Dossier : T-1080-16
Référence : 2017 CF 262
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 3 mars 2017
En présence de madame la juge Kane
ENTRE :
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RODICA MITER
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demanderesse
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
La demanderesse, Mme Rodica Miter, demande le contrôle judiciaire de la décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (Division d’appel), datée du 30 mai 2016. La Division d’appel a rejeté son appel interjeté à l’encontre de la décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale (Division générale) en application de l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 (la Loi). La Division générale a conclu que l’appel de Mme Miter interjeté à l’encontre du refus de lui verser des prestations d’invalidité aux termes du Régime de pensions du Canada, LRC (1985), c C-8 (RPC) n’avait aucune chance raisonnable de succès.
I.
Résumé des faits
[2]
Mme Miter raconte qu’elle a subi une intervention chirurgicale en 2003 et que depuis cette période, elle éprouve de nombreux symptômes qui ont de graves conséquences sur sa santé et sa capacité à travailler. Selon elle, les médecins ont rejeté ou mal diagnostiqué à plusieurs reprises son état de santé.
[3]
Mme Miter a demandé des prestations d’invalidité du RPC en 2013. Dans sa demande de prestations, elle a déclaré qu’elle n’avait pas été en mesure de travailler dans son entreprise de tentures sur mesures et d’aménagement intérieur depuis 2011 en raison de son état de santé invalidant. Dans sa demande de réexamen, elle a déclaré que son invalidité a commencé en 2003.
[4]
Sa demande a été rejetée en novembre 2013, puis de nouveau après un réexamen en février 2014, parce qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences en matière de cotisations pour la période où elle faisait valoir qu’elle était invalide.
[5]
Mme Miter a interjeté appel de la décision devant la Division générale. La Division générale a rejeté sommairement l’appel le 18 août 2015 lorsqu’elle a conclu que l’appel n’avait pas de chance raisonnable de succès. La Division générale a conclu que la période cotisable de la demanderesse était de 2004 à 2010, mais qu’elle n’a versé des cotisations qu’en 2007 et en 2010, ce qui ne respectait pas les exigences selon lesquelles elle devait avoir versé des cotisations pendant quatre des six années de la période de cotisation pertinente, soit la période précédant la demande de prestations, ou avoir versé des cotisations valides pendant au moins 25 années, dont trois au cours des six dernières années.
[6]
Mme Miter a ensuite interjeté appel de la décision de la Division générale devant la Division d’appel. Elle a fait valoir que la Division générale n’avait pas respecté un principe de justice naturelle et qu’elle avait commis des erreurs de fait. Elle a soutenu qu’elle était incapable de travailler en raison de son état de santé et que la Division d’appel aurait dû tenir compte de ses dossiers médicaux supplémentaires.
II.
La décision de la Division d’appel faisant l’objet du contrôle
[7]
La Division d’appel a conclu que Mme Miter n’avait pas effectué les cotisations requises pendant la période pertinente et qu’elle n’avait pas contesté ce fait. Comme elle n’a pas satisfait à deux des exigences législatives pour être admise au bénéfice des prestations d’invalidité (qui sont les cotisations valides et l’établissement d’une invalidité pendant la période pertinente), l’appel ne pouvait être accueilli. La Division d’appel a conclu que la Division générale n’avait pas commis d’erreur de fait et que l’allégation de Mme Miter quant au manquement à un principe de justice naturelle semblait fondée sur sa prétention concernant une erreur médicale et qu’elle n’était pas liée à la procédure devant la Division générale.
[8]
La Division d’appel a conclu que la Division générale a énoncé et appliqué à juste titre le critère à respecter en vue d’un rejet sommaire et qu’elle a conclu à juste titre que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès selon les éléments de preuve dont elle était saisie.
[9]
La Division d’appel a examiné les arguments de Mme Miter selon lesquels la Division générale aurait dû tenir compte de ses rapports médicaux et des opinions médicales. La Division d’appel a conclu que l’établissement d’une invalidité n’est qu’une partie des exigences d’admissibilité aux prestations d’invalidité du RPC. L’autre exigence est de verser les cotisations durant la période minimale d’admissibilité. Mme Miter ne l’a pas respectée. Il n’était donc pas nécessaire d’examiner les renseignements médicaux pour évaluer la question de savoir s’ils établissaient une invalidité prolongée.
III.
La norme de contrôle applicable
[10]
L’unique question dans le présent contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de la Division d’appel de rejeter l’appel de Mme Miter est raisonnable.
[11]
La norme de contrôle des décisions de la Division d’appel d’accorder ou de rejeter une autorisation d’interjeter appel est celle de la décision raisonnable (Reinhardt c Canada (Procureur général), 2016 CAF 158, au paragraphe 15; Atkinson c Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, aux paragraphes 22 à 33).
[12]
Pour déterminer si une décision est raisonnable, la Cour doit établir « l’existence d’une justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel »
ainsi qu’examiner « si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
(Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190).
