Date : 20170316
Dossier : IMM-2617-16
Référence : 2017 CF 282
À Ottawa (Ontario), le 16 mars 2017
En présence de madame la juge Strickland
ENTRE :
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AHMAD CHEHADE
RAFIFA HAMOUD
IBRAHIM CHEHADE
YARA CHEHADE
MOHAMAD CHEHADE
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 6 juin 2016 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, qui a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).
Contexte
[2]
Les demandeurs sont une famille de cinq personnes; ils sont tous Palestiniens apatrides qui détiennent des titres de voyage libanais. Le demandeur principal, Ahmed Chehade, et les trois demandeurs mineurs sont nés au Royaume d’Arabie saoudite (Arabie saoudite). La demanderesse, Rafifa Hamoud, est née aux Émirats arabes unis et a déménagé en Arabie saoudite lorsqu’elle a épousé le demandeur principal. Les demandeurs ont résidé en Arabie saoudite ou aux Émirats arabes unis toute leur vie.
[3]
La famille voyageait occasionnellement au Liban pour des vacances ou pour rendre visite à leur famille. Ils prétendent que, lors de l’une de ces visites, en juin 2013, le demandeur principal a été agressé et poignardé par des membres de Jund al-Sham au camp de réfugiés d’Ein El Helweh, où il demeurait. Il a été hospitalisé pendant trois jours et affirme avoir reçu des menaces contre lui et sa famille de la part de Jund al-Sham au cours de cette période. Les demandeurs ont écourté leurs vacances et sont retournés en Arabie saoudite.
[4]
Les demandeurs prétendent que le 15 novembre 2015, le demandeur principal a été avisé que son emploi en Arabie saoudite avait pris fin. Le demandeur principal a tenté de trouver un nouveau parrain avant le 15 février 2016, date à laquelle il était obligé de quitter l’Arabie saoudite s’il n’arrivait pas à trouver un emploi. Étant donné qu’il n’y était pas parvenu, et craignant de se faire renvoyer au Liban où ils seraient exposés à un risque, la famille a obtenu des visas pour les États-Unis et ils s’y sont rendus en avion le 7 février 2016. Ils sont entrés au Canada le 12 février 2016 et ont demandé l’asile au point d’entrée.
[5]
Les demandeurs prétendent craindre d’être persécutés à la fois au Liban et en Arabie saoudite. Ils allèguent qu’ils n’ont pas de droit légitime de retourner en Arabie saoudite étant donné que la résidence temporaire du demandeur là-bas dépendait de son emploi. Par conséquent, s’ils y retournaient, ils seraient expulsés vers le Liban, où leurs vies seraient en danger.
La décision faisant l’objet du contrôle
[6]
La Section de la protection des réfugiés a cerné quatre questions dans la demande. Les questions consistaient à savoir si les demandeurs avaient établi leur identité; s’ils étaient crédibles; quel était leur pays de résidence habituelle; et s’ils avaient une crainte bien fondée d’être persécutés dans leur pays de résidence habituelle.
[7]
En ce qui concerne leur identité, le commissaire était convaincu que tous les demandeurs étaient des Palestiniens apatrides qui voyageaient avec des titres de voyage libanais.
[8]
En ce qui concerne la crédibilité, la Section de la protection des réfugiés a mentionné quelques préoccupations, mais a conclu que le demandeur principal était généralement crédible. De plus, la Section de la protection des réfugiés a soutenu qu’il avait fourni des éléments de preuve corroborants en ce qui concerne l’incident au Liban. La Section de la protection des réfugiés était convaincue que, selon la prépondérance des probabilités, l’incident avait bien eu lieu.
