Date : 20170412
Dossier : IMM-2348-16
Référence : 2017 CF 365
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
À Ottawa (Ontario), le 12 avril 2017
En présence de monsieur le juge en chef Crampton
ENTRE :
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ENSIEH-ALSADAT MOOSSAVI-ZADEH
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
Dans cette demande, Mme Moossavi-Zadeh demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), rejetant son appel d’une décision rendue par un agent des visas, selon laquelle son mariage à M. Cetin Yildirim n’est pas authentique ou visait l’acquisition d’un statut ou d’un privilège en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).
[2]
Mme Moossavi-Zadeh fait valoir que la décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (la décision) était déraisonnable, parce que la Section d’appel de l’immigration n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants, s’est méprise sur les faits, s’est appuyée sur des principes inadéquats et a tiré des conclusions déraisonnables sur la crédibilité.
[3]
Pour convaincre du bien-fondé de sa demande, Mme Moossavi-Zadeh doit établir que la décision rendue par la Section d’appel de l’immigration était déraisonnable, au regard des deux conclusions d’une importance capitale auxquelles elle est parvenue, à savoir qu’elle n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités (i) que son mariage avec M. Yildirim est authentique et (ii) que le mariage ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR.
[4]
Pour les motifs qui suivent, j’ai jugé que Mme Moossavi-Zadeh n’avait pas démontré que la deuxième conclusion d’une importance capitale était déraisonnable. Je n’aurai donc pas à me pencher sur la conclusion tirée concernant à l’authenticité du mariage.
II.
Contexte
[5]
Mme Moossavi-Zadeh, une citoyenne canadienne, a immigré d’Iran en 2006.
[6]
M. Yildirim, un citoyen turc, a présenté une demande d’asile à son arrivée au Canada, à Montréal, en 2001. Après le rejet de cette demande pour des motifs liés à la crédibilité, une mesure d’interdiction de séjour, qui s’est transformée en mesure d’expulsion par la suite, a été prise à son égard. En 2006, alors que l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) ne parvenait pas à le retrouver pour le renvoyer en Turquie, un mandat d’arrêt a été lancé contre lui.
[7]
En 2003, M. Yildirim a divorcé d’avec sa première épouse, qui habitait en Turquie avec leurs deux garçons.
[8]
Après avoir déménagé de Montréal à Vancouver sans en informer les autorités d’immigration, M. Yildirim a épousé sa deuxième épouse (la deuxième épouse) en novembre 2006. Il est resté marié à sa deuxième épouse pendant la majeure partie du temps où il faisait la cour à Mme Moossavi-Zadeh. Les parties semblent être d’accord sur le fait que M. Yildirim et sa deuxième épouse n’ont jamais habité ensemble. Ils ont divorcé à un moment donné entre la moitié et la fin de l’année 2012.
[9]
Mme Moossavi-Zadeh a divorcé d’avec son premier mari en 2010. Elle a ensuite épousé M. Yildirim, dans le cadre d’une cérémonie civile qui a eu lieu en décembre 2012, après une cérémonie religieuse qui a eu lieu en 2011.
[10]
En août 2013, à la suite d’une entrevue avec un représentant de Citoyenneté et Immigration Canada en lien avec la demande de parrainage par l’époux présentée par Mme Moossavi-Zadeh et sa demande de permis de travail, M. Yildirim a été placé en détention. Après sa mise en liberté, il est parti en Turquie, où il réside actuellement.
[11]
En mai 2014, un agent des visas situé à Ankara a rejeté la demande de parrainage de M. Yildirim aux fins de résidence permanente présentée par Mme Moossavi-Zadeh. Lorsqu’il a pris cette décision, l’agent des visas a, entre autres choses, indiqué que M. Yildirim avait présenté des explications évasives sur l’évolution de sa relation avec Mme Moossavi-Zadeh; qu’il était toujours marié à sa deuxième épouse quand il vivait avec Mme Moossavi-Zadeh; qu’il n’avait pas fourni d’élément de preuve suffisant qui montrait qu’il avait vraiment vécu avec Mme Moossavi-Zadeh; et qu’il n’avait pas produit d’élément de preuve satisfaisant d’une communication continue entre eux.
