Date : 20170405
Dossier : T-1263-16
Référence : 2017 CF 345
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 5 avril 2017
En présence de madame la juge McDonald
ENTRE :
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STEVE MORRISEY, THOMAS KINGSTON, GILLES LACHANCE, ROBERT MILLAIRE ET RANDELL LATTER
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demandeurs
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Les demandeurs, employés dans le domaine de la technologie de l’information (TI) comme représentants du service à la clientèle au ministère de la Défense nationale à Halifax, en Nouvelle-Écosse, demandent le contrôle judiciaire d’une procédure de grief de classification d’emploi. Ils ont déposé des griefs, soutenant que leurs postes au groupe et niveau CS-01 devraient être reclassifiés à la hausse au niveau CS-02 pour correspondre à celui de leur collègue à Shearwater, en Nouvelle-Écosse. Ils soutiennent que leurs postes comportent des fonctions et des responsabilités identiques. Ils prétendent que le comité de règlement des griefs de classification (le comité), auquel s’est fié le délégué du sous-ministre pour rendre sa décision de maintenir la classification au niveau CS-01, a omis de tenir compte du principe de la relativité interne concernant le poste comparable à Shearwater. Les demandeurs soutiennent que le refus de reclassifier leurs postes au niveau CS-02 était déraisonnable.
[2]
Pour les motifs qui suivent, je juge que la décision du délégué du sous-ministre, qui approuvait les conclusions du comité, était raisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
I.
Exposé des faits
[3]
En 2002, cinq nouveaux postes de groupe et niveau CS-01 ont été créés au sein de la même section du ministère de la Défense nationale, avec pour titre d’emploi : [traduction] « Représentant de l’équipe du service à la clientèle »
. Ces cinq postes avaient les mêmes descriptions de travail et fonctions. Quatre postes se trouvaient à Halifax, et un poste se trouvait à Shearwater.
[4]
En 2008, le poste de Shearwater a obtenu une nouvelle description de travail et une classification à jour au niveau CS-02.
[5]
En 2009, les demandeurs qui occupent les postes à Halifax ont demandé un état complet des fonctions et responsabilités de leurs postes. En 2010, ils ont demandé une description de travail à jour. Malgré cela, la classification des postes des demandeurs est revenue au niveau CS-01.
[6]
En 2011, à la suite de griefs sur la nature du travail, les demandeurs ont reçu une description de travail révisée. La description de travail classifiait les postes au niveau CS-01. Les agents d’évaluation de la classification ont évalué le poste par rapport à la norme de classification du groupe Gestion des systèmes d’ordinateurs (CS) du Conseil du Trésor et le poste de référence compris dans cette norme.
[7]
Après s’être entendus sur une nouvelle description de travail, les demandeurs ont demandé que leur poste de représentant de l’équipe du service à la clientèle soit reclassifié du groupe et niveau CS-01 au groupe et niveau CS-02 au moyen du processus d’examen de la classification.
[8]
Les demandeurs et leur gestionnaire ont tous rempli un questionnaire conjoint, comme l’exige le processus d’examen de la classification. Dans le questionnaire conjoint présenté par Steve Morrissey, ce dernier soutenait que, pour respecter la relativité interne, son poste devait être classifié au même groupe et niveau que le poste CS-02 à Shearwater. Son argument s’appuyait sur le fait que les cinq descriptions de travail initiales pour le service à la clientèle comportaient les mêmes fonctions et le fait qu’on avait éventuellement attribué aux employés affectés à ces postes plus de responsabilités suivant la description de travail de 2002 initiale.
[9]
Dans le rapport relatif à l’entente sur la classification du 12 juillet 2012, les agents d’évaluation de la classification ont conclu que les postes des demandeurs devraient demeurer au niveau CS-01. À la suite de cette décision, les demandeurs ont déposé des griefs de classification.
II.
Décision faisant l’objet du contrôle
[10]
Le comité a été convoqué le 8 juin 2016. Les demandeurs, à l’exception de M. LaChance, ont participé à une audition par voie de conférence téléphonique avec le comité. M. Morrissey était le porte-parole pour tous les demandeurs. Il a soutenu que les fonctions et les responsabilités des demandeurs dans leurs postes actuels sont fondamentalement identiques à celles du poste comparateur à Shearwater. Il a donc soutenu que, pour maintenir la relativité interne, les postes des demandeurs devraient aussi être classifiés au groupe et niveau CS-02.
