Date : 20170314
Dossier : IMM-3527-16
Référence : 2017 CF 273
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 14 mars 2017
En présence de monsieur le juge Phelan
ENTRE :
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SKY BLUE TRANSPORT LTD
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par une agente d’Emploi et Développement social Canada (l’agente) ayant rejeté la demande d’étude d’impact sur le marché du travail présentée par la demanderesse. La décision défavorable repose sur le manque [traduction] d’« authenticité »
de l’offre d’emploi, compte tenu des exigences d’expérience excessives pour l’emploi : l’exigence selon laquelle les conducteurs de grand routier doivent posséder une ou deux années d’expérience.
[2]
L’article 203 est la disposition pertinente du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement] :
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La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et le Règlement établissent un régime aux termes duquel les employés canadiens peuvent engager des travailleurs étrangers de façon temporaire, afin de répondre à la pénurie de travailleurs et de travailleurs qualifiés. Les exigences du paragraphe 203(1) doivent être satisfaites pour qu’un agent délivre un permis de travail. L’exigence de l’alinéa a), pertinente en l’espèce, est énoncée ci-dessus.
[4]
La question de l’authenticité d’une offre d’emploi est régie par le paragraphe 200(5) du Règlement :
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Les postes pour lesquels des études d’impact sur le marché du travail sont sollicitées sont classés par groupes professionnels dans le système de la Classification nationale des professions. Des lignes directrices sont publiées pour aider les agents à décider, au cas par cas, si les exigences professionnelles sont compatibles avec les exigences en matière d’expérience énoncées dans la Classification nationale des professions.
II.
Contexte factuel
[6]
M. Ranjit Bhangoo est le directeur et la personne-ressource de l’employeur, c’est-à-dire la demanderesse. Il a publié des offres d’emploi en janvier 2016 pour des postes de conducteurs de grand routier possédant au moins une ou deux années d’expérience. Il a réussi à embaucher un seul candidat canadien compétent.
[7]
Le 28 juillet 2016, l’agente a procédé à un examen préalable au moyen d’un entretien téléphonique avec M. Bhangoo. L’agente a mis en doute la justification concernant l’exigence d’une ou de deux années d’expérience pour occuper l’emploi. M. Bhangoo a expliqué qu’il s’agissait d’une exigence de l’assureur et d’une stratégie de réduction des risques liée aux préoccupations concernant [traduction] « le fait de confier des camions à de nouveaux conducteurs ».
On se demande si M. Bhangoo faisant référence à la préoccupation de sécurité liée aux conducteurs manœuvrant des véhicules en montagnes et sur des routes enneigées.
[8]
Dans ses observations écrites à l’agente datées du 29 juillet 2016, M. Bhangoo a réitéré l’exigence du contrat écrit conclu avec l’assureur concernant la qualification des conducteurs. La police d’assurance exigeait trois années d’expérience de conduite, mais au moins une année d’expérience de conduite était requise pour qu’un conducteur soit assuré, selon les politiques en matière de primes. (La différence entre l’exigence de l’assurance et l’expérience de travail n’a jamais été expliquée.) Par conséquent, les conducteurs possédant moins d’une année d’expérience ne sont pas assurés et il en coûte plus cher pour assurer les conducteurs possédant entre une et trois années d’expérience.
[9]
Le 4 août 2016, l’agente a rejeté la demande d’étude d’impact sur le marché du travail pour les motifs suivants :
le défaut de démontrer que des efforts suffisants avaient été déployés afin d’embaucher des Canadiens pour occuper le poste;
la démonstration insuffisante d’un besoin raisonnable en matière d’emploi pour pourvoir ce poste dans l’entreprise.
L’agente a conclu que bien que l’expérience constitue un atout, l’exigence d’une ou de deux années d’expérience n’était pas une exigence professionnelle justifiée pour la profession correspondant au code 7411 de la Classification nationale des professions – Conducteurs/conductrices de camions.
