Date : 20170221
Dossier : T-856-16
Référence : 2017 CF 201
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 21 février 2017
En présence de monsieur le juge Phelan
ENTRE :
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WAYNE ROBBINS
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demandeur
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et
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NORTHERN INDUSTRIAL CARRIERS (MACDOUGAL TRANSPORT INC)
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défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
Il s’agit en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un arbitre nommé par le ministre du Travail au sujet d’un appel visant un recouvrement de salaire conformément à la partie III du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 » (le Code).
La plainte initiale du demandeur avait été examinée par un inspecteur de la Direction des normes de l’emploi (inspecteur).
[2]
Le nom exact de la défenderesse est « Northern Industrial Carriers (MacDougal Transport Inc.) »
et l’intitulé a été modifié pour tenir compte de l’orthographie correcte.
[3]
Cette procédure a été quelque peu compliquée, puisque la défenderesse n’a déposé aucun document pour faire rejeter le contrôle judiciaire du demandeur et le procureur général du Canada a avisé la Cour qu’il n’interviendrait pas.
[4]
Le demandeur, M. Robbins, s’est représenté lui-même, à toutes les étapes du différend portant sur le salaire qui lui a été versé.
[5]
La défenderesse a comparu à l’audience sur le contrôle judiciaire représentée par son dirigeant, M. Roth.
M. Robbins s’est présenté à l’audience, quoiqu’en retard, et l’affaire fut prête à être instruite. La défenderesse devait être représentée par un avocat conformément à l’article 120 des Règles des Cours fédérales. Dans les circonstances, les issues possibles étaient de procéder sans la défenderesse, de repousser l’affaire à une date ultérieure ou d’autoriser la défenderesse à être représentée par M. Roth.
[6]
À mon avis, un ajournement serait coûteux pour tous et constituerait un gaspillage des ressources judiciaires, et poursuivre l’instruction en l’absence de la défenderesse serait inéquitable. Par conséquent, il existait des circonstances particulières qui justifiaient la représentation de la société défenderesse par un dirigeant.
[7]
Le demandeur a admis que sa véritable plainte à cette étape-ci portait sur le refus de l’arbitre d’accorder des dépens. Même si cette question sera traitée, par souci d’exhaustivité, la Cour abordera les autres questions soulevées dans les documents écrits.
[8]
Comme on l’a signalé au demandeur à l’audience, la Cour n’est pas ici pour instruire à nouveau le différend, mais plutôt pour procéder au contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre quant au caractère raisonnable de celle-ci.
[9]
Les lois pertinentes en cause sont les suivantes :
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2
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Règlement sur la durée du travail des conducteurs de véhicules automobiles, C.R.C. (1978), ch. 990
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II.
Rappel des faits
[10]
Le présent contrôle judiciaire se rapporte à l’emploi du demandeur pour la période du 4 novembre au 19 novembre 2013 en tant que chauffeur de classe 1 pour le compte de la défenderesse. Tout au long du différend, le demandeur a fait valoir l’allégation selon laquelle son véritable employeur était Northern Industrial Carriers [NIC] et MacDougal Transports [MacDougal], bien que les deux entreprises soient liées.
Comme cela a été clairement démontré à l’audience, les deux entités sont gérées par la même structure opérationnelle et partagent les mêmes dirigeants et superviseurs; toutefois, les employés de NIC sont membres d’un syndicat alors que ce n’est pas le cas pour ceux de MacDougal.
[11]
Le demandeur a été engagé le 1er novembre 2013, après quoi il a reçu une formation pour ensuite être affecté le 13 novembre 2013 au transport « lourd »
.
[12]
Le demandeur a fait part, dans le cadre de sa plainte, du taux de salaire horaire et du taux de kilométrage applicable au camionnage long parcours [CLP] auxquels il avait droit.
[13]
Le demandeur s’est également plaint du nombre d’heures qui lui ont été créditées et du type de travail (transport long parcours par rapport au transport local) enregistré.
[14]
Le 18 novembre 2013, le demandeur a été impliqué dans une collision alors qu’il conduisait son camion. Il a été congédié le 19 novembre 2013.
[15]
Étant donné qu’il n’a pas reçu ce que, selon lui, son employeur lui devait, le demandeur a déposé sa plainte auprès de la Direction des normes de l’emploi à Edmonton. L’inspecteur a tiré une conclusion préliminaire le 16 avril 2015 selon laquelle un montant de 1 407,12 $ était dû au demandeur, montant qui comprenait le salaire, la rémunération des heures supplémentaires et l’indemnité de vacances.
[16]
Suivant la réception des oppositions du demandeur à ces conclusions préliminaires, l’inspecteur a révisé le montant dû à 1 174,68 $. C’est ce montant, moins les déductions, qui a été versé au demandeur.