[11]
Le comité a examiné les arguments et les fonctions et responsabilités des postes des demandeurs dans leur contexte organisationnel. Les membres du comité ont constaté à l’unanimité que les fonctions des demandeurs répondaient à la définition et aux inclusions du groupe professionnel CS dans la fonction publique fédérale. Le comité a recommandé que la classification des postes des demandeurs demeure au groupe et niveau CS-01.
[12]
Cette recommandation a été acceptée par le délégué du sous-ministre, Gilles Moreau, dans une lettre en date du 6 juillet 2016.
[13]
Les demandeurs ont demandé le contrôle judiciaire de la décision de M. Moreau d’approuver les recommandations du comité. Bien que le contrôle judiciaire vise la décision de M. Moreau, en réalité, c’est la décision du comité que M. Moreau accepte qui doit faire l’objet du contrôle, puisque le comité est le décisionnaire « de facto »
(McEvoy c Canada (Procureur général), 2013 CF 685, au paragraphe 41).
III.
Questions en litige
[14]
Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :
- Le comité a-t-il commis une erreur en omettant de traiter la relativité interne?
- Le comité a-t-il fourni des motifs suffisants?
A.
Norme de contrôle
[15]
Les parties sont d’accord pour dire que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable (Boucher c Canada (Procureur général), 2016 CF 546 [Boucher], aux paragraphes 13 et 14).
[16]
On doit accorder un degré élevé de déférence aux décisions du comité de règlement des griefs de classification en raison du haut niveau d’expertise du décideur (Boucher, au paragraphe 13).
[17]
Lors d’un contrôle judiciaire qui est examiné selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit déterminer si la décision peut se justifier au regard des faits et du droit (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], aux paragraphes 15 et 16; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).
B.
Discussion
I.
Le comité a-t-il commis une erreur en omettant de traiter la relativité interne?
[18]
Les demandeurs soutiennent que le comité a omis de tenir compte de leur argument selon lequel leur travail est fondamentalement identique au poste de Shearwater qui a été reclassifié à la hausse au niveau CS-02. Ils soutiennent que le comité a omis de respecter le principe de la relativité interne entre les postes de Halifax et celui de Shearwater.
[19]
Les demandeurs soutiennent, en outre, que le comité a omis d’effectuer l’analyse requise établie à l’annexe B de la Directive sur les griefs de classification [Directive sur les griefs] qui énonce ce qui suit :
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Les demandeurs soutiennent que, à part le fait d’avoir déclaré ne pas pouvoir discerner de différence importante entre les fonctions et les responsabilités des demandeurs et celles du poste comparateur à Shearwater, aucune mention du poste comparateur ou de l’analyse de relativité ne figure dans les constatations du comité.
[21]
En s’acquittant de ses travaux, le comité est guidé par la politique et les directives pertinentes qui décrivent les facteurs dont il doit tenir compte.
[22]
La Politique sur la classification prévoit ce qui suit :
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La Directive sur les griefs déclare ce qui suit à l’article 6.4 :
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On retrouve également, à l’annexe B de la Directive sur les griefs, le mandat du comité, qui est rédigé ainsi :
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En outre, le défendeur met en évidence l’annexe E de la Directive sur la classification [Directive sur la classification] qui déclare :
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Il ressort clairement du mandat de la Directive sur les griefs et de la Directive sur la classification que le comité n’était pas limité à examiner seulement les positions des demandeurs en ce qui concerne le poste de Shearwater. Selon le mandat, le comité doit plutôt, dans ses travaux, tenir compte du contexte de la classification organisationnelle en général.
[27]
De plus, la relativité interne n’est qu’un facteur dont le comité doit tenir compte. Les demandeurs n’ont indiqué qu’un poste de référence pour le comité, qui se trouve à un endroit différent et dans un contexte organisationnel différent par rapport aux postes des demandeurs. Par conséquent, il était non seulement raisonnable, mais nécessaire pour le comité d’adopter une vue plus générale de la question, et finalement de se fier aux données comparatives pour catégoriser convenablement les postes des demandeurs dans leur contexte global. Il était aussi raisonnable pour le comité de considérer les postes au-dessus et en dessous des postes des demandeurs.
[28]
Le comité a évalué de façon appropriée les postes de Halifax dans leur contexte organisationnel général et non pas seulement par renvoi à un poste comparateur indiqué par les demandeurs. En fait, la relativité entre les postes des demandeurs et le poste de Shearwater avait été évaluée dans le cadre du rapport relatif à l’entente sur la classification de 2012, qui déclarait que le contexte organisationnel est différent entre les deux postes.
