Date : 20170216
Dossier : IMM-3114-16
Référence : 2017 CF 176
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 16 février 2017
En présence de monsieur le juge Southcott
ENTRE :
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YUANWEN LIN
YOUZHONG KUANG
HAOBIN KUANG
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
Aperçu
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Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) datée du 28 juin 2016 dans laquelle la SAR a confirmé la décision de la Section de protection des réfugiés (SPR) par laquelle les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), ni une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR.
[2]
Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, cette demande est rejetée, car les demandeurs n’ont pas démontré que la SAR a commis une erreur de droit quant à la norme de contrôle qu’elle a appliquée à la décision de la SPR, qu’elle a fait preuve d’une trop grande retenue à l’égard de cette décision ou qu’elle a pris une décision déraisonnable.
Contexte
[3]
Les demandeurs sont des citoyens de la République populaire de Chine. Les demandeurs adultes, Youzhong Kuang et Yuanwen Lin, se sont rencontrés en Chine au début de 2013. Le demandeur mineur, Haobin Kuang, est l’enfant de M. Kuang, que ce dernier a eu d’une union antérieure. En juin 2013, Mme Lin a découvert qu’elle était enceinte de l’enfant de M. Kuang. Le 30 septembre 2013, les agents de la planification familiale se sont rendus au domicile du couple afin d’emmener Mme Lin pour qu’elle subisse un examen, car ils avaient reçu un rapport selon lequel elle était enceinte. La grossesse a été confirmée, et Mme Lin a été forcée de se faire avorter la journée même. Elle a également été forcée de payer une amende, ainsi que de porter un dispositif intra-utérin et de se soumettre à des contrôles de grossesse tous les trois mois.
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Comme le dispositif intra-utérin occasionnait de la douleur et de l’inconfort à Mme Lin, celle-ci a demandé en novembre 2013 à ce qu’il soit retiré, mais sa demande a été rejetée. Le bureau de planification familiale (BPF) a informé Mme Lin qu’une fois celle-ci mariée, elle pourrait avoir un enfant, mais qu’elle devrait être stérilisée après la naissance de l’enfant. Le couple s’est marié le 25 décembre 2013 et, le 20 janvier 2014, Mme Linn a fait retirer le dispositif intra-utérin qu’elle portait par le BPF, qui a de nouveau informé Mme Lin qu’elle ou son conjoint devait être stérilisé après avoir eu un enfant ensemble. Comme le couple voulait avoir plus d’un enfant et craignait la stérilisation, il a obtenu des visas de touristes pour le Canada et est arrivé le 2 octobre 2015. Le couple n’a pas d’enfant ensemble pour le moment.
Questions en litige
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Les demandeurs soumettent à la Cour les questions suivantes aux fins d’examen :
La SAR a-t-elle fourni des motifs adéquats qui justifient sa décision?
A-t-elle appliqué la norme de contrôle appropriée, c’est-à-dire la norme de raisonnabilité, aux questions de vraisemblance, et a-t-elle a fait preuve d’une trop grande retenue envers la SPR?
Analyse
La SAR a-t-elle fourni des motifs adéquats qui justifient sa décision?
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Les demandeurs font valoir que la partie sur l’analyse de la décision de la SAR est brève, ne comportant qu’une seule page, et qu’elle ne contient pas un raisonnement adéquat qui permet de comprendre les motifs qui expliquent l’accord de la SAR avec les conclusions de la SPR et le rejet de l’appel. Les demandeurs soutiennent que la SAR a simplement énuméré les faits et allégations, et a ensuite tiré des conclusions sans aucune analyse qui viendrait intervenir à l’égard de ces conclusions. Les demandeurs se fondent sur les décisions de la Cour, selon lesquelles une telle approche ne constitue pas une décision motivée (voir Weng c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1483, au paragraphe 25; Espino c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1255, au paragraphe 11; Sisman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 930, au paragraphe 28).
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Le défendeur fait remarquer que la suffisance des motifs n’est pas un critère à lui seul de contrôle judiciaire. Au contraire, les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles (voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 14). Le défendeur soutient qu’un examen des motifs de la SAR fait preuve d’une décision raisonnable, comprenant une analyse qui, bien que brève, révèle le fondement des conclusions de la SAR.
[8]
Sous réserve des circonstances, comme les évaluations de la crédibilité dans lesquelles la SPR jouit d’un véritable avantage par rapport à la SAR, celle-ci est tenue d’examiner les décisions de la SPR en regard de la norme de la décision correcte (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, aux paragraphes 78 et 103). La décision de la SAR en soi devra être examinée par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (voir la décision Huruglica, au paragraphe 35; Sinnaraja c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 778, au paragraphe 13).