[9]
La Section de la protection des réfugiés a indiqué qu’étant donné que les demandeurs étaient apatrides, il fallait déterminer leur pays de résidence habituelle. C’était assez simple puisque les demandeurs n’avaient résidé qu’en Arabie saoudite, ou, dans le cas de la demanderesse, aux Émirats arabes unis, mais elle résidait en Arabie saoudite depuis qu’elle avait épousé le demandeur principal plusieurs années auparavant. La Section de la protection des réfugiés a relevé l’argument de l’avocat selon lequel le Liban devrait être considéré comme le pays de résidence habituelle de la famille; toutefois, elle a décidé que ce n’était pas le cas étant donné que les demandeurs avaient passé peu de temps là-bas et n’avaient pas l’intention de demeurer longtemps ou de façon permanente au Liban. Elle a conclu que l’Arabie saoudite était leur pays de résidence habituelle.
[10]
La Section de la protection des réfugiés a noté que les iqamas des demandeurs, c’est-à-dire leurs permis de séjour saoudiens, indiquaient qu’ils étaient valables jusqu’à la fin de 2016. Ceci suggérait fortement que la famille pouvait retourner en Arabie saoudite, donc cela signifiait que le droit de retour n’était pas pertinent.
[11]
La Section de la protection des réfugiés a également relevé l’observation de l’avocat des demandeurs affirmant que les Palestiniens subissent une discrimination en Arabie saoudite en raison de leur nationalité. Toutefois, étant donné la réussite du demandeur principal et le fait que la famille n’avait pas eu de problèmes en Arabie saoudite, la Section de la protection des réfugiés n’a pas accepté qu’ils fissent l’objet de discrimination.
[12]
La Section de la protection des réfugiés a conclu que l’Arabie saoudite était le pays de résidence habituelle des demandeurs. Le demandeur principal avait indiqué que la famille n’avait eu aucun problème là-bas, autre que la perte de son emploi, et la Section de la protection des réfugiés a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi une crainte bien fondée de persécution en Arabie saoudite et qu’ils n’étaient pas des personnes à protéger en raison de problèmes rencontrés en Arabie saoudite à cause de leur origine ethnique palestinienne. En outre, la Section de la protection des réfugiés a conclu que leurs iqamas étaient encore valables jusqu’à la fin de l’année et qu’ils pouvaient donc retourner en Arabie saoudite. Par conséquent, leurs demandes ont été rejetées.
Questions en litige et norme de contrôle
[13]
Bien que dans leurs observations par écrit les demandeurs aient énuméré plusieurs questions, à mon avis, elles sont toutes comprises dans la question de savoir si la décision de la Section de la protection des réfugiés était raisonnable, attirant par là le contrôle selon cette norme (Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1355, aux paragraphes 11 et 12; Choudry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1406, au paragraphe 18). Lorsqu’elle contrôle le caractère raisonnable d’une décision, la Cour de révision se préoccupe surtout de l’existence d’une justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, mais aussi de la question de savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).
Position des parties
La position des demandeurs
[14]
Les demandeurs soutiennent que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur lorsqu’elle a écarté ou mal interprété leur preuve selon laquelle leur statut d’immigrant en Arabie saoudite avait toujours été celui de résidents temporaires, qui devait être renouvelé chaque année, et qu’ils n’avaient pas le droit de retourner en Arabie saoudite. Cela s’explique par le fait que le permis de résidence temporaire du demandeur principal avait cessé d’être valide lorsque son emploi avait pris fin et qu’il n’avait pas réussi à obtenir un nouvel emploi avant le 15 février 2016, date à laquelle le demandeur principal devait trouver un parrainage d’emploi, quitter l’Arabie saoudite ou être expulsé. En outre, les demandeurs soutiennent qu’ils craignaient de subir des préjudices de la part des autorités saoudiennes s’ils tentaient de rentrer sans employeur-parrain.