[13]
Comme elle l’a été expliquée à l’audience, la norme de la décision raisonnable est un concept juridique interprété par la jurisprudence. Il se peut qu’elle ne tienne pas compte de ce que Mme Miter considère comme raisonnable selon son point de vue, puisque cette expression est utilisée selon un langage simple.
IV.
Les observations de la demanderesse
[14]
Mme Miter fait valoir que son invalidité, qui a commencé par une intervention chirurgicale en 2003, l’a empêchée de travailler de façon continue et donc de cotiser au RPC pendant les années subséquentes. Elle explique que si elle avait reçu un traitement et un diagnostic appropriés, sa santé ne se serait pas détériorée et elle aurait pu continuer de travailler et de cotiser au RPC. Elle explique également que si les médecins qu’elle a consultés avaient reconnu leur mauvais diagnostic ou lui avaient fourni les documents médicaux justificatifs nécessaires, elle aurait pu présenter sa demande de prestations plus tôt. Mme Miter fait valoir qu’elle ne pouvait obtenir de rapports médicaux des médecins qui dissimulaient leur mauvais diagnostic au sujet de son état de santé.
[15]
Dans la présente demande de contrôle judiciaire, Mme Miter a présenté un compte rendu écrit décrivant en détail ses problèmes de santé, une chronologie de sa demande de diagnostic et de traitement auprès de plusieurs médecins, des copies de lettres de plusieurs médecins qui ont été présentées à la Division générale et à la Division d’appel ainsi qu’une copie de la décision du 29 avril 2016 de la Commission d’appel et de révision des professions de la santé de l’Ontario qui a tenu compte des résultats d’une enquête portant sur les allégations de Mme Miter contre des médecins qui l’ont traitée, principalement pendant la période entre 2011 et 2013.
[16]
Mme Miter fait remarquer qu’elle a cotisé au RPC pendant toute sa vie active, mais qu’elle n’a pu le faire plus récemment parce que sa santé s’est détériorée. Elle demande pourquoi un examen plus approfondi de ses cotisations dans le passé ne peut être utilisé pour lui permettre d’obtenir des prestations dont elle a maintenant besoin, y compris pour payer ses médicaments.
V.
Les observations du défendeur
[17]
Le défendeur reconnaît la description par Mme Miter de son grave état de santé et il compatit avec cette dernière.
[18]
Le défendeur explique que le RPC est un régime contributif qui offre des prestations lorsque les critères d’admissibilité sont respectés. Les critères d’admissibilité au régime sont stricts et rigides; un demandeur doit être invalide, selon la définition du RPC, et respecter les exigences de cotisation pour la période pertinente. Le défendeur reconnaît que Mme Miter a cotisé au RPC dans le passé. Les registres du défendeur indiquent que des cotisations ont été faites de 1979 à 1982, de 1985 à 1988, en 2000 et en 2001, en 2007 et en 2010.
[19]
Toutefois, le défendeur fait remarquer que Mme Miter ne respectait pas les exigences d’admissibilité en vue d’obtenir une pension d’invalidité du RPC, que son invalidité soit survenue en 2003, au moment de son intervention chirurgicale, ou en 2011, comme elle l’a déclaré dans sa première demande de prestations. Mme Miter a demandé des prestations en 2013. La période pertinente de six ans pour évaluer ses cotisations est de 2007 à 2013. Mme Miter a cotisé pendant seulement deux ans (en 2007 et en 2010) plutôt qu’au cours des quatre années requises durant la période pertinente de six ans.
[20]
Le défendeur soutient que la Division d’appel n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que la Division générale a, à juste titre, rejeté sommairement l’appel puisque ce dernier n’avait pas de chance raisonnable de succès.
VI.
La Division d’appel n’a pas commis d’erreur
[21]
Mme Miter se trouve dans une situation très malheureuse. Elle décrit des problèmes de santé de longue date qui l’empêchent de travailler et de cotiser au RPC. Elle fait maintenant valoir qu’elle a besoin de prestations d’invalidité du RPC parce qu’elle demeure invalide, qu’elle ne peut travailler et qu’elle a des frais médicaux et des médicaments.
[22]
Même si la Cour compatit énormément aux problèmes de santé de Mme Miter, la question dont elle est saisie est celle de savoir si la Division d’appel a commis une erreur lorsqu’elle a appliqué le droit qui régit les appels interjetés à l’encontre du refus de ses demandes de prestations.
[23]
Je conclus que la Division d’appel n’a pas commis d’erreur; elle a correctement appliqué le droit aux faits dont elle était saisie.
[24]
La Division d’appel a fait remarquer les exigences d’admissibilité aux prestations d’invalidité du RPC, qui sont les suivantes : avoir moins de 65 ans; ne pas avoir reçu de pension de retraite du RPC; être invalide; avoir versé des cotisations valides pendant au moins la période minimale d’admissibilité.
[25]
La période minimale d’admissibilité est établie au paragraphe 44(2) du RPC et, selon son explication la plus simple, dispose qu’un demandeur doit avoir cotisé pendant quatre des six années de la période cotisable pertinente ou versé des cotisations valides pendant au moins 25 années, dont trois dans les six dernières années.