III.
La décision
[12]
Au cours d’une décision assez longue, la Section d’appel de l’immigration a cerné de nombreuses incohérences dans les témoignages oraux de Mme Moossavi-Zadeh et de M. Yildirim, et a indiqué que divers aspects de leurs éléments de preuve étaient vagues et insatisfaisants. Parmi les incohérences relevées, notons des incohérences inhérentes aux éléments de preuve produits par M. Yildirim et des incohérences dans la preuve produite par Mme Moossavi-Zadeh, sans compter les écarts dans les éléments de preuve documentaire qui n’ont pas été expliqués adéquatement.
[13]
Compte tenu de ces préoccupations, la Section d’appel de l’immigration a conclu que la preuve produite par Mme Moossavi-Zadeh et par M. Yildirim n’était pas crédible ou digne de confiance. À son tour, ce [traduction] « manque de crédibilité sur des questions importantes »
a amené la Section d’appel de l’immigration à accorder une importance moindre aux aspects uniformes de leurs témoignages et aux éléments de preuve documentaire produits.
[14]
La Section d’appel de l’immigration a donc conclu que Mme Moossavi-Zadeh ne s’était pas acquittée de son fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que son mariage à M. Yildirim est authentique et ne visait pas l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR.
IV.
Dispositions législatives applicables
[15]
Dans la présente demande, la question en litige est de savoir s’il était raisonnable pour la Section d’appel de l’immigration de conclure que Mme Moossavi-Zadeh ne s’était pas acquittée de son fardeau en vertu du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Cette disposition est libellée comme suit :
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V.
Question en litige
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Mme Moossavi-Zadeh soutient que la Section d’appel de l’immigration a commis des erreurs de plusieurs façons différentes. Ces erreurs consistent à tirer des conclusions de fait sans tenir compte de la preuve produite, ne pas tenir compte de l’ensemble des éléments de preuve, se méprendre sur les faits, s’appuyer sur des conclusions liées à des questions périphériques, et tirer une conclusion défavorable inadéquate. Pendant l’audience orale, son avocate a reconnu qu’il est possible de regrouper ces questions, par souci de commodité, en une seule, visant à déterminer si la décision était déraisonnable.
VI.
Norme de contrôle
[17]
Il est acquis de part et d’autre que, pour déterminer si un mariage est authentique ou visait l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR, des questions mixtes de droit et de faits sont soulevées, qu’il convient d’examiner selon la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53 [Dunsmuir]).
[18]
En menant son examen selon la norme de la décision raisonnable, la Cour devra déterminer si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
(Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Au moment de mener cette évaluation, la Cour doit se demander si la décision correspond bien au principe de justification, de transparence et d’intelligibilité (voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47 et l’arrêt Canada (Immigration et Citoyenneté) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).
VII.
Analyse
[19]
Mme Moossavi-Zadeh cerne comme première lacune alléguée de la décision le fait qu’elle a mis un accent déraisonnable sur des questions périphériques, surtout en ce qui concerne les deux premières années de sa relation avec M. Yildirim. Je ne suis pas d’accord.
[20]
Après avoir relevé certains aspects uniformes dans leurs témoignages sur leurs premiers contacts, la Section d’appel de l’immigration a relevé un écart dans cet élément de preuve en ce qui concerne leur première relation intime. Il ne s’agissait pas d’une question périphérique dans le contexte de l’espèce.