[10]
Il est pertinent de noter que l’agente a limité l’examen à l’exigence de l’« authenticité »
. Il n’était pas nécessaire d’examiner les autres critères de l’étude d’impact sur le marché du travail, si cette exigence n’était pas satisfaite.
[11]
L’agente a accusé réception des observations sur les exigences en matière d’assurance. Elle a également indiqué que le représentant de l’employeur l’avait avisée que les chargements consistaient en des produits agricoles, des aliments réfrigérés et des marchandises générales et que l’on ne demanderait pas aux conducteurs de transporter des marchandises dangereuses ni de voyager sur des routes dangereuses.
[12]
Il est important dans le contexte du présent contrôle judiciaire, et plus précisément en ce qui concerne l’allégation d’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, de noter le renvoi de l’agente au guide opérationnel, qui énonce ce qui suit :
[traduction] Toutefois, si l’employeur établit qu’il exige de l’expérience pour des motifs pertinents liés au rendement au travail, les exigences peuvent être retenues par l’agent chargé de l’évaluation, s’il les juge raisonnables (c’est-à-dire une expérience en transport de marchandise dangereuse, en conduite sur des routes dangereuses, etc.).
III.
Questions en litige
[13]
Les questions en litige sont les suivantes :
L’agente a-t-elle entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en respectant rigoureusement la catégorie de la Classification nationale des professions et les lignes directrices opérationnelles et provisoires (qu’elles soient publiques ou internes)?
La décision était-elle raisonnable?
L’agente a-t-elle manqué au principe d’équité procédurale en ne communiquant pas les lignes directrices opérationnelles et provisoires?
L’agente a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la décision favorable de 2015 relative à l’étude d’impact sur le marché du travail?
IV.
Norme de contrôle
[14]
La norme de contrôle n’est pas controversée entre les parties.
[15]
La norme de la décision raisonnable s’applique à la conclusion de l’agente (Frankie’s Burgers Lougheed Inc. c Canada (Emploi et Développement social), 2015 CF 27, 473 FTR 67 [Frankie’s Burgers]).
Concernant l’équité procédurale, la norme de contrôle est celle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).
Concernant la question de l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, une analyse de la norme de contrôle n’est pas nécessaire. Toute décision dans laquelle un décideur a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire est à la fois erronée en raison d’une erreur de droit et déraisonnable.
V.
Discussion
A.
Entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire
[16]
La demanderesse affirme que l’agente a suivi servilement la catégorie de la Classification nationale des professions et les lignes directrices et qu’elle a refusé d’examiner un élément qui n’était pas indiqué dans la catégorie.
[17]
À mon avis, cet argument n’a aucun fondement. Comme il est indiqué au paragraphe 12 des présents motifs, l’agente n’a pas exclu la possibilité de s’écarter des lignes directrices ou de la Classification nationale des professions. Elle a reconnu que la demanderesse aurait pu présenter une justification suffisante concernant les exigences supplémentaires de l’emploi, et elle a simplement conclu que le demandeur ne l’avait pas fait en l’espèce.
[18]
Dans la décision Frankie’s Burgers, au paragraphe 92, la Cour a conclu qu’il n’est pas déraisonnable pour les agents de suivre les directives ou les catégories de la Classification nationale des professions, dans la mesure où ils ne les considèrent pas comme contraignantes et où ils les appliquent d’une manière qui permet d’y déroger lorsque cela est justifié. En l’espèce, l’agente a expressément reconnu qu’elle pouvait déroger aux directives si la situation le justifiait.
[19]
La demanderesse a invoqué la décision Seven Valleys Transportation Inc. c Canada (Emploi et Développement social), 2017 CF 195 [Seven Valleys], où la Cour a infirmé une décision relative à une étude d’impact sur le marché du travail, parce que l’agent n’avait pas tenu compte des routes dangereuses, de la sécurité publique et de la valeur importante des camions pour déterminer si une exigence d’expérience de conduite d’une ou de deux années était justifiée dans les circonstances. Cette affaire se distingue de l’espèce, puisque dans la décision Seven Valleys, l’agent a refusé de tenir compte de la justification relative aux exigences supplémentaires de l’emploi. En l’espèce, l’agente a tenu compte de la justification de l’employeur, mais elle a conclu qu’elle manquait de substance, en bonne partie parce qu’elle était axée sur les coûts de l’assurance, à l’égard desquels peu de précisions avaient été fournies.
