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Date : 20170224


Dossier : IMM-303-16

Référence : 2017 CF 238

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 février 2017

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

THI GA NGUYEN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La demanderesse, Thi Ga Nguyen (Mme Nguyen) conteste la décision rendue le 15 décembre 2015 par un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) qui a conclu que son père, Van Khai Nguyen (M. Nguyen) était interdit de territoire au Canada pendant une période de cinq ans à compter de la date de la décision. Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande.

II.  Contexte

[2]  Mme Nguyen a présenté une demande afin de parrainer l’immigration de sa famille au Canada dans la catégorie du regroupement familial. La date déterminante pour cette demande était le 8 août 2007. Van Giap Nguyen, le frère de Mme Nguyen, était âgé de 23 ans au moment de la date déterminante. Sur son formulaire de demande daté du 5 mai 2011, il a indiqué qu’il n’avait pas cessé d’être inscrit comme étudiant de septembre 2004 au 5 mai 2011.

[3]  À la demande de CIC, M. Nguyen, le père de Mme Nguyen, a présenté des certificats de police qui ont été reçus par CIC le 13 février 2015. Ces certificats indiquent que M. Nguyen avait été arrêté en 1988 et condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans. CIC a donc planifié une entrevue avec lui, qui devait avoir lieu le 30 novembre 2015.

[4]  Avant que cette entrevue n’ait lieu, Van Giap Nguyen a écrit une lettre à CIC dans laquelle il explique en quoi consistaient ses occupations et indique notamment qu’entre 2012 et 2015, il étudiait à la maison, tentait d’être admis dans des programmes universitaires et cherchait un emploi. Cette lettre a incité CIC à demander à M. Nguyen lors de l’entrevue si son fils étudiait toujours à temps plein, ce à quoi il a répondu que c’était effectivement le cas, précisant que son fils étudiait à temps plein depuis qu’il avait 22 ans. L’agent a alors informé M. Nguyen que ses réponses contredisaient l’information communiquée par son fils.

[5]  Lors de cette même entrevue, l’agent a cherché à savoir si M. Nguyen avait déjà été déclaré coupable d’une infraction. M. Nguyen a confirmé qu’il avait été reconnu coupable d’une infraction en 1988 et avait purgé une peine d’emprisonnement de trois ans. Il a également admis avoir menti au sujet de sa condamnation sur le formulaire actuel ainsi que sur son formulaire de demande de visa de résident temporaire. L’agent l’a avisé que lui et son fils seraient interdits de territoire pour fausses déclarations.

[6]  Le 15 décembre 2015, l’agent a envoyé à M. Nguyen une décision confirmant qu’il était interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations et expliquant que les raisons du rejet de la demande sont les fausses déclarations entourant la période d’études de Van Giap Nguyen et la condamnation antérieure de M. Nguyen. L’agent y conclut que M. Nguyen est interdit de territoire au Canada pour une période de cinq ans à compter de la date de la décision signée.

III.  Questions en litige

[7]  Mme Nguyen soulève les questions suivantes dans le cadre de cette demande :

  1. Y a-t-il eu présentation erronée au sujet de l’admissibilité ou des faits?
  2. Y a-t-il eu manquement au principe d’équité procédurale?

IV.  Norme de contrôle

[8]  La norme de contrôle applicable à la première question est celle de la décision raisonnable (Sharma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1253). Pour la deuxième question qui porte sur l’équité procédurale, la norme applicable est celle de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

V.  Analyse

A.  Question préliminaire

[9]  Une question préliminaire a été soulevée à l’audience par Mme Nguyen, qui a demandé que l’affidavit de l’agent, Thomas Richter, soit radié ou qu’on lui accorde une valeur limitée puisqu’il vient s’ajouter aux motifs en donnant du poids à la preuve et qu’il n’est, de toute manière, pas conforme à la règle 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

[10]  Le juge Pinard a affirmé au paragraphe 10 de l’affaire Khatun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 3, qu’un agent des visas ne peut soumettre d’affidavit durant la procédure de contrôle judiciaire pour tenter d’étayer les motifs donnés dans la décision. Dans l’affaire qui nous occupe toutefois, l’affidavit de l’agent ne vient pas donner du poids à la preuve; il n’a pour objet que d’aider la Cour en lui présentant, dans un format lisible, la même information que celle qui figure dans les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI). Quoi qu’il en soit, même en n’accordant aucune valeur à l’affidavit, les notes du STIDI me sont suffisantes pour confirmer le caractère raisonnable de la décision rendue par l’agent.

[11]  Mme Nguyen allègue dans ses observations un manquement à l’équité procédurale et a déposé son propre affidavit qui comprend des renseignements dont ne disposait pas l’agent. Elle cite également certaines parties de l’affidavit de l’agent des visas dans ses observations de vive voix. Lors de l’audience, l’hypocrisie dont Mme Nguyen a fait preuve dans le cadre de ces procédures a été soulignée.

[12]  Concernant la question préliminaire, je refuse de radier l’affidavit de l’agent Thomas Richter, puisqu’il ne s’ajoute pas aux arguments du défendeur ni ne vient les étayer, les renforcer ou les étoffer et qu’il n’enfreint pas la règle 81 des Règles.