[15]
Les demandeurs soutiennent également que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en concluant que le Liban n’était pas le pays de résidence habituelle des demandeurs. Le Liban est leur pays de résidence habituelle étant donné que les demandeurs ont des titres de voyage libanais pour réfugiés palestiniens. Les demandeurs renvoient à l’article 28 de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies, RT Can. 1969 no 6, à l’appui de cette position. Ils soutiennent que la Section de la protection des réfugiés a omis de prendre en considération leur lien avec le Liban, y compris leur reconnaissance par les Nations Unies, leurs liens familiaux, le temps passé au Liban et la délivrance des titres de voyage. Le Liban leur a délivré des titres de voyage pour réfugiés palestiniens vraisemblablement parce qu’il considère qu’ils sont des réfugiés qui demeurent de façon légitime dans leur territoire et qu’il a une obligation juridique envers eux. À cet égard, la Cour d’appel fédérale dans Thabet c Canada [1998] 4 CF 21 (CAF) (Thabet), au paragraphe 28, a reconnu qu’il fallait maintenir une symétrie entre les citoyens et les apatrides et les demandeurs soutiennent qu’une méthode détaillée permettant de déterminer un pays de référence doit se faire au moyen du passeport ou du titre de voyage que l’on détient. En l’espèce, les demandeurs détiennent des titres de voyage libanais, par conséquent il est logique de conclure que le Liban est un pays de référence ou un pays de résidence habituelle. Le Liban est le seul pays où ils peuvent retourner. En outre, s’ils y retournent, les demandeurs sont en danger, étant donné que la Section de la protection des réfugiés a conclu que la preuve du demandeur principal en ce qui concerne l’agression au Liban était crédible.
Position du défendeur
[16]
Le défendeur soutient qu’il incombait aux demandeurs d’établir qu’ils étaient en dehors de l’Arabie saoudite, quel était leur pays de résidence habituelle, en raison d’une crainte bien fondée de persécution en application de l’un des motifs de la Convention (Maarouf c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1329 (CFPI), au paragraphe 33 (Maarouf); Thabet, au paragraphe 16; Arafa c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993], ACF no 1286 (CFPI), au paragraphe 8 (Arafa).
[17]
En outre, il soutient que la Section de la protection des réfugiés n’a pas écarté la preuve du demandeur principal selon laquelle son emploi avait pris fin, qu’il n’avait pas réussi à trouver un nouvel emploi, et que parce qu’il était sans emploi, sa famille n’était pas en mesure de retourner en Arabie saoudite. Au contraire, la Section de la protection des réfugiés a fait remarquer que, bien que le demandeur principal prétende avoir recherché un emploi avant de venir au Canada, il n’avait présenté aucun document à l’appui de ce fait. De plus, elle a relevé que les iqamas des demandeurs étaient valables jusqu’à la fin de l’année, ce qui suggérait fortement que les demandeurs pouvaient retourner en Arabie saoudite. Le défendeur soutient également que Daghmash c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 149 FTR 280 (CFPI) (Daghmash) ne s’applique pas étant donné que dans cette affaire-là l’iqama du demandeur était périmé. En tout état de cause, son raisonnement soutient en réalité la décision de la Section de la protection des réfugiés.
[18]
Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la Section de la protection des réfugiés de conclure que le Liban n’était pas le pays de résidence habituelle des demandeurs, conclusion appuyée par la jurisprudence de notre Cour. Dans Kadoura c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1057 (Kadoura), la Cour a rejeté l’argument d’un Palestinien apatride soutenant que le Liban devait être considéré comme son pays de résidence habituelle même si, dans les faits, il n’y avait jamais résidé. En outre, l’argument des demandeurs selon lesquels la Section de la protection des réfugiés aurait dû examiner s’ils étaient en mesure de retourner en Arabie saoudite avant de conclure que c’était leur pays de résidence habituelle est contraire à la conclusion de notre Cour dans Maarouf, au paragraphe 44, qui soutient qu’un demandeur d’asile n’a pas à être légalement capable de retourner dans un pays afin que ce pays soit son pays de résidence habituelle. Également, dans Salah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 944 (Salah), la Cour a fait observer qu’il n’était pas certain que la Section de la protection des réfugiés était tenue d’examiner une demande à l’égard d’un pays simplement parce que le demandeur détenait un passeport lui permettant de résider et de travailler dans ce pays (aux paragraphes 1 et 5).
