Date : 20170503
Dossier : T-2069-15
Référence : 2017 CF 439
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 3 mai 2017
En présence de monsieur le juge Gleeson
ENTRE :
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ZAKI HIDEQ
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Le demandeur, M. Hideq, est arrivé au Canada du Liban en 1993. De 1994 à 1998, il a travaillé à divers endroits. En 1998, il a commencé à travailler comme portier au Casino Windsor, et il y a obtenu un poste de valet en 2000.
[2]
La même année, il a été impliqué dans un accident de voiture dans le parc de stationnement souterrain du Casino Windsor. À la suite de cet accident, il souffrait de douleurs au cou, au dos et aux pieds. En raison des séquelles fonctionnelles laissées par les blessures subies, il a été affecté au service de sécurité du Casino Windsor, où il est resté jusqu’à sa mise à pied en 2004. De nouveau impliqué dans un accident de voiture en 2005, il a subi des blessures à l’épaule, au cou et au dos, entre autres.
[3]
En octobre 2010, il a présenté une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C-8. Sa demande initiale a été refusée, et il a essuyé un nouveau refus par suite d’une révision. Il a interjeté appel de ces décisions défavorables. La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a rejeté l’appel. On lui a ensuite refusé l’autorisation d’interjeter appel de la décision défavorable de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale devant la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale. La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision.
[4]
M. Hideq demande à la Cour d’infirmer la décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale et d’ordonner le versement des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada avec effet rétroactif à la date de sa demande initiale. Le défendeur s’oppose à la réparation demandée au motif que si la demande est accueillie, la réparation appropriée serait un renvoi de l’affaire à la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale pour réexamen de la question de l’autorisation d’appel.
[5]
Dans ses observations écrites, M. Hideq fait état des erreurs qui selon lui entachent la décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Toutefois, comme il a été mentionné plus tôt, la présente demande de contrôle judiciaire porte sur le refus de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale d’autoriser M. Hideq à interjeter appel. La décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a été prise en considération au moment de déterminer si la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a commis une erreur susceptible de contrôle ou si elle a rendu une décision déraisonnable.
[6]
L’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 (LMEDS) énonce les motifs pouvant fonder un appel d’une décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale et prévoit que la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale ne peut autoriser l’interjection d’un appel si elle est convaincue qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès. Selon la lecture que j’en ai faite, les observations écrites et orales des parties ne révèlent aucun motif justifiant de modifier la décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale. Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.
II.
Question en litige
[7]
La seule question soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire a trait au caractère raisonnable du refus de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale d’autoriser l’interjection d’un appel.
III.
Norme de contrôle
[8]
Le refus de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale d’autoriser l’interjection d’un appel est assujetti à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Tracey c Canada (Procureur général), 2015 CF 1300, aux paragraphes 17 à 23 [Tracey]; Canada (Procureur général) c Hoffman, 2015 CF 1348, au paragraphe 27 [Hoffman], voir aussi : Atkinson c Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, aux paragraphes 24 à 26). Cette norme nous oblige à une grande déférence à l’égard des décisions de la DA-SST (Hoffman, au paragraphe 33).
IV.
Cadre législatif
[9]
Par souci de commodité, les parties pertinentes du Régime de pensions du Canada et de la LMEDS sont reproduites à l’annexe A du présent jugement et de ses motifs.
[10]
M. Hideq a interjeté appel de la décision rejetant sa demande de prestations d’invalidité devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. Toutefois, conformément à l’article 257 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, SC 2012, c 19, l’affaire a été transférée à la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale en avril 2013.
V.
Question préliminaire
[11]
L’avocat du défendeur se fonde sur les Règles des Cours fédérales, DORS/98-199 (les Règles) pour faire valoir que la demande désigne à tort le ministre de l’Emploi et du Développement social et le Tribunal de la sécurité sociale en tant que défendeurs dans cette demande. Le défendeur demande que l’intitulé soit modifié de façon à y substituer le procureur général du Canada à titre de défendeur. Le demandeur ne s’oppose pas à cette modification.
