Date : 20170308
Dossier : IMM-1143-16
Référence : 2017 CF 267
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 8 mars 2017
En présence de monsieur le juge Boswell
ENTRE :
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JIMOH OLANREWAJU BAKARE
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Le demandeur, Jimoh Olanrewaju Bakare, est un citoyen du Nigéria âgé de 44 ans qui, peu après son arrivée au Canada en octobre 2014, a présenté une demande d’asile dans un bureau intérieur, au motif que sa vie était menacée par le culte Ogboni à Akure, au Nigéria. Sa demande a toutefois été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), dans une décision rendue le 4 février 2015.
[2]
Par conséquent, le demandeur a interjeté appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés à la Section d’appel des réfugiés de la CISR, mais dans une décision rendue le 29 mai 2015, la Section d’appel des réfugiés a rejeté l’appel au motif qu’il existait une possibilité de refuge intérieur. Après que le demandeur eut demandé un contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés, les parties ont consenti au renvoi de l’affaire pour un nouvel examen par un autre commissaire de la Section d’appel des réfugiés, lequel, dans une décision datée du 17 février 2016, a rejeté l’appel et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés, selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger. Le demandeur demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).
I.
Résumé des faits
[3]
Le père du demandeur était le dirigeant du culte Ogboni à Akure jusqu’à son décès en janvier 2014. Peu après le décès de son père, des membres haut placés du culte ont abordé le demandeur pour lui demander à quel moment il souhaitait être initié au culte. Le demandeur a refusé, mentionnant sa conversion au christianisme. Les membres du culte ont indiqué au demandeur qu’il n’avait pas de choix. Quelques membres du culte se sont ensuite présentés au domicile du demandeur, ont harcelé sa famille et l’ont informé que, s’il ne choisissait pas une date pour son initiation, sa mort serait certaine. Le demandeur a choisi une date pour son initiation afin de calmer son épouse, et les membres du culte sont partis. Le demandeur s’est ensuite adressé à la police locale afin d’obtenir de l’aide dans ses pourparlers avec le culte Ogboni, mais la police a refusé de l’aider puisqu’il s’agissait d’une affaire d’ordre culturel et lui a dit qu’il devait régler la question avec les membres du culte.
[4]
Avant la date d’initiation prévue, le demandeur a déplacé sa famille à Oshogbo (Nigéria), et a ensuite appris d’un voisin que son domicile avait été vandalisé et que la police n’avait rien fait. Le demandeur a ensuite déplacé sa famille à Lagos (Nigéria). Alors qu’il était à Lagos, un membre du culte a communiqué avec le demandeur et l’a informé qu’il devait retourner à Akure pour son initiation afin d’éviter des conséquences désagréables. Le demandeur a plutôt pris des arrangements pour partir pour le Canada, où il a présenté une demande d’asile dans un bureau intérieur.
[5]
Dans son témoignage devant la Section de la protection des réfugiés, le demandeur a expliqué que son père organisait des réunions pour le culte Ogboni à son domicile deux fois par mois et que, de l’âge de sept ans à l’âge de 20 ans, il a assisté aux réunions, sauf lorsqu’il était à l’école. Le demandeur a indiqué à la Section de la protection des réfugiés qu’il était autorisé à assister à ces réunions et a décrit l’organisation du culte, ses incantations secrètes, et les sujets abordés aux réunions. La Section de la protection des réfugiés a interrogé le demandeur sur sa connaissance des pratiques particulières du culte Ogboni, se fondant sur deux articles scientifiques déposés par le demandeur, l’un de Peter Monton-Williams publié en 1960 et l’autre par Ojo Arewa et Kerry Stroup publié en 1977. La Section de la protection des réfugiés a estimé que le témoignage du demandeur révélait une description du culte Ogboni qui ne correspondait pas à celle de ces deux articles, concluant qu’il était peu probable que le demandeur ait eu un contact important avec le culte et que les articles contredisaient son affirmation selon laquelle le culte Ogboni aurait permis à une personne non initiée de participer à ses réunions pendant 13 ans. Comme le demandeur était peu familier avec des éléments d’information de base sur le culte, la Section de la protection des réfugiés a jugé que le demandeur n’était ni crédible ni fiable, et qu’il ne présentait pas d’intérêt pour le culte Ogboni.