[29]
Le comité a fourni une analyse détaillée sur la façon dont il a évalué les postes des demandeurs avec les postes comparateurs du groupe professionnel CS dans la fonction publique fédérale. Comme l’a affirmé la Cour dans Maurice c Canada (Conseil du Trésor), 2004 CF 941, au paragraphe 34, « dans le cadre de cet exercice, le Comité a entière discrétion pour décider du poids à donner à certains comparables »
.
[30]
Dans le cadre du contrôle judiciaire, le rôle de la Cour ne consiste pas à réévaluer les éléments de preuve ou à décider du poids qui aurait dû être accordé aux éléments de preuve en ce qui concerne la relativité interne ou l’analyse comparative.
[31]
Même s’il eût été préférable que le comité s’étende davantage sur l’analyse de la relativité à la lumière de son énoncé selon lequel il [traduction] « ne voit pas de différence entre les fonctions et les responsabilités »
entre les postes des demandeurs et celui de Shearwater, le fait que le comité ne l’a pas fait n’est pas une erreur susceptible de révision où la Cour peut intervenir.
[32]
Les recommandations du comité, acceptées par le délégué du sous-ministre, selon lesquelles les postes des demandeurs sont maintenus au groupe et niveau CS-01, sont raisonnables et appartiennent aux issues possibles acceptables. La Cour doit donc leur accorder un degré de déférence.
II.
Le comité a-t-il fourni des motifs suffisants?
[33]
Les demandeurs soutiennent que le comité a omis de fournir son analyse ou une explication de la façon dont il était arrivé à sa recommandation, contrairement aux exigences de l’article 3.8.1 de la Directive sur les griefs.
[34]
Bien que les demandeurs formulent cela comme une question liée à la « suffisance des motifs »
, en réalité, ils reprennent essentiellement l’argument des points soutenus à l’égard du caractère raisonnable de la décision abordés plus haut.
[35]
En outre, je reprendrais l’affirmation du juge Mandamin dans la décision McEvoy c Canada (Procureur général), 2013 CF 685 dans la discussion portant sur l’exigence qui incombe à un comité de règlement des griefs de classification d’examiner les éléments de preuve dans ses motifs :
[79] Les décideurs ne sont pas obligés d’expliquer les raisons pour lesquelles ils n’acceptent pas chacun des éléments de preuve qui leur ont été soumis. Il n’est pas nécessaire que les motifs énumèrent chacun des facteurs imaginables qui ont pu influencer une décision. [...]
[80] Il est toutefois nécessaire que le décideur énonce ses conclusions de fait ainsi que les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ces conclusions. Il doit également aborder dans ces motifs les principaux points en litige. On doit également pouvoir suivre le fil du raisonnement de l’auteur de la décision et être en mesure de constater qu’il a effectivement examiné les principaux facteurs pertinents.
[36]
En l’espèce, le comité a fourni un sommaire des positions des demandeurs et des éléments de preuve présentés. Le comité a noté clairement, en donnant des exemples précis, les raisons pour lesquelles il n’a pas augmenté les cotes des éléments du poste qu’il a évalué (c.-à-d., les exigences en matière d’expérience, les exigences en matière d’études, la portée de la prise de décision et le maintien de contacts).
[37]
Par conséquent, le rapport du comité de règlement des griefs de classification indique les raisons pour lesquelles les postes des demandeurs ont été classifiés de façon appropriée au groupe et niveau CS-01.
[38]
Dans l’arrêt Newfoundland Nurses, la Cour suprême du Canada a maintenu que « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles »
(voir le paragraphe 14).
[39]
En l’espèce, les motifs du comité font partie des issues possibles et sont donc suffisants. Le rapport du comité de règlement des griefs de classification contient les renseignements qu’il doit fournir conformément à la Directive sur les griefs. Les motifs du comité sont donc raisonnables.
JUGEMENT
LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire avec dépens de 3 000,00 $ en faveur du défendeur.
« Ann Marie McDonald »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 18e jour d’octobre 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-1263-16
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INTITULÉ :
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STEVE MORRISEY, THOMAS KINGSTON, GILLES LACHANCE, ROBERT MILLAIRE ET RANDELL LATTER c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Ottawa (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 6 février 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE MCDONALD
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DATE DES MOTIFS :
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Le 5 avril 2017
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COMPARUTIONS :
Steven Welchner
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Pour les demandeurs
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Joel Stelpstra
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Welchner Law Office
Ottawa (Ontario)
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Pour les demandeurs
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William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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Pour le défendeur
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