B.
Caractère raisonnable de la décision
[20]
À mon avis, la décision est raisonnable. Le nœud de cette affaire est le défaut de présenter des éléments de preuve objectifs sur la nécessité des exigences de l’emploi proposées. Il ressort clairement de l’espèce que mis à part l’économie indéterminée en matière d’assurance, aucun élément de preuve n’a été présenté concernant la nécessité d’exiger une ou deux années d’expérience.
[21]
La demanderesse critique l’agente pour avoir omis de tenir compte du fait que les conducteurs devraient conduire dans les montagnes et la neige. Toutefois, il s’agit de la justification avancée pour expliquer l’exigence en matière d’expérience.
[22]
Un décideur n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve et, en l’espèce, peu de documents, voire aucun, portaient sur les conditions de conduite justifiant l’exigence de l’emploi. Les routes de montagne et la neige sont des caractéristiques habituelles de la conduite en Colombie-Britannique, et la demanderesse n’a jamais établi qu’un conducteur devait posséder une ou deux années d’expérience pour conduire des camions dans ces conditions courantes.
C.
Équité procédurale
[23]
La demanderesse n’a pas établi le manquement à l’équité procédurale. Le niveau d’équité procédurale auquel un demandeur peut s’attendre dans des affaires comme celle-ci est relativement faible (Frankie’s Burgers, au paragraphe 73).
[24]
En l’espèce, la demanderesse a été mise au courant de toutes les réserves de l’agente, et sa personne-ressource avait la possibilité de répondre à ces réserves. Il demeure que la demanderesse n’a pas présenté d’éléments de preuve suffisants pour convaincre l’agente que l’exigence de l’expérience n’était pas excessive.
Il est mal à propos pour la demanderesse d’invoquer des affaires concernant l’examen d’éléments de preuve extrinsèques. Les lignes directrices, qu’elles soient publiées ou non, ne constituent pas des éléments de preuve extrinsèques.
[25]
Il n’est pas inéquitable de s’appuyer sur des lignes directrices ou des renseignements internes si leur contenu a été communiqué à un demandeur et que ce dernier a eu la possibilité d’y répondre (Seven Valleys, au paragraphe 27).
D.
La décision favorable relative à l’étude d’impact sur le marché du travail
[26]
Indépendamment de la question procédurale de présenter des éléments de preuve lors du contrôle judiciaire qui n’ont pas été présentés au décideur, les éléments de preuve que la demanderesse cherche à présenter à ce moment-ci ne sont ni pertinents ni persuasifs.
[27]
Le fait qu’une demande d’étude d’impact sur le marché du travail comportant une exigence d’expérience de conduite présentée en 2015 a été accueillie ne peut être pertinent que si les faits étaient identiques, y compris la justification et les éléments de preuve à l’appui de l’exigence. Ce renseignement n’a pas été présenté à la Cour ni à l’agente.
[28]
Il n’est pas nécessaire que la Cour radie l’affidavit en question ou qu’elle s’appuie sur des décisions où l’on a conclu que les agents ne sont pas liés par des décisions antérieures, étant donné qu’en l’espèce, la demanderesse n’en a pas établi la pertinence.
VI.
Conclusion
[29]
Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.
« Michael L. Phelan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 25e jour d’octobre 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3527-16
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INTITULÉ :
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SKY BLUE TRANSPORT LTD c LE MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 8 MARS 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE PHELAN
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DATE DES MOTIFS :
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LE 14 MARS 2017
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COMPARUTIONS :
Harry Virk
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POUR LA DEMANDERESSE
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Jordan Regehr
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Liberty Law Corporation
Avocats
Abbotsford (Colombie-Britannique)
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POUR LA DEMANDERESSE
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William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LE DÉFENDEUR
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