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Date : 20170302


Dossier : IMM-2781-16

Référence : 2017 CF 255

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2017

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

TOMIWA AKINBILE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Tomiwa Akinbile demande le contrôle judiciaire de la décision d’un agent des visas au Haut-commissariat du Canada à Accra (Nigéria), par laquelle il a rejeté sa demande de résidence permanente présentée au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), et l’a déclaré interdit de territoire au Canada pendant cinq ans pour fausses déclarations.

[2]  M. Akinbile affirme que l’agent des visas a commis une erreur en interprétant d’une façon erronée les éléments de preuve qui lui ont été soumis ou en n’en tenant pas compte, et en ne fournissant pas de motifs adéquats pour sa décision. Selon M. Akinbile, l’agent des visas a aussi manqué à l’obligation d’agir équitablement à son égard en ne l’informant pas de ses doutes concernant le fait qu’une autre personne avait fourni une lettre d’emploi identique de la GTBank. L’agent a également omis d’informer M. Akinbile des doutes selon lesquels il n’avait peut-être pas rempli les fonctions d’un superviseur du crédit.

[3]  Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que l’agent des visas n’a pas commis les prétendues erreurs. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I.  Résumé des faits

[4]  Au mois d’octobre 2014, M. Akinbile a présenté une demande de résidence permanente au Canada en tant que travailleur qualifié, dans le cadre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral). Il a présenté sa demande sous le code 1212 de la Classification nationale des professions, lequel vise les « Superviseurs/superviseures de commis de finance et d’assurance ». M. Akinbile a fourni à l’appui de sa demande une lettre de son employeur, la GTBank, datée du 9 octobre 2014, qui confirmait son emploi à titre de [traduction] « superviseur du crédit » auprès de la banque.

[5]  Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a par la suite informé M. Akinbile qu’une décision favorable avait été rendue à l’égard de son admissibilité au traitement de sa demande, en raison de ses antécédents professionnels dans une profession désignée par le ministre. Sa demande a par la suite été renvoyée pour examen à un agent des visas à Accra, au Ghana.

[6]  M. Akinbile a joint à sa demande des copies de deux autres lettres de la banque. L’une de ces lettres était sa lettre d’emploi datée du 13 février 2009, qui confirmait son emploi auprès de la banque à titre de [traduction] « stagiaire en gestion ». L’autre lettre, datée du 1er juin 2012, informait M. Akinbile qu’il avait été promu au poste de [traduction] « agent adjoint des opérations bancaires ».

[7]  L’agent des visas a écrit à la GTBank le 28 juillet 2015 pour demander la confirmation de l’authenticité de la lettre d’emploi du 9 octobre 2014. La GTBank a répondu le jour même en écrivant : [traduction] « Veuillez noter que les lettres n’ont pas été signées conformément à la politique de la Banque et que, par conséquent, nous ne pouvons donner de confirmation ».

[8]  Les notes consignées par l’agent des visas dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) indiquent que les doutes qu’entretenait l’agent concernant l’authenticité de la lettre d’emploi du 9 octobre 2014 de M. Akinbile ont été avivés quand l’agent a constaté qu’un second demandeur de visa (KA) avait fourni une lettre introductive identique de la GTBank, datée aussi du 9 octobre 2014, pour appuyer sa propre demande en tant que travailleur qualifié (fédéral). M. Akinbile et KA avaient également rédigé des messages électroniques identiques adressés à l’agent des visas le 4 août 2015, pour l’informer qu’ils savaient que l’agent avait envoyé leurs lettres d’emploi à la banque aux fins de vérification. L’agent a remarqué que même si M. Akinbile et KA travaillaient supposément dans des succursales différentes de la banque, ils avaient quand même employé la même adresse électronique et la même case postale comme adresse postale. 

[9]  Par conséquent, l’agent des visas a envoyé à M. Akinbile une lettre relative à l’équité procédurale datée du 15 mars 2016, dans laquelle il indiquait notamment que l’agent pensait que la lettre d’emploi de la GTBank que M. Akinbile avait fournie à l’appui de sa demande pourrait être frauduleuse. De plus, la lettre informait M. Akinbile des conséquences de fausses déclarations pour un ressortissant étranger, et lui accordait 30 jours pour répondre aux préoccupations de l’agent.

[10]  M. Akinbile a répondu à la lettre relative à l’équité procédurale, en expliquant que sa lettre d’emploi du 9 octobre 2014 n’avait pas été signée conformément à la procédure de la banque, puisque le service des Ressources humaines de la banque ne fournissait pas de lettres d’emploi pour le personnel de la banque en la forme exigée par CIC. 