[9]
La SAR a observé que les demandeurs allèguent qu’ils risqueraient d’être persécutés en Chine, parce qu’il était auparavant permis d’avoir un seul enfant ensemble (en plus du demandeur mineur), au risque de se voir imposer un avortement forcé, une stérilisation ou l’utilisation du dispositif intra-utérin. Cependant, la SAR a également relevé la déclaration de la SPR, selon laquelle la preuve documentaire précise que le gouvernement chinois avait annoncé, en octobre 2015, qu’il mettait fin à sa politique de l’enfant unique et que tous les couples pourraient avoir deux enfants. La SPR a demandé à Mme Lin si ce changement en matière de politique aurait une incidence sur sa situation, ce à quoi elle a répondu que ce changement ne ferait aucune différence, puisqu’elle devrait encore être stérilisée même si elle avait un enfant.
[10]
La SAR a ensuite ajouté que les demandeurs avaient affirmé que cette déclaration leur était parvenue à deux reprises pendant qu’ils étaient en Chine. La SAR a fait remarquer que la déclaration avait été faite avant que la nouvelle politique entre en vigueur et que, s’ils avaient un enfant ensemble à ce moment-là, ils seraient considérés comme ayant eu leur enfant unique alors permis en vertu de la politique. Toutefois, la SAR a alors conclu qu’aucun élément de preuve convaincant ne permettait de croire que la menace de stérilisation serait appliquée en vertu de la nouvelle politique. Par conséquent, la SAR a souscrit aux conclusions de la SPR suivant lesquelles, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs ne seraient pas soumis à une stérilisation après la naissance d’un enfant.
[11]
Bien qu’elle soit certes brève, cette partie de la décision fait preuve d’une analyse de l’allégation des demandeurs et d’une décision motivée. La SAR ne considérait pas les demandeurs comme étant exposés à un risque associé aux menaces de stérilisation proférées avant leur départ de la Chine, car ces menaces ont été faites dans le contexte de la politique de l’enfant unique et il n’existait aucune preuve convaincante que la menace planerait toujours en vertu de la nouvelle politique.
[12]
Les demandeurs soutiennent que la SAR ne possédait aucune preuve documentaire, ce qui soulève de l’incertitude quant à la manière dont le demandeur mineur, l’enfant existant de M. Kuang, serait traité en vertu de la nouvelle politique des deux enfants. Bien que la décision ait trait à l’allégation des demandeurs, selon laquelle le demandeur mineur serait traité comme un des deux enfants autorisés, les demandeurs prétendent que la décision de la SAR ne démontre aucune considération relative à la preuve documentaire à laquelle ils font référence.
[13]
Il est bien établi en droit qu’un décideur n’est pas tenu de mentionner tous les éléments de preuve contraires à ses conclusions. Toutefois, plus les éléments de preuve contradictoires sont importants, plus il peut être facile d’inférer qu’une telle preuve a été négligée (voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998], 157 FTR 35, aux paragraphes 16 et 17). Les demandeurs ont renvoyé la Cour à la documentation sur la situation dans le pays à laquelle ils s’en remettent. Une réponse à la demande d’information (RDI) publiée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, et datée du 30 octobre 2015, fait référence à l’information selon laquelle les Chinoises sont toujours assujetties à des formes intrusives de contraception et d’avortement contraint ou forcé, malgré le changement de politique. Ce document fait également référence à des expressions d’inquiétude selon lesquelles les enfants nés hors du mariage continueraient d’être pénalisés par le gouvernement. Une autre réponse à la demande d’information datée du 4 mars 2015 fait référence à des rapports d’avortements forcés qui continuent d’être effectués en Chine depuis 2012. La documentation sur la situation dans le pays comprend également une déclaration d’Amnistie internationale qui se rapporte à la déclaration explicite des autorités gouvernementales chinoises, selon laquelle les couples mariés à compter de maintenant peuvent désormais avoir deux enfants, mais précise qu’aucune allusion n’était faite aux parents monoparentaux ni aux deuxième, troisième et quatrième enfants (enfants qui dépassent les quotas) maintenant acceptables.
[14]
La SAR a conclu qu’aucun élément de preuve convaincant ne permettait de croire que la menace de stérilisation serait appliquée en vertu de la nouvelle politique. Je ne considère pas que la preuve documentaire sur laquelle se sont fondés les demandeurs contredit cette conclusion. Les demandeurs considèrent que cette preuve soulève un manque de clarté entourant le traitement d’un enfant né hors du mariage. Comme le déclare le défendeur, une telle preuve ne peut être considérée comme convaincante et, par conséquent, ne peut représenter un fondement qui permettrait de conclure que la conclusion de la SAR est déraisonnable.
