignement financier ou d’une autre nature pour appuyer son allégation portant que les difficultés financières qu’il éprouverait en résiliant son accord de contrôle justifiaient qu’il soit exempté de la politique sur la PIFPCAC.
[159]
Compte tenu de ce qui précède, il était manifestement loisible au ministre de refuser de délivrer les permis au demandeur en tenant compte de la politique sur la PIFPCAC et en exerçant son pouvoir discrétionnaire en application de l’article 7 de la Loi sur les pêches.
[160]
Bien que j’aie conclu que le ministre avait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en n’indiquant pas dans sa lettre au demandeur qu’il n’avait pas limité sa décision à l’examen de la politique sur la PIFPCAC, mais qu’il avait aussi tenu compte de la portée de son pouvoir discrétionnaire aux termes de l’article 7 de la Loi sur les pêches, pour rendre sa décision, je suis aussi d’avis que, dans les circonstances, le ministre n’aurait pu raisonnablement rendre une décision différente, même en se fondant sur le vaste pouvoir discrétionnaire que l’article 7 lui confère ou malgré ce pouvoir.
[161]
À cet égard, le ministre, dans sa décision, renvoie expressément à la décision de l’Office des appels. Lorsqu’il a comparu devant l’Office des appels, le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve à l’appui de sa demande d’exemption de la politique sur la PIFPCAC fondée sur des difficultés financières alléguées. L’Office des appels a conclu que le demandeur avait été traité équitablement et qu’il n’avait pas démontré l’existence de circonstances atténuantes justifiant l’accueil de l’appel. Le ministre a accepté la recommandation de l’Office des appels et il a rejeté l’appel. Par conséquent, le demandeur n’a pas satisfait au critère d’admissibilité défini dans la politique sur la PIFPCAC et il n’en a pas été exempté.
[162]
Je suis d’avis que si le ministre rendait une nouvelle décision dans l’espèce, il ne pourrait raisonnablement parvenir, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que l’article 7 lui confère, à une issue différente au vu des faits et du droit. Par conséquent, dans les circonstances, annuler la décision du ministre et lui renvoyer l’affaire pour nouvelle décision ne servirait aucune fin. Alors, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire et je refuse d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire au ministre pour nouvelle décision.
Dépens
[163]
Compte tenu de mes conclusions ci-dessus, aucuns dépens ne sont adjugés.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucuns dépens ne seront adjugés.
« Cecily Y. Strickland »
Juge
Ce 31e jour d’août 2020
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-138-16
|
INTITULÉ :
|
KIRBY ELSON c CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
OTTAWA (ONTARIO)
|
DATE DE L’AUDITION :
|
Les 28 février et 1er mars 2017
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE STRICKLAND
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 5 MAI 2017
|
COMPARUTIONS :
Steven Mason
Byron Shaw
Brandon Kain
John Mate
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Anne McConville
Adrian Bieniasiewicz
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
McCarthy Tétrault
Avocats
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
|