[21]
La Section d’appel de l’immigration a ensuite abordé d’autres incohérences relatives au moment où Mme Moossavi-Zadeh est tombée enceinte à deux reprises, s’est fait avorter deux fois et utilisait des dispositifs intra-utérins. La Section d’appel de l’immigration a tiré une conclusion défavorable en l’absence d’éléments de preuve documentaire de ces grossesses, en partie en raison de l’ampleur des autres éléments de preuve soumis par Mme Moossavi-Zadeh, dont le total s’élève à environ 1 200 pages. Mme Moossavi-Zadeh soutient que cette preuve documentaire n’aurait pas eu une incidence défavorable sur son appel, sauf si la Section d’appel de l’immigration avait supposé qu’elle aurait pu prouver qu’elle et M. Yildirim n’entendaient pas avoir d’enfants. Toutefois, la Section d’appel de l’immigration a simplement conclu que le défaut de produire des éléments de preuve sur les deux grossesses minait les autres éléments de preuve présentés à cet égard et sur lesquels Mme Moossavi-Zadeh s’est appuyée. Il n’était pas déraisonnable pour la Section d’appel de l’immigration de tirer cette conclusion défavorable, particulièrement en raison des incohérences intrinsèques de ces autres éléments de preuve.
[22]
La Section d’appel de l’immigration a ensuite relevé un certain nombre d’incohérences et d’autres lacunes dans les témoignages de Mme Moossavi-Zadeh et de M. Yildirim en ce qui concerne le moment où leur relation et leurs sentiments réciproques ont commencé. Encore une fois, dans le contexte de la demande présentée par Mme Moossavi-Zadeh pour parrainer M. Yildirim aux fins de résidence permanente au Canada en tant que conjoint, il ne s’agissait pas d’une question périphérique. J’indique aussi que les incohérences en question n’ont pas uniquement été relevées dans les éléments de preuve produits par les deux personnes; on les trouvait également dans les versions différentes des événements données par elles.
[23]
Il est très possible que Mme Moossavi-Zadeh ait commis une erreur, comme elle l’a affirmé, dans sa description des dates pertinentes dans les documents de sa demande écrite. Néanmoins, il n’était pas déraisonnable pour la Section d’appel de l’immigration de conclure qu’elle n’avait pas présenté une explication satisfaisante pour les incohérences et les autres lacunes, d’autant plus qu’elle avait eu le temps de réfléchir avant de remplir sa demande écrite, qui avait été présentée plus près dans le temps du moment où les événements s’étaient effectivement produits.
[24]
Il n’était pas non plus déraisonnable pour la Section d’appel de l’immigration de souligner le fait que Mme Moossavi-Zadeh et M. Yildirim avaient indiqué des dates dans leurs documents écrits qui étaient conformes dans leur inexactitude, par rapport aux dates qu’ils ont indiquées par la suite dans leurs témoignages. Qui plus est, il était raisonnablement loisible à la Section d’appel de l’immigration de conclure que la réponse fournie par M. Yildirim en contre-interrogatoire sur les incohérences en question était vague et insensible.
[25]
Mme Moossavi-Zadeh conteste aussi le traitement des éléments de preuve par la Section d’appel de l’immigration en ce qui concerne la deuxième épouse de M. Yildirim, particulièrement le défaut de la Section d’appel de l’immigration de se pencher sur les explications qu’il a présentées sur le moment de son divorce.
[26]
Dans la décision, la Section d’appel de l’immigration a noté que Mme Moossavi-Zadeh avait indiqué que M. Yildirim avait épousé sa deuxième épouse en 2006, avant qu’il ne la rencontre, et que Mme Moossavi-Zadeh avait indiqué n’avoir aucun problème à ce que M. Yildirim demeure marié à sa deuxième épouse, parce qu’il n’avait pas de relations sexuelles avec elle. La Section d’appel de l’immigration a toutefois fait remarquer ensuite que, lorsqu’on a demandé à Mme Moossavi-Zadeh pourquoi il avait épousé sa deuxième épouse le 22 novembre 2006, après lui avoir déclaré son amour à elle (Mme Moossavi-Zadeh), elle a répondu que c’était parce que M. Yildirim était un homme, qu’il avait des besoins et qu’elle (Mme Moossavi-Zadeh) n’était pas disponible pour lui de 2006 à 2008.