[6]
Dans ses observations à la Section d’appel des réfugiés, le demandeur a affirmé que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en écartant et en interprétant mal des éléments de preuve pertinents, notamment une réponse à une demande d’information sur la société Ogboni. Le demandeur soutient de plus que la Section de la protection des réfugiés a omis d’examiner et d’évaluer des éléments de preuve documentaire pertinents et a commis des erreurs de fait. Selon le demandeur, la Section de la protection des réfugiés a tort de se fonder sur les deux articles scientifiques étant donné qu’ils étaient axés sur le rôle du culte Ogboni au Nigéria précolonial, et non au Nigéria contemporain. Le demandeur a affirmé que la Section de la protection des réfugiés a omis d’examiner deux autres documents qui donnaient une perspective contemporaine du culte Ogboni, et que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur de fait en évaluant la connaissance du demandeur des pratiques secrètes du culte Ogboni bien qu’il n’ait jamais prétendu en être membre. Le demandeur n’a présenté aucun nouvel élément de preuve à la Section d’appel des réfugiés, et il n’a pas demandé une audience.
II.
La décision de la Section d’appel des réfugiés
[7]
Dans sa décision datée du 17 février 2016, la Section d’appel des réfugiés a déclaré que, à la lumière de la décision Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, 4 RCF 811, son rôle était d’instruire l’affaire comme une procédure d’appel hybride et d’examiner tous les aspects de la décision de la Section de la protection des réfugiés, afin d’en arriver à une évaluation indépendante de la demande d’asile du demandeur, en ne faisant preuve de déférence à l’égard de la Section de la protection des réfugiés que lorsque le tribunal jouit d’un avantage particulier, comme pour les questions de crédibilité. La Section d’appel des réfugiés a ensuite examiné la décision de la Section de la protection des réfugiés, le témoignage oral du demandeur et la preuve documentaire, ainsi que ses observations à la Section d’appel des réfugiés.
[8]
La Section d’appel des réfugiés a souligné les observations du demandeur, selon lesquelles il y a une grande différence entre les pratiques précoloniales du culte Ogboni et celles du culte Ogboni contemporain, et que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en s’appuyant sur des renseignements concernant des pratiques précoloniales obsolètes. La Section d’appel des réfugiés a toutefois rejeté ces arguments, concluant qu’il était probable que toute différence entre les pratiques du culte Ogboni au Nigéria précolonial, au Nigéria colonial et celles après 1960, date à laquelle le Nigéria a acquis son indépendance, aurait été prise en considération par les auteurs de l’article de 1977, qui ont fondé leur compte rendu des pratiques du culte Ogboni sur l’article de 1960 et d’autres études plus récentes. La Section d’appel des réfugiés a relevé en outre que la question ne concernait pas l’évolution du rôle et de l’influence du culte Ogboni dans la société nigériane contemporaine, mais plutôt le caractère secret de la secte et la nature de ses rites, cérémonies et pratiques.
[9]
La Section d’appel des réfugiés s’est dite d’accord avec le demandeur pour dire que la Section de la protection des réfugiés avait ignoré des éléments de preuve pertinents et avait omis d’établir la valeur probante de certains documents au dossier, notamment un article de l’organisation ACCORD, la réponse à une demande d’information concernant la société Ogboni, et un article de presse nigérian. Après avoir examiné et évalué ces documents, la Section d’appel des réfugiés a conclu que l’article de presse n’était pas pertinent, que la réponse à la demande d’information ne fournissait aucune preuve que les cérémonies du culte, ses croyances et son caractère secret ont changé, et que l’article de l’organisation ACCORD montrait que les rituels et croyances du culte Ogboni cités par la Section de la protection des réfugiés conservaient leur pertinence dans les pratiques contemporaines du culte.
[10]
La Section d’appel des réfugiés a ensuite examiné les conclusions de la Section de la protection des réfugiés concernant les affidavits de l’épouse du demandeur, de son frère, et d’un ami. Bien que le demandeur n’ait pas présenté d’observations à la Section d’appel des réfugiés concernant ces conclusions, la Section d’appel des réfugiés a néanmoins examiné les trois affidavits, pour conclure que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas commis d’erreur en accordant peu de force probante à ces documents. Elle a également examiné et évalué les éléments de preuve au dossier concernant les connaissances du demandeur au sujet des rites et pratiques du culte Ogboni, pour conclure que la Section de la protection des réfugiés n’a pas commis d’erreur en mettant à l’épreuve le demandeur à cet égard. La Section d’appel des réfugiés a également conclu que la Section de la protection des réfugiés :
[…] n’a pas commis une erreur lorsqu’[elle] a conclu qu’il était probable que l’appelant, après avoir assisté aux réunions deux fois par mois pendant treize ans, ait des connaissances au sujet des rites et des pratiques. La Section d’appel des réfugiés reconnaît que la Cour fédérale a déclaré que le critère est peu exigeant lorsqu’il s’agit de vérifier les connaissances religieuses d’un demandeur d’asile dans le cadre d’une demande d’asile. Elle estime toutefois, en se fondant sur son examen de la preuve documentaire et des réponses de l’appelant aux questions du tribunal à cet égard, que l’appelant n’a même pas satisfait à ce critère peu exigeant et qu’il aurait vraisemblablement des renseignements plus exacts s’il avait effectivement assisté aux réunions, comme il l’a affirmé dans son témoignage.