[11]  M. Akinbile a aussi fourni à l’agent des documents additionnels, notamment une lettre datée du 16 mars 2016 et signée par le directeur général adjoint et par le directeur administratif de la GTBank. Cette lettre indique ce qui suit : [traduction] « M. Tomiwa Akinbile est un agent adjoint des opérations bancaires à notre banque et est à notre emploi depuis le mois de mars 2009 ». M. Akinbile a affirmé que, même si son titre était celui d’un [traduction] « agent adjoint des opérations bancaires », ses fonctions étaient celles d’un [traduction] « superviseur du crédit ».

[12]  M. Akinbile a aussi fourni des documents additionnels en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, dont des attestations relatives aux cours suivis, dont certains portaient sur des questions liées au crédit, et un [traduction] « affidavit de sincérité » dans lequel il atteste de l’authenticité de sa lettre d’emploi. M. Akinbile a aussi fourni une [traduction] « attestation de fonction professionnelle », dans laquelle un avocat nigérian décrit les fonctions du poste de M. Akinbile, bien que le document ne contienne aucune explication quant à la façon dont l’avocat a pris connaissance des fonctions du poste de M. Akinbile.

[13]  Après avoir examiné les documents additionnels fournis par M. Akinbile, l’agent des visas s’est dit convaincu qu’il était bien à l’emploi de la GTBank. Toutefois, aucun des documents de la GTBank (sauf la lettre non régulière du 9 octobre 2014) n’affirmait que M. Akinbile avait déjà été à l’emploi de la banque à titre de superviseur du crédit. En conséquence, l’agent n’était pas convaincu qu’il avait déjà exercé une partie appréciable des principales fonctions de ce poste.

[14]  Étant donné que M. Akinbile n’avait pas fourni une réponse acceptable aux préoccupations qu’entretenait l’agent quant à son expérience professionnelle, sa demande de visa a été rejetée. L’agent était de plus convaincu que M. Akinbile avait fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent qui risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), en contravention de l’alinéa 40(1)a) de la Loi. Par conséquent, M. Akinbile a été jugé interdit de territoire au Canada pendant cinq ans.

II.  L’agent des visas a-t-il interprété d’une façon erronée la preuve qui lui a été soumise ou a-t-il omis d’en tenir compte?

[15]  Le premier argument de M. Akinbile veut que l’agent des visas se soit livré à une interprétation erronée, ou qu’il n’ait pas tenu compte, des éléments de preuve selon lesquels il avait réellement exercé une partie appréciable des principales fonctions d’un superviseur du crédit. Cet argument est dénué de fondement.

[16]  Il a été établi dans la jurisprudence que la norme de contrôle applicable à l’évaluation par un agent d’éléments de preuve appuyant une demande de résidence permanente présentée dans le cadre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral) est celle de la décision raisonnable : Bazaid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 17, 425 FTR 38; Taleb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 384, aux paragraphes 19 et 20, 407 FTR 185.

[17]  En l’espèce, il est manifeste que l’agent des visas connaissait les éléments de preuve que M. Akinbile avait fournis en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. En fait, l’agent a souligné que, alors que la lettre d’emploi fournie au départ par M. Akinbile indiquait qu’il était employé à titre de [traduction] « superviseur du crédit », cette lettre contredisait les lettres fournies par M. Akinbile en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, selon lesquelles il avait été employé par la banque à titre de [traduction] « stagiaire en gestion » et de [traduction] « agent adjoint aux opérations bancaires », mais pas à titre de [traduction] « superviseur du crédit ». L’agent a aussi souligné que M. Akinbile n’avait fourni aucun document à l’appui indiquant qu’il avait été employé par la banque à titre de superviseur du crédit. 

[18]  En fin de compte, M. Akinbile s’en prend au poids que l’agent des visas a accordé à son explication des divergences dans sa description de poste comparativement au poids accordé aux documents provenant de la GTBank. Cela ne donne pas ouverture à contrôle judiciaire.

III.  L’agent a-t-il fourni des motifs adéquats justifiant sa décision de rejeter la demande de visa?

[19]  M. Akinbile soutient que la lettre de décision de l’agent des visas indique que l’agent n’était pas convaincu de sa réponse à la lettre relative à l’équité. Il affirme que la décision de cet agent ne révèle pas clairement la raison pour laquelle les documents accompagnant sa réponse à la lettre relative à l’équité n’ont pu le convaincre. Selon M. Akinbile, l’insuffisance des motifs de l’agent soulève une question d’équité procédurale, et devrait être examinée selon la norme de la décision correcte.

[20]  La Cour suprême a affirmé que l’insuffisance des motifs ne justifie plus « à elle seule » un contrôle judiciaire : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708. Lorsque des motifs de décision sont fournis, la cour de révision doit se demander si les motifs sont transparents et intelligibles. Cette question est tranchée selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190.