Analyse
[19]
La LIPR définit les réfugiés au sens de la Convention et les personnes à protéger comme suit :
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Notre Cour a conclu dans un arrêt antérieur qu’il était clair d’après la définition de réfugié au sens de la Convention que les personnes apatrides, c’est-à-dire celles qui n’ont pas de pays d’origine, peuvent être des réfugiés au sens de la Convention. Toutefois, tout apatride n’est pas un réfugié au sens de la Convention. Pour qu’une personne apatride qui se trouve en dehors du pays qui était son pays de résidence habituelle et qui n’est pas en mesure de retourner dans ce pays soit réfugiée au sens de la Convention, elle doit se trouver dans cette situation en raison d’une crainte bien fondée de persécution pour un ou plusieurs motifs cités dans la définition de la Convention (Thabet, au paragraphe 16; Arafa, aux paragraphes 7 et 8; Salah, aux paragraphes 7 et 8). En outre, le droit de retour refusé peut être considéré comme de la persécution, et de la sorte faire partie de l’évaluation par la Section de la protection des réfugiés d’une crainte bien fondée de persécution (Thabet, au paragraphe 32; Daghmash, au paragraphe 9). Il incombe au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne peut ou ne veut retourner dans aucun des pays où il a eu sa résidence habituelle (Thabet, au paragraphe 28).
[21]
La jurisprudence est également claire sur le fait que la détermination du pays de résidence habituelle d’une personne apatride est essentiellement une question de fait (Kruchkov c Canada (Procureur général), [1994] ACF no 1264 (CFPI), au paragraphe 9; Marchoud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1471, au paragraphe 10 (Marchoud), Salah, au paragraphe 5). Et, pour établir la résidence habituelle, un demandeur doit établir une résidence de facto pendant une période importante dans le pays en question (Maarouf, au paragraphe 44; Kadoura, aux paragraphes 14 et 19). De plus, des titres de voyage délivrés par les autorités libanaises dans des circonstances semblables n’ont pas été considérés comme une preuve concluante pour établir la résidence habituelle (Kaddoura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1101, au paragraphe 19; Kadoura, au paragraphe 15).
[22]
En l’espèce, la preuve dont la Section de la protection des réfugiés était saisie était que la famille n’avait jamais résidé au Liban. Ils s’y rendaient à l’occasion pour des vacances ou pour voir de la famille. Le demandeur principal et les demandeurs mineurs sont nés en Arabie saoudite et la demanderesse y résidait depuis son mariage. Étant donné qu’ils n’ont pas établi une résidence de facto au Liban pendant une période importante, ils n’ont pas été en mesure d’établir que c’était leur pays de résidence habituelle. Le simple fait de détenir des titres de voyage libanais n’a pas résolu ce problème. Par conséquent, à mon avis, la Section de la protection des réfugiés n’a pas commis d’erreur en concluant que c’est l’Arabie saoudite, et non le Liban, qui était le pays de résidence habituelle des demandeurs.
[23]
La Section de la protection des réfugiés a également souligné que la preuve du demandeur principal indiquait qu’il n’avait eu aucun problème en Arabie saoudite, autre que la perte de son emploi. La Section de la protection des réfugiés a rejeté l’argument selon lequel les demandeurs avaient subi de la discrimination en Arabie saoudite en raison de leur origine palestinienne, étant donné la réussite du demandeur principal et le fait qu’il n’avait pas eu de problème là-bas. À mon avis, selon le dossier dont elle était saisie, la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle les demandeurs n’avaient pas établi une crainte bien fondée de persécution en Arabie saoudite, et qu’ils n’étaient pas des personnes à protéger, était raisonnable.