[15]
La SAR est d’accord avec la conclusion de la SPR selon laquelle Mme Lin était autorisée à cesser d’utiliser le dispositif intra-utérin et n’avait pas à subir de contrôles de grossesse réguliers deux ans avant de quitter la Chine. Les demandeurs ne contestent pas cette conclusion. Il semble que la conclusion subséquente de la SAR, selon laquelle il n’y avait aucune preuve convaincante que Mme Lin devrait porter un dispositif intra-utérin ou se soumettre à des contrôles de grossesse si elle retournait en Chine, reposait sur cette conclusion. Bien que bref cette fois encore, le raisonnement de la SAR est intelligible et transparent, et fait partie d’une gamme d’issues acceptables. Je conclus que les motifs de la SAR font preuve d’une décision raisonnable.
A-t-elle appliqué la norme de contrôle appropriée, c’est-à-dire la norme de raisonnabilité, aux questions de vraisemblance, et a-t-elle a fait preuve d’une trop grande retenue envers la SPR?
[16]
Dans la formulation de cette question des demandeurs, et dans leurs observations orales, ils allèguent que la norme de raisonnabilité est applicable à l’examen effectué par la SAR de ce qu’ils considèrent comme des conclusions au sujet de la vraisemblance par la SPR. Néanmoins, ils sont d’avis que la SAR a fait preuve d’une trop grande retenue envers la SPR. Dans leurs observations écrites, les demandeurs allèguent plutôt que la norme de la décision correcte devrait s’appliquer à l’examen de telles conclusions de la SAR ou que, à tout le moins, une retenue limitée devrait être appliquée.
[17]
Bien qu’il soit difficile de concilier les diverses formulations des avis des demandeurs, au moins en ce qui concerne la norme de contrôle, elles constituent un argument selon lequel la SAR a exercé, à tort, des retenues envers ce que les demandeurs considèrent comme des conclusions au sujet de la vraisemblance par la SPR. À l’audience concernant la présente demande, les demandeurs soulignent que la conclusion au sujet de la vraisemblance à laquelle ils font allusion consiste en la conclusion par la SPR et la SAR, c’est-à-dire que les demandeurs ne feraient pas l’objet de persécution en vertu de la nouvelle politique des deux enfants de la Chine.
[18]
Dans cette décision, la SAR se fonde sur la décision Huruglica quant à sa formulation de la norme applicable à l’examen de la décision de la SPR. Sa formulation est conforme à celle de la Cour d’appel fédérale dans Huruglica. L’argument des demandeurs n’est pas que la SAR a exprimé la norme incorrectement, mais qu’elle ne l’a pas appliquée correctement, en faisant preuve d’une retenue excessive envers la décision de la SPR et en ne respectant pas le principe selon lequel les conclusions de vraisemblance devraient être faites uniquement dans les cas les plus évidents (voir Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014, CF 683 [Lin], au paragraphe 19; Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776 [Valtchev], au paragraphe 7).
[19]
Cependant, le principe exprimé dans les décisions Lin et Valtchev sur lesquelles se fondent les demandeurs est celui des conclusions défavorables quant à la crédibilité fondée sur l’invraisemblance de la version des faits relatés par un demandeur que dans les cas les plus évidents. La décision de la SAR dans la présente affaire ne concerne pas de conclusions de cette nature. Elle n’a pas fondé sa décision sur des conclusions quant à la crédibilité, découlant d’une analyse de la vraisemblance ou autrement. Elle a plutôt conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve convaincant à l’appui des risques allégués par les demandeurs. Bien que les demandeurs allèguent que la SAR a tiré ces conclusions sans effectuer une analyse indépendante et qu’elle a, en conséquence, fait montre de trop de retenue à l’égard de la SPR, j’ai conclu ci-dessus que l’analyse de la SAR démontre le fondement sur lequel elle a tiré ses conclusions et qu’elle est raisonnable.
[20]
Par conséquent, je ne peux pas conclure qu’il y a lieu de modifier la décision de la SAR, et cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.
JUGEMENT
LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.
« Richard F. Southcott »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3114-16
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INTITULÉ :
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YUANWEN LIN ET AL. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TORONTO (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 9 février 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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Le juge Southcott
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DATE DES MOTIFS :
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Le 13 février 2017
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COMPARUTIONS :
Phillip Trotter
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Pour les demandeurs
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Leanne Briscoe
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Phillip Trotter
Avocat
Toronto (Ontario)
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Pour les demandeurs
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William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR
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