[27]
Il n’était pas déraisonnable pour la Section d’appel de l’immigration de conclure que Mme Moossavi-Zadeh n’avait pas présenté d’explications satisfaisantes pour justifier l’incohérence entre ce dernier témoignage et celui qu’elle avait livré précédemment, où elle avait indiqué que M. Yildirim avait épousé sa deuxième épouse avant de la rencontrer. Il n’était pas non plus déraisonnable pour la Section d’appel de l’immigration de conclure que M. Yildirim avait répondu de manière évasive aux questions posées à cet égard et qu’il n’avait présenté aucune explication logique au fait que sa deuxième épouse tienne à ce qu’il soit son mari [traduction] « sur papier »
. Dans ce contexte général, le fait que M. Yildirim puisse avoir une explication raisonnable quant au moment de son divorce de sa deuxième épouse avait une importance relativement mineure. Quoi qu’il en soit, vu les faits au dossier, il était raisonnablement loisible à la Section d’appel de l’immigration de remettre en doute l’authenticité du mariage entre M. Yildirim et sa deuxième épouse et de tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité à l’encontre de M. Yildirim et de Mme Moossavi-Zadeh.
[28]
Mme Moossavi-Zadeh soutient aussi que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur en ne discutant pas des éléments de preuve documentaire qu’elle a produits à l’appui de sa position selon laquelle elle et M. Yildirim ont commencé à habiter ensemble sur l’avenue Welcher en 2009, malgré le fait qu’ils étaient mariés à d’autres personnes à ce moment-là. Ces éléments de preuve documentaire comprenaient des affidavits de voisins et de membres de la collectivité, ainsi que des éléments de preuve selon lesquels M. Yildirim recevait ses factures de téléphone par courrier électronique, ce qui expliquait pourquoi il ne lui était pas nécessaire de changer l’adresse d’envoi des factures sur papier, à savoir le 663, Whiting Way.
[29]
Les affidavits et les lettres de soutien, ainsi que des déclarations solennelles, ont été mentionnés de façon explicite et générale, vers la fin de la décision, dans le sommaire des conclusions auxquelles la Section d’appel de l’immigration était parvenue. Selon moi, il aurait été préférable d’aborder ces documents de manière plus explicite dans la décision. Toutefois, vu les faits de l’espèce, je suis convaincu que le défaut d’aborder ces éléments de preuve de façon plus détaillée n’a pas rendu la décision déraisonnable. Cela est particulièrement vrai, d’autant plus que les éléments de preuve produits par Mme Moossavi-Zadeh et M. Yildirim quant au moment de leur cohabitation étaient incohérents. Il était donc raisonnablement loisible à la Section d’appel de l’immigration de refuser d’accepter l’explication présentée par M. Yildirim, selon laquelle il était sous le choc et sous pression lorsqu’il a indiqué à l’ASFC, en 2013, qu’il habitait sur Whiting Way et qu’il y habitait depuis son déménagement à Vancouver, en 2005.
[30]
Mme Moossavi-Zadeh a aussi mis en doute l’appui de la Section d’appel de l’immigration à l’égard des antécédents de M. Yildirim en matière d’immigration. Ces antécédents étaient toutefois très pertinents pour la question de la crédibilité de M. Yildirim, une question cruciale dans la décision. Les éléments de preuve liés à ces antécédents comprenaient entre autres l’aveu de M. Yildirim selon lequel il est entré au Canada illégalement avec le passeport d’une autre personne; le fait qu’il ait reconnu avoir présenté une fausse demande d’asile auprès de l’ASFC; et son allégation subséquente selon laquelle il s’était mal exprimé en raison de la pression liée à sa toute première arrestation. Il était raisonnablement loisible à la Section d’appel de l’immigration d’accorder une plus grande importance aux déclarations faites à l’ASFC qu’aux déclarations subséquentes susmentionnées et de tenir compte des anciennes déclarations pour déterminer la crédibilité de M. Yildirim. Il en est de même en ce qui concerne le fait que M. Yildirim n’a pas suivi les conseils de son avocat d’informer des représentants de l’immigration de son déménagement de Montréal à Vancouver.