B.  Présentation erronée concernant l’admissibilité ou les faits

[13]  Lorsque Mme Nguyen a déposé sa demande de parrainage dans la catégorie du regroupement familial, une personne à charge était définie comme une personne âgée de moins de 22 ans ou, si elle est âgée de plus de 22 ans, une personne qui faisait des études à temps plein avant d’atteindre cet âge et les a poursuivies par la suite (voir l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227).

[14]  Une interruption dans les études avant d’avoir atteint l’âge de 22 ans n’empêche pas une personne d’avoir qualité d’enfant à charge. Ce que cherche à savoir un agent est si une personne était inscrite dans un programme d’études à temps plein avant d’avoir atteint l’âge de 22 ans et si elle a poursuivi ces études par la suite. Dans le cas qui nous préoccupe, la famille Nguyen a indiqué dans ses demandes que Van Giap Nguyen était un étudiant à temps plein à la charge de ses parents. Aucun motif évident ne permettait de conclure qu’il ne correspondait pas à la définition d’une personne à charge.

[15]  En raison des certificats de police présentés par M. Nguyen, il était tout à fait naturel que l’agent demande la tenue d’une entrevue. Avant la tenue de cette entrevue, Van Giap Nguyen a déposé une lettre dans laquelle il affirmait être un étudiant à temps plein. Il y expliquait aussi quand il avait tenté d’être admis dans des programmes universitaires, cherché du travail et étudié à la maison, précisant les autres cours qu’il avait suivis. Au vu du contenu de la lettre de Van Giap Nguyen reçue par CIC avant l’entrevue, l’agent a voulu savoir s’il était toujours un enfant à charge. Comme je l’ai affirmé plus tôt, c’est lors de cette entrevue que M. Nguyen, après avoir reçu un avertissement, a confirmé ses déclarations antérieures selon lesquelles son fils était un étudiant à temps plein qui n’avait jamais cessé d’étudier.

[16]  Mme Nguyen fait valoir qu’une présentation erronée de faits nécessite la dissimulation d’informations et que ce n’est pas ce que M. Nguyen ou son fils a fait. Elle soutient que, puisque les faits rapportés dans la demande de parrainage dans la catégorie du regroupement familial étaient connus de l’agent, les déclarations faites par M. Nguyen n’étaient qu’un simple malentendu, qu’il n’y a eu en l’espèce aucune présentation erronée de faits matériels, et que l’agent avait omis d’expliquer les dispositions législatives. Il est également allégué que l’agent ne s’est pas acquitté de son obligation d’équité procédurale envers Mme Nguyen, puisqu’il ne cherchait qu’à punir la famille Nguyen pour une déclaration erronée.

[17]  Mme Nguyen soutient que les notes du STIDI n’indiquent pas que l’agent a examiné l’ensemble des faits présentés, contrairement à ce qu’il affirme dans son affidavit, ajoutant que l’agent avait pris sa décision en se fondant sur certaines parties de l’entrevue de son choix, et non le dossier dans son ensemble, ce qui lui enlève tout caractère raisonnable.

[18]  À l’inverse, le défendeur soutient que la décision de l’agent est raisonnable et que les faits s’apparentent à ceux d’une affaire ayant été tranchée récemment, soit l’affaire Tran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 805 (Tran). Dans cette affaire, la Cour a conclu que l’agent était tenu d’examiner les éléments de preuve présentés pour confirmer que le fils ne correspondait pas à la définition d’enfant à charge. Aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), emporte interdiction de territoire pour fausses déclarations le fait pour un résident permanent ou un étranger de « directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi ». Le défendeur soutient que c’est précisément ce que l’agent a fait en l’espèce.

[19]  Pour donner du poids à son argumentation, le défendeur cite l’affaire Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 RCF 3, plus précisément le paragraphe 46, où il est indiqué qu’une réticence sur un fait important concernant les études et sur la véritable qualité d’« enfant à charge » constitue une fausse déclaration.

[20]  À la lecture du dossier, je suis portée à croire que l’agent a tenu compte de tous les faits lui ayant été présentés, d’autant plus que je ne trouve aucun élément de preuve matériel n’ayant pas été mentionné dans les notes du STIDI. Cet argument ne peut donc être retenu.

[21]  Je conclus que la décision est raisonnable. Le dossier n’appuie pas les arguments de Mme Nguyen tels qu’ils ont été présentés par l’avocat. Pour étayer son argumentation, Mme Nguyen cite des faits découlant de ce qu’elle affirme maintenant à la Cour concernant ce à quoi M. Nguyen pensait au moment de faire certaines déclarations et la signification qu’il avait alors attribuée, selon elle, au terme « études ». Il nous est impossible de dire ce à quoi M. Nguyen pensait véritablement. D’après les faits dont nous disposons cependant, l’agent a posé des questions à M. Nguyen au sujet des études de son fils et lui a fait part de ses préoccupations; la décision, lorsqu’elle est lue parallèlement avec les notes du STIDI, démontre hors de tout doute que le père a fait une déclaration trompeuse à ce sujet.