[11]
La Section d’appel des réfugiés a donc conclu, en souscrivant à la conclusion de la Section de la protection des réfugiés à cet égard, qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour conclure que les allégations du demandeur étaient vraies. Par conséquent, la Section d’appel des réfugiés a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.
III.
Questions en litige
[12]
La présente demande de contrôle judiciaire soulève trois questions qui peuvent être formulées de la façon suivante :
Quelle est la norme de contrôle applicable?
La Section d’appel des réfugiés a-t-elle manqué à l’équité procédurale en examinant et en analysant des documents qui n’avaient pas été traités par la Section de la protection des réfugiés?
La décision de la Section d’appel des réfugiés était-elle raisonnable?
IV.
Discussion
A.
Norme de contrôle
[13]
La norme de contrôle applicable à l’examen par notre Cour de la décision de la Section d’appel des réfugiés est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35, 396 DLR (4th) 527).
[14]
Par conséquent, la Cour ne devrait pas intervenir si la décision de l’agent est justifiable, transparente et intelligible; il faut alors déterminer « si la décision fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
: Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]. Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables »
: Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708. De plus, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable »
, et « il [ne] rentre [pas] dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve »
: Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339 [Khosa].
[15]
La norme applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502; Khosa, au paragraphe 43). La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur (voir Dunsmuir, au paragraphe 50). En outre, la Cour doit s’assurer que la démarche empruntée pour examiner la décision faisant l’objet du contrôle a atteint le niveau d’équité exigé dans les circonstances de l’espèce (voir : Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115, [2002] 1 RCS 3). Au moment d’appliquer une norme de la décision correcte, il n’est pas seulement question de savoir si la décision faisant l’objet du contrôle est correcte, mais également d’établir si le processus suivi pour prendre la décision était équitable (voir Hashi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 154, au paragraphe 14, 238 ACWS (3d) 199; Makoundi c Canada (Procureur général), 2014 CF 1177, au paragraphe 35, 249 ACWS (3d) 112).
B.
La Section d’appel des réfugiés a-t-elle manqué à l’équité procédurale en examinant et en analysant des documents qui n’avaient pas été traités par la Section de la protection des réfugiés?
[16]
Le demandeur soutient qu’on lui a refusé l’équité procédurale en ne lui offrant pas la possibilité de présenter des observations concernant les documents qui n’avaient pas été traités par la Section de la protection des réfugiés, mais qui ont été examinés et analysés par la Section d’appel des réfugiés. À cet égard, le demandeur s’appuie sur la décision Kwakwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 600, [2016] ACF no 619 [Kwakwa], où la Cour a affirmé ce qui suit :
[21] Dans plusieurs arrêts récents, notre Cour a confirmé les restrictions s’appliquant à la SAR dans son analyse en appel des décisions de la SPR. Comme l’a souligné le juge Hughes dans Husian au paragraphe 10, « [l]e fait est que si la SAR décide de se plonger dans le dossier afin de tirer d’autres conclusions de fond, elle devrait prévenir les parties et leur donner la possibilité de formuler des observations ».