[31]
Mme Moossavi-Zadeh soutient aussi que la décision a mis un accent excessif sur les deux premières années de sa relation avec M. Yildirim, soit de 2006 à 2008 et qu’elle n’a pas abordé en profondeur les éléments de preuve liés à l’évolution de leur relation après 2008. Je ne suis pas d’accord.
[32]
Le traitement qu’a fait la Section d’appel de l’immigration de la période allant de 2006 à 2008 portait sur la question de l’évolution de la relation entre Mme Moossavi-Zadeh et M. Yildirim, qui en retour était très pertinente pour les questions de la sincérité de la relation et des intentions du couple à ce moment-là. Quoi qu’il en soit, après avoir abordé les éléments de preuve liés à ces années, la Section d’appel de l’immigration a discuté des éléments de preuve liés aux grossesses et aux avortements de Mme Moossavi-Zadeh en 2009 environ, à la bague que M. Yildirim lui a offerte en mars 2009, lorsqu’il l’a demandée en mariage; leur situation dans le ménage au cours de la période allant de 2005 à 2013; les visites de la mère et des sœurs de Mme Moossavi-Zadeh en 2009 et en 2010; le moment de leurs premières discussions sur le parrainage de M. Yildirim par Mme Moossavi-Zadeh aux fins de résidence permanente au Canada, peu de temps après leur mariage, à la fin de l’année 2012; les visites de Mme Moossavi-Zadeh en Turquie après le retour de M. Yildirim dans ce pays, en 2013; l’entrevue qu’il a eue avec l’ASFC en 2013; son divorce de sa deuxième épouse en 2012; les factures de téléphone qui ont continué d’être envoyées à son adresse sur Whiting Way après qu’il eut prétendu avoir emménagé avec Mme Moossavi-Zadeh sur l’avenue Welcher; le mariage de la première épouse de M. Yildirim avec son collègue en 2013; et les éléments de preuve fournis par son père concernant leur mariage civil en 2012 et sa méconnaissance de leur mariage religieux.
[33]
Dans une observation connexe, Mme Moossavi-Zadeh indique que la Section d’appel de l’immigration n’a pas tenu compte ou n’a pas tenu suffisamment compte de divers éléments de preuve ultérieurs à leur mariage civil, en décembre 2012. Dans la mesure où ces éléments permettent de déterminer si la relation entre Mme Moossavi-Zadeh et M. Yildirim est maintenant authentique, ils ne sont pas pertinents pour la question de savoir si leur relation visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR, comme l’indique l’alinéa 4(1)a) du Règlement.
[34]
Je reconnais que certains des éléments de preuve ultérieurs au mariage civil du couple peuvent avoir une influence sur la nature de leurs intentions respectives au moment de ce mariage. Je suis cependant convaincu que la nature des conclusions tirées raisonnablement sur la crédibilité de Mme Moossavi-Zadeh et de M. Yildirim est telle qu’il était raisonnablement loisible à la Section d’appel de l’immigration de s’abstenir de mentionner précisément les éléments de preuve qui auraient dû être abordés dans la décision, selon ce que prétend Mme Moossavi-Zadeh. Cela est particulièrement le cas, d’autant plus que les éléments de preuve en question ne font que corroborer le fait que le mariage et qu’une lune de miel alléguée ont eu lieu, qu’il était soutenu par la famille et les amis et que la relation du couple a continué d’évoluer (au moyen de communications continues et des visites de Mme Moossavi-Zadeh à M. Yildirim en Turquie), jusqu’au point où il est possible que leur mariage soit maintenant authentique.