[12]
L’alinéa 303(1)a) des Règles oblige le demandeur à désigner « toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée, autre que l’office fédéral visé par la demande »
. Le Tribunal de la sécurité sociale a été désigné à tort en tant que défendeur. Il a été conclu par ailleurs que les ministères fédéraux ne sont pas des entités juridiques et ne peuvent donc pas être désignés comme parties (Gravel c Canada (Procureur général), 2011 CF 832, aux paragraphes 5 et 6). L’intitulé est modifié de façon à y substituer le procureur général du Canada comme unique défendeur.
VI.
Discussion
[13]
Pour trancher la demande d’autorisation d’interjeter appel de M. Hideq, la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a formulé et appliqué clairement le critère approprié (aux paragraphes 6 et 7 de la décision) :
[traduction]
6) Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS) énonce les moyens d’appel possibles :a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
7) Pour autoriser le demandeur à interjeter appel, je dois être convaincu que les moyens d’appel invoqués font partie de ceux qui sont prescrits et qu’il a une chance raisonnable de succès.
[14]
Selon ce critère, la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale doit examiner le dossier original et déterminer si la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a omis de tenir compte d’un élément de preuve quelconque, ou si elle a mal interprété ou examiné trop superficiellement des éléments de preuve. De manière générale, l’appel devrait être autorisé lorsqu’il se dégage du dossier original que des éléments de preuve n’ont pas été pris en compte correctement (Joseph c Canada (Procureur général), 2017 CF 391, aux paragraphes 43 et 44, citant Griffin c Canada (Procureur général), 2016 CF 874, au paragraphe 20 [Griffin], et Karadeolian c Canada (Procureur général), 2016 CF 615, aux paragraphes 9 et 10).
[15]
M. Hideq a présenté des observations écrites qui portaient exclusivement sur les préoccupations soulevées par la décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Toutefois, la plaidoirie de son avocat était centrée sur une erreur dans l’examen et le traitement de la preuve présentée à la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale, et le fait que la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale n’a pas pris cette erreur en considération dans son examen de la demande d’autorisation d’interjeter appel.
[16]
M. Hideq estime que la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a conclu de manière déraisonnable que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a fait une analyse juste de l’évaluation globale de sa réadaptation et de ses capacités professionnelles suivant laquelle il est totalement inapte à exercer un travail quelconque correspondant raisonnablement à ses études, à sa formation et à son expérience. Le demandeur soutient que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a tiré une conclusion erronée concernant ce rapport et n’a pas tenu compte des documents mis à sa disposition. En fait, selon le demandeur, le rapport lui procurait un moyen d’appel ayant une chance raisonnable de succès.
[17]
Dans sa décision, la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale donne un long résumé des antécédents médicaux et professionnels de M. Hideq. Elle y rend compte notamment, au paragraphe 49, de son évaluation professionnelle et de son dossier de réadaptation :
[traduction]
[49] Une évaluation globale des capacités professionnelles et de la réadaptation de M. Hideq établie le 12 octobre 2017 par J. Kobayashi, psychométricienne et consultante en réadaptation, indique que du point de vue de la réadaptation de l’appelant, plusieurs facteurs combinés liés notamment à ses limitations physiques et à sa connaissance insuffisante de l’anglais le rendent totalement inapte à exercer tout travail correspondant raisonnablement à ses études, à sa formation et à son expérience.
[18]
Après avoir pris connaissance de l’évaluation professionnelle et du dossier de réadaptation, la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale conclut ainsi au paragraphe 83 :
[traduction]
[83] En dernier lieu, la psychométricienne J. Kobayashi a reconnu, dans son évaluation globale datée du 12 octobre 2007, que du point de vue de sa réadaptation, l’appelant est totalement inapte à exercer tout travail correspondant raisonnablement à ses études, à sa formation et à son expérience. Le Tribunal n’accorde pas beaucoup de poids à cette déclaration puisque l’appelant a fait montre d’une compétence linguistique suffisante pour décrire sa condition et répondre aux questions. Il est encore jeune et sa scolarité lui permettra certainement de se recycler dans un travail adapté à ses limitations. De plus, il a acquis une bonne expérience dans divers types d’emplois, y compris comme copropriétaire et associé à l’exploitation d’une entreprise.