[26]
Mme Miter a cotisé en 2007 et en 2010. Dans sa demande de prestations de 2013, elle a déclaré que son invalidité a commencé en 2011 et qu’elle a cessé de travailler à cette époque. De toute évidence, elle n’a pas cotisé pendant quatre des six années de la période cotisable pertinente. Elle n’a pas contesté ce fait devant la Division générale, la Division d’appel ou notre Cour.
[27]
La Division d’appel a abordé les motifs d’appel soulevés par Mme Miter et elle a conclu qu’ils ne tenaient pas compte des motifs d’appel établis à l’article 58 de la Loi, qui sont les seuls motifs d’appel, et lequel prévoit entre autres que la Division d’appel rejette la demande d’autorisation d’interjeter appel [traduction] « si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès »
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[28]
Selon le paragraphe 58(1) de la Loi, les seuls motifs d’appel sont les suivants :
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Pour simplifier ce qui précède, les motifs d’appel sont limités à ce qui suit : a) une violation de l’équité procédurale, qui porte sur le processus devant le décideur, comme la question de savoir si un demandeur a eu la possibilité de présenter des observations; b) une erreur de droit, comme l’application de dispositions législatives ou de principes de jurisprudence incorrects; et c) une erreur de fait, comme ne pas tenir compte d’un fait pertinent ou de mal le comprendre.
[30]
Comme l’a fait remarquer le juge Manson dans Canada (Procureur général) c O’Keefe, 2016 CF 503 :
[29] Il ressort clairement de la LMEDS que l’intention du législateur est de permettre à la DA-TSS d’entendre uniquement les appels reposant sur un moyen d’appel et qui ont une chance raisonnable de succès. La LMEDS n’attribue pas un large pouvoir discrétionnaire à la DA-TSS pour décider d’une permission d’en appeler. Si la DA-TSS accorde une permission d’en appeler dans des cas autres que ceux prévus à l’article 58, elle s’écarte du pouvoir délégué qui lui est conféré par sa loi constitutive.
[31]
Dans Pleasant-Joseph c Canada (Procureur général), 2009 CAF 173, la Cour d’appel a examiné l’appel interjeté à l’encontre d’un refus de prestations d’invalidité du RPC en raison de l’omission de la demanderesse de respecter les exigences de cotisation. La Cour d’appel a mentionné ce qui suit au paragraphe 3 :
[3] Je suis incapable de trouver dans la décision de la Commission une erreur qui nous aurait autorisés à intervenir. Comme la Commission, la Cour est tenue d’appliquer les dispositions du Régime et elle ne peut en faire abstraction pour remédier à ce qu’on pourrait considérer ou percevoir comme un résultat inéquitable et/ou injuste.
[32]
La même conclusion s’applique en l’espèce. Le rôle de la Cour n’est pas d’établir l’admissibilité d’un demandeur à des prestations d’invalidité. Même si c’était le rôle de la Cour, cette dernière ne peut écarter les exigences claires en matière d’admissibilité de la Loi.
[33]
L’existence d’un grave état de santé en soi ne suffit pas pour permettre l’attribution de prestations d’invalidité du RPC. Un demandeur doit aussi prouver qu’il a cotisé pendant au moins la période minimale d’admissibilité, comme l’exige le paragraphe 44(2) du RPC.
[34]
La décision de la Division d’appel de rejeter l’appel est fondée sur les dispositions de la loi et les éléments de preuve dont elle était saisie. Le rôle de la Cour est de décider si la Division d’appel a rendu une décision raisonnable fondée sur les faits et le droit. La décision de la Division d’appel de confirmer la décision de la Division générale selon laquelle l’appel de Mme Miter n’avait aucune chance raisonnable de succès est raisonnable. En outre, c’est la seule décision que la Division d’appel pouvait rendre.
[35]
La Cour comprend la frustration de Mme Miter qui a déposé plusieurs appels en ce qui concerne le refus de ses prestations, ce qui lui a probablement donné le faux espoir que des prestations lui seraient versées. Elle demande pourquoi le RPC ne peut être interprété de façon plus libérale afin de mieux respecter ses besoins et ceux des autres cotisants. Notre Cour doit appliquer le droit et elle ne peut alléger les exigences de ce régime contributif complexe de prestations sociales. La même chose s’applique à la Division d’appel, à la Division générale et aux décideurs du ministère de l’Emploi et du Développement social.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucuns dépens ne sont accordés.
« Catherine M. Kane »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 26e jour de septembre 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-1080-16
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INTITULÉ :
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RODICA MITER c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 7 février 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE KANE
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DATE DES MOTIFS :
|
Le 3 mars 2017
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COMPARUTIONS :
Rodica Miter
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Pour la demanderesse
RODICA MITER
|
Sandra Doucette
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Pour le défendeur
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Aucune
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Pour la demanderesse
RODICA MITER
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William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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