[21]  Les motifs de l’agent des visas incluent les notes consignées par l’agent dans le SMGC. Ces notes expliquent clairement le processus par lequel la décision de l’agent a été prise. L’agent explique qu’une vérification a été demandée concernant la lettre d’emploi du 9 octobre 2014 de M. Akinbile, après que des doutes eurent été soulevés quant à l’authenticité de la lettre. Après la réponse de la banque indiquant que M. Akinbile n’occupait pas le poste qu’il avait indiqué, soit celui de [traduction] « superviseur du crédit », on lui a transmis cette information, et on lui a accordé la possibilité d’y répondre. La réponse de M. Akinbile ne répondait pas aux doutes de l’agent de manière satisfaisante. Il s’agissait d’une conclusion que l’agent pouvait raisonnablement tirer en fonction du dossier dont il disposait.

IV.  Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce?

[22]  Le dernier argument de M. Akinbile veut qu’il ait été traité injustement en l’espèce, puisqu’il n’a jamais été informé des doutes de l’agent selon lesquels il avait fourni des renseignements contradictoires concernant la nature de son poste auprès de la GTBank. M. Akinbile n’a également pas été informé que l’agent s’inquiétait du fait que KA avait fourni une lettre de recommandation identique pour appuyer sa propre demande de visa, et que, même si M. Akinbile et KA n’étaient pas censés travailler à la même succursale de la banque, ils avaient néanmoins fourni la même adresse électronique et la même adresse postale pour leurs demandes.

[23]  L’obligation d’équité procédurale à laquelle sont astreints les agents des visas se situe à l’extrémité inférieure du registre, en l’absence d’un droit à la résidence permanente reconnu par la loi : Fargoodarzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 90, au paragraphe 12, [2008] ACF no 133; Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), [2001] 2 CF 297, au paragraphe 41, [2000] ACF no 2043 (CAF).

[24]  De plus, notre Cour a affirmé à maintes reprises que les agents des visas ne sont pas tenus d’aviser les demandeurs des lacunes relevées dans leur demande, ni dans les documents fournis pour appuyer leur demande : Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264, au paragraphe 24, 429 FTR 93. L’obligation d’agir équitablement exige en fait que les agents accordent aux demandeurs la possibilité de répondre aux préoccupations concernant « la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité » des renseignements fournis : Obeta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1542, aux paragraphes 20 à 26, 424 FTR 191.

[25]  En l’espèce, les préoccupations de l’agent étaient liées au fait que la lettre du 9 octobre 2014, fournie à l’appui des prétentions de M. Akinbile selon lesquelles il avait travaillé à titre de superviseur du crédit à la GTBank, pourrait être frauduleuse. La lettre relative à l’équité envoyée à M. Akinbile l’informait de ces préoccupations, et on lui a offert une possibilité réelle et équitable d’y répondre. À mon avis, l’obligation d’agir équitablement à l’égard de M. Akinbile a été remplie en l’espèce. Je soulignerais également que la Cour est parvenue à la même conclusion dans le dossier de KA, sur la foi de faits semblables : 2017 CF 103, aux paragraphes 23 à 26.

[26]  Il reste l’argument de M. Akinbile selon lequel l’agent était tenu de l’aviser des préoccupations suscitées par les similitudes entre sa demande et celle de KA. À cet égard, je soulignerais simplement que, bien que la similitude des lettres fournies par M. Akinbile et par KA ait pu accentuer les préoccupations de l’agent quant à l’authenticité de la lettre d’emploi du 9 octobre 2014 de M. Akinbile, l’agent avait déjà tenté de vérifier le contenu de la lettre auprès de la banque avant que la similitude entre les deux lettres ne soit remarquée.

[27]  On se souviendra aussi que M. Akinbile et KA ont adressé à l’agent des visas, le 4 août 2015, des messages électroniques identiques l’informant qu’ils savaient que l’agent avait envoyé leurs lettres d’emploi à la banque aux fins de vérification. D’après ces messages, il est clair que M. Akinbile savait que le même agent des visas traitait les deux demandes, et que l’agent entretenait des doutes quant à l’authenticité des lettres d’emploi fournies par les deux personnes. Dans ces circonstances, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

V.  Conclusion

[28]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je suis d’accord avec les parties pour affirmer que la présente affaire repose sur des faits qui lui sont propres et par conséquent ne soulève aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2781-16

 

INTITULÉ :

TOMIWA AKINBILE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 février 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Oluwakemi Oduwole

 

Pour le demandeur

 

Kevin Doyle

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Topmarké Attorneys LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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