[17]
Dans une autre décision du 10 juin 2015, l’inspecteur a déterminé que les autres éléments de la plainte de M. Robbins étaient non fondés. Il appert que la demande d’adjudication de dépens du demandeur au montant de 1 500 $ a été rejetée sans motifs.
[18]
Le demandeur a interjeté appel de la décision auprès de l’arbitre. La décision de l’arbitre a été rendue le 29 avril 2016, puis elle a été communiquée le ou vers le 7 mai 2016 et fait l’objet du présent contrôle judiciaire.
[19]
L’arbitre a conclu que l’ordonnance émise par l’inspecteur ne devait être modifiée qu’à deux égards : en ce qui a trait aux montants peu élevés du salaire et de l’indemnité de vacances. L’arbitre a conclu que le demandeur avait droit à une somme supplémentaire de 195,20 $ en salaire et de 7,81 $ en indemnités de vacances.
[20]
Quant à la question du nom de l’employeur, l’arbitre a pris connaissance des faits selon lesquels MacDougal était détenu et exploité par NIC, les chèques versés à M. Robbins émanaient de MacDougal, les deux sociétés exerçaient leurs activités dans les mêmes locaux, et c’est la même personne qui supervisait l’embauche, la formation, et la sécurité pour les deux sociétés. L’arbitre a également noté que M. Robbins n’a fourni aucun nouveau renseignement pour démontrer que l’inspecteur a commis une erreur à cet égard.
[21]
L’arbitre a accepté la feuille de temps de l’employeur comme élément de preuve. L’arbitre a également conclu qu’il n’y avait eu aucune erreur commise dans les déductions relatives aux pauses, aucune autre pour avoir rejeté les demandes d’heures supplémentaires, ni aucune autre dans les conclusions de l’inspecteur concernant le taux horaire ou le taux de kilométrage après que la formation eut été terminée. À cet égard, l’inspecteur a privilégié le témoignage et la preuve écrite de l’employeur. Ces conclusions se sont fondées sur la politique de l’entreprise relative aux taux de salaire et à la rémunération au rendement (à l’égard de laquelle le demandeur n’était pas admissible en raison de son accident).
[22]
En ce qui concerne la majoration pour heures supplémentaires, l’arbitre a noté que l’inspecteur avait conclu qu’en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur la durée du travail des conducteurs de véhicules automobiles, C.R.C. (1978), ch. 990, les heures normales de travail pour un conducteur de véhicule routier de classe 1, comme le demandeur, étaient de 60 heures par semaine. Par conséquent, les heures supplémentaires sont payables seulement pour les heures travaillées au-delà de ce montant, ce qui ne s’est pas produit en l’espèce.
[23]
En ce qui concerne l’allégation du demandeur selon laquelle le superviseur avait accepté de le payer conformément aux règlements provinciaux, l’arbitre a préféré la preuve de l’employeur et le point de vue selon lequel le superviseur n’avait pas le pouvoir de prendre de telles dispositions et l’employeur était régi par la réglementation fédérale.
L’arbitre n’a pu trouver d’erreurs dans la conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas droit à la majoration pour heures supplémentaires. Le demandeur n’a pas présenté de documents à l’appui de sa demande et n’a pas pu démontrer qu’il avait travaillé au-delà des 60 heures de travail par semaine.
[24]
Quant à l’indemnité de départ, en plus de renvoyer à la conclusion de l’inspecteur selon laquelle le demandeur avait travaillé pendant moins de trois mois consécutifs, l’arbitre a conclu, tout en rejetant d’autres arguments avancés par le demandeur, que le Code est précis quant aux critères applicables à l’indemnité de départ et que le demandeur ne respectait pas ces critères.
[25]
Enfin, en ce qui concerne les dépens, l’arbitre a jugé qu’il n’y avait pas lieu en l’espèce d’adjuger des dépens, faisant remarquer qu’il n’y avait pas eu d’abus de procédure de la part de MacDougal, que le demandeur s’était représenté lui-même, et qu’il n’avait fourni aucun élément de preuve concernant son allégation selon laquelle il lui avait été nécessaire d’abandonner un travail rémunéré afin de préparer son dossier. Enfin, l’arbitre a conclu que les dépens ne s’appliquaient pas aux actions antérieures à la plainte ou aux mesures prises par l’inspecteur.
III.
Analyse
[26]
Le mémoire du demandeur indique qu’il conteste la décision de l’arbitre sur tous les points examinés dans la description de la décision. Cette position a changé à l’audience, devenant ainsi une contestation d’une adjudication d’aucuns dépens.
[27]
Il n’y a qu’une seule question soulevée en l’espèce, celle de savoir si la décision de l’arbitre répond à la norme de contrôle applicable, soit la norme de la décision raisonnable.