[17]
Le demandeur n’a pas choisi la bonne voie en s’appuyant sur la décision Kwakwa. En l’espèce, il ne s’agit pas comme dans la décision Kwakwa d’un cas où la Section d’appel des réfugiés a soulevé une nouvelle question ou un nouveau problème et cerné des arguments et un raisonnement supplémentaires, allant au-delà de la décision de la Section de la protection des réfugiés en appel, sans donner la possibilité à l’appelant d’y répondre. Le cas présent n’est pas non plus similaire à l’affaire Jianzhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 551, [2015] ACF no 527, dans laquelle la Cour a déterminé que la décision de la Section d’appel des réfugiés était déraisonnable parce que la Section d’appel des réfugiés avait soulevé et tranché la question d’une demande d’asile d’un demandeur « sur place »
, alors que l’affaire n’avait pas été tranchée par la Section de la protection des réfugiés et qu’elle n’avait pas été soulevée par l’appelant en appel devant la Section d’appel des réfugiés. Dans le même sens va la décision de la Cour dans Ojarikre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 896, 257 ACWS (3d) 922, où la décision de la Section d’appel des réfugiés a été annulée parce qu’elle avait soulevé la question d’une possibilité de refuge intérieur et avait conclu à son existence, une question qui n’avait pas été soulevée par l’une ou l’autre partie devant la Section d’appel des réfugiés, et la Section de la protection des réfugiés n’avait rendu aucune décision sur la question. Plus récemment, la juge Strickland a résumé la jurisprudence à cet égard dans Tan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 876, [2016] ACF no 840, déclarant ce qui suit :
[40] [...] dans le cadre d’un appel auprès de la SAR, lorsqu’aucune des parties ne soulève de question ou lorsque la SPR ne se prononce pas sur une question, il n’est généralement pas loisible à la SAR de soulever une question et de rendre une décision au sujet de celle-ci, car cela soulève un nouveau motif d’appel non identifié ou prévu par les parties, lequel est susceptible de violer l’obligation d’équité procédurale en privant la partie concernée de la possibilité de répondre. Cela est particulièrement vrai dans le contexte des conclusions quant à la crédibilité (Ching, aux paragraphes 65 à 76; Jianzhu, au paragraphe 12; Ojarikre, aux paragraphes 14 à 23).
[18]
En l’espèce, la Section d’appel des réfugiés n’a pas soulevé une nouvelle question simplement en examinant et en analysant certains des éléments de preuve documentaire qui n’avaient pas été explicitement évalués par la Section de la protection des réfugiés en ce qui concerne leur pertinence ou leur valeur probante. Au contraire, c’est le demandeur lui-même qui a soulevé l’omission de la Section de la protection des réfugiés à cet égard lors de son appel à la Section d’appel des réfugiés. Il est fallacieux de la part du demandeur d’affirmer maintenant qu’on lui a refusé l’équité procédurale, alors que la Section d’appel des réfugiés a abordé et rectifié la question qu’il avait lui-même soulevée. La Section d’appel des réfugiés a simplement fait allusion à d’autres éléments de preuve au dossier, indiqués par le demandeur, et les a évalués, et a conclu que ces éléments de preuve n’étaient pas pertinents à la demande d’asile du demandeur et qu’ils n’affaiblissaient pas les conclusions de la Section de la protection des réfugiés concernant les cérémonies, les croyances et les pratiques du culte Ogboni.
[19]
La Section d’appel des réfugiés n’a pas plongé dans le dossier pour tirer des conclusions importantes au-delà de celles de la Section de la protection des réfugiés, sans donner au demandeur une possibilité de formuler des observations. En l’espèce, la Section d’appel des réfugiés a examiné et évalué les documents indiqués par le demandeur, parce que ce dernier les avait soulevés en tant que question dans ses observations écrites. Comme la Cour l’a souligné dans la décision Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 380, au paragraphe 30, [2016] ACF no 358, la Section d’appel des réfugiés « ne soulevait pas une nouvelle question; au contraire, elle examinait la question soulevée par la demanderesse [...]. Elle avait le droit, et était obligée d’examiner et d’évaluer les preuves depuis le début. C’est ce qu’elle a fait. Le fait qu’elle a perçu certaines preuves différemment n’est pas une raison de contester la décision pour des motifs d’équité lorsqu’aucune nouvelle question n’a été soulevée. »
De même, en l’espèce, étant donné qu’aucune nouvelle question n’a été soulevée par la Section d’appel des réfugiés, sa décision ne peut être contestée pour des motifs d’iniquité procédurale.
C.
La décision de la Section d’appel des réfugiés était-elle déraisonnable?
[20]
Le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés s’est appuyée de façon erronée et déraisonnable sur les deux articles scientifiques pour tester ses connaissances au sujet du culte Ogboni, soulignant en particulier que l’article de Morton-Williams portait principalement sur le culte Ogboni dans la région d’Oyo, qui est à 150 km de sa région natale d’Ondo. Le demandeur affirme que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en s’attendant à ce qu’il garde des connaissances des rituels et des pratiques du culte Ogboni, parce qu’il a acquis une connaissance de base alors qu’il était enfant et qu’il a assisté pour la dernière fois à une réunion il y a plus de 22 ans. Le demandeur affirme également que la Section d’appel des réfugiés a omis d’apprécier la possibilité que les pratiques du culte Ogboni aient évolué entre la publication de l’article d’Arewa et Stroup en 1977 et le moment du récit du demandeur en 2014. Selon le demandeur, il était déraisonnable que la Section d’appel des réfugiés, comme la Section de la protection des réfugiés, parvienne à la conclusion qu’il manquait de crédibilité, sous prétexte que son témoignage ne reflétait pas les renseignements contenus dans les deux articles, et qu’elle fasse des hypothèses sur les connaissances qu’il devrait posséder.