[22]  Les circonstances de l’espèce sont différentes de celles des affaires citées par Mme Nguyen pour étayer son argumentation, à savoir Lamsen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 815 (Lamsen) et Shah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 1012 (Shah). Dans l’affaire Lamsen susmentionnée, un agent à Manille avait rejeté la demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) pour le motif que la demanderesse avait fait une fausse déclaration au sujet de son expérience de travail à titre d’infirmière. Un agent avait contacté l’hôpital pour vérifier les antécédents professionnels et les postes occupés par la demanderesse. À la suite de cette communication, l’agent avait envoyé une lettre relative à l’équité procédurale à la demanderesse, qui avait ensuite expliqué les erreurs dans les dates et fourni des certificats d’emploi pour confirmer les faits. Au vu de ces faits, le juge Diner était arrivé à la conclusion qu’il n’y avait pas eu manquement à l’obligation d’équité procédurale puisque la demanderesse avait été informée par lettre des préoccupations de l’agent et que l’obligation d’équité procédurale envers les demandeurs de visa se situe au bas du spectre. Cela dit, le juge Diner avait également conclu que la décision était déraisonnable parce que l’agent n’avait pas examiné de manière adéquate l’ensemble de la demande.

[23]  Comme je l’ai indiqué plus tôt, dans l’affaire dont je suis saisie, l’agent a examiné la demande présentée par la famille Nguyen dans son intégralité. C’est Mme Nguyen qui, au contraire, n’a présenté qu’un seul élément de preuve en faisait fi de tous les autres venant contredire son argumentation.

[24]  La deuxième affaire citée par Mme Nguyen est l’affaire Shah, précitée. Dans cette affaire, le juge Gleeson devait examiner une décision dans laquelle une citoyenne de l’Inde comptable de profession s’était vu refuser la résidence permanente en vertu de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). L’agent, pour confirmer les antécédents d’emploi de la demanderesse, avait fait des recherches sur Internet et des vérifications téléphoniques, en plus de téléphoner à son fils, mais n’avait pas contacté l’employeur. Le fils avait affirmé à l’agent que la demanderesse n’était pas une employée. Un an plus tard, la demanderesse a reçu une lettre relative à l’équité procédurale et sa demande a été rejetée au motif qu’elle avait fait de fausses déclarations. Dans cette affaire, l’agent avait omis de prendre en considération les renseignements transmis par des tiers qui corroboraient l’emploi de la demanderesse, et des lacunes avaient été relevées au regard de la lettre relative à l’équité procédurale. Le juge Gleeson était arrivé à la conclusion que la décision était déraisonnable puisque l’agent n’avait pas expliqué pourquoi il avait privilégié la preuve du fils et n’avait pas contacté l’employeur.

[25]  Les faits en l’espèce sont différents de ceux de l’affaire dont avait été saisi le juge Gleeson. Les faits en l’espèce démontrent que l’agent, en plus de passer en entrevue M. Nguyen et son fils, a tenu compte des documents présentés avant et après la lettre relative à l’équité procédurale. Dans une décision claire et transparente, l’agent a énoncé les raisons qui l’ont poussé, au vu de la preuve dans son intégralité, à conclure qu’il y avait eu présentation erronée de faits. Je conclus donc que la décision de l’agent était raisonnable.

C.  Déni d’équité procédurale

[26]  Mme Nguyen soutient qu’en raison des conséquences graves d’une interdiction de territoire, il y a une obligation d’équité des plus strictes envers les demandeurs, ce dont elle n’a pas bénéficié. Je ne peux être d’accord.

[27]  M. Nguyen avait été prévenu des préoccupations de CIC au moyen de lettres et de courriels relatifs à l’équité procédurale. L’interprète présent lors de l’entrevue a confirmé que M. Nguyen avait compris les sujets discutés et n’avait eu aucune difficulté à répondre à l’une ou l’autre des questions de l’agent. Certes, les conséquences d’une conclusion de présentation erronée sont graves, mais l’obligation d’équité procédurale envers les demandeurs de visa est minime. Même si ce n’était pas le cas, j’estime que l’obligation d’équité procédurale envers la famille Nguyen a été adéquatement remplie et que celle-ci avait fort bien compris les préoccupations de l’agent.

[28]  Enfin, Mme Nguyen a avancé que l’agent avait fait peser sur sa famille le fardeau de démontrer sur le plan du droit que le fils avait qualité d’enfant à charge en vertu de la loi. Il s’agit d’une interprétation erronée de ce qui s’est réellement produit en l’espèce. Il a été demandé à maintes reprises et de différentes manières à la famille Nguyen si le fils n’avait jamais cessé d’être un étudiant à temps plein. Selon la norme de la décision correcte, je ne décèle aucune erreur dans l’équité procédurale dont a bénéficié la famille Nguyen.

[29]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[30]  Aucune question n’a été soumise aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-303-16

 

INTITULÉ :

THI GA NGUYEN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER FÉVRIER 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE :

LE 24 FÉVRIER 2017

 

COMPARUTIONS :

Mohsen Seddigh

Pour la demanderesse

Suran Bhattacharyya

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cecil L. Rotenberg

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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