[28]
Dans la décision Bellefleur c. Laval Diffusion Inc, 2012 CF 172, 405 FTR 47 [Bellefleur], le juge de Montigny a établi de manière succincte que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique aux questions de fait et celle de la décision correcte aux questions d’équité procédurale.
[29]
Il est important de soulever que le juge de Montigny a présenté brièvement les fondements du degré élevé de déférence dont il faut faire preuve à l’égard de l’arbitre. Les paragraphes 251.12(6) et (7) du Code constituent des clauses privatives non équivoques qui laissent entendre qu’il faille faire preuve d’une grande déférence :
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De plus, les arbitres ont une expérience et une connaissance approfondie du milieu des relations de travail, et bénéficient d’une plus grande expertise que cette Cour.
[31]
Enfin, le juge de Montigny a noté que les dispositions pertinentes ont pour objet la résolution rapide des différends de manière à permettre aux employés de percevoir les sommes qui leur sont dues. La nature réparatrice de ces dispositions et la nécessité d’un règlement rapide des différends attestent de la latitude considérable accordée aux arbitres et de la limite prévue du pouvoir de la Cour à intervenir.
[32]
Dans l’affaire qui nous intéresse, comme dans la décision Bellefleur, les questions dont a été saisi l’arbitre étaient de nature factuelle. La Cour ne serait justifiée d’intervenir que dans la mesure où la décision de l’arbitre ne relève pas des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, conformément à l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.
[33]
Par conséquent, la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à l’égard de la décision de l’arbitre est la norme de la décision raisonnable, et la Cour devrait faire preuve d’une grande déférence à l’égard des arbitres.
La simple allégation d’iniquité procédurale, qui ne contient aucun détail et est dénuée de fondements, ne permet pas à la Cour d’entreprendre une autre enquête sur cette question.
[34]
Le demandeur ne m’a pas convaincu qu’il y avait quelque chose de déraisonnable dans la décision de l’arbitre. Examinée dans son ensemble, la décision portait sur le fondement factuel de chaque aspect du litige. Dans de nombreux cas, l’arbitre a choisi d’accorder davantage de poids aux documents et aux éléments de preuve de l’employeur qu’à ceux du demandeur (comme ce fut le cas pour l’inspecteur). À cet égard, l’arbitre était mieux placé pour procéder à ces évaluations que la Cour.
[35]
Les conclusions de l’arbitre reposaient sur un fondement factuel correct. Qu’il s’agisse des conclusions de l’employeur en fonction de sa description des activités qu’il exerce ou des heures de travail et des taux de salaire étayés par ses propres dossiers, les conclusions tirées par l’employeur reposaient sur un fondement raisonnable.
[36]
Il faut lire la décision de l’arbitre dans son ensemble. Il y avait, dans le dossier même du différend, suffisamment de matériel pour permettre à un arbitre d’en venir aux conclusions qu’il a tirées. Il ne revient pas à la Cour de douter de la décision ou d’y substituer sa propre solution.
[37]
Quant à la principale question en litige à l’audience, le demandeur a affirmé qu’il avait dépensé l’équivalent de 3 300 $ de son temps dans la poursuite de sa réclamation de 1 100 $. Le demandeur a affirmé que ce montant de 3 300 $ constituait la moitié de son taux horaire (100 $ par heure) multiplié par le temps consacré à ce différend.
[38]
Abstraction faite de la sagesse financière que constitue le fait de renoncer à un salaire de 6 600 $ pour poursuivre une réclamation de 1 100 $ en salaire, il n’y avait aucune preuve qui permettait de corroborer quelque partie que ce soit de cette allégation.
[39]
Non seulement les causes invoquées par le demandeur peuvent se distinguer, mais elles ont été présentées à l’arbitre et sont présumées avoir été examinées. L’octroi de dépens relève du pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel il y a également lieu de faire preuve de déférence.
[40]
Je ne vois aucune erreur de fait ou de principe qui justifierait l’ingérence de la Cour dans cet aspect de la décision de l’arbitre.
[41]
Par conséquent, je ne vois aucune raison pour laquelle le demandeur devrait avoir gain de cause.
IV.
Conclusion
[42]
La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée sans frais.
JUGEMENT
LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire sans dépens.
« Michael L. Phelan »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-856-16
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INTITULÉ :
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WAYNE ROBBINS c. NORTHERN INDUSTRIAL CARRIERS (MACDOUGAL TRANSPORT INC)
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Edmonton (Alberta)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 14 février 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE PHELAN
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DATE DES MOTIFS :
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Le 21 février 2017
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COMPARUTIONS :
Wayne Robbins
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Pour le demandeur
(POUR SON PROPRE COMPTE)
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Gary Roth
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
S.O.
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Pour le défendeur
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