[21]
Le défendeur défend la décision de la Section d’appel des réfugiés, soutenant que cette affaire repose sur la crédibilité et que la Section d’appel des réfugiés avait le droit de s’en remettre aux conclusions de la Section de la protection des réfugiés concernant la crédibilité. Selon le défendeur, la Section d’appel des réfugiés a mené sa propre analyse de tout le dossier, y compris l’enregistrement audio des procédures devant la Section de la protection des réfugiés. Il était raisonnable, selon le défendeur, que la Section d’appel des réfugiés non seulement juge que le demandeur n’avait pas les connaissances d’une personne qui aurait assisté pendant 13 ans aux réunions de la secte, mais aussi qu’elle examine et évalue les documents supplémentaires qui n’ont pas été traités par la Section de la protection des réfugiés. Le défendeur affirme en outre que la Section d’appel des réfugiés a évalué les éléments de preuve d’une façon raisonnable et a conclu qu’il y avait un fondement probatoire justifiant les conclusions défavorables quant à la crédibilité.
[22]
En l’espèce, la Section d’appel des réfugiés a exercé et joué son rôle de tribunal d’appel de façon raisonnable. Elle a examiné les conclusions de la Section de la protection des réfugiés et a évalué les documents que la Section de la protection des réfugiés avait négligés, et qu’avait indiqués le demandeur. La Section d’appel des réfugiés a souscrit aux conclusions de la Section de la protection des réfugiés et a examiné les mêmes questions que la Section de la protection des réfugiés. La question déterminante était de savoir si le demandeur avait fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles qu’il était poursuivi par les membres du culte Ogboni. La Section d’appel des réfugiés aussi bien que la Section de la protection des réfugiés ont conclu que le demandeur aurait dû avoir des connaissances de base des pratiques et des rituels du culte s’il avait assisté aux réunions pendant 13 ans. La Section d’appel des réfugiés a comparé les renseignements sur les pratiques et les rituels du culte Ogboni dans les deux articles scientifiques présentés par le demandeur avec les réponses du demandeur aux questions de la Section de la protection des réfugiés. La Section d’appel des réfugiés a souscrit à la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le manque de connaissances de base du demandeur sur les pratiques et les rituels du culte Ogboni minait la crédibilité de sa revendication. Même si la Section d’appel des réfugiés ne tient pas compte des différences régionales dans les pratiques du culte Ogboni, on ne peut pas lui reprocher de s’être appuyée sur la preuve documentaire présentée par le demandeur pour comprendre les pratiques de base du culte. Étant donné la durée et la fréquence de la présence du demandeur aux réunions du culte, la décision de la Section d’appel des réfugiés à cet égard était raisonnable.
[23]
Pour ce qui est de l’argument du demandeur selon lequel la Section d’appel des réfugiés a omis d’apprécier le fait que les pratiques du culte Ogboni auraient changé entre le moment de la publication de l’article d’Arewa et Stroup en 1977 et le moment où le demandeur a présenté sa demande d’asile en 2014, cet argument est dénué de fondement étant donné que l’époque pertinente pour les pratiques du culte Ogboni se situait au moment où le demandeur prétend avoir assisté aux réunions entre 1979 et 1992. L’article d’Arewa et Stroup a été publié en 1977, deux ans seulement avant que le demandeur commence à assister aux réunions du culte Ogboni, selon ce qu’il prétend. Il était donc raisonnable pour la Section d’appel des réfugiés de s’appuyer sur cet article, ainsi que sur d’autres éléments de preuve documentaire au dossier, pour comprendre les cérémonies du culte Ogboni, ses croyances et l’importance de son caractère secret.
V.
Conclusion
[24]
Pour les motifs établis ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de la Section d’appel des réfugiés en l’espèce était raisonnable et a été rendue sans manquer à l’équité procédurale.
[25]
Puisqu’aucune des parties n’a proposé de question à certifier d’importance générale, aucune question n’est certifiée.
JUGEMENT
LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire et il n’y a aucune question de portée générale à certifier.
« Keith M. Boswell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 12e jour de novembre 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-1143-16
|
INTITULÉ :
|
JIMOH OLANREWAJU BAKARE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TORONTO (ONTARIO)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 12 janvier 2017
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE BOSWELL
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 8 mars 2017
|
COMPARUTIONS :
Mary Jane Campigotto
|
Pour le demandeur
|
Suzanne M. Bruce
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Campigotto Law Firm
Avocats
Windsor (Ontario)
|
Pour le demandeur
|
William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
Pour le défendeur
|