[35]
Mme Moossavi-Zadeh a aussi fait observer que la Section d’appel de l’immigration n’a pas tenu compte d’éléments de preuve qui corroboraient la preuve qu’elle et M. Yildirim ont produite sur la relation de ce dernier avec M. Recep Gemlik et le fait que le couple soit au courant de la relation de M. Gemlik avec la première épouse de M. Yildirim, et qu’elle n’y a fait aucunement référence.
[36]
M. Gemlik a été l’un des collègues de M. Yildirim pendant deux ou trois ans. Il semble qu’il ait été un ami du colocataire de M. Yildirim lorsqu’il habitait sur Whiting Way, qui permettait à M. Gemlik d’utiliser cette adresse pour certaines communications par courrier. M. Yildirim a continué de permettre à M. Gemlik d’utiliser son adresse à cette fin après le départ de son colocataire. À l’insu de M. Yildirim, semble-t-il, ces communications comprenaient des échanges avec la première épouse de M. Yildirim, que M. Gemlik avait décidé d’épouser, malgré le fait qu’il avait une petite amie et un enfant à cette époque.
[37]
Les éléments de preuve qui n’ont pas été étudiés, selon ce qu’allègue Mme Moossavi-Zadeh, comprennent une transcription de l’entrevue de M. Gemlik avec un représentant de l’ASFC, ainsi qu’une preuve par affidavit présentée par M. Gemlik et ses collègues. Dans ces affidavits, il est indiqué que M. Gemlik n’habite pas à l’adresse de M. Yildirim sur Whiting Way et que M. Yildirim et lui-même n’étaient que des collègues qui interagissaient de temps à autre.
[38]
Je suis convaincu que les affidavits de M. Gemlik et de ses collègues faisaient partie des affidavits et des autres éléments de preuve auxquels la Section d’appel de l’immigration fait expressément référence aux paragraphes 53 et 54 de sa décision.
[39]
Selon moi, la nature des conclusions sur la crédibilité que la Section d’appel de l’immigration a raisonnablement tirées concernant les témoignages de Mme Moossavi-Zadeh et de M. Yildirim était telle qu’elle n’était pas obligée d’aborder précisément le contenu des affidavits de M. Gemlik et de ses collègues. Autrement dit, après avoir raisonnablement conclu que les éléments de preuve produits par Mme Moossavi-Zadeh et M. Yildirim étaient si [traduction] « alambiqués et parfois intrinsèquement incohérents »
qu’ils n’étaient pas crédibles ou dignes de confiance (voir les paragraphes 49 et 55 de la décision), il n’était pas nécessaire que la Section d’appel de l’immigration indique précisément que certains aspects de leurs éléments de preuve incohérents avaient été corroborés par des tiers, y compris M. Gemlik et ses collègues. Il était suffisant pour la Section d’appel de l’immigration de renvoyer à ces éléments de preuve produits par des tiers de la façon générale dont elle l’a fait, aux paragraphes 53 et 54 de sa longue décision. Cela est particulièrement le cas, étant donné ce que la Section d’appel de l’immigration a raisonnablement décrit comme [traduction] « les circonstances très improbables du lien providentiel qui s’est établi entre [M. Gemlik] et la première épouse du demandeur »
et ses deux demandes de parrainage infructueuses présentées pour elle aux fins de résidence permanente au Canada. Quant aux faits particuliers de l’espèce, il était raisonnablement loisible à la Section d’appel de l’immigration de refuser de croire les éléments de preuve produits par M. Yildirim et M. Gemlik sur l’authenticité du mariage de ce dernier à la première épouse du premier.
[40]
Notons, entre autres, les incohérences dans les témoignages de Mme Moossavi-Zadeh et de M. Yildirim sur la première épouse de ce dernier par rapport au fait que Mme Moossavi-Zadeh était au courant du contact entre M. Yildirim et sa première épouse, la nature et l’étendue des communications entre M. Yildirim et sa première épouse et le fait que sa première épouse savait où il habitait.