[24]
Les demandeurs soutiennent également que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur, parce qu’elle était tenue d’aller plus loin et d’examiner si les demandeurs seraient exposés à un risque au Liban. Toutefois, dans Marchoud la Cour a conclu que, étant donné que la Section de la protection des réfugiés avait décidé que les Émirats arabes unis étaient le seul pays de résidence habituelle du demandeur, elle n’était pas tenue d’examiner la crainte du demandeur au Liban (Marchoud, aux paragraphes 4 et 13, citant Thabet, au paragraphe 30). Le demandeur dans Marchoud, comme en l’espèce, soutenait également que la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur en concluant qu’il pouvait retourner aux Émirats arabes unis sans examiner la possibilité d’un refoulement par les Émirats arabes unis vers le Liban. La juge Tremblay-Lamer a conclu que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas, d’après les définitions figurant aux alinéas 96 b) et 97(1) a) de la LIPR (alors nommée la Loi sur l’immigration et les réfugiés), à se livrer à cet examen. De plus, une telle analyse serait purement théorique puisque le risque devrait être évalué le jour de l’audition et non pas au moment où un tel refoulement par les Émirats arabes unis pourrait éventuellement avoir lieu.
[25]
Par conséquent, à mon avis, la seule question en litige soulevée par les demandeurs est celle de savoir si la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en n’examinant pas leur droit de retour en Arabie saoudite. Sur ce point, la Section de la protection des réfugiés a déclaré :
[traduction]
[...] Ces iqamas, qui sont les permis de séjour saoudiens du demandeur, indiquent que tous les demandeurs ont actuellement des permis de séjour valables en Arabie saoudite, qui sont valables jusqu’au [sic] de cette année. Cela donne fortement à penser que la famille peut retourner en Arabie saoudite, ainsi, le droit de retour n’est pas pertinent en l’espèce.
[...]
Ils n’y ont pas eu de problème [en Arabie saoudite]. Leurs iqamas sont encore valides jusqu’à la fin de la présente année, et ils peuvent donc retourner au Royaume d’Arabie saoudite. Par conséquent, je rejette les demandes d’asile des demandeurs d’asile pour les motifs mentionnés précédemment.
[26]
Des copies des iqamas pour tous les demandeurs se trouvaient dans le dossier dont la Section de la protection des réfugiés était saisie. Les iqamas ont été délivrés par le ministère de l’Intérieur d’Arabie saoudite et indiquent une date d’échéance au 24 septembre 2016. Ce qui signifie qu’apparemment, ils étaient valables au moment de l’audience et au moment où la Section de la protection des réfugiés a rendu sa décision. Étant donné que, selon la preuve du demandeur, il était bien clair que la famille n’avait eu aucun problème en Arabie saoudite, ce qu’ils n’ont pas contesté dans le cadre du contrôle judiciaire, et étant donné que l’Arabie saoudite était leur pays de résidence habituelle, la Section de la protection des réfugiés pouvait, pour ce motif, raisonnablement rejeter les demandes sans examiner leur droit de retour.
[27]
Toutefois, les demandeurs font valoir que la Section de la protection des réfugiés a omis d’examiner ou a mal interprété la preuve selon laquelle, suite à la cessation d’emploi du demandeur principal, son iqama avait été annulé. Par conséquent, la famille n’avait pas de droit de retour.
[28]
Dans Thabet, la Cour d’appel fédérale énonce que le critère pour établir le statut de réfugié pour les personnes apatrides est le suivant (au paragraphe 30) :
Pour se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, une personne apatride doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle serait persécutée dans l’un ou l’autre des pays où elle a eu sa résidence habituelle et qu’elle ne peut retourner dans aucun de ces pays.