[19]
Je ne suis pas convaincu par les observations de M. Hideq. Contrairement à ce qu’avance son avocat, l’évaluation professionnelle n’a pas été contredite. Les rapports médicaux produits en décembre 2005, en juin 2007 et en mai 2009 respectivement sont unanimes sur le fait que M. Hideq demeure apte au travail malgré ses incapacités incontestées. Le poids moindre qu’elle a accordé au rapport professionnel fait foi du raisonnement suivi par la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale pour parvenir à cette conclusion.
[20]
Pour trancher la demande d’autorisation d’appel de M. Hideq, la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a examiné tout aussi rigoureusement chacun des moyens d’appel invoqués, y compris le traitement de l’évaluation professionnelle. Elle a reconnu que bien qu’elle se soit apparemment assez peu référée à l’évaluation professionnelle, la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a néanmoins explicité pourquoi elle lui avait accordé moins de poids.
[21]
Par conséquent, la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a conclu à juste titre que ce motif ne conférait pas une chance raisonnable de succès à l’appel. Le tribunal de révision n’a pas pour rôle ou fonction d’apprécier et de réexaminer la preuve et d’y substituer une issue qui serait à son avis préférable (Griffin, aux paragraphes 14 et 23).
[22]
Même si l’avocat de M. Hideq a fait de l’évaluation professionnelle l’unique fondement de son allégation quant au caractère déraisonnable de la décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale, je me suis quand même intéressé aux autres moyens d’appel plaidés devant la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale. À mon tour, je dois conclure que la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale n’a pas déraisonnablement conclu que ces moyens ne confèrent pas à l’appel une chance raisonnable de succès. Elle a raisonnablement conclu, en s’appuyant sur les déclarations expresses de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale, qu’il n’appartient pas à un tribunal de révision de réévaluer la preuve et que cette dernière a rendu sa décision en ayant dûment pris en considération les effets cumulatifs des incapacités de M. Hideq. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a en outre raisonnablement conclu que l’état psychologique de M. Hideq et ses tentatives de travailler à son compte ont été prises en compte. M. Hideq a également cherché à discréditer le contenu de certains rapports médicaux d’experts soumis à la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Là encore, la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a raisonnablement conclu que les renseignements médicaux radiés de ces rapports auraient pu figurer dans des rapports secondaires présentés à la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale, et que ce motif d’appel ne révélait pas d’erreur de la part la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Pour terminer, la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a conclu que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a examiné l’aspect de l’aptitude au travail en tenant compte du contexte réel, comme il se devait (Villani c Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, au paragraphe 39).
[23]
En somme, les décisions de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale et de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale tiennent compte des éléments de justification, de transparence et d’intelligibilité requis et correspondent à l’éventail des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).
[24]
Le défendeur ne demande pas les dépens, et aucun ne sera accordé.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-2069-15
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande est rejetée.
L’intitulé est modifié de façon à y substituer le procureur général du Canada comme unique défendeur.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Patrick Gleeson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 23e jour de janvier 2020
Lionbridge
ANNEXE A
Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C-8
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Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-2069-15
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INTITULÉ :
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ZAKI HIDEQ c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDITION :
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Windsor (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 27 avril 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE GLEESON
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DATE DES MOTIFS :
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Le 3 mai 2017
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COMPARUTIONS :
Anthony Barile
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Pour le demandeur
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Michael Stevenson
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Anthony Barile
Avocat
Windsor (Ontario)
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Pour le demandeur
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William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Gatineau (Québec)
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Pour le défendeur
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