[41]
La Section d’appel de l’immigration a aussi conclu que les éléments de preuve produits par M. Yildirim sur le fait qu’il était au courant que sa première épouse désirait déménager au Canada n’étaient pas crédibles. Il n’était pas déraisonnable de tirer cette conclusion, d’autant plus que M. Yildirim avait été en contact régulier avec ses fils et avec sa première épouse, et que son témoignage comportait d’importantes incohérences quant à l’étendue de ses contacts avec sa première épouse et le fait que cette dernière savait où il habitait.
[42]
J’indiquerai simplement au passage que, dans son entrevue avec l’ASFC, M. Gemlik a reconnu qu’il avait fait une demande en mariage à la première épouse de M. Yildirim le jour même de leur rencontre, qu’il ne se souvenait pas du moment où il avait fait sa demande ou du jour de leur mariage et qu’il ignorait s’ils étaient toujours mariés.
[43]
Dans ses documents écrits, Mme Moossavi-Zadeh a aussi fait valoir que la Section d’appel de l’immigration n’a pas mené une audience de novo, comme elle est tenue de le faire (voir la décision Castellon Viera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1086, au paragraphe 10). Toutefois, à l’audience de la présente demande, son avocate a précisé que Mme Moossavi-Zadeh voulait simplement dire que la Section d’appel de l’immigration n’avait pas suffisamment tenu compte des éléments de preuve que j’ai maintenant abordés dans les motifs susmentionnés. Il n’y a donc rien de plus à étudier à cet égard.
[44]
Mme Moossavi-Zadeh fait aussi valoir que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur en ne supposant pas que son témoignage et celui de M. Yildirim étaient sincères. Cette présomption s’est toutefois évanouie dès que la Section d’appel de l’immigration a tiré des conclusions défavorables sur la crédibilité d’aspects importants de leurs témoignages.
[45]
Enfin, Mme Moossavi-Zadeh soutient que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve importants, qui contredisaient les conclusions qu’elle avait tirées sur ses intentions et celles de M. Yildirim au moment de leur union civile en décembre 2012 et sur l’authenticité de leur mariage. Les éléments de preuve en question sont ceux que j’ai déjà abordés dans les présents motifs du jugement ci-dessus. Je n’ai donc pas à les aborder de nouveau.
VIII.
Conclusion
[46]
Par les motifs énoncés ci-dessus, la demande est rejetée.
[47]
La décision n’était pas déraisonnable, que ce soit dans son ensemble, ou pour chacun des motifs invoqués par Mme Moossavi-Zadeh.
[48]
À mon avis, il n’était pas déraisonnable pour la Section d’appel de l’immigration de conclure, après avoir évalué relativement longtemps les témoignages livrés par Mme Moossavi-Zadeh et M. Yildirim, et après avoir examiné les éléments de preuve documentaire, que Mme Moossavi-Zadeh ne s’était pas acquittée de son fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que son mariage à M. Yildirim ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR.
[49]
Cette conclusion appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Elle correspond également bien au principe de justification, de transparence et d’intelligibilité.
[50]
Les parties n’ont pas proposé de question aux fins de certification. Étant donné la nature très factuelle des conclusions auxquelles la Section d’appel de l’immigration est parvenue, je conclus que sa décision ne soulève aucune question du genre.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La présente demande est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Paul S. Crampton »
Juge en chef
Traduction certifiée conforme
Ce 27e jour de novembre 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-2348-16
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INTITULÉ :
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ENSIEH-ALSADAT MOOSSAVI-ZADEH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Vancouver (Colombie-Britannique)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 1er mars 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE EN CHEF CRAMPTON
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DATE DES MOTIFS :
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Le 12 avril 2017
|
COMPARUTIONS :
Jane G. Rukaria
|
Pour la demanderesse
|
Hilla Aharon
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jane G. Rukaria
Avocate
Vancouver (Colombie-Britannique)
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Pour la demanderesse
|
William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LE DÉFENDEUR
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