[29]
La Cour d’appel fédérale a ensuite abordé la déclaration selon laquelle le juge de première instance avait commis une erreur en ne se posant pas la question fondamentale de savoir si la négation du droit de l’appelant (un Palestinien apatride) de retourner au Koweït, ou en n’en discutant d’aucune façon, constituait en soi un acte de persécution. La Cour d’appel fédérale a déclaré que, pour s’assurer qu’un demandeur a droit à juste titre au statut de réfugié au sens de la Convention, la Section de la protection des réfugiés devait se demander pourquoi l’appelant se voyait refuser l’entrée dans un pays où il avait sa résidence habituelle, parce que le motif de la négation de ce droit peut, dans certaines circonstances, constituer un acte de persécution par l’État.
[30]
En l’espèce, à la date de l’audience initiale du 13 avril 2016, la Section de la protection des réfugiés a demandé au demandeur principal où étaient les iqamas pour la famille. Le demandeur principal a témoigné qu’ils ne les avaient pas, et qu’ils n’en avaient pas non plus de copies, étant donné qu’on les leur avait pris lorsque la famille a quitté définitivement l’Arabie saoudite. La Section de la protection des réfugiés a ajourné l’audience afin d’inviter le ministre à intervenir sur la question de l’identité. Le ministre a refusé et, lorsque l’audience a repris le 6 juin 2016, de nouveaux documents ont été présentés par les demandeurs. Le demandeur principal a témoigné qu’il avait demandé à son père de chercher dans les affaires du demandeur principal à son ancien domicile en Arabie saoudite, son père l’a fait et a envoyé par un service de messagerie des documents qui comprenaient les iqamas. Le statut de ces derniers a été abordé alors à l’audience, les parties pertinentes de la transcription sont les suivantes :
[traduction]
LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Quel est le statut actuel de votre iqama en Arabie saoudite?
L’INTERPRÈTE : Pardon?
LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Quel est le statut actuel de votre iqama en Arabie saoudite?
DEMANDEUR D’ASILE no 1 : Notre statut en Arabie saoudite a été annulé parce qu’ils voulaient qu’on parte. Ils voulaient qu’on quitte le pays.
PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : D’accord. Donc – mais votre iqama indique qu’il est toujours valable.
DEMANDEUR D’ASILE no 1 : Parce que ce statut, les iqamas, doit être renouvelé chaque année. Lorsque la personne était – qui vous a parrainé, une fois qu’elle vous empêche de travailler, pour vous empêcher de (inaudible) vous demande de partir ou vous devez quitter le pays, c’est tout. Vous devez présenter votre iqama ou statut et il sera annulé. Et je dois présenter cet iqama ou ce statut à mon – à la personne qui m’a parrainé et cela l’annulera – il sera annulé.
PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : D’accord. Donc, je l’ai vérifié hier, puisque vous pouvez vérifier ces choses en ligne, et il est encore valable.
DEMANDEUR D’ASILE no 1 : Oui, il est valable. Il est valable pour une année, peut-être jusqu’en décembre – je ne suis pas certain, le 23 décembre ou je ne suis pas certain jusqu’à quel jour il est valable. Mais la personne qui vous a parrainé, elle met fin à votre emploi, c’est fini. Elle vous retirera votre statut et vous n’avez aucun droit de (inaudible). Tant que vous êtes étranger, vous êtes sous la responsabilité des Saoudiens, le – Par Saoudiens, j’entends l’entreprise où je travaillais.
[31]
La Section de la protection des réfugiés n’établit pas la source des renseignements en ligne qui étaient mentionnés comme indiquant que l’iqama du demandeur principal était valable. Toutefois, le demandeur principal ne le conteste pas et reconnaît que son iqama était toujours valable, peut-être jusqu’à la fin de l’année, mais semble suggérer que son employeur-parrain est en mesure de révoquer son statut de résident ou de faire en sorte qu’il soit révoqué.
[32]
À cet égard, le demandeur principal a également présenté une lettre de congédiement en date du 15 novembre 2015, qui énonce que son emploi prenait fin à partir du 15 décembre 2015, et que [traduction] « selon la Loi saoudienne sur l’emploi, vous devez soit transférer votre parrainage à une autre entreprise, soit quitter le pays au plus tard le 15 février 2016 »
. La Section de la protection des réfugiés n’a pas mentionné cette lettre dans ces motifs, mais elle avait été mentionnée et discutée à l’audience.
[33]
Le demandeur principal a également indiqué, dans son témoignage, qu’il avait posé sa candidature pour [traduction] « de nombreux »
emplois en Arabie saoudite, qu’il avait cherché dans son réseau, et qu’il avait présenté son CV à des entreprises, mais qu’il n’en avait aucune preuve parce que [traduction] « elles ne vous donnent rien quand vous soumettez votre CV »
. Dans sa décision, la Section de la protection des réfugiés a signalé que, tandis que le demandeur principal prétendait avoir recherché un autre emploi en Arabie saoudite après son licenciement, elle n’était saisie d’aucune preuve pour établir ce fait.
[34]
La Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur principal était crédible de manière générale, et n’a pas fait de conclusions défavorables en ce qui concerne la crédibilité à l’égard de la lettre de l’employeur. À mon avis, la conclusion de fait de la Section de la protection des réfugiés que les demandeurs ont le droit de retourner en Arabie saoudite en raison de leurs iqamas valables, laquelle conclusion est, dans une certaine mesure, contredite par le témoignage du demandeur principal à l’audience et la lettre de licenciement, donne lieu à une préoccupation. Toutefois, la Section de la protection des réfugiés ne l’aborde pas dans ses motifs.
[35]
Cela dit, il incombait aux demandeurs de produire une preuve suffisante pour appuyer leur position et le témoignage du demandeur principal sur ce point n’est pas particulièrement clair. Dans tous les cas, la preuve était manifeste que les demandeurs ne satisfaisaient pas à la définition de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger, ainsi, la décision de la Section de la protection des réfugiés était, en fin de compte, raisonnable. Dans le contexte de l’alinéa 96(b), il ne s’agit pas de personnes qui, en raison d’une crainte bien fondée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social particulier ou de leurs opinions politiques particulières, sont en dehors de leur pays de résidence habituelle, l’Arabie saoudite, et ne sont pas en mesure de retourner dans ce pays. Surtout, étant donné que les demandeurs n’ont pas quitté l’Arabie saoudite en raison d’une crainte bien fondée de persécution, le fait qu’ils prétendent ne pas pouvoir y retourner ne suffit pas à lui seul pour leur permettre de répondre à la définition de la Convention. En outre, ils ont expliqué la raison pourquoi ils ne peuvent pas y retourner, à savoir que leur iqamas n’étaient plus valables parce que le demandeur principal avait perdu son emploi. Ainsi, même si les iqamas ne sont plus valables, leur révocation n’était pas en soi un acte de persécution, et les demandeurs ne l’ont pas soutenu non plus. La jurisprudence n’appuie pas non plus cette position (Daghmash, aux paragraphes 9 et 11; Marchoud, aux paragraphes 16 et 17).
[36]
Par conséquent, même si la Section de la protection des réfugiés a indiqué qu’elle n’était pas tenue d’examiner le droit de retour, étant donné que les iqamas étaient valables, elle avait déjà conclu que les demandeurs n’avaient pas une crainte bien fondée de persécution en Arabie saoudite, leur pays de résidence habituelle. Par conséquent, même si elle a commis une erreur en n’examinant pas les éléments de preuve des demandeurs à l’appui de leur déclaration qu’en raison du licenciement du demandeur principal les iqamas n’étaient plus valables, la décision est toujours raisonnable étant donné qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier à l’égard des faits et du droit.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et l’affaire n’en soulève aucune.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Cecily Y. Strickland »
Juge
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-2617-16
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INTITULÉ :
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AHMAD CHEHADE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 25 janvier 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE STRICKLAND
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DATE DES MOTIFS :
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Le 16 mars 2017
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COMPARUTIONS :
John Rokakis
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POUR LES DEMANDEURS
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Monmi Goswami
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POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
John Rokakis
Avocat
Windsor (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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